Karl Marx
Le Capital
Livre premier
Le développement de la production capitaliste
TABLE DES MATIERES
Troisième section : la
production de la plus-value absolue
VII. Production de valeurs d'usage et
production de la plus-value
VIII. Capital constant et capital variable
X. La journée de travail
1.Limite de journée de travail
2.Le Capital affamé de surtravail - Boyard et
fabricant
4.Travail de jour et nuit. - Le système des
relais
XI. Taux et masse de la plus-value
Troisième section : la production de la
plus-value absolue
Chapitre VII : Production de valeurs d’usage et
production de la plus-value
I.
Production de valeurs d’usage
L’usage ou l'emploi de la force de travail, c'est le
travail. L’acheteur de cette force la consomme en faisant
travailler le vendeur. Pour que celui ci produise des marchandises, son
travail doit être utile, c’est à dire se réaliser en valeurs d'usage.
C'est donc une valeur d’usage particulière, un article spécial que le
capitaliste fait produire par son ouvrier. De ce que la production de valeurs
d’usage s'exécute pour le compte du capitaliste et sous sa direction, il ne
s'ensuit pas, bien entendu, qu'elle change de nature. Aussi, il nous faut
d'abord examiner le mouvement du travail utile en général, abstraction faite de
tout cachet particulier que peut lui imprimer telle ou telle phase du progrès
économique de la société.
Le travail est de prime abord un acte qui se passe
entre l’homme et la nature L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le
rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et
jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s'assimiler des matières
en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce
mouvement, sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature,
et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet
état primordial du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement
instinctif. Notre point de départ, c’est le travail sous une forme qui
appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui
ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses
cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès
l’abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c’est qu'il a
construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le
résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du
travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les
matières naturelles; il y réalise du même coup son propre but, dont il a
conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit
subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L’œuvre
exige pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent, une
attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension
constante de la volonté. Elle l'exige d'autant plus que par son objet et son
mode d'exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu'il se fait moins
sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles;
en un mot, qu'il est moins attrayant.
Voici les éléments simples dans lesquels le procès
de travail (172) se décompose : 1° activité
personnelle de l'homme, ou travail proprement dit; 2° objet sur lequel le travail
agit; 3° moyen par lequel il agit.
La terre (et sous ce terme, au point de vue
économique, on comprend aussi l'eau), de même qu'elle fournit à l'homme, dès le
début, des vivres tout préparés (173),
est aussi l'objet universel de travail qui se trouve là sans son fait. Toutes
les choses que le travail ne fait que détacher de leur connexion immédiate avec
la terre sont des objets de travail de par la grâce de la nature. Il en est
ainsi du poisson que la pêche arrache à son élément de vie, l'eau; du bois
abattu dans la forêt primitive; du minerai extrait de sa veine. L'objet déjà
filtré par un travail antérieur, par exemple, le minerai lavé, s'appelle
matière première. Toute matière première est objet de travail, mais tout objet
de travail n'est point matière première; il ne le devient qu'après avoir subi
déjà une modification quelconque effectuée par le travail.
Le moyen de travail est une chose ou un ensemble de
choses que l'homme interpose entre lui et l'objet de son travail comme
constructeurs de son action. Il se sert des propriétés mécaniques, physiques,
chimiques de certaines choses pour les faire agir comme forces sur d’autres
choses, conformément à son but (174).
Si nous laissons de côté la prise de possession de subsistances toutes trouvées
la cueillette des fruits par exemple, où ce sont les organes de l'homme
qui lui servent d'instrument, nous voyons que le travailleur s'empare
immédiatement, non pas de l'objet, mais du moyen de son travail. Il convertit
ainsi des choses extérieures en organes de sa propre activité, organes qu'il
ajoute aux siens de manière à allonger, en dépit de la Bible, sa stature
naturelle. Comme la terre est son magasin de vivres primitif, elle est aussi
l'arsenal primitif de ses moyens de travail. Elle lui fournit, par exemple, la
pierre dont il se sert pour frotter, trancher, presser, lancer, etc. La terre
elle-même devient moyen de travail, mais ne commence pas à fonctionner comme
tel dans l'agriculture, sans que toute une série d'autres moyens de travail
soit préalablement donnée (175).
Dès qu'il est tant soit peu développé, le travail ne saurait se passer de
moyens déjà travaillés. Dans les plus anciennes cavernes on trouve des instruments
et des armes de pierre. A côté des coquillages, des pierres, des bois et des os
façonnés, on voit figurer au premier rang parmi les moyens de travail primitifs
l'animal dompté et apprivoisé, c'est à dire déjà modifié par le
travail (176). L'emploi et la création de moyens
de travail, quoiqu'ils se trouvent en germe chez quelques espèces animales,
caractérisent éminemment le travail humain. Aussi Franklin donne t il
cette définition de l'homme : l’homme est un animal fabricateur d'outils «
a toolmaking animal ». Les débris des anciens moyens de travail ont pour
l’étude des formes économiques des sociétés disparues la même importance que la
structure des os fossiles pour la connaissance de l'organisation des races
éteintes. Ce qui distingue une époque économique d'une autre, c'est moins ce
que l'on fabrique, que la manière de fabriquer, les moyens de travail par
lesquels on fabrique (177).
Les moyens de travail sont les gradimètres du développement du travailleur, et
les exposants des rapports sociaux dans lesquels il travaille. Cependant les
moyens mécaniques, dont l'ensemble peut être nommé le système osseux et
musculaire de la production, offrent des caractères bien plus distinctifs d’une
époque économique que les moyens qui ne servent qu'à recevoir et à conserver
les objets ou produits du travail, et dont l’ensemble forme comme le système
vasculaire de la production, tels que, par exemple, vases, corbeilles, pots et
cruches, etc. Ce n’est que dans la fabrication chimique qu'ils commencent à
jouer un rôle plus important.
Outre les choses qui servent d'intermédiaires, de
conducteurs de l'action de l'homme sur son objet, les moyens du travail
comprennent, dans un sens plus large, toutes les conditions matérielles qui,
sans rentrer directement dans ses opérations, sont cependant indispensables ou
dont l'absence le rendrait défectueux. L'instrument général de ce genre est
encore la terre, car elle fournit au travailleur le locus standi, sa
base fondamentale, et à son activité le champ où elle peut se déployer, son field
of employment. Des moyens de travail de cette catégorie, mais déjà dus à un
travail antérieur, sont les ateliers, les chantiers, les canaux, les routes,
etc.
Dans le procès de travail, l'activité de l'homme
effectue donc à l'aide des moyens de travail une modification voulue de son
objet. Le procès s'éteint dans le produit,
c'est à dire dans une valeur d'usage, une matière naturelle assimilée
aux besoins humains par un changement de forme. Le travail, en se combinant avec
son objet, s'est matérialisé et la matière est travaillée. Ce qui était du
mouvement chez le travailleur apparaît maintenant dans le produit
comme une propriété en repos. L'ouvrier a tissé et le produit est un tissu.
Si l'on considère l'ensemble de ce mouvement au point
de vue de son résultat, du produit, alors tous les deux, moyen et objet de
travail, se présentent comme moyens de production (178), et le travail lui-même comme travail productif (179).
Si une valeur d'usage est le produit d'un procès de
travail, il y entre comme moyens de production d'autres valeurs d'usage,
produits elles mêmes d'un travail antérieur. La même valeur d'usage, produit
d'un travail, devient le moyen de production d'un autre. Les produits ne sont
donc pas seulement des résultats, mais encore des conditions du procès de
travail.
L'objet du travail est fourni par la nature seule
dans l'industrie extractive, exploitation des mines, chasse, pêche,
etc., et même dans l'agriculture en tant qu'elle se borne à défricher
des terres encore vierges. Toutes les autres branches d'industrie manipulent
des matières premières, c'est à dire des objets déjà filtrés par le
travail, comme, par exemple, les semences en agriculture. Les animaux et les
plantes que d'habitude on considère comme des produits naturels sont, dans
leurs formes actuelles, les produits non seulement du travail de l'année
dernière, mais encore, d'une transformation continuée pendant des siècles sous
la surveillance et par l'entremise du travail humain. Quant aux instruments
proprement dits, la plupart d'entre eux montrent au regard le plus superficiel
les traces d'un travail passé.
La matière première peut former la substance
principale d'un produit ou n'y entrer que sous la forme de matière auxiliaire.
Celle-ci est alors consommée par le moyen de travail, comme la houille, par la
machine à vapeur, l'huile par la roue, le foin par le cheval de trait; ou bien elle
est jointe à la matière première pour y opérer une modification, comme le
chlore à la toile écrue, le charbon au fer, la couleur à la laine, ou bien
encore elle aide le travail lui-même à s'accomplir, comme, par exemple, les
matières usées dans l'éclairage et le chauffage de l'atelier. La différence
entre matières principales et matières auxiliaires se confond dans la
fabrication chimique proprement dite, où aucune des matières employées ne
reparaît comme substance du produit (180).
Comme toute chose possède des propriétés diverses et
prête, par cela même, à plus d'une application, le même produit est susceptible
de former la matière première de différentes opérations. Les grains servent
ainsi de matière première au meunier, à l'amidonnier, au distillateur, à
l'éleveur de bétail, etc.; ils deviennent, comme semence, matière première de
leur propre production. De même le charbon sort comme produit de l'industrie
minière et y entre comme moyen de production.
Dans la même opération, le même produit peut servir
et de moyen de travail et de matière première; dans l'engraissement du
bétail, par exemple, l'animal, la matière travaillée, fonctionne aussi
comme moyen pour la préparation du fumier.
Un produit, qui déjà existe sous une forme qui le
rend propre à la consommation, peut cependant devenir à son tour matière
première d'un autre produit; le raisin est la matière première du vin. Il y a
aussi des travaux dont les produits sont impropres à tout autre service que
celui de matière première. Dans cet état, le produit n'a reçu, comme on dit,
qu'une demi façon et il serait mieux de dire qu'il n'est qu'un produit
sériel ou gradué, comme, par exemple, le coton, les filés, le calicot, etc. La
matière première originaire, quoique produit elle-même, peut avoir à parcourir
toute une échelle de remaniements dans lesquels, sous une forme toujours
modifiée, elle fonctionne toujours comme matière première jusqu'à la dernière
opération qui l'élimine comme objet de consommation ou moyen de travail.
On le voit : le caractère de produit, de matière
première ou de moyen de travail ne s'attache à une valeur d'usage que suivant
la position déterminée qu'elle remplit dans le procès de travail, que d'après
la place qu'elle y occupe, et son changement de place change sa détermination.
Toute valeur d'usage entrant dans des opérations
nouvelles comme moyen de production, perd donc son caractère de produit, et ne
fonctionne plus que comme facteur du travail vivant. Le fileur traite les
broches et le lin simplement comme moyen et objet de son travail. Il est
certain qu'on ne peut filer sans instruments et sans matière; aussi l'existence
de ces produits est elle déjà sous entendue, au début du filage.
Mais, dans ce dernier acte, il est tout aussi indifférent que lin et broches
soient des produits d'un travail antérieur, qu'il est indifférent dans l'acte
de la nutrition que le pain soit le produit des travaux antérieurs du
cultivateur, du meunier, du boulanger, et ainsi de suite. Tout au contraire, ce
n'est que par leurs défauts qu'une fois l’œuvre mise en train, les moyens de
production font valoir leur caractère de produits. Des couteaux qui ne coupent
pas, du fil qui se casse à tout moment, éveillent le souvenir désagréable de
leurs fabricants. Le bon produit ne fait pas sentir le travail dont il tire ses
qualités utiles.
Une machine qui ne sert pas au travail est inutile.
Elle se détériore en outre sous l'influence destructive des agents naturels. Le
fer se rouille, le bois pourrit, la laine non travaillée est rongée par les
vers. Le travail vivant doit ressaisir ces objets, les ressusciter des morts et
les convertir d'utilités possibles en utilités efficaces. Léchés par la flamme
du travail, transformés en ses organes, appelés par son souffle à remplir leurs
fonctions propres, ils sont aussi consommés, mais pour un but déterminé, comme
éléments formateurs de nouveaux produits.
Or, si des produits sont non seulement le résultat,
mais encore la condition d'existence du procès de travail, ce n'est qu'en les y
jetant, qu'en les mettant en contact avec le travail vivant, que ces résultats
du travail passé peuvent être conservés et utilisés.
Le travail use ses éléments matériels, son objet et
ses moyens, et est par conséquent un acte de consommation. Cette consommation
productive se distingue de la consommation individuelle en ce que celle-ci
consomme les produits comme moyens de jouissance de l'individu, tandis que
celle-là les consomme comme moyens de fonctionnement du travail. Le produit de
la consommation individuelle est, par conséquent, le consommateur lui-même; le
résultat de la consommation productive est un produit distinct du consommateur.
En tant que ses moyens et son objet sont déjà des
produits, le travail consomme des produits pour créer des produits, ou bien emploie
les produits comme moyens de production de produits nouveaux. Mais le procès de
travail qui primitivement se passe entre l'homme et la terre qu'il
trouve en dehors de lui ne cesse jamais non plus d'employer des moyens
de production de provenance naturelle, ne représentant aucune combinaison entre
les éléments naturels et le travail humain.
Le procès de travail tel que nous venons de
l'analyser dans ces moments simples et abstraits, l'activité qui a pour
but la production de valeurs d'usage, l'appropriation des objets extérieurs aux
besoins est la condition générale des échanges matériels entre l'homme
et la nature, une nécessité physique de la vie humaine, indépendante par cela
même de toutes ses formes sociales, ou plutôt également commune à toutes. Nous
n'avions donc pas besoin de considérer les rapports de travailleur à
travailleur. L'homme et son travail d'un côté, la nature et ses matières de
l'autre, nous suffisaient. Pas plus que l'on ne devine au goût du froment qui
l'a cultivé, on ne saurait, d'après les données du travail utile, conjecturer
les conditions sociales dans lesquelles il s'accomplit. A t il été
exécuté sous le fouet brutal du surveillant d'esclaves ou sous l’œil inquiet du
capitaliste ? Avons nous affaire à Cincinnatus labourant son lopin de
terre ou au sauvage abattant du gibier d'un coup de pierre ? Rien ne nous
l'indique (181).
Revenons à notre capitaliste en herbe. Nous l'avons
perdu de vue au moment où il vient d'acheter sur le marché tous les facteurs
nécessaires à l'accomplissement du travail, les facteurs objectifs
moyens de production et le facteur subjectif - force de travail. Il les
a choisis en connaisseur et en homme avisé, tels qu'il les faut pour son genre
d'opération particulier, filage, cordonnerie, etc. Il se met donc à consommer
la marchandise qu'il a achetée, la force de travail, ce qui revient à dire
qu'il fait consommer les moyens de production par le travail. La nature
générale du travail n'est évidemment point du tout modifiée, parce que
l'ouvrier accomplit son travail non pour lui-même, mais pour le capitaliste. De
même l'intervention de celui-ci ne saurait non plus changer soudainement les
procédés particuliers par lesquels on fait des bottes ou des filés. L'acheteur
de la force de travail doit la prendre telle qu'il la trouve sur le marché, et
par conséquent aussi le travail tel qu'il s'est développé dans une période où
il n'y avait pas encore de capitalistes. Si le mode de production vient
lui-même à se transformer profondément en raison de la subordination du travail
au capital, cela n'arrive que plus tard, et alors seulement nous en tiendrons
compte.
Le procès de travail, en tant que consommation de la
force de travail par le capitaliste, ne montre que deux phénomènes particuliers.
L'ouvrier travaille sous le contrôle du capitaliste
auquel son travail appartient. Le capitaliste veille soigneusement à ce que la
besogne soit proprement faite et les moyens de production employés suivant le
but cherché, à ce que la matière première ne soit pas gaspillée et que
l'instrument de travail n'éprouve que le dommage inséparable de son emploi.
En second lieu, le produit est la propriété du
capitaliste et non du producteur immédiat, du travailleur. Le capitaliste paie,
par exemple, la valeur journalière de la force de travail, dont, par
conséquent, l'usage lui appartient durant la journée, tout comme celui d'un
cheval qu'il a loué à la journée. L'usage de la marchandise appartient à
l'acheteur et en donnant son travail, le possesseur de la force de travail ne
donne en réalité que la valeur d'usage qu'il a vendue. Dès son entrée dans
l'atelier, l'utilité de sa force, le travail, appartenait au capitaliste. En
achetant la force de travail, le capitaliste a incorporé le travail comme ferment
de vie aux éléments passifs du produit, dont il était aussi nanti. A son point
de vue, le procès de travail n'est que la consommation de la force de travail,
de la marchandise qu’il a achetée, mais qu'il ne saurait consommer sans lui
ajouter moyens de production. Le procès de travail est une opération entre
choses qu'il a achetées, qui lui appartiennent. Le produit de cette opération
lui appartient donc au même titre que le produit de la fermentation dans son
cellier (182).
II.
Production de la plus-value
Le produit propriété du capitaliste est
une valeur d'usage, telle que des filés, de la toile, des bottes, etc. Mais
bien que des bottes, par exemple, fassent en quelque sorte marcher le monde, et
que notre capitaliste soit assurément homme de progrès, s'il fait des bottes,
ce n'est pas par amour des bottes. En général, dans la production marchande, la
valeur d'usage n'est pas chose qu'on aime pour elle même. Elle n'y sert
que de porte valeur. Or, pour notre capitaliste, il s'agit d'abord de
produire un objet utile qui ait une valeur échangeable, un article destiné à la
vente, une marchandise. Et, de plus, il veut que la valeur de cette marchandise
surpasse celle des marchandises nécessaires pour la produire, c'est à dire
la somme de valeurs des moyens de production et de la force de travail, pour
lesquels il a dépensé son cher argent. Il veut produire non seulement une chose
utile, mais une valeur, et non seulement une valeur, mais encore une
plus value.
En fait, jusqu'ici nous n'avons considéré la
production marchande qu'à un seul point de vue, celui de la valeur d'usage.
Mais de même que la marchandise est à la fois valeur d'usage et valeur
d'échange, de même sa production doit être à la fois formation de valeurs
d'usage et formation de valeur.
Examinons donc maintenant la production au point de
vue de la valeur.
On sait que la valeur d'une marchandise est
déterminée par le quantum de travail matérialisé en elle, par le temps
socialement nécessaire à sa production. Il nous faut donc calculer le travail
contenu dans le produit que notre capitaliste a fait fabriquer, soit dix livres
de filés.
Pour produire les filés, il avait besoin d'une
matière première, mettons dix livres de coton. Inutile de chercher maintenant
quelle est la valeur de ce coton, car le capitaliste l'a acheté sur le marché
ce qu'il valait, par exemple dix shillings. Dans ce prix le travail exigé par
la production du coton est déjà représenté comme travail social moyen.
Admettons encore que l'usure des broches - et elles nous représentent tous les
autres moyens de travail employés s'élève à deux shillings. Si une masse
d'or de douze shillings est le produit de vingt quatre heures de travail,
il s'ensuit qu'il y a deux journées de travail réalisées dans les filés.
Cette circonstance, que le coton a changé de forme et
que l'usure a fait disparaître une quote part des broches, ne doit pas
nous dérouter. D'après la loi générale des échanges, dix livres de filés sont
l'équivalent de dix livres de coton et un quart de broche, si la valeur de
quarante livres de filés égale la valeur de quarante livres de coton, plus une
broche entière, c'est à dire si le même temps de travail est
nécessaire pour produire l'un ou l'autre terme de cette équation. Dans ce cas
le même temps de travail se représente une fois en filés, l'autre fois en coton
et broche. Le fait que broche et coton, au lieu de rester en repos l'un à côté
de l'autre, se sont combinés pendant le filage qui, en changeant leurs formes
usuelles, les a convertis en filés, n'affecte pas plus leur valeur que ne le
ferait leur simple échange contre un équivalent en filés.
Le temps de travail nécessaire pour produire les
filés, comprend le temps de travail nécessaire pour produire leur matière
première, le coton. Il en est de même du temps nécessaire pour reproduire les
broches usées (183).
En calculant la valeur des filés,
c'est à dire le temps nécessaire à leur production, on doit donc
considérer les différents travaux, séparés par le temps et l'espace
qu'il faut parcourir, d'abord pour produire coton et broches, ensuite pour
faire des filés comme des phases successives de la même opération. Tout
le travail contenu dans les filés est du travail passé, et peu importe que le
travail exigé pour produire leurs éléments constitutifs soit écoulé avant le
temps dépensé dans l'opération finale, le filage. S'il faut trente journées,
par exemple, pour construire une maison, la somme de travail qui y est
incorporée ne change pas de grandeur, bien que la trentième journée de travail
n'entre dans la production que vingt neuf jours après la première. De même
le temps de travail contenu dans la matière première et les instruments du
filage doit être compté comme s'il eût été dépensé durant le cours de cette opération
même.
Il faut, bien entendu, que deux conditions soient
remplies : en premier lieu, que les moyens aient réellement servi à
produire une valeur d'usage, dans notre cas des filés. Peu importe à la valeur
le genre de valeur d'usage qui la soutient, mais elle doit être soutenue par
une valeur d'usage. Secondement, il est sous-entendu qu'on n'emploie que le
temps de travail nécessaire dans les conditions normales de la production. Si
une livre de coton suffit en moyenne pour faire une livre de filés, ce n'est
que la valeur d'une livre de coton qui sera imputée à la valeur d'une livre de
filés. Le capitaliste aurait la fantaisie d'employer des broches d'or, qu'il ne
serait néanmoins compté dans la valeur des filés que le temps de travail
nécessaire pour produire l'instrument de fer.
Nous connaissons à présent la valeur que le coton et
l'usure des broches donnent aux filés. Elle est égale à douze shillings
l'incorporation de deux journées de travail. Reste donc à chercher combien la
valeur que le travail du fileur ajoute au produit.
Ce travail se présente maintenant sous un nouvel
aspect. D'abord c'était l'art de filer. Plus valait le travail, plus valaient
les filés, toutes les autres circonstances restant les mêmes. Le travail du
fileur se distinguait d'autres travaux productifs par son but, ses procédés
techniques, les propriétés de son produit et ses moyens de production
spécifiques. Avec le coton et les broches qu'emploie le fileur, on ne saurait
faire des canons rayés. Par contre, en tant qu'il est source de valeur, le
travail du fileur ne diffère en rien de celui du foreur de canons, ou, ce qui
vaut mieux, de celui du planteur de coton ou du fabricant de broches,
c'est à dire des travaux réalisés dans les moyens de production des
filés. Si ces travaux, malgré la différence de leurs formes utiles, n'étaient
pas d'une essence identique, ils ne pourraient pas constituer des portions,
indistinctes quant à leur qualité, du travail total réalisé dans le produit.
Dès lors les valeurs coton et broches ne constitueraient pas non plus des
parties intégrantes de la valeur totale des filés. En effet, ce qui importe
ici, ce n'est plus la qualité mais la quantité du travail; c'est elle seule qui
entre en ligne de compte. Admettons que le filage soit du travail simple,
moyen. On verra plus tard que la supposition contraire ne changerait rien à
l'affaire.
Pendant le procès de la production, le travail passe
sans cesse de la forme dynamique à la forme statique. Une heure de travail par
exemple, c'est à dire la dépense en force vitale du fileur durant une
heure, se représente dans une quantité déterminée de filés.
Ce qui est ici d'une importance décisive, c'est que
pendant la durée de la transformation du coton en filés, il ne se dépense que
le temps de travail socialement nécessaire. Si dans les conditions normales,
c'est à dire sociales, moyennes de la production, il faut que durant
une heure de travail A livres de coton soient converties en B livres de filés,
on ne compte comme journée de travail de douze heures que la journée de travail
qui convertit 12 x A livres de coton en 12 x B livres de filés. Le temps de
travail socialement nécessaire est en effet le seul qui compte dans la
formation de la valeur.
On remarquera que non seulement le travail, mais
aussi les moyens de production et le produit ont maintenant changé de rôle. La
matière première ne fait que s'imbiber d'une certaine quantité de travail. Il
est vrai que cette absorption la convertit en filés, attendu que la force
vitale de l'ouvrier a été dépensée sous forme de filage, mais le produit en
filés ne sert que de gradimètre indiquant la quantité de travail imbibée par le
coton, par exemple dix livres de filés indiqueront six heures de
travail, s'il faut une heure pour filer une livre deux tiers de coton. Certaines
quantités de produit déterminées d'après les données de l'expérience ne
représentent que des masses de travail solidifié la matérialité d'une
heure, de deux heures, d'un jour de travail social.
Que le travail soit précisément filage, sa matière coton
et son produit filé, cela est tout à fait indifférent, comme il est indifférent
que l'objet même du travail soit déjà matière première, c'est à-dire un
produit. Si l'ouvrier, au lieu d'être occupé dans une filature, était employé
dans une houillère, la nature lui fournirait son objet de travail. Néanmoins un
quantum déterminé de houille extrait de sa couche, un quintal par
exemple, représenterait un quantum déterminé de travail absorbé.
Lors de la vente de la force de travail, il a été
sous entendu que sa valeur journalière = 3 shillings, somme d'or
dans laquelle six heures de travail sont incorporées et que, par
conséquent, il faut travailler six heures pour produire la somme moyenne de
subsistances nécessaires à l'entretien quotidien du travailleur. Comme notre
fileur convertit pendant une heure une livre deux tiers de coton en une livre
deux tiers de filés, il convertira en six heures dix livres de coton en dix
livres de filés (184). Pendant la durée du filage le
coton absorbe donc six heures de travail. Le même temps de travail est fixé
dans une somme d'or de trois shillings. Le fileur a donc ajouté au coton une
valeur de trois shillings.
Faisons maintenant le compte de la valeur totale du
produit. Les dix livres de filés contiennent deux journées et demie de travail;
coton et broche contiennent deux journées; une demi-journée a été absorbée
durant le filage. La même somme de travail est fixée dans une masse d'or de
quinze shillings. Le prix de quinze shillings exprime donc la valeur exacte de
dix livres de filés; le prix de un shilling six pence celle d'une livre.
Notre capitaliste reste ébahi. La valeur du produit
égale la valeur du capital avancé. La valeur avancée n'a pas fait de petits;
elle n'a point enfanté de plus value et l'argent, par conséquent, ne s'est
pas métamorphosé en capital. Le prix de dix livres de filés est de quinze
shillings et quinze shillings ont été dépensés sur le marché pour les éléments
constitutifs du produit, ou, ce qui revient au même, pour les facteurs du
procès de travail, dix shillings pour le coton, deux shillings pour l'usure des
broches, et trois shillings pour la force de travail. Il ne sert de rien que la
valeur des filés soit enflée, car elle n'est que la somme des valeurs
distribuées auparavant sur ces facteurs, et en les additionnant on ne les
multiplie pas (185). Toutes ces valeurs sont
maintenant concentrées sur un objet, mais elles l'étaient aussi dans la somme
de quinze shillings avant que le capitaliste les sortit de son gousset pour les
subdiviser en trois achats.
Il n'y a rien d'étrange dans ce résultat. La valeur
d'une livre de filés revient à un shilling six pence et au marché notre
capitaliste aurait à payer quinze shillings pour dix livres de filés. Qu'il
achète sa demeure toute faite, ou qu'il la fasse bâtir à ses propres frais,
aucune de ces opérations n'augmentera l'argent employé à l'acquisition de sa
maison.
Le capitaliste, qui est à cheval sur son économie
politique vulgaire, s'écriera peut-être qu'il n'a avancé son argent qu'avec
l'intention de le multiplier. Mais le chemin de l'enfer est payé de bonnes
intentions, et personne ne peut l'empêcher d'avoir l'intention de faire de
l'argent sans produire (186).
Il jure qu'on ne l'y rattrapera plus; à l'avenir il achètera, sur le marché,
des marchandises toutes faites au lieu de les fabriquer lui même. Mais si
tous ses compères capitalistes font de même, comment trouver des marchandises
sur le marché ? Pourtant il ne peut manger son argent. Il se met donc à nous
catéchiser : on devrait prendre en considération son abstinence, il pouvait
faire ripaille avec ses quinze shillings; au lieu de cela il les a consommés
productivement et en a fait des filés. C'est vrai, mais aussi a t il
des filés et non des remords. Qu'il prenne garde de partager le sort du
thésauriseur qui nous a montré où conduit l'ascétisme.
D'ailleurs là où il n'y a rien, le roi perd ses
droits. Quel que soit le mérite de son abstinence, il ne trouve pas de fonds
pour la payer puisque la valeur de la marchandise qui sort de la production est
tout juste égale à la somme des valeurs qui y sont entrées. Que son baume soit
cette pensée consolante : la vertu ne se paie que par la vertu. Mais non ! Il
devient importun. Il n'a que faire de ses filés; il les a produits pour la
vente. Eh bien, qu'il les vende donc ! Ou ce qui serait plus simple, qu'il ne
produise à l'avenir que des objets nécessaires à sa propre consommation : Mac
Culloch, son Esculape ordinaire, lui a déjà donné cette panacée contre les
excès épidémiques de production. Le voilà qui regimbe. L'ouvrier aurait il
la prétention de bâtir en l'air avec ses dix doigts, de produire des
marchandises avec rien ? Ne lui a t il pas fourni la matière dans
laquelle et avec laquelle seule il peut donner un corps à son travail ? Et,
comme la plus grande partie de la société civile se compose de pareils
va nu-pieds, n'a t il pas avec ses moyens de production, son
coton et ses broches, rendu un service immense à la susdite société, et plus
particulièrement à l'ouvrier auquel il a avancé par dessus le marché la
subsistance ? Et il ne prendrait rien pour ce service ! Mais est ce que
l'ouvrier ne lui a pas en échange rendu le service de convertir en filés son
coton et ses broches ? Du reste, il ne s'agit pas ici de services
(187). Le service n'est que l'effet utile d'une valeur
d'usage, que celle ci soit marchandise ou travail (188). Ce dont il s'agit c'est de la valeur d'échange. Il
a payé à l'ouvrier une valeur de trois shillings. Celui ci lui en rend
l'équivalent exact en ajoutant la valeur de trois shillings au coton, valeur
contre valeur. Notre ami tout à l'heure si gonflé d'outrecuidance capitaliste,
prend tout à coup l'attitude modeste d'un simple ouvrier. N'a t il
pas travaillé lui aussi ? Son travail de surveillance et d'inspection, ne
forme t il pas aussi de la valeur ? Le directeur de sa manufacture et
son contremaître en haussent les épaules. Sur ces entrefaites le capitaliste a
repris, avec un sourire malin, sa mine habituelle. Il se gaussait de nous avec
ses litanies. De tout cela il ne donnerait pas deux sous. Il laisse ces
subterfuges, ces finasseries creuses aux professeurs d'économie politique, ils
sont payés pour cela, c'est leur métier. Quant à lui, il est homme pratique et
s'il ne réfléchit pas toujours à ce qu'il dit en dehors des affaires, il sait
toujours en affaires ce qu'il fait.
Regardons y de plus près. La valeur journalière
de la force de travail revient à trois shillings parce qu'il faut une
demi journée de travail pour produire quotidiennement cette force,
c'est à dire que les subsistances nécessaires pour l'entretien
journalier de l'ouvrier coûtent une demi journée de travail. Mais le
travail passé que la force de travail recèle et le travail actuel qu'elle peut
exécuter, ses frais d'entretien journaliers et la dépense qui s'en fait par
jour, ce sont là deux choses tout à fait différentes. Les frais de la force en
déterminent la valeur d'échange, la dépense de la force en constitue la valeur
d'usage. Si une demi journée de travail suffit pour faire vivre l'ouvrier
pendant vingt quatre heures, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse travailler
une journée tout entière. La valeur que la force de travail possède et la
valeur qu'elle peut créer, diffèrent donc de grandeur. C'est cette différence
de valeur que le capitaliste avait en vue, lorsqu'il acheta la force de
travail. L'aptitude de celle-ci, à faire des filés ou des bottes, n'était
qu'une conditio sine qua non, car le travail doit être dépensé sous une
forme utile pour produire de la valeur. Mais ce qui décida l'affaire, c'était
l'utilité spécifique de cette marchandise, d'être source de valeur et de plus
de valeur qu'elle n'en possède elle-même. C'est là le service spécial que le
capitaliste lui demande. Il se conforme en ce cas aux lois éternelles de
l'échange des marchandises. En effet le vendeur de la force de travail, comme
le vendeur de toute autre marchandise, en réalise la valeur échangeable et en
aliène la valeur usuelle.
Il ne saurait obtenir l'une sans donner l'autre. La
valeur d'usage de la force de travail, c'est à dire le travail,
n'appartient pas plus au vendeur que n'appartient à l'épicier la valeur d'usage
de l'huile vendue. L'homme aux écus a payé la valeur journalière de la force de
travail; usage pendant le jour, le travail d'une journée entière lui appartient
donc. Que l'entretien journalier de cette force ne coûte qu'une
demi journée de travail, bien qu'elle puisse opérer ou travailler pendant
la journée entière, c'est à dire que la valeur créée par son usage
pendant un jour soit le double de sa propre valeur journalière, c'est là une
chance particulièrement heureuse pour l'acheteur, mais qui ne lèse en rien le
droit du vendeur.
Notre capitaliste a prévu le cas, et c'est ce qui le
fait rire. L'ouvrier trouve donc dans l'atelier les moyens de production
nécessaires pour une journée de travail non pas de six mais de douze heures.
Puisque dix livres de coton avaient absorbé six heures de travail et se
transformaient en dix livres de filés, vingt livres de coton absorberont douze
heures de travail et se transformeront en vingt livres de filés. Examinons
maintenant le produit du travail prolongé. Les vingt livres de filés
contiennent cinq journées de travail dont quatre étaient réalisées dans le
coton et les broches consommés, une absorbée par le coton pendant l'opération
du filage. Or l'expression monétaire de cinq journées de travail est trente shillings.
Tel est donc le prix des vingt livres de filés. La livre de filés coûte après
comme avant un shilling six pence. Mais la somme de valeur des marchandises
employées dans l'opération ne dépassait pas vingt sept shillings et la
valeur des filés atteint trente shillings. La valeur du
produit s'est accrue de un neuvième sur la valeur avancée pour sa production.
Les vingt sept shillings avancés se sont donc transformés en trente
shillings. Ils ont enfanté une plus value de trois shillings. Le tour est
fait. L'argent s'est métamorphosé en capital.
Le problème est résolu dans tous ses termes. La loi
des échanges a été rigoureusement observée, équivalent contre équivalent. Sur
le marché, le capitaliste achète à sa juste valeur chaque marchandise
coton, broches, force de travail. Puis il fait ce que fait tout autre acheteur,
il consomme leur valeur d'usage. La consommation de la force de travail, étant
en même temps production de marchandises rend un produit de vingt livres de
filés, valant trente shillings. Alors le capitaliste qui avait quitté le marché
comme acheteur y revient comme vendeur. Il vend les filés à un shilling six
pence la livre, pas un liard au dessus ou au-dessous de leur valeur et
cependant il retire de la circulation trois shillings de plus qu'il n'y avait
mis. Cette transformation de son argent en capital se passe dans la sphère de
la circulation, et ne s'y passe pas. La circulation sert d'intermédiaire. C'est
là sur le marché, que se vend la force de travail, pour être exploitée dans la
sphère de la production, où elle devient source de plus value, et tout est
ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Le capitaliste, en transformant l'argent en
marchandises qui servent d'éléments matériels d'un nouveau produit, en leur
incorporant ensuite la force de travail vivant, transforme la valeur du
travail passé, mort, devenu chose en capital, en valeur grosse de
valeur, monstre animé qui se met à travailler comme s'il avait le diable au
corps.
La production de plus value n'est donc autre
chose que la production de valeur, prolongée au delà d'un certain point.
Si le procès de travail ne dure que jusqu'au point où la valeur de la force de
travail payée par le capital est remplacée par un équivalent nouveau, il y a
simple production de valeur; quand il dépasse cette limite, il y a production
de plus value.
Comparons maintenant la production de valeur avec la
production de valeur d'usage. Celle-ci consiste dans le mouvement du travail
utile. Le procès de travail se présente ici au point de vue de la qualité.
C'est une activité qui, ayant pour but de satisfaire des besoins déterminés,
fonctionne avec des moyens de production conformes à ce but, emploie des
procédés spéciaux, et finalement aboutit à un produit usuel. Par contre, comme
production de valeur, le même procès ne se présente qu'au point de vue de la
quantité. Il ne s'agit plus ici que du temps dont le travail a besoin pour son
opération, ou de la période pendant laquelle le travailleur dépense sa force
vitale en efforts utiles. Les moyens de production fonctionnent maintenant
comme simples moyens d'absorption de travail et ne représentent eux-mêmes que
la quantité de travail réalisé en eux. Que le travail soit contenu dans les
moyens de production ou qu'il soit ajouté par la force de travail, on ne le
compte désormais que d'après sa durée; il est de tant d'heures, de tant de
jours, et ainsi de suite. Et de plus il ne compte qu'autant que le temps
employé à la production de la valeur d'usage est le temps socialement nécessaire.
Cette condition présente plusieurs aspects différents. La force de travail doit
fonctionner dans des conditions normales. Si dans le milieu social donné, la
machine à filer est l'instrument normal de la filature, il ne faut pas mettre
un rouet entre les mains du fileur. De plus le coton doit être de bonne qualité
et non de la pacotille se brisant à chaque instant, Sans cela le travailleur
emploierait dans les deux cas plus que le temps nécessaire à la production
d'une livre de filés, et cet excès de temps ne créerait ni valeur ni argent.
Mais le caractère normal des facteurs matériels du travail dépend du
capitaliste et non pas de l'ouvrier. D'autre part, le caractère normal de la
force de travail elle-même est indispensable. Elle doit posséder dans la
spécialité à laquelle on l'emploie le degré moyen d'habileté, d'adresse et de
célérité; aussi notre capitaliste a pris bien garde de l'acheter telle sur le
marché. Cette force doit de plus fonctionner avec le degré d'intensité
habituel. Aussi le capitaliste veille t il anxieusement à ce que
l'ouvrier ne ralentisse pas ses efforts et ne perde pas son temps. Il a acheté
cette force pour un temps déterminé; il tient à avoir son compte. Il ne veut
pas être volé. Enfin la consommation des moyens de production doit se faire
d'une manière normale, parce que le gaspillage des instruments et des matières
premières représente une dépense inutile en travail déjà réalisé, lequel, par
conséquent, n'est pas compté dans le produit et ne lui ajoute pas de valeurs (189).
On le voit, la différence entre le travail utile et
le travail source de valeur que nous constations au commencement de nos
recherches par l'analyse de la marchandise, vient de se manifester comme
différence entre les deux faces de la production marchande. Dès qu'elle se
présente non plus simplement comme unité du travail utile et du travail
créateur de valeur, mais encore comme unité du travail utile et du travail
créateur de plus value, la production marchande devient production
capitaliste, c'est à dire production marchande sous la forme
capitaliste.
En examinant la production de la plus value,
nous avons supposé que le travail, approprié par le capital, est du travail
simple moyen. La supposition contraire n'y changerait rien. Admettons, par
exemple, que, comparé au travail du fileur, celui du bijoutier est du travail à
une puissance supérieure, que l'un est du travail simple et l'autre du travail
complexe où se manifeste une force plus difficile à former et qui rend dans le même
temps plus de valeur. Mais quel que soit le degré de différence entre ces deux
travaux, la portion de travail où le bijoutier produit de la plus-value pour
son maître ne diffère en rien qualitativement de la portion de travail où il ne
fait que remplacer la valeur de son propre salaire. Après comme avant, la
plus-value ne provient que de la durée prolongée du travail, qu'il soit celui
du fileur ou celui du bijoutier (190).
D'un autre côté, quand il s'agit de production de valeur,
le travail supérieur doit toujours être réduit à la moyenne du travail social,
une journée de travail complexe, par exemple, à deux journées de travail simple (191). Si des économistes comme il faut
se sont récriés contre cette « assertion arbitraire », n'est ce pas le cas
de dire, selon le proverbe allemand, que les arbres les empêchent de voir la
forêt ! Ce qu'ils accusent d'être un artifice d'analyse, est tout bonnement un
procédé qui se pratique tous les jours dans tous les coins du monde. Partout
les valeurs des marchandises les plus diverses sont indistinctement exprimées
en monnaie, c'est à dire dans une certaine masse d'or ou d'argent.
Par cela même, les différents genres de travail, représentés par ces valeurs,
ont été réduits, dans des proportions différentes, à des sommes déterminées
d'une seule et même espèce de travail ordinaire, le travail qui produit l'or ou
l'argent.
Chapitre VIII : Capital constant et
capital variable
Les différents facteurs du procès de travail prennent
une part différente à la formation de la valeur des produits.
L'ouvrier communique une valeur nouvelle à l'objet du
travail par l'addition d'une nouvelle dose de travail, quel qu'en soit le caractère
utile. D'autre part, nous retrouvons les valeurs des moyens de production
consommés comme élément dans la valeur du produit, par exemple la valeur du
coton et des broches dans celle des filés. Les valeurs des moyens de production
sont donc conservées par leur transmission au produit. Cette transmission a
lieu dans le cours du travail, pendant la transformation des moyens de
production en produit. Le travail en est donc l'intermédiaire. Mais de quelle
manière ?
L'ouvrier ne travaille pas doublement dans le même
temps, une fois pour ajouter une nouvelle valeur au coton, et l'autre fois pour
en conserver l'ancienne, ou, ce qui revient absolument au même pour transmettre
au produit, aux filés, la valeur des broches qu'il use et celle du coton qu'il
façonne. C'est par la simple addition d'une nouvelle valeur qu'il maintient
l'ancienne. Mais comme l'addition d'une valeur nouvelle à l'objet du travail et
la conservation des valeurs anciennes dans le produit sont deux résultats tout
à fait différents que l'ouvrier obtient dans le même temps, ce double effet ne
peut évidemment résulter que du caractère double de son travail. Ce travail
doit, dans le même moment, en vertu d'une propriété, créer, et en vertu d'une
autre propriété, conserver ou transmettre de la valeur.
Comment l'ouvrier ajoute t il du travail et
par conséquent de la valeur ? N'est ce pas sous la forme d'un travail
utile et particulier et seulement sous cette forme ? Le fileur n'ajoute de
travail qu'en filant, le tisserand qu'en tissant, le forgeron qu'en forgeant.
Mais c'est précisément cette forme de tissage, de filage, etc., en un mot la
forme productive spéciale dans laquelle la force de travail est dépensée, qui
convertit les moyens de production tels que coton et broche, fil et métier à tisser,
fer et enclume en éléments formateurs d'un produit, d'une nouvelle valeur
d'usage (192). L'ancienne forme de leur valeur
d'usage ne disparaît que pour revêtir une forme nouvelle. Or, nous avons vu que
le temps de travail qu'il faut pour produire un article comprend aussi le temps
de travail qu'il faut pour produire les articles consommés dans l'acte de sa
production. En d'autres termes, le temps de travail nécessaire pour faire les
moyens de production consommés compte dans le produit nouveau.
Le travailleur conserve donc la valeur des moyens de
production consommés, il la transmet au produit comme partie constituante de sa
valeur, non parce qu'il ajoute du travail en général, mais par le caractère
utile, par la forme productive de ce travail additionnel. En tant qu'il est
utile, qu'il est activité productive, le travail, par son simple contact avec
les moyens de production, les ressuscite des morts, en fait les facteurs de son
propre mouvement et s'unit avec eux pour constituer des produits.
Si le travail productif spécifique de l'ouvrier
n'était pas le filage, il ne ferait pas de filés et, par conséquent, ne leur
transmettrait pas les valeurs du coton et des broches. Mais, par une journée de
travail, le même ouvrier, s'il change de métier et devient par exemple
menuisier, ajoutera, après comme avant, de la valeur à des matières.
Il l'ajoute donc par son travail considéré non comme
travail de tisserand ou de menuisier, mais comme travail humain en général, et
il ajoute une quantité déterminée de valeur, non parce que son travail a un
caractère utile particulier, mais parce qu'il dure un certain temps. C'est donc
en vertu de sa propriété générale, abstraite, comme dépense de force vitale
humaine, que le travail du fileur ajoute une valeur nouvelle aux valeurs du
coton et des broches, et c'est en vertu de sa propriété concrète, particulière,
de sa propriété utile comme filage, qu'il transmet la valeur de ces moyens de
production au produit et la conserve ainsi dans celui-ci. De là le double
caractère de son résultat dans le même espace de temps.
Par une simple addition, par une quantité nouvelle de
travail, une nouvelle valeur est ajoutée; par la qualité du travail ajouté les
anciennes valeurs des moyens de production sont conservées dans le produit. Ce
double effet du même travail par suite de, son double caractère devient
saisissable dans une multitude de phénomènes.
Supposez qu'une invention quelconque permette à
l'ouvrier de filer en six heures autant de coton qu'il en filait auparavant en
trente six. Comme activité utile, productive, la puissance de son travail
a sextuplé et son produit est six fois plus grand, trente six livres de
filés au lieu de six. Mais les trente six livres de coton n'absorbent pas
plus de temps de travail que n'en absorbaient six dans le premier cas. Il leur
est ajouté seulement un sixième du travail qu'aurait exigé l'ancienne méthode
et par conséquent un sixième seulement de nouvelle valeur. D'autre part la
valeur sextuple de coton existe maintenant dans le produit, les trente six
livres de filés. Dans les six heures de filage une valeur six fois plus grande
en matières premières est conservée et transmise au produit, bien que la valeur
nouvelle ajoutée à cette même matière soit six fois plus petite. Ceci montre
comment la propriété en vertu de laquelle le travail conserve de la valeur, est
essentiellement différente de la propriété en vertu de laquelle, durant le même
acte, il crée de la valeur. Plus il se transmet pendant le filage de travail
nécessaire à la même quantité de coton, plus grande est la valeur nouvelle
ajoutée à celui ci; mais plus il se file de livres de coton dans un même
temps de travail, plus grande est la valeur ancienne qui est conservée dans le
produit.
Admettons au contraire que la productivité du travail
reste constante, qu'il faut par conséquent au fileur toujours le même temps
pour transformer une livre de coton en filés, mais que Ia valeur d'échange du
coton varie et qu'une livre de coton vaille six fois plus ou moins
qu'auparavant. Dans les deux cas le fileur continue à ajouter le même quantum
de travail à la même quantité de coton, c'est à dire la même
valeur, et dans les deux cas il produit dans le même temps la même quantité de
filés. Cependant la valeur qu'il transmet du coton aux filés, au produit, est
dans un cas six fois plus petite et dans l'autre cas six fois plus grande
qu'auparavant. Il en est de même quand les instruments du travail renchérissent
ou se vendent à meilleur marché, mais rendent cependant toujours le même
service.
Si les conditions techniques du filage restent les
mêmes et que ses moyens de production n'éprouvent aucun changement de valeur,
le fileur continue à consommer dans des temps de travail donnés des quantités
données de matière première et de machines dont la valeur reste conséquemment
toujours la même. La valeur qu'il conserve dans le produit est alors en raison
directe de la valeur nouvelle qu'il ajoute. En deux semaines il ajoute deux
fois plus de travail qu'en une, deux fois plus de valeur donc, et en même temps
il use deux fois plus de matières et deux fois plus de machines; il conserve
ainsi dans le produit de deux semaines deux fois plus de valeur que dans le
produit d'une seule. Dans des conditions invariables l'ouvrier conserve
d'autant plus de valeur qu'il en ajoute davantage. Cependant, il ne conserve
pas plus de valeur parce qu'il en ajoute davantage, mais parce qu'il l'ajoute
dans des circonstances invariables et indépendantes du son travail.
Néanmoins, on peut dire, dans un sens relatif, que
I’ouvrier conserve toujours des valeurs anciennes à mesure qu'il ajoute une
valeur nouvelle. Que le coton hausse ou baisse d'un shilling, sa valeur
conservée dans le produit d'une heure ne sera jamais celle qui se trouve dans
le produit de deux heures. De même si la productivité du travail du fileur
varie, si elle augmente ou diminue, il filera en une heure par exemple, plus ou
moins de coton qu'auparavant, et par suite conservera dans le produit d'une
heure la valeur de plus ou moins de coton. Mais dans n'importe quel cas il
conservera toujours en deux heures de travail deux fois plus de valeur qu'en
une seule.
Abstraction faite de sa représentation purement
symbolique par des signes, la valeur n'existe que dans une chose utile, un
objet. (L'homme lui même, en tant que simple existence de force de
travail, est un objet naturel, un objet vivant et conscient, et le travail
n'est que la manifestation externe, matérielle de cette force.) Si donc la
valeur d'usage se perd, la valeur d'échange se perd également. Les moyens de
production qui perdent leur valeur d'usage ne perdent pas en même temps leur
valeur, parce que le procès de travail ne leur fait en réalité perdre la forme
primitive d'utilité que pour leur donner dans le produit la forme d'une utilité
nouvelle. Et, si important qu'il soit pour la valeur d'exister dans un objet
utile quelconque, la métamorphose des marchandises nous a prouvé qu'il lui
importe peu quel est cet objet. Il suit de là que le produit n'absorbe dans le
cours du travail, la valeur du moyen de production, qu'au fur et à mesure que
celui-ci, en perdant son utilité, perd aussi sa valeur. Il ne transmet au
produit que la valeur qu'il perd comme moyen de production. Mais sous ce
rapport les facteurs matériels du travail se comportent différemment.
Le charbon avec lequel on chauffe la machine
disparaît sans laisser de trace, de même le suif avec lequel on graisse l'axe
de la roue, et ainsi de suite. Les couleurs et d'autres matières auxiliaires
disparaissent également, mais se montrent dans les propriétés du produit, dont
la matière première forme la substance, mais après avoir changé de forme.
Matière première et matières auxiliaires perdent donc l'aspect qu'elles avaient
en entrant comme valeurs d'usage dans le procès de travail. Il en est tout
autrement des instruments proprement dits. Un instrument quelconque, une
machine, une fabrique, un vase ne servent au travail que le temps pendant
lequel ils conservent leur forme primitive De même que pendant leur vie,
c'est à dire pendant le cours du travail, ils maintiennent leur forme
propre vis à vis du produit, de même ils la maintiennent encore après
leur mort. Les cadavres de machines, d'instruments, d'ateliers, etc.,
continuent à exister indépendamment et séparément des produits qu'ils ont
contribué à fabriquer. Si l'on considère la période entière pendant laquelle un
instrument de travail fait son service, depuis le jour de son entrée dans
l'atelier jusqu'au jour où il est mis au rebut, on voit que sa valeur d'usage
pendant cette période a été consommée entièrement par le travail, et que par
suite sa valeur s'est transmise tout entière au produit. Une machine à filer,
par exemple, a t elle duré dix ans, pendant son fonctionnement de dix
ans sa valeur totale s'est incorporée aux produits de dix ans. La période de
vie d'un tel instrument comprend ainsi un plus ou moins grand nombre des mêmes
opérations sans cesse renouvelées avec son aide. Et il en est de l'instrument
de travail comme de l'homme. Chaque homme meurt tous les jours de
vingt quatre heures; mais il est impossible de savoir au simple aspect
d'un homme de combien de jours il est déjà mort. Cela n'empêche pas cependant
les compagnies d'assurances de tirer de la vie moyenne de l'homme des
conclusions très sûres, et ce qui leur importe plus, très profitables. On sait
de même par expérience combien de temps en moyenne dure un instrument de
travail, par exemple une machine à tricoter. Si l'on admet que son utilité se
maintient seulement six jours dans le travail mis en train, elle perd chaque
jour en moyenne un sixième de sa valeur d'usage et transmet par conséquent un
sixième de sa valeur d'échange au produit quotidien. On calcule de cette
manière l'usure quotidienne de tous les instruments de travail et ce qu'ils
transmettent par jour de leur propre valeur à celle du produit.
On voit ici d'une manière frappante qu'un moyen de
production ne transmet jamais au produit plus de valeur qu'il n'en perd
lui-même par son dépérissement dans le cours du travail. S'il n'avait aucune
valeur à perdre, c'est à dire s'il n'était pas lui-même un produit du
travail humain, il ne pourrait transférer au produit aucune valeur. Il
servirait à former des objets usuels sans servir à former des valeurs. C'est le
cas qui se présente avec tous les moyens de production que fournit la nature,
sans que l'homme y soit pour rien, avec la terre, l'eau, le vent, le fer dans
la veine métallique, le bois dans la forêt primitive, et ainsi de suite.
Nous rencontrons ici un autre phénomène intéressant.
Supposons qu'une machine vaille, par exemple, mille livres sterling et qu'elle
s'use en mille jours; dans ce cas un millième de la valeur de la machine se
transmet chaque jour à son produit journalier; mais la machine, quoique avec
une vitalité toujours décroissante, fonctionne toujours tout entière dans le
procès de travail. Donc quoiqu'un facteur du travail entre tout entier dans la
production d'une valeur d'usage, il n'entre que par parties dans la formation
de la valeur. La différence entre les deux procès se reflète ainsi dans les
facteurs matériels, puisque dans la même opération un seul et même moyen de
production compte intégralement comme élément du premier procès et par
fractions seulement comme élément du second (193).
Inversement un moyen de production peut entrer tout
entier dans la formation de la valeur, quoique en partie seulement dans la
production des valeurs d'usage. Supposons que dans l'opération du filage, sur
cent quinze livres de coton il y en ait quinze de perdues,
c'est à dire qui forment au lieu de filés ce que les Anglais
appellent la poussière du diable (devil's dust). Si néanmoins, ce déchet de
quinze pour cent est normal et inévitable en moyenne dans la fabrication, la
valeur des quinze livres de coton, qui ne forment aucun élément des filés entre
tout autant dans leur valeur que les cent livres qui en forment la substance.
Il faut que quinze livres de coton s'en aillent au diable pour qu'on puisse
faire cent livres de filés. C'est précisément parce que cette perte est une
condition de la production que le coton perdu transmet aux filés sa valeur. Et
il en est de même pour tous les excréments du travail, autant bien entendu
qu'ils ne servent plus à former de nouveaux moyens de production et conséquemment
de nouvelles valeurs d'usage. Ainsi, on voit dans les grandes fabriques de
Manchester des montagnes de rognures de fer, enlevées par d'énormes machines
comme des copeaux de bois par le rabot, passer le soir de la fabrique à la
fonderie, et revenir le lendemain de la fonderie à la fabrique en blocs de fer
massif.
Les moyens de production ne transmettent de valeur au
nouveau produit qu'autant qu'ils en perdent sous leurs anciennes formes
d'utilité. Le maximum de valeur qu'ils peuvent perdre dans le cours du travail
a pour limite la grandeur de valeur originaire qu'ils possédaient en entrant
dans l'opération, ou le temps de travail que leur production a exigé. Les
moyens de production ne peuvent donc jamais ajouter au produit plus de valeur
qu'ils n'en possèdent eux mêmes. Quelle que soit l'utilité d'une matière
première, d'une machine, d'un moyen de production, s'il coûte cent cinquante
livres sterling, soit cinq cents journées de travail, il n'ajoute au produit
total qu'il contribue à former jamais plus de cent cinquante livres sterling.
Sa valeur est déterminée non par le travail où il entre comme moyen de
production, mais par celui d'où il sort comme produit. Il ne sert dans
l'opération à laquelle on l'emploie que comme valeur d'usage, comme chose qui
possède des propriétés utiles; si avant d'entrer dans cette opération, il
n'avait possédé aucune valeur, il n'en donnerait aucune au produit
(194).
Pendant que le travail productif transforme les
moyens de production en éléments formateurs d'un nouveau produit, leur valeur
est sujette à une espèce de métempsycose. Elle va du corps consommé au corps
nouvellement formé. Mais cette transmigration s'effectue à l'insu du travail
réel. Le travailleur ne peut pas ajouter un nouveau travail, créer par
conséquent une valeur nouvelle, sans conserver des valeurs anciennes, car il
doit ajouter ce travail sous une forme utile et cela ne peut avoir lieu sans
qu'il transforme des produits en moyens de production d'un produit nouveau
auquel il transmet par cela même leur valeur. La force de travail en activité,
le travail vivant a donc la propriété de conserver de la valeur en ajoutant de
la valeur; c'est là un don naturel qui ne coûte rien au travailleur, mais qui
rapporte beaucoup au capitaliste; il lui doit la conservation de la valeur
actuelle de son capital (195)
. Tant que les affaires vont bien, il est trop absorbé dans la fabrication de
la plus value pour distinguer ce don gratuit du travail. Des interruptions
violentes, telles que les crises, le forcent brutalement à s'en apercevoir (196).
Ce qui se consomme dans les moyens de production,
c'est leur valeur d'usage dont la consommation par le travail forme des
produits. Pour ce qui est de leur valeur, en réalité elle n'est pas consommée (197). et ne peut pas, par conséquent,
être reproduite. Elle est conservée, non en vertu d'une opération qu'elle subit
dans le cours du travail, mais parce que l'objet dans lequel elle existe à
l'origine ne disparaît que pour prendre une nouvelle forme utile. La valeur des
moyens de production reparaît donc dans la valeur du produit; mais elle n'est
pas, à proprement parler, reproduite. Ce qui est produit, c'est la nouvelle
valeur d'usage dans laquelle la valeur ancienne apparaît de nouveau (198).
Il en est tout autrement du facteur subjectif de la
production, c'est à dire de la force du travail en activité. Tandis
que, par la forme que lui assigne son but, le travail conserve et transmet la
valeur des moyens de production au produit, son mouvement crée à chaque instant
une valeur additionnelle, une valeur nouvelle. Supposons que la production
s'arrête au point où le travailleur n'a fourni que l'équivalent de la valeur
journalière de sa propre force, lorsqu'il a, par exemple, ajouté par un travail
de six heures une valeur de trois shillings. Cette valeur forme l'excédent de
la valeur du produit sur les éléments de cette valeur provenant des moyens de
production. C'est la seule valeur originale qui s'est produite, la seule partie
de la valeur du produit qui ait été enfantée dans le procès de sa formation.
Elle compense l'argent que le capitaliste avance pour l'achat de la force de
travail, et que le travailleur dépense ensuite en subsistances. Par rapport aux
trois shillings dépensés, la valeur nouvelle de trois shillings apparait comme
une simple reproduction; mais cette valeur est reproduite en réalité, et non en
apparence, comme la valeur des moyens de production. Si une valeur est ici
remplacée par une autre, c'est grâce à une nouvelle création.
Nous savons déjà cependant que la durée du travail
dépasse le point où un simple équivalent de la valeur de la force de travail
serait reproduit et ajouté à l'objet travaillé. Au lieu de six heures qui
suffiraient pour cela, l'opération dure douze ou plus. La force de travail en
action ne reproduit donc pas seulement sa propre valeur; mais elle produit
encore de la valeur en plus. Cette plus value forme l'excédent de la valeur
du produit sur celle de ses facteurs consommés, c'est à dire des
moyens de production et de la force de travail.
En exposant les différents rôles que jouent dans la
formation de la valeur du produit les divers facteurs du travail, nous avons
caractérisé en fait les fonctions des divers éléments du capital dans la
formation de la plus value. L'excédent de la valeur du produit sur la
valeur de ses éléments constitutifs est l'excédent du capital accru de sa
plus value sur le capital avancé. Moyens de production aussi bien que
force de travail, ne sont que les diverses formes d'existence qu'a revêtues la
valeur capital lorsqu'elle s'est transformée d'argent en facteurs du
procès de travail.
Dans le cours de la production, la partie du capital
qui se transforme en moyens de production, c'est à dire en matières
premières, matières auxiliaires et instruments de travail, ne modifie donc pas
la grandeur de sa valeur. C'est pourquoi nous la nommons partie constante du
capital, ou plus brièvement : capital constant.
La partie du capital transformée en force de travail
change, au contraire, de valeur dans le cours de la production. Elle reproduit
son propre équivalent et de plus un excédent, une plus value qui peut
elle même varier et être plus ou moins grande. Cette partie du capital se
transforme sans cesse de grandeur constante en grandeur variable. C'est
pourquoi nous la nommons partie variable du capital, ou plus brièvement : capital
variable. Les mêmes éléments du capital qui, au point de vue de la
production des valeurs d'usage, se distinguent entre eux comme facteurs
objectifs et subjectifs, comme moyens de production et force de travail, se
distinguent au point de vue de la formation de valeur en capital constant et en
capital variable.
La notion de capital constant n'exclut en aucune
manière un changement de valeur de ses parties constitutives. Supposons que la
livre de coton coûte aujourd'hui un demi shilling et que demain, par suite
d'un déficit dans la récolte de coton, elle s'élève à un shilling. Le coton ancien
qui continue à être façonné a été acheté au prix de un demi shilling; mais
il ajoute maintenant au produit une valeur de un shilling. Et celui qui est
déjà filé, et qui circule même peut être sur le marché sous forme de
filés, ajoute également au produit le double de sa valeur première. On voit
cependant que ces changements sont indépendants de l'accroissement de valeur
qu'obtient le coton par le filage même. Si le coton ancien n'était pas encore
en train d'être travaillé, il pourrait être maintenant revendu un shilling au
lieu de un demi shilling. Moins il a subi de façons, plus ce résultat est
certain. Aussi, lorsque surviennent de semblables révolutions dans la valeur,
est ce une loi de la spéculation d'agioter sur la matière première dans sa
forme la moins modifiée par le travail, sur les filés plutôt que sur le tissu,
et sur le coton plutôt que sur les filés. Le changement de valeur prend ici
naissance dans le procès qui produit le coton et non dans celui où le coton
fonctionne comme moyen de production, et par suite comme capital constant. La
valeur, il est vrai, se mesure par le quantum de travail fixé dans une
marchandise; mais ce quantum lui même est déterminé socialement. Si
le temps de travail social qu'exige la production d'un article subit des
variations, et le même quantum de coton, par exemple, représente
un quantum plus considérable de travail lorsque la récolte est mauvaise
que lorsqu'elle est bonne, alors la marchandise ancienne, qui ne compte
jamais que comme échantillon de son espèce (199), s'en ressent immédiatement, parce que sa valeur est
toujours mesurée par le travail socialement nécessaire, ce qui veut dire par le
travail nécessaire dans les conditions actuelles de la société.
Comme la valeur des matières, la valeur des
instruments de travail déjà employés dans la production, machines,
constructions, etc., peut changer, et par cela même la portion de valeur qu'ils
transmettent au produit. Si, par exemple, à la suite d'une invention nouvelle,
telle machine peut être reproduite avec une moindre dépense de travail, la
machine ancienne de même espèce perd plus ou moins de sa valeur et en donne par
conséquent proportionnellement moins au produit. Mais dans ce cas, comme dans
le précédent, le changement de valeur prend naissance en dehors du procès de
production où la machine fonctionne comme instrument. Dans ce procès, elle ne
transfère jamais plus de valeur qu'elle n'en possède elle même.
De même qu'un changement dans la valeur des moyens de
production, malgré la réaction qu'il opère sur eux, même après leur entrée dans
le procès de travail, ne modifie en rien leur caractère de capital constant, de
même un changement survenu dans la proportion entre le capital constant et le
capital variable n'affecte en rien leur différence fonctionnelle. Admettons que
les conditions techniques du travail soient transformées de telle sorte que là
où, par exemple, dix ouvriers avec dix instruments de petite valeur façonnaient
une masse proportionnellement faible de matière première, un ouvrier façonne
maintenant avec une machine coûteuse une masse cent fois plus grande. Dans ce
cas, le capital constant, c'est à dire la valeur des moyens de
production employés, serait considérablement accrue, et la partie du capital
convertie en force de travail considérablement diminuée. Ce changement ne fait
que modifier le rapport de grandeur entre le capital constant et le capital
variable, ou la proportion suivant laquelle le capital total se décompose en
éléments constants et variables, mais n'affecte pas leur différence
fonctionnelle.
Chapitre IX : Le taux de la plus-value
I. Le degré d’exploitation de la force de travail
La plus value que le capital
avancé C a engendrée dans le cours de la production se présente d'abord comme
excédent de la valeur du produit sur la valeur de ses éléments.
Le capital C se décompose en deux
parties : une somme d'argent c (capital constant), qui est dépensée pour
les moyens de production, et une autre somme d'argent v (capital
variable), qui est dépensée en force de travail. A l'origine donc, C = c
+ v ou, pour prendre un exemple, le capital avancé de 500 l. st. =
c |
v |
|
410 l.
st. |
+ |
90 l.
st. |
L'opération productive terminée, on
a pour résultat une marchandise dont la valeur = c + v + p,
(p étant la plus value), soit :
c |
v |
p |
||
410 l.
st. |
+ |
90 l.
st. |
+ |
90 l.st. |
Le capital primitif C s'est transformé
en C', de cinq cents en cinq cent quatre vingt dix livres sterling.
La différence entre les deux = p, une plus value de
quatre vingt dix. La valeur des éléments de production étant égale à
la valeur du capital avancé, c'est une vraie tautologie de dire que l'excédant
de la valeur du produit sur la valeur de ses éléments est égale au surcroît du
capital avancé, ou à la plus value produite.
Cette tautologie exige cependant un
examen plus approfondi. Ce qui est comparé avec la valeur du produit, c'est la
valeur des éléments de production consommés dans sa formation. Mais nous avons
vu que cette partie du capital constant employé, qui consiste en instruments de
travail, ne transmet qu'une fraction de sa valeur au produit, tandis que
l'autre fraction persiste sous son ancienne forme. Comme celle ci ne joue
aucun rôle dans la formation de la valeur, il faut en faire complètement
abstraction. Son entrée en ligne de compte ne changerait rien. Supposons que c
= 410 livres sterling, soit trois cent douze livres sterling pour matières
premières, quarante quatre livres sterling pour matières auxiliaires et
cinquante quatre livres sterling pour usure de la machine, mais que la
valeur de tout l'appareil mécanique employé réellement se monte à mille cinquante quatre
livres sterling. Nous ne comptons comme avance faite que la valeur de
cinquante quatre livres sterling perdues par la machine dans son
fonctionnement et transmise par cela même au produit. Si nous voulions compter
les mille livres sterling qui continuent à exister sous leur ancienne forme
comme machine à vapeur, etc., il nous faudrait les compter doublement, du côté
de la valeur avancée et du côté du produit obtenu (200). Nous obtiendrions ainsi mille cinq cents livres
sterling et mille cinq cent quatre vingt-dix livres sterling de sorte que
la plus value serait, après comme avant, de quatre vingt dix
livres sterling. Sous le nom de capital constant avancé pour la production de
la valeur, et c'est cela dont il s'agit ici, nous ne comprenons donc jamais que
la valeur des moyens consommés dans le cours de la production.
Ceci admis, revenons à la formule C
= c + v, qui est devenue C’ = c + v + p, de
sorte que C s'est transformé en C’. On sait que la valeur du capital constant
ne fait que réapparaître dans le produit. La valeur réellement nouvelle,
engendrée dans le cours de la production même, est donc différente de la valeur
du produit obtenu. Elle n'est pas, comme il semblerait au premier coup d’œil,
ou c + v + p ou :
c |
v |
p |
||
410 l.
st. |
+ |
90 l.
st. |
+ |
90 l.st. |
Mais v + p ou :
v |
p |
|
90 l.
st. |
+ |
90 l.
st. |
Elle n'est pas cinq cent quatre vingt dix,
mais cent quatre-vingts livres sterling. Si le capital constant c égalait
zéro, en d'autres termes s'il y avait des branches d'industrie où le
capitaliste n'aurait à employer aucun moyen de production créé par le travail,
ni matière première, ni matières auxiliaires, ni instruments, mais seulement la
force de travail et des matériaux fournis par la nature, aucune portion
constante de valeur ne pourrait être transmise au produit. Cet élément de la
valeur du produit, dans notre exemple quatre cent dix livres sterling, serait
éliminé, mais la valeur produite de cent quatre vingts livres sterling,
laquelle contient quatre vingt dix livres sterling de
plus value, serait tout aussi grande que si c représentait une
valeur incommensurable. Nous aurions C = 0 + v = v et C’
(le capital accru de la plus value) = v + p; C’ C,
après comme avant = p. Si, au contraire, p égalait zéro, en
d'autres termes si la force de travail, dont la valeur est avancée dans le
capital variable, ne produisait que son équivalent, alors C = c + v
et C’ (la valeur du produit) = c + v + 0; par conséquent C
= C’. Le capital avancé ne se serait point accru.
Nous savons déjà que la
plus value est une simple conséquence du changement de valeur qui affecte v
(la partie du capital transformée en force de travail) que par conséquent v +
p = v + Dv (v plus un incrément de v). Mais le
caractère réel de ce changement de valeur ne perce pas à première vue; cela
provient de ce que, par suite de l'accroissement de son élément variable, le
total du capital avancé s'accroît aussi. Il était cinq cents et il devient cinq
cent quatre vingt dix. L'analyse pure exige donc qu'il soit fait
abstraction de cette partie de la valeur du produit, où ne réapparaît que la
valeur du capital constant et que l'on pose ce dernier = 0. C'est l'application
d'une loi mathématique employée toutes les fois qu'on opère avec des quantités
variables et des quantités constantes et que la quantité constante n'est liée à
la variable que par addition ou soustraction.
Une autre difficulté provient de la
forme primitive du capital variable. Ainsi, dans l'exemple précédent, C’ =
quatre cent dix livres sterling de capital constant, quatre vingt dix
livres sterling de capital variable et quatre vingt dix livres
sterling de plus value. Or, quatre vingt dix livres sterling
sont une grandeur donnée, constante, qu'il semble absurde de traiter comme
variable. Mais 90 livres sterling (v) ou quatre vingt dix
livres sterling de capital variable ne sont qu'un symbole pour la marche que
suit cette valeur. En premier lieu deux valeurs constantes sont échangées l'une
contre l'autre, un capital de quatre vingt dix livres sterling contre
une force de travail qui vaut aussi quatre vingt dix livres sterling.
Cependant dans le cours de la production les quatre vingt dix livres
sterling avancées viennent d'être remplacées, non par la valeur de la force de
travail, mais par son mouvement, le travail mort par le travail vivant, une
grandeur fixe par une grandeur fluide, une constante par une variable. Le
résultat est la reproduction de v plus un incrément de v. Du point
de vue de la production capitaliste, tout cet ensemble est un mouvement
spontané, automatique de la valeur capital transformée en force de
travail. C'est à elle que le procès complet et son résultat sont attribués. Si
donc la formule « quatre vingt dix livres sterling de capital
variable », laquelle exprime une valeur qui fait des petits, semble
contradictoire, elle n'exprime qu'une contradiction immanente à la production
capitaliste.
Il peut paraître étrange au premier
coup d’œil que l'on pose ainsi le capital constant = 0, mais c'est là une
opération que l'on fait tous les jours dans la vie ordinaire. Quelqu'un
veut il calculer le bénéfice obtenu par la Grande Bretagne dans
l'industrie cotonnière, il commence par éliminer le prix du coton payé aux Etats Unis,
à l'Inde, à l'Egypte, etc., c'est à dire, il pose = 0 la partie du
capital qui ne fait que réapparaître dans la valeur du produit.
Assurément le rapport de la plus value non
seulement avec la partie du capital d'où elle provient immédiatement, et dont
elle représente le changement de valeur, mais encore avec le total du capital
avancé, a une grande importance économique. Aussi traiterons nous cette
question avec tous les détails dans le troisième livre. Pour qu'une partie du
capital gagne en valeur par sa transformation en force de travail, il faut
qu'une autre partie du capital soit déjà transformée en moyens de production.
Pour que le capital variable fonctionne, il faut qu'un capital constant soit
avancé dans des proportions correspondantes, d'après le caractère technique de
l'entreprise. Mais parce que, dans toute manipulation chimique, on emploie des
cornues et d'autres vases, il ne s'ensuit pourtant pas que dans l'analyse on ne
fasse abstraction de ces ustensiles. Dès que l'on examine la création de valeur
et la modification de valeur purement en elles-mêmes, les moyens de production,
ces représentants matériels du capital constant, ne fournissent que la matière
dans laquelle la force fluide, créatrice de valeur, peut se figer. Coton ou
fer, peu importent donc la nature et la valeur de cette matière. Elle doit tout
simplement se trouver là en quantité suffisante pour pouvoir absorber le
travail à dépenser dans le cours de la production. Cette quantité de matière
une fois donnée, que sa valeur monte ou baisse, ou même qu'elle n'ait aucune
valeur, comme la terre vierge et la mer, la création de valeur et son
changement de grandeur n'en seront pas affectés (201).
Nous posons donc tout d'abord la
partie constante du capital égale à zéro. Le capital avancé c + v
se réduit conséquemment à v, et la valeur du produit c + v
+ p à la valeur produite v + p. Si l'on admet que celle-ci
= 180 livres sterling dans lesquelles se manifeste le travail qui s'écoule
pendant toute la durée de la production; il nous faut soustraire la valeur du
capital variable, soit quatre vingt dix livres sterling, pour obtenir
la plus value de quatre vingt dix livres sterling. Ces
quatre vingt dix livres sterling expriment ici la grandeur absolue de
la plus value produite. Pour ce qui est de sa grandeur proportionnelle,
c'est à dire du rapport suivant lequel le capital variable a gagné en
valeur, elle est évidemment déterminée par le rapport de la plus value au
capital variable et s'exprime par p/v. Dans l'exemple qui
précède, elle est donc 90/90 = 100 %. Cette grandeur proportionnelle est ce que
nous appelons taux de la plus value (202).
Nous avons vu que l'ouvrier,
pendant une partie du temps qu'exige une opération productive donnée, ne
produit que la valeur de sa force de travail, c'est à dire la valeur
des subsistances nécessaires à son entretien. Le milieu dans lequel il produit
étant organisé par la division spontanée du travail social, il produit sa
subsistance, non pas directement, mais sous la forme d'une marchandise
particulière, sous la forme de filés, par exemple, dont la valeur égale celle
de ses moyens de subsistance, ou de l'argent avec lequel il les achète. La
partie de sa journée de travail qu'il y emploie est plus ou moins grande,
suivant la valeur moyenne de sa subsistance journalière ou le temps de travail
moyen exigé chaque jour pour la produire. Lors même qu'il ne travaillerait pas
pour le capitaliste, mais seulement pour lui-même, il devrait, toutes
circonstances restant égales, travailler en moyenne, après
comme avant, la même partie aliquote du jour pour gagner sa vie. Mais comme
dans la partie du jour où il produit la valeur quotidienne de sa force de
travail, soit trois shillings, il ne produit que l'équivalent d'une valeur déjà
payée par le capitaliste, et ne fait ainsi que compenser une valeur par une
autre, cette production de valeur n'est en fait qu'une simple reproduction. Je
nomme donc temps de travail nécessaire, la partie de la journée où cette
reproduction s'accomplit, et travail nécessaire le travail dépensé
pendant ce temps (203) ;
nécessaire pour le travailleur, parce qu'il est indépendant de la forme sociale
de son travail; nécessaire pour le capital et le monde capitaliste, parce que
ce monde a pour base l'existence du travailleur.
La période d'activité, qui dépasse
les bornes du travail nécessaire, coûte, il est vrai, du travail à l'ouvrier,
une dépense de force, mais ne forme aucune valeur pour lui. Elle forme une
plus value qui a pour le capitaliste tous les charmes d'une création ex
nihilo. Je nomme cette partie de la journée de travail, temps extra et
le travail dépensé en elle surtravail. S'il est d'une importance
décisive pour l'entendement de la valeur en général de ne voir en elle qu'une
simple coagulation de temps de travail, que du travail réalisé, il est d'une
égale importance pour l'entendement de la plus value de la comprendre
comme une simple coagulation de temps de travail extra, comme du surtravail réalisé.
Les différentes formes économiques revêtues par la société, l'esclavage, par
exemple, et le salariat, ne se distinguent que par le mode dont ce surtravail
est imposé et extorqué au producteur immédiat, à l'ouvrier (204).
De ce fait, que la valeur du
capital variable égale la valeur de la force de travail qu'il achète; que la
valeur de cette force de travail détermine la partie nécessaire de la journée
de travail et que la plus value de son côté est déterminée par la partie extra
de cette même journée, il suit que : la plus value est au capital variable
ce qu'est le surtravail au travail nécessaire ou le taux de la plus value p/v
= surtravail/travail nécessaire. Les deux proportions présentent le même
rapport sous une forme différente; une fois sous forme de travail réalisé, une
autre fois, sous forme de travail en mouvement.
Le taux de la plus value est
donc l'expression exacte du degré d'exploitation de la force de travail par le
capital ou du travailleur par le capitaliste (205).
D'après notre supposition, la
valeur du produit =
c |
v |
p |
||
410 l.
st. |
+ |
90 l.
st. |
+ |
90 l.st. |
Le capital avancé = 500 livres
sterling. De ce que la plus value = 90 livres sterling et le capital avancé
= 500 livres sterling, on pourrait conclure d'après le mode ordinaire de
calcul, que le taux de la plus value (que l'on confond avec le taux du
profit) = 18 %, chiffre dont l'infériorité relative remplirait d'émotion le
sieur Carey et les autres harmonistes du même calibre.
Mais en réalité le taux de la
plus value égale non pas p/C ou p/(c + v) mais
p/v c'est à dire, il est non pas 90/500 mais 90/90 =
100 %, plus de cinq fois le degré d'exploitation apparent. Bien que dans le cas
donné, nous ne connaissions ni la grandeur absolue de la journée de travail, ni
la période des opérations (jour, semaine, etc.), ni enfin le nombre des
travailleurs que le capital variable de quatre vingt dix livres
sterling met en mouvement simultanément, néanmoins le taux de la
plus value p/v par sa convertibilité dans l'autre formule (surtravail
/ travail nécessaire) nous montre exactement le rapport des deux parties
constituantes de la journée de travail l'une avec l'autre. Ce rapport est cent
pour cent. L'ouvrier a donc travaillé une moitié du jour pour lui même et
l'autre moitié pour le capitaliste.
Telle est donc, en résumé, la
méthode à employer pour le calcul du taux de la plus value. Nous prenons
la valeur entière du produit et nous posons égale à zéro la valeur du capital
constant qui ne fait qu'y reparaître; la somme de valeur qui reste est la seule
valeur réellement engendrée pendant la production de la marchandise. Si la
plus value est donnée, il nous faut la soustraire de cette somme pour
trouver le capital variable. C'est l'inverse qui a lieu si ce dernier est donné
et que l'on cherche la plus value. Tous les deux sont ils donnés, il
ne reste plus que l'opération finale, le calcul de p/v du rapport
de la plus value au capital variable.
Si simple que soit cette méthode,
il convient d'y exercer le lecteur par quelques exemples qui lui en
faciliteront l'application.
Entrons d'abord dans une filature.
Les données suivantes appartiennent à l'année 1871 et m'ont été fournies par le
fabricant lui même. La fabrique met en mouvement dix mille broches, file
avec du coton américain des filés n°32, et produit chaque semaine une livre de
filés par broche. Le déchet du coton se monte à six pour cent. Ce sont donc par
semaine dix mille six cents livres de coton que le travail transforme en dix
mille livres de filés et six cents livres de déchet. En avril 1871, ce coton
coûtait sept pence trois quarts par livre et conséquemment pour dix mille six
cents livres, la somme ronde de trois cent quarante deux livres sterling.
Les dix mille broches, y compris la machine à filer et la machine à vapeur,
coûtent une livre sterling la pièce, c'est à dire dix mille livres
sterling. Leur usure se monte à 10 % = 1 000 livres sterling, ou chaque semaine
vingt livres sterling. La location des bâtiments est de trois cents livres
sterling ou de six livres sterling par semaine. Le charbon (quatre livres par
heure et par force de cheval, sur une force de cent chevaux donnée par
l'indicateur (206) et soixante heures par semaine, y
compris le chauffage du local) atteint par semaine le chiffre de onze tonnes et
à huit shillings six pence par tonne, coûte chaque semaine quatre livres
sterling dix shillings; la consommation par semaine est également pour le gaz
d'une livre sterling, pour l'huile de quatre livres sterling dix shillings,
pour toutes les matières auxiliaires de dix livres sterling. La portion
de valeur constante par conséquent = 378 livres sterling. Puisqu'elle ne joue
aucun rôle dans la formation de la valeur hebdomadaire, nous la posons égale à
zéro.
Le salaire des ouvriers se monte à
cinquante deux livres sterling par semaine; le prix des filés, à douze
pence un quart la livre, est, pour dix mille livres, de cinq cent dix livres
sterling. La valeur produite chaque semaine est par conséquent = 510 livres
sterling 378 livres sterling, ou = 132 livres sterling. Si maintenant
nous en déduisons le capital variable (salaire des ouvriers) = 52 livres
sterling, il reste une plus value de quatre vingts livres sterling.
Le taux de la plus value est donc = 80/52 = 153 11/13
%. Pour une journée de travail moyenne de dix heures par conséquent, le travail
nécessaire = 3 h 31/33 et le surtravail = 6 h 2/33.
Voici un autre calcul, très défectueux,
il est vrai, parce qu'il y manque plusieurs données, mais suffisant pour notre
but. Nous empruntons les faits à un livre de Jacob à propos des lois sur les
céréales (1815). Le prix du froment est de quatre-vingts shillings par quart
(huit boisseaux), et le rendement moyen de l'arpent est de vingt-deux
boisseaux, de sorte que l'arpent rapporte onze livres sterling.
Production de valeur par arpent.
Semences (froment) |
1 l. st. 9 sh. |
Dîmes, taxes |
1 l. st. 1 sh |
Engrais |
2 l. st. 10 sh. |
Rente foncière |
1 l. st. 8 sh |
Salaires |
3 l. st. 10 sh. |
Profit du fermier et intérêts |
1 l. st. 2 sh. |
Somme |
7 l. st. 9 sh. |
Somme |
3 l. st. 11 sh. |
La plus-value, toujours en admettant
que le prix du produit est égal à sa valeur, se trouve ici répartie entre
diverses rubriques, profit, intérêt, dîmes, etc. Ces rubriques nous étant
indifférentes. nous les additionnons toutes ensemble et obtenons ainsi une
plus-value de trois livres sterling onze shillings. Quant aux trois livres
sterling dix neuf shillings pour semence et engrais nous les posons égales
à zéro comme partie constante du capital. Reste le capital variable avancé de
trois livres sterling dix shillings, à la place duquel une valeur nouvelle de 3
livres sterling 10 shillings + 3 livres sterling 11 shillings a été produite.
Le taux de la plus-value p/v égale :
(3 livres sterling 11 shillings)
/(3 livres sterling 10 shillings) = plus de 100 %.
Le laboureur emploie donc plus de
la moitié de sa journée de travail à la production d'une plus-value que
diverses personnes se partagent entre elles sous divers prétextes
(207).
II. Expression de la valeur du produit en parties proportionnelles du même
produit
Reprenons l'exemple qui nous a
servi à montrer comment le capitaliste transforme son argent en capital. Le
travail nécessaire de son fileur se montait à six heures, de même que le
surtravail; le degré d'exploitation du travail s'élevait donc à cent pour cent.
Le produit de la journée de douze
heures est vingt livres de filés d'une valeur de trente shillings. Pas moins
des huit dixièmes de cette valeur, ou vingt-quatre shillings, sont formés par
la valeur des moyens de production consommés, des vingt livres de coton à vingt
shillings, des broches à quatre shillings, valeur qui ne fait que réapparaître;
autrement dit huit dixièmes de la valeur des filés consistent en capital
constant. Les deux dixièmes qui restent sont la valeur nouvelle de six shillings
engendrée pendant le filage, dont une moitié remplace la valeur journalière de
la force de travail qui a été avancée, c'est à dire le capital
variable de trois shillings et dont l'autre moitié forme la plus-value de trois
shillings. La valeur totale de vingt livres de filés est donc composée de la
manière suivante : Valeur en filés de
c |
v |
p |
||||
30
schillings |
= |
24
schillings |
+ |
3
schillings |
+ |
3
schillings |
Puisque cette valeur totale se représente
dans le produit de vingt livres de filés, il faut que les divers éléments de
cette valeur puissent être exprimés en parties proportionnelles du produit.
S'il existe une valeur de trente
shillings dans vingt livres de filés, huit dixièmes de cette valeur, ou sa
partie constante de vingt-quatre shillings, existeront dans huit dixièmes du
produit, ou dans seize livres de filés. Sur celles-ci treize livres un tiers
représentent la valeur de la matière première, des vingt livres de coton qui
ont été filées, soit vingt shillings, et deux livres deux tiers la valeur des
matières auxiliaires et des instruments de travail consommés, broches, etc.,
soit quatre shillings.
Dans treize livres un tiers de
filés, il ne se trouve, à vrai dire, que treize livres un tiers de coton d'une
valeur de treize shillings un tiers; mais leur valeur additionnelle de six
shillings deux tiers forme un équivalent pour le coton contenu dans les six
livres deux tiers de filés qui restent. Les treize livres un tiers de filés
représentent donc tout le coton contenu dans le produit total de vingt livres
de filés, la matière première du produit total, mais aussi rien de plus. C'est
donc comme si tout le coton du produit entier eût été comprimé dans treize
livres un tiers de filés et qu'il ne s'en trouvât plus un brin dans les six
livres deux tiers restantes. Par contre, ces treize livres
un tiers de filés ne contiennent dans notre cas aucun atome ni de la valeur des
matières auxiliaires et des instruments de travail consommés, ni de la valeur
nouvelle créée par le filage.
De même les autres deux livres deux
tiers de filés qui composent le reste du capital constant = 4 shillings, ne
représentent rien autre chose que la valeur des matières auxiliaires et des
instruments de travail consommés pendant tout le cours de la production.
Ainsi donc huit dixièmes du produit
ou seize livres de filés, bien que formés, en tant que valeurs
d'usage, par le travail du fileur, tout comme les parties restantes du produit,
ne contiennent dans cet ensemble pas le moindre travail absorbé pendant
l'opération même du filage. C'est comme si ces huit dixièmes s'étaient
transformés en filés sans l'intermédiaire du travail, et que leur forme filés
ne fût qu'illusion. Et en fait, quand le capitaliste les vend vingt quatre
shillings et rachète avec cette somme ses moyens de production, il devient
évident que seize livres de filés ne sont que coton, broches, charbon, etc.,
déguisés. D'un autre côté, les deux dixièmes du produit qui restent, ou quatre
livres de filés, ne représentent maintenant rien autre chose que la valeur
nouvelle de six shillings produite dans les douze heures qu'a duré l'opération.
Ce qu'ils contenaient de la valeur des matières et des instruments de travail
consommés leur a été enlevé pour être incorporé aux seize premières livres de
filés. Le travail du fileur, matérialisé dans le produit de vingt livres de
filés, est maintenant concentré dans quatre livres, dans deux dixièmes du
produit. C'est comme si le fileur avait opéré le filage de ces quatre livres
dans l'air, ou bien avec du coton et des broches, qui, se trouvant là
gratuitement, sans l'aide du travail humain, n'ajouteraient aucune valeur au
produit. Enfin de ces quatre livres de filés, où se condense toute la valeur
produite en douze heures de filage, une moitié ne représente que l'équivalent
de la force de travail employée, c'est à dire que les trois shillings
de capital variable avancé, l'autre moitié que la plus value de trois
shillings.
uisque douze heures de travail du
fileur se matérialisent en une valeur de six shillings, la valeur des filés
montant à trente shillings représente donc soixante heures de travail. Elles
existent dans vingt livres de filés dont huit dixièmes ou seize livres sont la
matérialisation de quarante huit heures de travail qui ont précédé
l'opération du filage, du travail contenu dans les moyens de production des
filés; et dont deux dixièmes ou quatre livres de filés sont la matérialisation
des douze heures de travail dépensées dans l'opération du filage.
Nous avons vu plus haut comment la
valeur totale des filés égale la valeur enfantée dans leur production plus les
valeurs déjà préexistantes dans leurs moyens de production. Nous venons de voir
maintenant comment les éléments fonctionnellement différents de la valeur
peuvent être exprimés en parties proportionnelles du produit.
Cette décomposition du produit,
du résultat de la production en une quantité qui ne représente
que le travail contenu dans les moyens de production, ou la partie constante du
capital, en un autre quantum qui ne représente que le travail nécessaire
ajouté pendant le cours de la production, ou la partie variable du capital, et
en un dernier quantum, qui ne représente que le surtravail ajouté dans
ce même procédé, ou la plus value : cette décomposition est aussi simple
qu'importante, comme le montrera plus tard son application à des problèmes plus
complexes et encore sans solution.
Au lieu de décomposer ainsi le
produit total obtenu dans une période, par exemple une journée, en
quote parts représentant les divers éléments de sa valeur, on peut arriver
au même résultat en représentant les produits partiels comme provenant de
quote-parts de la journée de travail. Dans le premier cas nous considérons le
produit entier comme donné, dans l'autre nous le suivons dans ses phases
d'évolution.
Le fileur produit en douze heures
vingt livres de filés, en une heure par conséquent une livre deux tiers et en
huit heures treize livres un tiers, c'est à dire un produit partiel
valant à lui seul tout le coton filé pendant la journée. De la même manière le
produit partiel de l'heure et des trente six minutes suivantes égale deux
livres deux tiers de filés, et représente par conséquent la valeur des
instruments de travail consommés pendant les douze heures de travail; de même
encore le fileur produit dans les soixante quinze minutes qui suivent deux
livres de filés valant trois shillings, une valeur égale à toute la
valeur qu'il crée en six heures de travail nécessaire. Enfin, dans les
dernières soixante-quinze minutes il produit également deux livres de filés
dont la valeur égale la plus value produite par sa demi journée de
surtravail. Le fabricant anglais se sert pour son usage personnel de ce genre
de calcul; il dira, par exemple, que dans les huit premières heures ou deux
tiers de la journée de travail il couvre les frais de son coton. Comme on le
voit, la formule est juste; c'est en fait la première formule transportée de
l'espace dans le temps; de l'espace où les parties du produit se trouvent
toutes achevées et juxtaposées les unes aux autres, dans le temps, où elles se
succèdent. Mais cette formule peut en même temps être accompagnée de tout un
cortège d'idées barbares et baroques, surtout dans la cervelle de ceux qui,
intéressés en pratique à l'accroissement de la valeur, ne le sont pas moins en
théorie à se méprendre sur le sens de ce procès. On peut se figurer, par
exemple, que notre fileur produit ou remplace dans les huit premières heures de
son travail la valeur du coton, dans l'heure et les trente six minutes
suivantes la valeur des moyens de production consommés, dans l'heure et les
douze minutes qui suivent le salaire, et qu'il ne consacre au fabricant pour la
production de la plus value que la célèbre « Dernière heure ». On attribue
ainsi au fileur un double miracle, celui de produire coton, broches, machine à
vapeur, charbon, huile, etc., à l'instant même où il file au moyen d'eux, et de
faire ainsi d'un jour de travail cinq. Dans notre cas, par exemple, la
production de la matière première et des instruments de travail exige quatre
journées de travail de douze heures, et leur transformation en filés exige de
son côté une autre journée de travail de douze heures. Mais la soif du lucre
fait croire aisément à de pareils miracles et n'est jamais en peine de trouver
le sycophante doctrinaire qui se charge de démontrer leur rationalité. C'est ce
que va nous prouver l'exemple suivant d'une célébrité historique.
III. La « dernière heure » de Senior
Par un beau matin de l'année 1836, Nassau
W. Senior, que l'on pourrait appeler le normalien des économistes anglais,
également fameux par sa science économique et « son beau style », fut
invité à venir apprendre à Manchester l'économie politique qu'il professait à
Oxford. Les fabricants l'avaient élu leur défenseur contre le Factory Act nouvellement
promulgué, et l'agitation des dix heures qui allait encore au delà. Avec
leur sens pratique ordinaire, ils avaient cependant reconnu que M. le
professeur « wanted a good deal of finishing », avait grand besoin du coup de
pouce de la fin pour être un savant accompli. Ils le firent donc venir à
Manchester. Le professeur mit en style fleuri la leçon que lui avaient faite
les fabricants, dans le pamphlet intitulé : Letters on the Factorv act, as
it affects the cotton manufacture. London, 1837. Il est d'une lecture
récréative comme on peut en juger par le morceau suivant :
« Avec la loi actuelle, aucune
fabrique qui emploie des personnes au dessous de dix huit ans, ne
peut travailler plus de onze heures et demie par jour, c'est à dire
douze heures pendant les cinq premiers jours de la semaine et neuf heures le
samedi. Eh bien, l'analyse (!) suivante démontre que, dans une fabrique de ce
genre, tout le profit net provient de la dernière heure. Un fabricant dépense
cent mille livres sterling : quatre vingt mille livres sterling en
bâtiments et en machines, vingt mille en matière première et en salaires. En
supposant que le capital fasse une seule évolution par an et que le profit brut
atteigne quinze pour cent, la fabrique doit livrer chaque année des
marchandises pour une valeur de cent quinze mille livres sterling. Chacune des
vingt trois demi heures de travail produit chaque jour cinq cents
quinzièmes ou un vingt troisième de cette somme. Sur ces vingt trois
vingt troisièmes qui forment l'entier des cent quinze mille livres
sterling (constituting the whole 115 000 l. st.) vingt vingt troisièmes,
c'est à dire cent mille livres sterling sur les cent quinze mille,
remplacent ou compensent seulement le capital; un vingt troisième ou cinq
mille livres sterling sur les quinze mille de profit brut (!) couvrent l'usure
de la fabrique et des machines. Les deux vingt troisièmes qui restent, les
deux dernières demi heures de chaque jour produisent le profit net de dix
pour cent. Si donc, les prix restant les mêmes, la fabrique pouvait travailler
treize heures au lieu de onze et demie, et qu'on augmentât le capital circulant
d'environ deux mille six cents livres sterling, le profit net serait plus que
doublé. D'un autre côté, si les heures de travail étaient réduites d'une heure
par jour, le profit net disparaîtrait; si la réduction allait jusqu'à une heure
et demie, le profit brut disparaîtrait également (208).
»
Et voilà ce que M. le professeur appelle une analyse
! S'il ajoutait foi aux lamentations des fabricants, s'il croyait que les
travailleurs consacrent la meilleure partie de la journée à la reproduction ou
au remplacement de la valeur des bâtiments, des machines, du coton, du charbon,
etc., alors toute analyse devenait chose oiseuse. « Messieurs, avait il à
répondre tout simplement, si vous faites travailler dix heures au lieu de onze
heures et demie, la consommation quotidienne du coton, des machines, etc.,
toutes circonstances restant égales, diminuera de une heure et demie. Vous
gagnerez donc tout juste autant que vous perdrez. Vos ouvriers dépenseront à
l'avenir une heure et demie de moins à la reproduction ou au remplacement du
capital avancé. » Pensait il au contraire que les paroles de ces messieurs
demandaient réflexion, et jugeait il en qualité d'expert une analyse
nécessaire; alors il devait avant tout, dans une question qui roule
exclusivement sur le rapport du bénéfice net à la grandeur de la journée de
travail, prier les fabricants de ne pas mettre ensemble dans le même sac des
choses aussi disparates que machines, bâtiments, matière première et travail,
et de vouloir bien être assez bons pour poser le capital constant contenu dans
ces machines, matières premières, etc., d'un côté, et le capital avancé en
salaires, de l'autre. S'il trouvait ensuite par hasard, que d'après le calcul
des fabricants le travailleur reproduit ou remplace le salaire dans deux
vingt troisièmes de sa journée, ou dans une heure, l'analyste avait alors
à continuer ainsi :
« Suivant vos données, le travailleur produit dans
l'avant-dernière heure son salaire et dans la dernière votre plus value ou
bénéfice net. Puisqu'il produit des valeurs égales dans des espaces de temps
égaux, le produit de l'avant dernière heure est égal au produit de la
dernière. De plus, il ne produit de valeur qu'autant qu'il dépense de travail,
et le quantum de son travail a pour mesure sa durée. Cette durée, d'après vous,
est de onze heures et demie par jour. Il consomme une partie de ces onze heures
et demie pour la production ou le remboursement de son salaire, l'autre partie
pour la production de votre profit net. Il ne fait rien de plus tant que dure
la journée de travail. Mais puisque, toujours d'après vous, son salaire et la
plus value qu'il vous livre sont des valeurs égales, il produit évidemment
son salaire en cinq heures trois quarts et votre profit net dans les autres
cinq heures trois quarts. Comme de plus les filés produits en deux heures équivalent
à son salaire plus votre profit net, cette valeur doit être mesurée par onze
heures et demie de travail, le produit de l'avant dernière heure par cinq
heures trois quarts, celui de la dernière également. Nous voici arrivés à un
point délicat; ainsi, attention ! L'avant dernière heure de travail est
une heure de travail tout comme la première. Ni plus ni moins. Comment donc le
fileur peut il produire en une heure de travail une valeur qui représente
cinq heures trois quarts ? En réalité, il n'accomplit point un tel miracle. Ce
qu'il produit en valeur d'usage dans une heure de travail est un quantum
déterminé de filés. La valeur de ces filés est mesurée par cinq heures trois
quarts de travail, dont quatre heures trois quarts sont contenues, sans qu'il y
soit pour rien, dans les moyens de production, coton, machines, etc.,
consommés, et dont quatre quarts ou une heure a été ajoutée pour lui même.
Puisque son salaire est produit en cinq heures et trois quarts, et que les
filés qu'il fournit en une heure contiennent la même somme de travail, il n'y a
pas la moindre sorcellerie à ce qu'il ne produise en cinq heures et trois
quarts de filage qu'un équivalent des filés qu'il produit dans une seule heure.
Mais vous êtes complètement dans l'erreur, si vous vous figurez que l'ouvrier
perde un seul atome de son temps à reproduire ou à remplacer la valeur du
coton, des machines, etc. Par cela même que son travail convertit coton et
broches en filés, par cela même qu'il file, la valeur du coton et des broches,
passe dans les filés. Ceci n'est point dû à la quantité, mais à la qualité de
son travail. Assurément il transmettra une plus grande valeur de coton, etc.,
en une heure qu'en une demi-heure, mais tout simplement parce qu'il file plus
de coton dans le premier cas que dans le second. Comprenez le donc bien
une fois pour toutes : quand vous dites que l'ouvrier, dont la journée compte
onze heures et demie, produit dans l'avant-dernière heure la valeur de son
salaire et dans la dernière le bénéfice net, cela veut dire tout bonnement que
dans son produit de deux heures, que celles ci se trouvent au commencement
ou à la fin de la journée, juste autant d'heures de travail sont incorporées,
qu'en contient sa journée de travail entière. Et quand vous dites qu'il produit
dans les premières cinq heures trois quarts son salaire et dans les dernières
cinq heures trois quarts votre profit net, cela veut dire encore tout
simplement que vous payez les premières et que pour les dernières vous ne les
payez pas. Je parle de payement du travail au lieu de payement de la force de
travail, pour me conformer à votre jargon. Si maintenant vous examinez le
rapport du temps de travail que vous payez au temps de travail que vous ne
payez point, vous trouverez que c'est demi journée pour demi journée,
c'est à dire cent pour cent, ce qui assurément est le taux d'un
bénéfice assez convenable. Il n'y a pas non plus le moindre doute que si vous
faites travailler vos bras treize au lieu de onze heures et demie et que vous
annexiez simplement cet excédent au domaine du surtravail, ce dernier
comprendra sept un quart au lieu de cinq heures trois quarts, et le taux de la
plus-value s'élèvera de cent pour cent à cent vingt-six pour cent. Mais vous
allez par trop loin, si vous espérez que l'addition de cette heure et demie
élèvera votre profit de cent à deux cents pour cent ou davantage, ce qui ferait
« plus que le doubler ». D'un autre côté, le cœur de l'homme est quelque
chose d'étrange, surtout quand l'homme le porte dans sa bourse - votre pessimisme
frise la folie si vous craignez que la réduction de la journée de onze heures
et demie à dix heures et demie fasse disparaître tout votre profit net. Toutes
circonstances restant les mêmes, le surtravail tombera de cinq heures trois
quarts à quatre heures trois quarts, ce qui fournira encore un taux de
plus value tout à fait respectable, à savoir quatre vingt deux
quatorze vingt-troisièmes pour cent. Les mystères de cette « Dernière heure (209) » sur laquelle vous avez débité
plus de contes que les Chiliastes sur la fin du monde, tout cela est « all bosh
», de la blague. Sa perte n'aura aucune conséquence funeste; elle n'ôtera, ni à
vous votre profit net, ni aux enfants des deux sexes, que vous consommez
productivement, cette « pureté d'âme » qui vous est si chère (210). Quand, une bonne fois, votre
dernière heure sonnera, pensez au professeur d'Oxford. Et maintenant, c'est
dans un monde meilleur que je désire faire avec vous plus ample connaissance.
Salut. »
C'est en 1836 que Senior avait fait
la découverte de sa « Dernière heure ». Huit ans plus tard, le 15 avril 1848,
un des principaux mandarins de la science économique officielle, James Wilson,
dans l'Economiste, de Londres, à propos de la loi des dix heures,
entonna la même ritournelle sur le même air.
IV.
Le produit net
Nous nommons produit net (surplus
produce) la partie du produit qui représente la plus value. De même
que le taux de celle ci se détermine par son rapport, non avec la somme
totale, mais avec la partie variable du capital, de même le montant du produit
net est déterminé par son rapport, non avec la somme restante, mais avec la
partie du produit qui représente le travail nécessaire. De même que la
production d'une plus value est le but déterminant de la production
capitaliste, de même le degré d'élévation de la richesse se mesure, non d'après
la grandeur absolue du produit brut, mais d'après la grandeur relative du
produit net (211).
La somme du travail nécessaire et
du surtravail, des parties de temps dans lesquelles l'ouvrier produit
l'équivalent de sa force de travail et la plus value, cette somme forme la
grandeur absolue de son temps de travail, c'est à dire la journée de
travail (working day).
Chapitre X : La journée de travail
I.
Limite de journée de travail
Nous sommes partis de la supposition que la force de travail
est achetée et vendue à sa valeur. Cette valeur, comme celle de toute autre
marchandise, est déterminée par le temps de travail nécessaire à sa production.
Si donc la production des moyens de subsistance journaliers, tels qu'il les
faut en moyenne pour le travailleur, coûte six heures, il doit travailler en
moyenne six heures par jour pour produire journellement sa force de travail, ou
pour reproduire la valeur qu'il a obtenue en la vendant. La partie nécessaire
de sa journée comprend alors six heures; toutes circonstances restant égales,
c'est une grandeur donnée. Mais il ne s'ensuit pas que la grandeur de la
journée elle-même soit donnée.
Admettons que la ligne a---b représente la
durée ou la longueur du temps de travail nécessaire, soit six heures. Suivant
que le travail sera prolongé au-delà de ab de une, de trois ou de six
heures, nous obtiendrons trois lignes différentes :
Journée de travail I. a------b-c |
Journée de travail II. a------b---c |
Journée de travail III. a------b------c |
qui représentent trois journées de travail
différentes de sept, de neuf et de douze heures. La ligne de prolongation bc
représente la longueur du travail extra. Puisque la journée de travail =
ab + bc ou bien est ac, elle varie avec la grandeur variable de bc.
Puisque ab nous est donné, le rapport de bc à ab peut
toujours être mesuré. Ce rapport s'élève dans la journée de travail I à 1/6;
dans la journée de travail Il à 3/4, et dans la journée de travail III à 6/6,
de ab. Enfin, puisque la proportion
(temps de travail extra) / (temps de travail
nécessaire)
détermine le taux de la plus-value, ce taux est donné
par le rapport ci-dessus. Il est respectivement dans les trois différentes
journées de travail de seize deux tiers, de cinquante et de cent pour cent.
Mais le taux de la plus-value seul ne nous donnerait point réciproquement la
grandeur de la journée de travail. S'il était, par exemple, de cent pour cent,
la journée de travail pourrait être de son côté de huit, de dix, de douze
heures, et ainsi de suite. Il indiquerait que les deux parties constitutives de
la journée, travail nécessaire et surtravail, sont de grandeur égale; mais il
n'indiquerait pas la grandeur de chacune de ces parties.
La journée de travail n'est donc pas une grandeur
constante, mais une grandeur variable. Une de ses parties est bien déterminée
par le temps de travail qu'exige la reproduction continue de l'ouvrier
lui-même; mais sa grandeur totale varie suivant la longueur ou la durée du
surtravail. La journée de travail est donc déterminable; mais, par elle-même,
elle est indéterminée (212).
Bien que la journée de travail ne soit rien de fixe,
elle ne peut néanmoins varier que dans certaines limites. Sa limite minima,
cependant, ne peut être déterminée. Assurément, si nous posons la ligne de
prolongation bc, ou le surtravail = 0, nous obtenons ainsi une limite
minima, c'est-à-dire la partie de la journée pendant laquelle l'ouvrier doit
nécessairement travailler pour sa propre conservation. Mais le mode de production
capitaliste une fois donné, le travail nécessaire ne peut jamais former qu'une
partie de la journée de travail, et cette journée elle-même ne peut, par
conséquent, être réduite à ce minimum. Par contre, la journée de travail
possède une limite maxima. Elle ne peut être prolongée au-delà d'un certain
point. Cette limite maxima est doublement déterminée, et d'abord par les bornes
physiques de la force de travail. Un homme ne peut dépenser pendant le jour
naturel de vingt-quatre heures qu'un certain quantum de sa force vitale. C'est
ainsi qu'un cheval ne peut, en moyenne, travailler que huit heures par jour.
Pendant une partie du jour, la force doit se reposer, dormir; pendant une autre
partie, l'homme a des besoins physiques à satisfaire; il lui faut se nourrir,
se vêtir, etc. Cette limitation purement physique n’est pas la seule. La
prolongation de la journée de travail rencontre des limites morales. Il faut au
travailleur du temps pour satisfaire ses besoins intellectuels et sociaux, dont
le nombre et le caractère dépendent de l'état général de la civilisation. Les
variations de la journée de travail ne dépassent donc pas le cercle formé par
ces limites qu'imposent la nature et la société. Mais ces limites sont par
elles-mêmes très élastiques et laissent la plus grande latitude. Aussi
trouvons-nous des journées de travail de dix, douze, quatorze, seize, dix-huit
heures, c'est-à-dire avec les plus diverses longueurs.
Le capitaliste a acheté la force de travail à sa
valeur journalière. Il a donc acquis le droit de faire travailler pendant tout
un jour le travailleur à son service. Mais qu'est-ce qu'un jour de travail (213) ? Dans tous les cas, il est
moindre qu'un jour naturel. De combien ? Le capitaliste a sa propre manière de
voir sur cette ultima Thule, la limite nécessaire de la journée
de travail. En tant que capitaliste, il n'est que capital personnifié; son âme
et l'âme du capital ne font qu'un. Or le capital n'a qu'un penchant naturel,
qu'un mobile unique; il tend à s'accroître, à créer une plus-value, à absorber,
au moyen de sa partie constante, les moyens de production, la plus grande masse
possible de travail extra (214).
Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s'anime qu'en
suçant le travail vivant, et sa vie est d'autant plus allègre qu'il en pompe
davantage. Le temps pendant lequel l'ouvrier travaille, est le temps pendant
lequel le capitaliste consomme la force de travail qu'il lui a achetées (215). Si le salarié consomme pour
lui-même le temps qu'il a de disponible, il vole le capitaliste
(216).
Le capitaliste en appelle donc à la loi de l'échange des
marchandises. Il cherche, lui, comme tout autre acheteur, à tirer de la valeur
d'usage de sa marchandise le plus grand parti possible. Mais tout à coup
s'élève la voix du travailleur qui jusque-là était comme perdu dans le
tourbillon de la production :
La marchandise que je t'ai vendue se distingue de la
tourbe des autres marchandises, parce que son usage crée de la valeur, et une
valeur plus grande qu'elle ne coûte elle-même. C'est pour cela que tu l'as
achetée. Ce qui pour toi semble accroissement de capital, est pour moi,
excédant de travail. Toi et moi, nous ne connaissons sur le marché qu'une loi,
celle de l'échange des marchandises. La consommation de la marchandise
appartient non au vendeur qui l'aliène, mais à l'acheteur qui l'acquiert.
L'usage de ma force de travail t'appartient donc. Mais par le prix quotidien de
sa vente, je dois chaque jour pouvoir la reproduire et la vendre de nouveau.
Abstraction faite de l'âge et d'autres causes naturelles de dépérissement, je
dois être aussi vigoureux et dispos demain qu'aujourd'hui, pour reprendre mon
travail avec la même force. Tu me prêches constamment l'évangile de « l'épargne
», de « l'abstinence » et de « l'économie ». Fort bien ! Je veux, en
administrateur sage et intelligent, économiser mon unique fortune, ma force de
travail, et m'abstenir de toute folle prodigalité. Je veux chaque jour n'en
mettre en mouvement, n'en convertir en travail, en un mot n'en dépenser que
juste ce qui sera compatible avec sa durée normale et son développement
régulier. Par une prolongation outre mesure de la journée de travail, tu peux
en un seul jour mobiliser une plus grande quantité de ma force que je n'en puis
remplacer en trois. Ce que tu gagnes en travail je le perds en substance. Or,
l'emploi de ma force et sa spoliation sont deux choses entièrement différentes.
Si la période ordinaire de la vie d'un ouvrier, étant donné une moyenne
raisonnable de travail, est de trente ans, la valeur moyenne de ma force que tu
me payes par jour, forme 1/(365 x 30) ou 1/10950 de sa valeur totale. La
consommes-tu dans dix ans, eh bien ! Tu ne payes, dans ce cas, chaque
jour, que 1/10950 au lieu de 1/3650 de sa valeur entière, c'est-à-dire tu ne me
payes que un tiers de sa valeur journalière, tu me voles donc chaque jour deux
tiers de ma marchandise. Tu payes une force de travail d'un jour quand tu en
uses une de trois. Tu violes notre contrat et la loi des échanges. Je demande
donc une journée de travail de durée normale, et je la demande sans faire appel
à ton cœur, car, dans les affaires, il n'y a pas de place pour le sentiment. Tu
peux être un bourgeois modèle, peut-être membre de la société protectrice des
animaux, et, par-dessus le marché, en odeur de sainteté; peu importe. La chose
que tu représentes vis-à-vis de moi n'a rien dans la poitrine; ce qui semble y
palpiter, ce sont les battements de mon propre cœur. J'exige la journée de
travail normal, parce que je veux la valeur de ma marchandise, comme tout autre
vendeur (217).
Comme on le voit, à part des limites tout élastiques,
la nature même de l'échange des marchandises n'impose aucune limitation à la
journée de travail, et au travail extra. Le capitaliste soutient son droit
comme acheteur, quand il cherche à prolonger cette journée aussi longtemps que
possible et à faire deux jours d'un. D'autre part, la nature spéciale de la
marchandise vendue exige.
II. Le Capital affamé de surtravail – Boyard et fabricant
Le capital n'a point inventé le surtravail. Partout
où une partie de la société possède le monopole des moyens de production, le
travailleur, libre ou non, est forcé d'ajouter au temps de travail nécessaire à
son propre entretien un surplus destiné à produire la subsistance du possesseur
des moyens de production (218).
Que ce propriétaire soit caloz cagaqoz athénien, théocrate étrusque, citoyen
romain, baron normand, maître d'esclaves américain, boyard valaque, seigneur
foncier ou capitaliste moderne, peu importe (219) ! Avant d'aller plus loin, constatons d'abord un
fait. Quand la forme d'une société est telle, au point de vue économique, que
ce n'est point la valeur d'échange mais la valeur d'usage qui y prédomine, le
surtravail est plus ou moins circonscrit par le cercle de besoins déterminés; mais
le caractère de la production elle-même n'en fait point naître un appétit
dévorant. Quand il s'agit d'obtenir la valeur d'échange sous sa forme
spécifique, par la production de l'or et de l'argent, nous trouvons déjà dans
l'antiquité le travail le plus excessif et le plus effroyable. Travailler
jusqu'à ce que mort s'ensuive devient alors la loi. Qu'on lise seulement à ce
sujet Diodore de Sicile (220).
Cependant dans le monde antique ce sont là des exceptions. Mais dès que des peuples,
dont la production se meut encore dans les formes inférieures de l'esclavage et
du servage, sont entraînés sur un marché international dominé par le mode de
production capitaliste, et qu'à cause de ce fait la vente de leurs produits à
l'étranger devient leur principal intérêt, dès ce moment les horreurs du
surtravail, ce produit de la civilisation, viennent s'enter sur la barbarie de
l'esclavage et du servage. Tant que la production dans les Etats du Sud de
l'Union américaine était dirigée principalement vers la satisfaction des
besoins immédiats, le travail des nègres présentait un caractère modéré et
patriarcal.
Mais à mesure que l'exportation du coton devint
l'intérêt vital de ces Etats, le nègre fut surmené et la consommation de sa vie
en sept années de travail devint partie intégrante d'un système froidement
calculé. Il ne s'agissait plus d'obtenir de lui une certaine masse de produits
utiles. Il s'agissait de la production de la plus-value quand même. Il en a été
de même pour le serf, par exemple dans les principautés danubiennes.
Comparons maintenant le surtravail dans les fabriques
anglaises avec le surtravail dans les campagnes danubiennes où le servage lui
donne une forme indépendante et qui tombe sous les sens.
Etant admis que la journée de travail compte six
heures de travail nécessaire et six heures de travail extra, le travailleur
libre fournit au capitaliste 6 x 6 ou trente-six heures de surtravail par
semaine. C'est la même chose que s'il travaillait trois jours pour lui-même et
trois jours gratis pour le capitaliste. Mais ceci ne saute pas aux yeux;
surtravail et travail nécessaire se confondent l'un dans l'autre. On pourrait,
en effet, exprimer le même rapport en disant, par exemple, que
l'ouvrier travaille dans chaque minute trente secondes pour le capitaliste et
trente pour lui-même. Il en est autrement avec la corvée. L'espace sépare le
travail nécessaire que le paysan valaque, par exemple, exécute pour son propre
entretien, de son travail extra pour le boyard.
Il exécute l'un sur son champ à lui et l'autre sur la
terre seigneuriale. Les deux parties du temps de travail existent ainsi l'une à
côté de l'autre d'une manière indépendante. Sous la forme de corvée, le
surtravail est rigoureusement distinct du travail nécessaire. Cette différence
de forme ne modifie assurément en rien le rapport quantitatif des deux travaux.
Trois jours de surtravail par semaine restent toujours trois jours d'un travail
qui ne forme aucun équivalent pour le travailleur lui-même, quel que soit leur
nom, corvée ou profit. Chez le capitaliste, cependant, l'appétit de surtravail
se manifeste par son âpre passion à prolonger la journée de travail outre
mesure; chez le boyard, c'est tout simplement une chasse aux jours corvéables (221).
Dans les provinces danubiennes, la corvée se trouvait
côte à côte des rentes en nature et autres redevances; mais elle formait le
tribut essentiel payé à la classe régnante. Dans de pareilles conditions, la
corvée provient rarement du servage; mais le servage, au contraire, a la
plupart du temps la corvée pour origine. Ainsi en était-il dans les provinces
roumaines. Leur forme de production primitive était fondée sur la propriété
commune, différente cependant des formes slaves et indiennes. Une partie des
terres était cultivée comme propriété privée, par les membres indépendants de
la communauté; une autre partie, - l'ager publicus, - était travaillée
par eux en commun. Les produits de ce travail commun servaient d'une part comme
fonds d'assurance contre les mauvaises récoltes et autres accidents; d'autre
part, comme trésor public pour couvrir les frais de guerre, de culte et autres
dépenses communales. Dans le cours du temps, de grands dignitaires de l'armée
et de l'Église usurpèrent la propriété commune et avec elle les prestations en
usage. Le travail du paysan, libre cultivateur du sol commun, se transforma en
corvée pour les voleurs de ce sol. De là naquirent et se développèrent des
rapports de servage, qui ne reçurent de sanction légale que lorsque la
libératrice du monde, la Sainte Russie, sous prétexte d'abolir le servage,
l'érigea en loi. Le Code de la corvée, proclamé en 1831 par le général
russe Kisseleff, fut dicté par les boyards. La Russie conquit ainsi du même
coup les magnats des provinces du Danube et les applaudissements du crétinisme
libéral de l'Europe entière.
D'après le Règlement organique, tel est le nom
que porte ce code, tout paysan valaque doit au soi-disant propriétaire foncier,
outre une masse très détaillée de prestations en nature : 1° douze jours de
travail en général-, 2° un jour pour le travail des champs, et 3° un jour pour
le charriage du bois. En tout quatorze jours par an. Or, avec une profonde
sagacité économique, on a eu besoin d'entendre par journée de travail non pas
ce qu'on entend ordinairement par ce mot, mais la journée de travail nécessaire
pour obtenir un produit journalier moyen, et ce produit journalier moyen a été
déterminé avec tant de rouerie, qu'un cyclope n'en viendrait pas à bout en
vingt-quatre heures. Le « règlement » lui-même déclare donc, avec un sans-façon
d'ironie vraiment russe, qu'il faut entendre par douze jours de travail le
produit d'un travail manuel de trente-six jours; par un jour de travail des
champs, trois jours; et par un jour de charriage de bois, trois jours
également. Total: quarante-deux jours de corvée Mais il faut ajouter à ceci ce
qu'on appelle la jobagie, ensemble de prestations dues au propriétaire
foncier pour services agricoles extraordinaires. Chaque village, en raison de
sa population, doit fournir pour la jobagie un contingent annuel. Ce travail de
corvée supplémentaire est estimé à quatorze jours pour chaque paysan valaque.
Ces quatorze jours, ajoutés aux quarante-deux ci-dessus, forment ainsi cinquante-six
jours de travail par an. Mais l'année agricole ne compte, en Valachie, que deux
cent dix jours, à cause du climat. Si l'on en déduit quarante jours pour
dimanches et fêtes, trente en moyenne pour mauvais temps, soit soixante-dix
jours, il en reste cent quarante. Le rapport du travail de corvée au travail
nécessaire 56/84 ou 66 2/3 % exprime un taux de plus-value beaucoup moins élevé
que celui qui règle le travail des ouvriers manufacturiers et agricoles de
l'Angleterre. Mais ce n'est encore là que la corvée prescrite légalement. Et le
« règlement organique », dans un esprit encore plus « libéral » que la
législation manufacturière anglaise, a su faciliter sa propre violation. Ce
n'était pas assez d'avoir fait cinquante-quatre jours avec douze, on a de nouveau
déterminé de telle sorte l’œuvre nominale qui incombe à chacun des
cinquante-quatre jours de corvée, qu'il faut toujours un supplément à prendre
sur les jours suivants. Tel jour, par exemple, une certaine étendue de terre
doit être sarclée, et cette opération, surtout dans les plantations de maïs,
exige le double de temps. Pour quelques travaux agricoles particuliers, la
besogne légale de la journée se prête à une interprétation si large, que
souvent cette journée commence en mai et finit en octobre. Pour la Moldavie,
les conditions sont encore plus dures. Aussi un boyard s'est-il écrié, dans
l'enivrement du triomphe : « Les douze jours de corvée du Règlement
organique s'élèvent à trois cent soixante-cinq jours par an ! » (222)
Si le Règlement organique des provinces danubiennes
atteste et légalise article par article une faim canine de surtravail, les Factory
acts (lois de fabriques), en Angleterre, révèlent la même maladie,
mais d'une manière négative. Ces lois refrènent la passion désordonnée du
capital à absorber le travail en imposant une limitation officielle à la
journée de travail et cela au nom d'un Etat gouverné par les capitalistes et
les landlords. Sans parler du mouvement des classes ouvrières, de jour en jour plus
menaçant, la limitation du travail manufacturier a été dictée par la nécessité,
par la même nécessité qui a fait répandre le guano sur les champs de
l'Angleterre. La même cupidité aveugle qui épuise le sol, attaquait jusqu'à sa
racine la force vitale de la nation. Des épidémies périodiques attestaient ce
dépérissement d’une manière aussi claire que le fait la diminution de la taille
du soldat en Allemagne et en France (223).
Le Factory Act de 1850 maintenant en vigueur
accorde pour le jour moyen dix heures, douze heures pour les cinq premiers
jours de la semaine, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, sur lesquelles
une demi-heure pour le déjeuner et une heure pour le dîner sont prises
légalement, de sorte qu'il reste dix heures et demie de travail, - et huit
heures pour le samedi, de 6 heures du matin à 2 heures de l'après-midi, dont
une demi-heure est déduite pour le déjeuner. Restent soixante heures de
travail, dix heures et demie pour les cinq premiers jours de la semaine, sept
heures et demie pour le dernier (224).
Pour faire observer cette loi on a nommé des fonctionnaires spéciaux, les
inspecteurs de fabrique, directement subordonnés au ministère de l'Intérieur
dont les rapports sont publiés tous les six mois par ordre du Parlement. Ces
rapports fournissent une statistique courante et officielle qui indique le
degré de l'appétit capitaliste.
Ecoutons un instant les inspecteurs (225):
« Le perfide fabricant fait commencer le travail
environ quinze minutes, tantôt plus, tantôt moins, avant 6 heures du matin, et
le fait terminer quinze minutes, tantôt plus, tantôt moins, après 6 heures de
l'après-midi. Il dérobe cinq minutes sur le commencement et la fin de la
demi-heure accordée pour le déjeuner et en escamote dix sur le commencement et
la fin de l'heure accordée pour le dîner. Le samedi, il fait travailler environ
quinze minutes, après 2 heures de l'après-midi. Voici donc son bénéfice :
Avant 6 h du matin. |
15mn |
ý Somme en 5 jours : 300 minutes. |
Après 6 h du soir. |
15mn |
|
Sur le temps du déjeuner |
10mn |
|
Sur le temps du dîner. |
20mn |
|
60mn |
Le samedi
Avant 6 h du matin. |
15mn |
ý Profit de toute la semaine : 340 minutes. |
Au déjeuner |
10mn |
|
Après 2 h de l'après-midi.. |
15mn |
|
40mn |
Ou cinq heures quarante minutes, ce qui, multiplié
par cinquante semaines de travail, déduction faite de deux semaines pour jours de
fête et quelques interruptions accidentelles, donne vingt-sept journées de
travail (226).»
« La journée de travail est-elle prolongée de cinq
minutes chaque jour au-delà de sa durée normale, cela fournit deux jours et demi
de production par an (227).
» « Une heure de plus, gagnée en attrapant par-ci par-là et à plusieurs
reprises quelques lambeaux de temps, ajoute un treizième mois aux douze dont se
compose chaque année (228). »
Les crises, pendant lesquelles la production est
suspendue, où on ne travaille que peu de temps et même très peu de jours de la
semaine, ne changent naturellement rien au penchant qui porte le capital à
prolonger la journée de travail. Moins il se fait d'affaires, plus le bénéfice
doit être grand sur les affaires faites; moins on travaille de temps, plus ce
temps doit se composer de surtravail. C'est ce que prouvent les rapports des
inspecteurs sur la période de crise de 1857-58 :
« On peut trouver une inconséquence à ce qu'il y ait
quelque part un travail excessif, alors que le commerce va si mal; mais c'est
précisément ce mauvais état du commerce qui pousse aux infractions les gens
sans scrupules; ils s'assurent par ce moyen un profit extra. » « Au moment
même, dit Leonhard Horner, où cent vingt-deux fabriques de mon district sont
tout à fait abandonnées, où cent quarante-trois chôment et toutes les autres
travaillent très peu de temps, le travail est prolongé au-delà des bornes
prescrites par la loi (229).» M. Howell s'exprime de la même manière : « Bien que dans la plupart
des fabriques on ne travaille que la moitié du temps, à
cause du mauvais état des affaires, je n'en reçois pas moins comme par le passé
le même nombre de plaintes, sur ce que tantôt une demi-heure, tantôt trois
quarts d'heure sont journellement extorqués (snatched) aux ouvriers sur les
moments de répit que leur accorde la loi pour leurs repas et leurs délassements (230).»
Le même phénomène s'est reproduit sur une plus petite
échelle pendant la terrible crise cotonnière de 1861-65 (231).
« Quand nous surprenons des ouvriers en train de
travailler pendant les heures de repas ou dans tout autre moment illégal, on
nous donne pour prétexte qu'ils ne veulent pas pour rien au monde abandonner la
fabrique, et que l'on est même obligé de les forcer à interrompre le travail
(nettoyage des machines, etc.), particulièrement le samedi dans l'après-midi.
Mais si « les bras » restent dans la fabrique quand les machines sont arrêtées,
cela provient tout simplement de ce qu'entre 6 heures du matin et 6 heures du
soir, dans les heures de travail légales, il ne leur a été accordé aucun moment
de répit pour accomplir ces sortes d'opérations (232). »
« Le profit extra que donne le travail prolongé
au-delà du temps fixé par la loi semble être pour beaucoup de fabricants une
tentation trop grande pour qu'ils puissent y résister. Ils comptent sur la
chance de n'être pas surpris en flagrant délit et calculent que, même dans le
cas où ils seraient découverts, l'insignifiance des amendes et des frais de
justice leur assure encore un bilan en leur faveur (233). » « Quand le temps additionnel est obtenu dans le
cours de la journée par une multiplication de petits vols (a multiplication of
small thefts), les inspecteurs éprouvent, pour constater les délits et établir
leurs preuves, des difficultés presque insurmontables (234). » Ils désignent aussi ces petits vols du capital
sur le temps des repas et les instants de délassement des travailleurs sous le
nom de « petty pilferings of minutes », petits filoutages de minutes (235), « snatching a few minutes »
escamotage de minutes (236); ou bien encore ils emploient les termes techniques des
ouvriers : « Nibbling and cribbling at mealtimes (237) ».
On le voit, dans cette atmosphère, la formation de la
plus-value par le surtravail ou le travail extra n'est pas un secret. « Si vous
me permettez, me disait un honorable fabricant, de faire travailler chaque jour
dix minutes de plus que le temps légal, vous mettrez chaque année mille livres
sterling dans ma poche (238).
» « Les atomes du temps sont les éléments du gain (239)! »
Rien n'est plus caractéristique que
la distinction entre les « full times » - les ouvriers qui travaillent
la journée entière - et les « half times (240) » - les enfants au-dessous de treize ans, qui ne
doivent travailler que six heures. Le travailleur n'est plus ici que du temps
de travail personnifié. Toutes les différences individuelles se résolvent en
une seule; il n'y a plus que des « temps entiers » et des « demi-temps ».
que sa consommation par l'acheteur
ne soit pas illimitée, et le travailleur soutient son droit comme vendeur quand
il veut restreindre la journée de travail à une durée normalement déterminée.
Il y a donc ici une antinomie, droit contre droit, tous deux portent le sceau
de la loi qui règle l'échange des marchandises. Entre deux droits égaux qui
décide ? La Force. Voilà pourquoi la réglementation de la journée de travail se
présente dans l'histoire de la production capitaliste comme une lutte séculaire
pour les limites de la journée de travail, lutte entre le capitaliste,
c'est-à-dire la classe capitaliste, et le travailleur, c'est-à-dire la classe
ouvrière.
III. La journée de travail dans les branches de l’industrie où
l’exploitation n’est pas limitée par la loi
Jusqu'ici nous n'avons étudié l'excès de travail que
là où les exactions monstrueuses du capital, à peine surpassées par les
cruautés des Espagnols contre les Peaux-rouges de I'Amérique (241), l'ont fait enchaîner par la loi. Jetons maintenant
un coup d’œil sur quelques branches d'industrie où l'exploitation de la force
de travail est aujourd'hui sans entraves ou l'était hier encore.
« M. Broughton, magistrat de comté, déclarait comme
président d'un meeting, tenu à la mairie de Nottingham le 14 janvier 1860,
qu'il règne dans la partie de la population de la ville occupée à la
fabrication des dentelles un degré de misère et de dénuement inconnu au reste
du monde civilisé... Vers 2, 3 et 4 heures du matin, des enfants de neuf à dix
ans, sont arrachés de leurs lits malpropres et forcés à travailler pour leur
simple subsistance jusqu'à 10, 11 et 12 heures de la nuit. La maigreur les réduit
à l'état de squelettes, leur taille se rabougrit, les traits de leur visage
s'effacent et tout leur être se raidit dans une torpeur telle que l'aspect seul
en donne le frisson... Nous ne sommes pas étonnés que M. Mallet et d'autres
fabricants se soient présentés pour protester contre toute espèce de
discussion... Le système, tel que l'a décrit le Rév. M. Montagu Valpu, est un
système d'esclavage sans limites, esclavage à tous les points de vue, social,
physique, moral et intellectuel... Que doit-on penser d'une ville qui organise
un meeting public pour demander que le temps de travail quotidien pour les
adultes soit réduit à dix-huit heures !... Nous déclamons contre les planteurs
de la Virginie et de la Caroline. Leur marché d'esclaves nègres avec toutes les
horreurs des coups de fouet, leur trafic de chair humaine sont-ils donc plus
horribles que cette lente immolation d'hommes qui n'a lieu que dans le but de
fabriquer des voiles et des cols de chemise, pour le profit des capitalistes ? (242) »
La poterie de Staffordshire a pendant les vingt-deux
dernières années donné lieu à trois enquêtes parlementaires. Les résultats en
sont contenus dans le rapport de M. Scriven adressé en 1841 aux « Children's
Employment Commissioners », dans celui du docteur Greenhow publié en 1860 sur
l'ordre du fonctionnaire médical du Privy Council (Public Health, 3d.
Report, 1, 102-113), enfin dans celui de M. Longe adjoint au First Report of
the Children's Employment Commission, du 13 juin 1863. Il nous suffit pour
notre but d'emprunter aux rapports de 1860 et 1863 quelques dépositions des
enfants mêmes qui travaillaient dans la fabrique. D'après les enfants on pourra
juger des adultes, et surtout des femmes et des jeunes filles, dans une branche
d'industrie à côté de laquelle, il faut l'avouer, les filatures de coton,
peuvent paraître des lieux admirablement sains et agréables (243).
Wilhelm Wood, âgé de neuf ans, « avait sept ans et
dix mois quand il commença à travailler ». Il « ran moulds » (portait les pots
dans le séchoir et rapportait ensuite le moule vide). C'est ce qu'il a toujours
fait. Il vient chaque jour de la semaine vers 6 heures du matin et cesse de
travailler environ vers 9 heures du soir. « Je travaille tous les jours jusqu'à
9 heures du soir; ainsi par exemple pendant les sept à huit dernières semaines.
» Voilà donc un enfant qui, dès l'âge de sept ans, a travaillé quinze heures ! -
J. Murray, un enfant de douze ans s'exprime ainsi : « I run moulds and turn
th' jigger » (je porte les moules et tourne la roue). Je viens à 6 heures,
quelquefois à 4 heures du matin. J’ai travaillé toute la nuit dernière jusqu'à
ce matin 8 heures. Je ne me suis pas couché depuis ; huit ou neuf autres
garçons ont travaillé comme moi toute cette nuit. Je reçois chaque semaine 3
shillings 6 pence (4 F 40 c). Je ne reçois pas davantage quand je travaille
toute la nuit. J'ai travaillé deux nuits dans la dernière semaine. » -
Ferryhough, un enfant de dix ans : « Je n'ai pas toujours une heure pour le
dîner; je n'ai qu'une demi-heure, les jeudis, vendredis et samedis
(244).»
Le docteur Greenhow déclare que dans les districts de
Stoke-upon-Trent et de Wolstanton, où se trouvent les poteries, la vie est
extraordinairement courte. Quoique il n'y ait d'occupés aux poteries dans le
district de Stoke que trente un sixième pour cent et dans celui de Woistanton
que trente un quatrième pour cent de la population mâle au-dessus de vingt ans,
plus de la moitié des cas de mort causés par les maladies de poitrine se
rencontrent parmi les potiers du premier district, et environ les deux
cinquièmes, parmi ceux du second.
Le docteur Boothroyd, médecin à Hanley, affirme de
son côte que « chaque génération nouvelle des potiers est plus petite et plus
faible que la précédente ». De même un autre médecin M. Mac Bean : « Depuis
vingt-cinq ans que j'exerce ma profession parmi les potiers, la dégénérescence
de cette classe s'est manifestée d'une manière frappante par la diminution de
la taille et du poids du corps. » Ces dépositions sont empruntées au rapport du
docteur Greenhow en 1860 (245).
Extrait du rapport des commissaires publié en 1863 :
le docteur J. T. Ardlege, médecin en chef de la maison de santé du North
Staffordshire, dit dans sa déposition :
« Comme classe, les potiers hommes et femmes ...
représentent une population dégénérée au moral et au physique. Ils sont en
général de taille rabougrie, mal faits et déformés de la poitrine. Ils
vieillissent vite et vivent peu de temps; phlegmatiques et anémiques ils
trahissent la faiblesse de leur constitution par des attaques opiniâtres de
dyspepsie, des dérangements du foie et des reins, et des rhumatismes. Ils sont
avant tout sujets aux maladies de poitrine, pneumonie, phthisie, bronchite et
asthme. La scrofulose qui attaque les glandes, les os et d'autres parties du
corps est la maladie de plus des deux tiers des potiers. Si la dégénérescence
de la population de ce district n'est pas beaucoup plus grande, elle le doit
exclusivement à son recrutement dans les campagnes avoisinantes et à son
croisement par des mariages avec des races plus saines... »
M. Charles Pearson, chirurgien du même hospice, écrit
entre autres dans une lettre adressée au commissaire Longe :
« Je ne puis parler que d'après mes observations
personnelles et non d'après la statistique; mais je certifie que j'ai été
souvent on ne peut plus révolté à la vue de ces pauvres enfants, dont la santé
est sacrifiée, pour satisfaire par un travail excessif la cupidité de leurs
parents et de ceux qui les emploient. »
Il énumère les causes de maladies des potiers et clôt
sa liste par la principale, « The Long Hauts » (les longues heures de travail).
La commission dans son rapport exprime l'espoir « qu'une industrie qui a une si
haute position aux yeux du monde, ne supportera pas plus longtemps l'opprobre
de voir ses brillants résultats accompagnés de la dégénérescence physique, des
innombrables souffrances corporelles et de la mort précoce de la population
ouvrière par le travail et l'habileté de laquelle ils ont été obtenu (246). » Ce qui est vrai des fabriques
de poterie d'Angleterre, l'est également de celles d'Écosse (247).
La fabrication des allumettes chimiques date de 1833,
époque où l'on a trouvé le moyen de fixer le phosphore sur le bois. Depuis 1845
elle s'est rapidement développée en Angleterre, où des quartiers les plus
populeux de Londres elle s'est ensuite répandue à Manchester, Birmingham,
Liverpool, Bristol, Norwich, Newcastle, Glasgow, accompagnée partout de cette
maladie des mâchoires qu'un médecin de Vienne déclarait déjà en 1845 être
spéciale aux faiseurs d'allumettes chimiques.
La moitié des travailleurs sont des enfants
au-dessous de treize ans et des adolescents au-dessous de dix-huit. Cette
industrie est tellement insalubre et répugnante, et par cela même tellement
décriée, qu'il n'y a que la partie la plus misérable de la classe ouvrière qui
lui fournisse des enfants, « des enfants déguenillés, à moitié morts de faim et
corrompus (248) ». Parmi les témoins que le
commissaire White entendit (1863), il y en avait deux cent soixante-dix
au-dessous de dix-huit ans, quarante au-dessous de dix, douze de huit ans et
cinq de six ans seulement. La journée de travail varie entre douze, quatorze et
quinze heures; on travaille la nuit; les repas irréguliers se prennent la
plupart du temps dans le local de la fabrique empoisonné par le phosphore. - Dante
trouverait les tortures de son enfer dépassées par celles de ces manufactures.
Dans la fabrique de tapisseries, les genres les plus
grossiers de tentures sont imprimés avec des machines, les plus fines avec la
main (block printing). La saison la plus active commence en octobre et
finit en avril. Pendant cette période le travail dure fréquemment et presque
sans interruption de 6 heures du matin à 10 heures du soir et se prolonge même
dans la nuit.
Ecoutons quelques déposants. - J. Leach : « L'hiver
dernier (1862), sur dix-neuf jeunes filles six ne parurent plus par suite de
maladies causées par l'excès de travail. Pour tenir les autres éveillées je
suis obligé de les secouer. » - W. Duffy : « Les enfants sont tellement
fatigués qu'ils ne peuvent tenir les yeux ouverts, et en réalité souvent
nous-mêmes nous ne le pouvons pas davantage. » - J. Lightbourne : « Je suis âgé
de treize ans... Nous avons travaillé l'hiver dernier jusqu'à 9 heures du soir
et l'hiver précédent jusqu'à 10 heures. Presque tous les soirs, cet hiver, mes
pieds étaient tellement blessés, que j'en pleurais de douleur. » - G. Apsden :
« Mon petit garçon que voici, j'avais coutume de le porter sur mon dos,
lorsqu'il avait sept ans, aller et retour de la fabrique, à cause de la neige,
et il travaillait ordinairement seize heures !... Bien souvent je me suis
agenouillé pour le faire manger pendant qu'il était à la machine, parce qu'il
ne devait ni l'abandonner, ni interrompre son travail. » - Smith, l'associé
gérant d'une fabrique de Manchester : « Nous (il veut dire ses « bras (249) » qui travaillent pour « nous »)
travaillons sans suspension de travail pour les repas, de sorte que la journée
habituelle de dix heures et demie est terminée vers 4 h 30 de l'après-midi, et
tout le reste est temps de travail en plus (250). (On se demande si ce M. Smith ne prend réellement
aucun repas pendant dix heures et demie !) Nous (le laborieux Smith) finissons
rarement avant 6 heures du soir (de consommer « nos machines humaines »,
veut-il dire), de sorte que nous (iterum Crispinus) travaillons en
réalité toute l'année avec un excédant de travail... Les enfants et les adultes
(cent cinquante-deux enfants et adolescents au-dessous de dix-huit ans et cent
quarante au-dessus) ont travaillé régulièrement et en moyenne pendant les
derniers dix-huit mois pour le moins sept jours et cinq heures ou
soixante-dix-huit heures et demie par semaine. Pour les six semaines finissant
au 2 mai de cette année (1863), la moyenne était plus élevée : huit jours ou
quatre-vingt-quatre heures par semaine ! Mais, - ajoute le susdit Smith avec un
ricanement de satisfaction, « le travail à la machine n'est pas pénible. » Il
est vrai que les fabricants qui emploient le block printing disent de
leur côté : « Le travail manuel est plus sain que le travail à la machine. » En
somme, messieurs les fabricants se prononcent énergiquement contre toute
proposition tendant à arrêter les machines même pendant l'heure des repas. «
Une loi, dit M. Otley, directeur d'une fabrique de tapisseries à Borough, une
loi qui nous accorderait des heures de travail de 6 heures du matin à 9 heures
du soir serait fort de notre goût; mais les heures du Factory Act de 6
heures du matin à 6 heures du soir ne nous vont point... Nous arrêtons notre
machine pendant le dîner (quelle générosité !). Pour ce qui est de la perte en
papier et en couleur occasionnée par cet arrêt, il ne vaut pas la peine d'en
parler; « telle quelle cependant, observe-t-il d'un air bonhomme, je comprends
qu'elle ne soit pas du goût de tout le monde. » Le rapport exprime naïvement
l'opinion que la crainte de faire perdre quelque profit en diminuant quelque
peu le temps du travail d'autrui n'est pas « une raison suffisante » pour
priver de leur dîner pendant douze à seize heures des enfants au-dessous de
treize ans et des adolescents au-dessous de dix-huit, ou pour le leur servir
comme on sert à la machine à vapeur du charbon et de l'eau, à la roue de
l'huile, etc., en un mot comme on fournit la matière auxiliaire à l'instrument
de travail dans le cours de la production (251).
Abstraction faite de la fabrication du pain à la
mécanique, encore toute récente, il n'y a pas d'industrie en Angleterre qui ait
conservé un mode de production aussi suranné que la boulangerie, comme le
prouverait plus d'un passage chez les poètes de l'empire romain. Mais le
capital, nous en avons fait la remarque, s'inquiète fort peu du caractère
technique du genre de travail dont il s'empare. Il le prend tout d'abord tel
qu'il le trouve.
L'incroyable falsification du pain, principalement à
Londres, fut mise en lumière pour la première fois (1855-56) par le comité de
la Chambre des communes « sur la falsification des subsistances » et dans
l'écrit du docteur Hassal : « Adulterations détected (252) ». Ces révélations eurent pour conséquence la loi du
6 août 1860 : « For preventing the adulteration of articles of food
and drink » (pour empêcher l'adultération des aliments et des
boissons), - loi qui resta sans effet, attendu qu'elle est pleine de
délicatesses pour tout libre-échangiste qui, par l'achat et la vente de
marchandises falsifiées, se propose de ramasser un honnête magot « to
turn an honest penny (253)
». Le comité lui-même formula plus ou moins naïvement sa conviction, que
commerce libre veut dire essentiellement commerce avec des matières falsifiées
ou, selon la spirituelle expression des Anglais, « sophistiquées ». Et en réalité,
ce genre de sophistique s'entend mieux que Protagoras à rendre le blanc noir et
le noir blanc, et mieux que les Eleates à démontrer ad oculos que tout
n'est qu'apparence (254).
Dans tous les cas, le comité avait appelé l'attention
du public sur ce « pain quotidien » et en même temps sur la boulangerie. Sur
ces entrefaites, les clameurs des garçons boulangers de Londres à propos de
leur travail excessif se firent entendre à la fois dans des meetings et dans
des pétitions adressées au Parlement. Ces clameurs devinrent si pressantes que
M. H. S. Tremenheere, déjà membre de la commission de 1863, mentionnée plus
haut, fut nommé commissaire royal pour faire une enquête à ce sujet. Son
rapport (255) et les dépositions qu'il contient,
émurent non le cœur du public, mais son estomac. L'Anglais, toujours à
califourchon sur la Bible, savait bien que l'homme est destiné à manger son
pain à la sueur de son front, si la grâce n'a pas daigné faire de lui un capitaliste,
un propriétaire foncier ou un budgétivore; mais il ignorait qu'il fut condamné
à manger chaque jour dans son pain « une certaine quantité de sueur humaine
délayée avec des toiles d'araignées, des cadavres de cancrelats, de la levure
pourrie et des évacuations d'ulcères purulents, sans parler de l'alun, du sable
et d'autres ingrédients minéraux tout aussi agréables ». Sans égard pour sa
Sainteté, « le Libre commerce », la « libre » boulangerie, fut soumise à
la surveillance d'inspecteurs nommés par l'Etat (fin de la session
parlementaire de 1863), et le travail de 9 heures du soir à 5 heures du matin
fut interdit par le même acte du Parlement pour les garçons boulangers
au-dessous de dix-huit ans. La dernière clause contient des volumes sur l'abus qui
se fait des forces du travailleur dans cet honnête et patriarcal métier.
« Le travail d'un ouvrier boulanger de Londres
commence régulièrement vers 11 heures du soir. Il fait d'abord le levain,
opération pénible qui dure de une demi-heure à trois quarts d'heure, suivant la
masse et la finesse de la pâte. il se couche ensuite sur la planche qui couvre
le pétrin et dort environ deux heures avec un sac de farine sous la tête et un
autre sac vide sur le corps. Ensuite commence un travail rapide et ininterrompu
de quatre heures pendant lesquelles il s'agit de pétrir, peser la pâte, lui
donner une forme, la mettre au four, l'en retirer, etc. La température d'une
boulangerie est ordinairement de 75 à 90 degrés, elle est même plus élevée
quand le local est petit. Les diverses opérations qui constituent la
fabrication du pain une fois terminées, on procède à sa distribution, et une
grande partie des ouvriers, après leur dur travail de nuit, portent le pain
pendant le jour dans des corbeilles, de maison en maison, ou le traînent sur
des charrettes, ce qui ne les empêche pas de travailler de temps à autre dans
la boulangerie. Suivant la saison de l'année et l'importance de la fabrication,
le travail finit entre 1 et 4 heures de l'après-midi, tandis qu'une autre partie
des ouvriers est encore occupée à l'intérieur, jusque vers minuit
(256). »
Pendant la saison à Londres, les ouvriers des
boulangers « full priced » (ceux qui vendent le pain au prix
normal) travaillent de 11 heures du soir à 8 heures du lendemain matin presque
sans interruption; on les emploie ensuite à porter le pain jusqu'à 4, 5, 6,
même 7 heures, ou quelquefois à faire du biscuit dans la boulangerie. Leur
ouvrage terminé, il leur est permis de dormir à peu près six heures; souvent
même ils ne dorment que cinq ou quatre heures. Le vendredi le travail commence
toujours plus tôt, ordinairement à 10 heures du soir et dure sans aucun répit,
qu'il s’agisse de préparer le pain ou de le porter, jusqu'au lendemain soir 8
heures, et le plus souvent jusqu'à 4 ou 5 heures de la nuit qui précède le
dimanche. Dans les boulangeries de premier ordre, où le pain se vend au « prix
normal », il y a même le dimanche quatre ou cinq heures de travail préparatoire
pour le lendemain. Les ouvriers des « underselling masters » (boulangers
qui vendent le pain au-dessous du prix normal) et ces derniers composent,
ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, plus des trois quarts des boulangers
de Londres, sont soumis à des heures de travail encore plus longues; mais leur
travail s'exécute presque tout entier dans la boulangerie, parce que leurs
patrons, à part quelques livraisons faites à des marchands en détail, ne
vendent que dans leur propre boutique. Vers « la fin de la semaine »,
c'est-à-dire le jeudi, le travail commence chez eux à 10 heures de la nuit et
se prolonge jusqu'au milieu et plus de la nuit du dimanche (257).
En ce qui concerne les « underselling masters », le
patron lui-même va jusqu'à reconnaître que c'est « le travail non payé » des
ouvriers (the unpaid labour, of the men), qui permet leur concurrence (258). Et le boulanger « full priced
» dénonce ces «underselling » concurrents à la
commission d'enquête comme des voleurs de travail d'autrui et des
falsificateurs. « Ils ne réussissent, s'écrie-t-il, que parce qu'ils trompent
le public et qu'ils tirent de leurs ouvriers dix-huit heures de travail pour un
salaire de douze (259).
»
La falsification du pain et la formation d'une classe
de boulangers vendant au-dessous du prix normal datent en Angleterre du
commencement du XVIII° siècle; elles se développèrent dès que le métier perdit
son caractère corporatif et que le capitaliste, sous la forme de meunier fit du
maître boulanger son homme-lige (260).
Ainsi fut consolidée la base de la production capitaliste et de la prolongation
outre mesure du travail de jour et de nuit, bien que ce dernier, même à
Londres, n'ait réellement pris pied qu'en 1824 (261).
On comprend d'après ce qui précède, que les garçons
boulangers soient classés dans le rapport de la commission parmi les ouvriers
dont la vie est courte et qui, après avoir par miracle échappé à la décimation
ordinaire des enfants dans toutes les couches de la classe ouvrière, atteignent
rarement l'âge de quarante-deux ans. Néanmoins leur métier regorge toujours de
postulants. Les sources d'approvisionnement de « ces forces de travail » pour
Londres, sont l'Ecosse, les districts agricoles de l'ouest de l'Angleterre et
l'Allemagne.
Dans les années 1858-60, les garçons boulangers en
Irlande organisèrent à leurs frais de grands meetings pour protester contre le
travail de nuit et le travail du dimanche. Le public, conformément à la nature
aisément inflammable de l'Irlandais, prit vivement parti pour eux en toute
occasion, par exemple au meeting de mai à Dublin. Par suite de ce mouvement, le
travail de jour exclusif fut établi en fait à Wexford, Kilkenny, Clonnel,
Waterford, etc. A Limerick, où de l'aveu général, les souffrances des ouvriers
dépassaient toute mesure, le mouvement échoua contre l'opposition des maîtres
boulangers et surtout des boulangers meuniers. L'exemple de Limerik réagit sur
Ennis et Tipperary. A Cork, où l'hostilité du public se manifesta de la manière
la plus vive, les maîtres firent échouer le mouvement en renvoyant leurs
ouvriers. A Dublin ils opposèrent la plus opiniâtre résistance et, en
poursuivant les principaux meneurs de l'agitation, forcèrent le reste à céder
et à se soumettre au travail de nuit et au travail du dimanche (262).
La commission du gouvernement anglais qui, en
Irlande, est armé jusqu'aux dents, prodigua de piteuses remontrances aux
impitoyables maîtres boulangers de Dublin, Limerik, Cork, etc.
« Le comité croit que les heures de travail sont
limitées par des lois naturelles qui ne peuvent être violées impunément. Les
maîtres, en forçant leurs ouvriers par la menace de les chasser, à blesser
leurs sentiments religieux, à désobéir à la loi du pays et à mépriser l'opinion
publique (tout ceci se rapporte au travail du dimanche), les maîtres sèment la
haine entre le capital et le travail et donnent un exemple dangereux pour la
religion, la moralité et l'ordre public... Le comité croit que la prolongation
du travail au-delà de douze heures est une véritable usurpation, un empiétement
sur la vie privée et domestique du travailleur, qui aboutit à des résultats
moraux désastreux; elle l'empêche de remplir ses devoirs de famille comme fils,
frère, époux et père. Un travail de plus de douze heures tend à miner la santé
de l'ouvrier; il amène pour lui la vieillesse et la mort prématurées, et, par suite,
le malheur de sa famille qui se trouve privée des soins et de l'appui de
son chef au moment même où elle en a le plus besoin (263). »
Quittons maintenant l'Irlande. De l'autre côté du
canal, en Ecosse, le travailleur des champs, l'homme de la charrue, dénonce ses
treize et quatorze heures de travail dans un climat des plus rudes, avec un
travail additionnel de quatre heures pour le dimanche (dans ce pays des
sanctificateurs du sabbat (264) !),
au moment même où devant un grand jury de Londres sont traînés trois ouvriers
de chemins de fer, un simple employé, un conducteur de locomotive et un faiseur
de signaux. Une catastrophe sur la voie ferrée a expédié dans l'autre monde une
centaine de voyageurs. La négligence des ouvriers est accusée d'être la cause
de ce malheur. Ils déclarent tous d'une seule voix devant les jurés que dix ou
douze ans auparavant leur travail ne durait que huit heures par jour. Pendant
les cinq et six dernières années on l'a fait monter à quatorze, dix-huit et
vingt heures, et dans certains moments de presse pour les amateurs de voyage,
dans la période des trains de plaisir, etc., il n'est pas rare qu'il dure de
quarante à cinquante heures. Ils sont des hommes ordinaires, et non des Argus.
A un moment donné, leur force de travail refuse son service; la torpeur les
saisit; leur cerveau cesse de penser et leur oeil de voir. Le respectable jury
anglais leur répond par un verdict qui les renvoie pour « manslaughter »
(homicide involontaire) devant les prochaines assises. Cependant il exprime
dans un appendice charitable le pieux désir que messieurs les capitalistes, ces
magnats des chemins de fer, voudront bien à l'avenir montrer plus de
prodigalité dans l'achat d'un nombre suffisant de « forces de travail » et
moins « d'abnégation » dans l'épuisement des forces payées (265).
Dans la foule bigarrée des travailleurs de toute
profession, de tout âge et de tout sexe qui se pressent devant nous plus
nombreux que les âmes des morts devant Ulysse aux enfers, et sur lesquels, sans
ouvrir les Livres Bleus qu ils portent sous le bras, on reconnaît au premier
coup d’œil l'empreinte du travail excessif, saisissons encore au passage deux
figures dont le contraste frappant prouve que devant le capital tous les hommes
sont égaux - une modiste et un forgeron.
Dans les dernières semaines de juin 1863, tous les
journaux de Londres publiaient un article avec ce titre à sensation : « Death
from simple overwork » (mort par simple excès de travail). Il
s'agissait de la mort de la modiste Mary Anne Walkley, âgée de vingt ans,
employée dans un très respectable atelier qu'exploitait une dame portant le
doux nom d'Elise, fournisseuse de la cour. C'était la vieille histoire si souvent
racontée (266). Il était bien vrai que les jeunes
ouvrières ne travaillaient en moyenne que seize heures et demie par jour, et
pendant la saison seulement trente heures de suite sans relâche; il était vrai
aussi que pour ranimer leurs forces de travail défaillantes, on leur accordait
quelques verres de Sherry, de Porto ou de café. Or on était en pleine saison.
Il s'agissait de bâtir en un clin d’œil des toilettes pour de nobles ladies
allant au bal donné en l'honneur de la princesse de Galles, fraîchement
importée. Mary-Anne Walkley avait travaillé vingt-six heures et demie sans
interruption avec soixante autres jeunes filles. Il faut dire que ces jeunes
filles se trouvaient trente dans une chambre contenant à peine un tiers de la
masse cubique d'air nécessaire, et la nuit dormaient à deux dans un taudis où
chaque chambre à coucher était faite à l'aide de diverses cloisons en planches (267). Et c'était là un des meilleurs
ateliers de modes. Mary-Anne Walkley tomba malade le vendredi et mourut le
dimanche sans avoir, au grand étonnement de dame Elise, donné à son ouvrage le
dernier point d'aiguille. Le médecin appelé trop tard au lit de mort, M. Keys,
déclara tout net devant le Coroner's Jury que : Marie-Anne Walkley
était morte par suite de longues heures de travail dans un local d'atelier trop
plein et dans une chambre à coucher trop étroite et sans ventilation. Le «
Coroner's Jury », pour donner au médecin une leçon de savoir-vivre, déclara au
contraire que : la défunte était morte d'apoplexie, mais qu'il y avait lieu de
craindre que sa mort n'eût été accélérée par un excès de travail dans un
atelier trop plein, etc. « Nos esclaves blancs, s'écria le Morning Star, l'organe
des libres-échangistes Cobden et Bright, nos esclaves blancs sont les victimes
du travail qui les conduit au tombeau; ils s'épuisent et meurent sans tambour
ni trompette (268). »
« Travailler à mort, tel est
l'ordre du jour, non seulement dans le magasin des modistes, mais encore dans
n'importe quel métier. Prenons pour exemple le forgeron. Si l'on en croit les
poètes, il n'y a pas d'homme plus robuste, plus débordant de vie et de gaieté
que le forgeron. Il se lève de bon matin et fait jaillir des étincelles avant
le soleil. Il mange et boit et dort comme pas un. Au point de vue physique, il
se trouve en fait, si son travail est modéré, dans une des meilleures
conditions humaines. Mais suivons-le à la ville et examinons quel poids de
travail est chargé sur cet homme fort et quel rang il occupe sur la liste de
mortalité de notre pays. A Marylebone (un des plus grands quartiers de
Londres), les forgerons meurent dans la proportion de trente et un sur mille
annuellement, chiffre qui dépasse de onze la moyenne de mortalité des adultes
en Angleterre. Cette occupation, un art presque instinctif de l'humanité,
devient par la simple exagération du travail, destructive de l'homme. Il peut
frapper par jour tant de coups de marteau, faire tant de pas, respirer tant de
fois, exécuter tant de travail et vivre en moyenne cinquante ans. On le force à
frapper tant de coups de plus, à faire un si grand nombre de pas en plus, à
respirer tant de fois davantage, et le tout pris ensemble, à augmenter d'un
quart sa dépense de vie quotidienne. Il l'essaie, quel en est le résultat ?
C'est que pour une période limitée il accomplit un quart de plus de travail et
meurt à trente-sept ans au lieu de cinquante (269). »
IV. Travail de jour et nuit. – Le système des relais
Les moyens de production, le capital constant,
considérés au point de vue de la fabrication de la plus-value, n'existent que
pour absorber avec chaque goutte de travail un quantum proportionnel de travail
extra. Tant qu'ils ne s'acquittent pas de cette fonction, leur simple existence
forme pour le capitaliste une perte négative, car ils représentent pendant tout
le temps qu'ils restent, pour ainsi dire, en friche, une avance inutile de
capital, et cette perte devient positive dès qu'ils exigent pendant les
intervalles de repos des dépenses supplémentaires pour préparer la reprise de
l'ouvrage. La prolongation de la journée de travail au-delà des bornes du jour
naturel, c'est-à-dire jusque dans la nuit, n'agit que comme palliatif, n'apaise
qu'approximativement la soif de vampire du capital pour le sang vivant du
travail. La tendance immanente de la production capitaliste est donc de
s'approprier le travail pendant les vingt-quatre heures du jour. Mais comme
cela est physiquement impossible, si l'on veut exploiter toujours les mêmes
forces sans interruption, il faut, pour triompher de cet obstacle physique, une
alternance entre les forces de travail employées de nuit et de jour, alternance
qu'on peut obtenir par diverses méthodes. Une partie du personnel de l'atelier
peut, par exemple, faire pendant une semaine le service de jour et pendant
l'autre semaine le service de nuit. Chacun sait que ce système de relais
prédominait dans la première période de l'industrie cotonnière anglaise
et qu'aujourd'hui même, à Moscou, il est en vigueur dans cette industrie.
Le procès de travail non interrompu durant les heures
de jour et de nuit est appliqué encore dans beaucoup de branches d'industrie de
la Grande-Bretagne « libres » jusqu'à présent, entre autres dans les hauts
fourneaux, les forges, les laminoirs et autres établissements métallurgiques
d'Angleterre, du pays de Galles et d'Écosse. Outre les heures des jours
ouvrables de la semaine, le procès de la production comprend encore les heures
du dimanche. Le personnel se compose d'hommes et de femmes, d'adultes et
d'enfants des deux sexes. L'âge des enfants et des adolescents parcourt tous
les degrés depuis huit ans (dans quelques cas six ans) jusqu'à dix-huit (270). Dans certaines branches
d'industrie, hommes, femmes, jeunes filles travaillent pêle-mêle pendant la
nuit (271).
Abstraction faite de l'influence généralement
pernicieuse du travail de nuit (272),
la durée ininterrompue des opérations pendant vingt-quatre heures offre
l'occasion toujours cherchée et toujours bienvenue de dépasser la limite
nominale de la journée de travail. Par exemple dans les branches d'industrie
extrêmement fatigantes que nous venons de citer, la journée de travail
officielle comprend pour chaque travailleur douze heures au plus, heures de
nuit ou heures de jour. Mais le travail en plus au-delà de cette limite est
dans beaucoup de cas, pour nous servir des expressions du rapport officiel
anglais, « réellement épouvantable » (truly fearful (273)). « Aucun être humain, y est-il dit, ne peut
réfléchir à la masse de travail qui, d'après les dépositions des témoins, est
exécutée par des enfants de neuf à douze ans, sans conclure irrésistiblement
que cet abus de pouvoir de la part des parents et des entrepreneurs ne doit pas
être permis une minute de plus (274).
»
« La méthode qui consiste en général à faire
travailler des enfants alternativement jour et nuit, conduit à une prolongation
scandaleuse de la journée de travail, aussi bien quand les opérations sont
pressées que lorsqu'elles suivent leur marche ordinaire. Cette prolongation est
dans un grand nombre de cas non seulement cruelle, mais encore incroyable. Il
arrive évidemment que pour une cause ou l'autre un petit garçon de relais fasse
défaut çà et là. Un ou plusieurs de ceux qui sont présents et qui ont déjà
terminé leur journée doivent alors prendre la place de l'absent. Ce système est
si connu, que le directeur d'une laminerie auquel je demandais comment
s'effectuait le remplacement des relayeurs absents me répondit : « Vous le
savez aussi bien que moi », et il ne fit aucune difficulté pour m'avouer que
les choses se passaient ainsi (275). »
« Dans une laminerie où la journée de travail
nominale pour chaque ouvrier était de onze heures et demie, un jeune garçon
travaillait au moins quatre nuits par semaine jusqu'à 8 h 30 du soir du jour
suivant et cela dura pendant les six mois pour lesquels il était engagé. Un
autre âgé de neuf ans travaillait jusqu'à trois services de relais successifs,
de douze heures chacun et à l'âge de dix ans deux jours et deux nuits de suite.
Un troisième maintenant âgé de dix ans travaillait depuis 8 heures du matin
jusqu'à minuit pendant trois nuits et jusqu'à 9 heures du soir les autres nuits
de la semaine. Un quatrième maintenant âgé de treize ans travaillait depuis 6
heures du soir jusqu'au lendemain midi pendant toute une semaine et parfois
trois services de relais l'un après l'autre depuis le matin du lundi jusqu'à la
nuit du mardi. Un cinquième qui a aujourd'hui douze ans a travaillé dans une
fonderie de fer à Stavely depuis 6 heures du matin jusqu'à minuit pendant
quatorze jours; il est incapable de continuer plus longtemps. George
Allinsworth âgé de neuf ans : « Je suis venu ici vendredi dernier. Le lendemain
nous devions commencer à 3 heures du matin. Je suis donc resté toute la nuit
ici. J'habite à cinq milles d'ici. J'ai dormi dans les champs avec un tablier
de cuir sous moi et une petite jaquette par-dessus. Les deux autres jours
j'étais ici vers 6 heures du matin. Ah! c'est un endroit où il fait chaud !
Avant de venir ici, j'ai travaillé également dans un haut fourneau pendant
toute une année. C'était une bien grande usine dans la campagne. Je commençais
aussi le samedi matin à 3 heures; mais je pouvais du moins aller dormir chez
moi, parce que ce n'était pas loin. Les autres jours je commençais à 6 heures
du matin et finissais à 6 ou 7 heures du soir, etc (276). »
Ecoutons maintenant le capital lui-même exprimant sa
manière de voir sur ce travail de vingt-quatre heures sans interruption. Les exagérations
de ce système, ses abus, sa cruelle et incroyable prolongation de la journée,
sont naturellement passés sous silence. Il ne parle du système que dans sa
forme normale.
MM. Naylor et Wickers, fabricants d'acier, qui
emploient de six cents à sept cents personnes, dont dix pour cent au-dessous de
dix-huit ans, sur lesquels vingt petits garçons seulement font partie du
personnel de nuit, s'expriment de la manière suivante :
« Les jeunes garçons ne souffrent pas le moins du
monde de la chaleur. La température est probablement de 86 à 90 degrés
Fahrenheit. A la forge et au laminoir, les bras travaillent jour et nuit en se
relayant; mais, par contre, tout autre ouvrage se fait. le jour, de 6 heures du
matin à 6 heures du soir. Dans la forge, le travail a lieu de midi à minuit.
Quelques ouvriers travaillent continuellement de nuit sans alterner,
c'est-à-dire jamais le jour. Nous ne trouvons pas que le travail, qu'il
s'exécute le jour ou la nuit, fasse la moindre différence pour la santé (de MM.
Naylor et Wickers bien entendu ?), et vraisemblablement les gens dorment mieux
quand ils jouissent de la même période de repos que lorsque cette période
varie... Vingt enfants environ travaillent la nuit avec les hommes... Nous ne
pourrions bien aller (not well do) sans le travail de nuit de garçons
au-dessous de dix-huit ans. Notre grande objection serait l'augmentation des
frais de production... Il est difficile d'avoir des contremaîtres habiles et
des « bras » intelligents : mais des jeunes garçons, on en obtient tant qu'on
en veut... Naturellement, eu égard à la faible proportion de jeunes garçons que
nous employons, une limitation du travail de nuit serait de peu d'importance ou
de peu d'intérêt pour nous (277). »
M. J. Ellis, de la maison John Brown et Cie,
fabricants de fer et d'acier, employant trois mille ouvriers, hommes et jeunes
garçons, « jour et nuit , par relais », pour la partie difficile du travail,
déclare que dans la pénible fabrication de l'acier, les jeunes garçons forment
le tiers ou la moitié des hommes. Leur usine en compte cinq cents au-dessous de
dix-huit ans, dont un tiers ou cent soixante-dix de moins de treize ans. Il
dit, à propos de la réforme législative proposée :
« Je ne crois pas qu'il y aurait beaucoup à redire
(very objectionable) de ne faire travailler aucun adolescent au-dessous de
dix-huit ans que douze heures sur vingt-quatre. Mais je ne crois pas qu'on
puisse tracer une ligne quelconque de démarcation pour nous empêcher d'employer
des garçons au-dessus de douze ans dans le travail de nuit. Nous, accepterions
bien plutôt, ajoute-t-il dans le même style, une loi d'après laquelle il nous
serait interdit d'employer la nuit des garçons au-dessous de treize et même de
quatorze ans, qu'une défense de nous servir pour le travail de nuit de ceux que
nous avons une bonne fois. Les garçons qui travaillent dans la série de jour
doivent aussi alternativement travailler dans la série de nuit, parce que les
hommes ne peuvent pas exécuter constamment le travail de nuit, cela ruinerait
leur santé. Nous croyons cependant que le travail de nuit, quand il se fait à
une semaine d'intervalle, ne cause aucun dommage (MM. Naylor et Wickers
affirmaient le contraire pour justifier le travail de nuit sans intermittence,
tel qu'il se pratique chez eux). Nous trouvons que les gens qui accomplissent
le travail de nuit en alternant possèdent une santé tout aussi bonne que ceux
qui ne travaillent que le jour... Nos objections contre le non-emploi de
garçons au-dessous de dix-huit ans au travail de nuit seraient tirées de ce que
nos dépenses subiraient une augmentation; mais c'est aussi la seule raison (on
ne saurait être plus naïvement cynique !). Nous croyons que cette augmentation
serait plus grande que notre commerce (the trade), avec la considération que
l'on doit à son exécution prospère, ne pourrait convenablement le supporter.(As
the trade with due regard to, etc., could fairly bear !) (Quelle phraséologie
!) Le travail est rare ici et pourrait devenir insuffisant par suite d'un règlement
de ce genre. »
(C'est-à-dire, Ellis, Brown et Cie pourraient tomber
dans le fatal embarras d'être obligés de payer la force de travail tout ce
qu'elle vaut (278).)
Les « forges cyclopéennes de fer et d'acier » de MM.
Cammell et Cie sont dirigées de la même manière que les précédentes. Le
directeur gérant avait remis de sa propre main son témoignage écrit au
commissaire du gouvernement, M. White, mais plus tard il trouva bon de
supprimer son manuscrit qu'on lui avait rendu sur le désir exprimé par lui de
le réviser. M. White cependant a une mémoire tenace. Il se souvient très
exactement que, pour messieurs les cyclopes, l'interdiction du travail de nuit
des enfants et des adolescents est une « chose impossible; ce serait vouloir
arrêter tous leurs travaux », et cependant leur personnel compte un peu moins
de six pour cent de garçons au-dessous de dix-huit ans, et un pour cent
seulement audessous de treize (279)
!
M. E. F. Sanderson, de la raison sociale Sanderson,
Bros et Cie, fabrication d'acier, laminage et forge à Attercliffe, exprime
ainsi son opinion sur le même sujet :
« L'interdiction du travail de nuit pour les garçons
au-dessous de dix-huit ans ferait naître de grandes difficultés. La principale
proviendrait de l'augmentation de frais qu'entraînerait nécessairement le
remplacement des enfants par des hommes. A combien ces frais se monteraient-ils
? Je ne puis le dire; mais vraisemblablement ils ne s'élèveraient pas assez
haut pour que le fabricant pût élever le prix de l'acier, et conséquemment
toute la perte retomberait sur lui, attendu que les hommes (quel manque de
dévouement) refuseraient naturellement de la subir. »
Maître Sanderson ne sait pas combien il paye le
travail des enfants, mais
« peut-être monte-t-il jusqu'à quatre ou cinq
shillings par tête et par semaine... Leur genre de travail est tel qu'en
général (mais ce n'est pas toujours le cas) la force des enfants y suffit
exactement, de sorte que la force supérieure des hommes ne donnerait lieu à
aucun bénéfice pour compenser la perte, si ce n'est dans quelques cas peu
nombreux, alors que le métal est difficile à manier. Aussi bien les enfants
doivent commencer jeunes pour apprendre le métier. Le travail de jour seul ne
les mènerait pas à ce but. »
Et pourquoi pas ? Qu'est-ce qui empêcherait les
jeunes garçons d'apprendre leur métier pendant le jour ? Allons ! Donne ta
raison !
« C'est que les hommes, qui chaque semaine
travaillent alternativement tantôt le jour, tantôt la nuit, séparés pendant ce
temps des garçons de leur série, perdraient la moitié des profits qu'ils en
tirent. La direction qu'ils donnent est comptée comme partie du salaire de ces
garçons et permet aux hommes d'obtenir ce jeune travail à meilleur marché.
Chaque homme perdrait la moitié de son profit. (En d'autres termes, les MM.
Sanderson seraient obligés de payer une partie du salaire des hommes de leur
propre poche, au lieu de le payer avec le travail de nuit des enfants. Le profit
de MM. Sanderson diminuerait ainsi quelque peu, et telle est la vraie raison
sandersonienne qui explique pourquoi les enfants ne pourraient pas apprendre
leur métier pendant le jour) (280). Ce n'est pas tout. Les hommes qui maintenant sont relayés par les
jeunes garçons verraient retomber sur eux tout le travail de nuit régulier et
ne pourraient pas le supporter. Bref, les difficultés seraient si grandes
qu'elles conduiraient vraisemblablement à la suppression totale du travail de
nuit. » -
« Pour ce qui est de la production même de l'acier,
dit E. F. Sanderson, ça ne ferait pas la moindre différence, mais ! »
Mais MM. Sanderson ont autre chose à faire qu'à
fabriquer de l'acier. La fabrication de l'acier est un simple prétexte pour la
fabrication de la plus-value. Les fourneaux de forge, les laminoirs, etc., les
constructions, les machines, le fer, le charbon ont autre chose à faire qu'à se
transformer en acier. Ils sont là pour absorber du travail extra, et ils en
absorbent naturellement plus en vingt-quatre heures qu'en douze. De par Dieu et
de par le Droit ils donnent à tous les Sandersons une hypothèque de
vingt-quatre heures pleines par jour sur le temps de travail d'un certain
nombre de bras, et perdent leur caractère de capital, c'est-à-dire sont pure
perte pour les Sandersons, dès que leur fonction d'absorber du travail est
interrompue. « Mais alors il y aurait la perte de machines si coûteuses qui
chômeraient la moitié du temps, et pour une masse de produits, telle que nous sommes
capables de la livrer avec le présent système, il nous faudrait doubler nos
bâtiments et nos machines, ce qui doublerait la dépense. » Mais pourquoi
précisément ces Sandersons jouiraient-ils du privilège de l'exploitation du
travail de nuit, de préférence à d'autres capitalistes qui ne font travailler
que le jour et dont les machines, les bâtiments, les matières premières chôment
par conséquent la nuit ?
« C'est vrai, répond E. F. Sanderson au nom de tous
les Sandersons, c'est très vrai. La perte causée par le chômage des machines
atteint toutes les manufactures où l'on ne travaille que le jour. Mais l'usage
des fourneaux de forge causerait dans notre cas une perte extra. Si on les
entretenait en marche, il se dilapiderait du matériel combustible (tandis que
maintenant c'est le matériel vital des travailleurs qui est dilapidé); si on
arrêtait leur marche, cela occasionnerait une perte de temps pour rallumer le
feu et obtenir le degré de chaleur nécessaire (tandis que la perte du temps de
sommeil subie même par des enfants de huit ans est gain de travail pour la
tribu des Sandersons) ; enfin les fourneaux eux-mêmes auraient à souffrir
des variations de température »,
tandis que ces mêmes fourneaux ne
souffrent aucunement des variations de travail (281).
V. Lois coercitives pour la prolongation de la journée de travail depuis
le milieu du XIV° jusqu’à la fin du XVII° siècle
Qu'est-ce qu'une journée de travail ? Quelle est la
durée du temps pendant lequel le capital a le droit de consommer la force de
travail dont il achète la valeur pour un jour ? Jusqu'à quel point la journée
peut-elle être prolongée au-delà du travail nécessaire à la reproduction de
cette force ? A toutes ces questions, comme on a pu le voir, le capital répond :
la journée de travail comprend vingt-quatre heures pleines, déduction faite des
quelques heures de repos sans lesquelles la force de travail refuse absolument
de reprendre son service. Il est évident par soi-même que le travailleur n'est
rien autre chose sa vie durant que force de travail, et qu'en conséquence tout
son temps disponible est de droit et naturellement temps de travail appartenant
au capital et à la capitalisation. Du temps pour l'éducation, pour le
développement intellectuel, pour l'accomplissement de fonctions sociales, pour
les relations avec parents et amis, pour le libre jeu des forces du corps et de
l'esprit, même pour la célébration du dimanche, et cela dans le pays des
sanctificateurs du dimanche (282),
pure niaiserie ! Mais dans sa passion aveugle et démesurée, dans sa
gloutonnerie de travail extra, le capital dépasse non seulement les limites
morales, mais encore la limite physiologique extrême de la journée de travail.
Il usurpe le temps qu'exigent la croissance, le développement et l'entretien du
corps en bonne santé. Il vole le temps qui devrait être employé à respirer
l'air libre et à jouir de la lumière du soleil. Il lésine sur le temps des
repas et l'incorpore, toutes les fois qu'il le peut, au procès même de la
production, de sorte que le travailleur, rabaissé au rôle de simple instrument,
se voit fournir sa nourriture comme on fournit du charbon à la chaudière, de
l'huile et du suif à la machine. Il réduit le temps du sommeil, destiné à
renouveler et à rafraichir la force vitale, au minimum d'heures de lourde
torpeur sans lequel l'organisme épuisé ne pourrait plus fonctionner. Bien loin
que ce soit l'entretien normal de la force de travail qui serve de règle pour
la limitation de la journée de travail, c'est au contraire la plus grande
dépense possible par jour, si violente et si pénible qu'elle soit, qui règle la
mesure du temps de répit de l'ouvrier. Le capital ne s'inquiète point de la
durée de la force de travail. Ce qui l'intéresse uniquement, c'est le maximum
qui peut en être dépensé dans une journée. Et il atteint son but en abrégeant
la vie du travailleur, de même qu'un agriculteur avide obtient de son sol un
plus fort rendement en épuisant sa fertilité.
La production capitaliste, qui est essentiellement
production de plus-value, absorption de travail extra, ne produit donc pas
seulement par la prolongation de la journée qu'elle impose la détérioration de
la force de travail de l'homme, en la privant de ses conditions normales de
fonctionnement et de développement, soit au physique, soit au moral; - elle
produit l'épuisement et la mort précoce de cette force (283). Elle prolonge la période productive du travailleur
pendant un certain laps de temps en abrégeant la durée de sa vie.
Mais la valeur de la force de travail comprend la
valeur des marchandises sans lesquelles la reproduction du salarié ou la
propagation de sa classe seraient impossibles. Si donc la prolongation contre
nature de la journée de travail, à laquelle aspire nécessairement le capital en
raison de son penchant démesuré à se faire valoir toujours davantage,
raccourcit la période vitale des ouvriers, et par suite la durée de leurs
forces de travail, la compensation des forces usées doit être nécessairement plus
rapide, et en même temps la somme des frais qu'exige leur reproduction plus
considérable, de même que pour une machine la portion de valeur qui doit être
reproduite chaque jour est d'autant plus grande que la machine s'use plus vite.
Il semblerait en conséquence que l'intérêt même du capital réclame de lui une
journée de travail normale.
Le propriétaire d'esclaves achète son travailleur
comme il achète son bœuf. En perdant l'esclave il perd un capital qu'il ne peut
rétablir que par un nouveau déboursé sur le marché. Mais,
« si fatale et si destructive que soit l'influence
des champs de riz de la Géorgie et des marais du Mississipi sur la constitution
de l'homme, la destruction qui s'y fait de la vie humaine n'y est jamais assez
grande pour qu'elle ne puisse être réparée par le trop-plein des réservoirs de
la Virginie et du Kentucky. Les considérations économiques qui pourraient
jusqu'à un certain point garantir à l'esclave un traitement humain, si sa
conservation et l'intérêt de son maître étaient identiques, se changent en
autant de raisons de ruine absolue pour lui quand le commerce d'esclaves est
permis. Dès lors, en effet, qu'il peut être remplacé facilement par des nègres
étrangers, la durée de sa vie devient moins importante que sa productivité. Aussi
est-ce une maxime dans les pays esclavagistes que l'économie la plus efficace
consiste à pressurer le bétail humain (human chaule), de telle sorte qu'il
fournisse le plus grand rendement possible dans le temps le plus court. C'est
sous les tropiques, là même où les profits annuels de la culture égalent
souvent le capital entier des plantations, que la vie des nègres est sacrifiée
sans le moindre scrupule. C'est l'agriculture de l'Inde occidentale, berceau
séculaire de richesses fabuleuses, qui a englouti des millions d'hommes de race
africaine. C'est aujourd'hui à Cuba, dont les revenus se comptent par millions,
et dont les planteurs sont des nababs, que nous voyons la classe des esclaves
non seulement nourrie de la façon la plus grossière et en butte aux vexations
les plus acharnées, mais encore détruite directement en grande partie par la
longue torture d'un travail excessif et le manque de sommeil et de repos (284). »
Mutato nomine de te fabula narratur ! Au lieu de commerce d'esclaves
lisez marché du travail, au lieu de Virginie et Kentucky, lisez Irlande et les
districts agricoles d’Angleterre, d'Écosse et du pays de Galles; au lieu
d'Afrique, lisez Allemagne. Il est notoire que l'excès de travail moissonne les
raffineurs de Londres, et néanmoins le marché du travail à Londres regorge
constamment de candidats pour la raffinerie, allemands la plupart, voués à une
mort prématurée. La poterie est également une des branches d'industrie qui fait
le plus de victimes. Manque-t-il pour cela de potiers ? Josiah Wedgwood,
l'inventeur de la poterie moderne, d'abord simple ouvrier lui-même, déclarait
en 1785 devant la Chambre des communes que toutes les manufactures occupaient
de quinze à vingt mille personnes (285).
En 1861, la population seule des sièges de cette industrie, disséminée dans les
villes de la Grande-Bretagne, en comprenait cent un mille trois cent deux.
« L'industrie cotonnière date de quatre-vingt-dix
ans... En trois générations de la race anglaise, elle a dévoré neuf générations
d'ouvriers (286). »
A vrai dire, dans certaines époques d'activité
fiévreuse, le marché du travail a présenté des vides qui donnaient à réfléchir.
Il en fut ainsi, par exemple, en 1834; mais alors messieurs les fabricants
proposèrent aux Poor Law Commissioners d'envoyer dans le Nord l'excès de
population des districts agricoles, déclarant « qu'ils se chargeaient de les
absorber et de les consommer (287)
». C'étaient leurs propres paroles.
« Des agents furent envoyés à Manchester avec
l'autorisation des Poor Law Commissioners. Des listes de travailleurs agricoles
furent confectionnées et remises aux susdits agents. Les fabricants coururent
dans les bureaux, et après qu'ils eurent choisi ce qui leur convenait, les
familles furent expédiées du sud de l'Angleterre. Ces paquets d'hommes furent
livrés avec des étiquettes comme des ballots de marchandises, et transportés
par la voie des canaux, ou dans des chariots à bagages. Quelques-uns suivaient
à pied, et beaucoup d'entre eux erraient çà et là égarés et demi-morts de faim
dans les districts manufacturiers. La Chambre des communes pourra à peine le
croire, ce commerce régulier, ce trafic de chair humaine ne fit que se
développer, et les hommes furent achetés et vendus par les agents de Manchester
aux fabricants de Manchester, tout aussi méthodiquement que les nègres aux
planteurs des Etats du Sud... L'année 1860 marque le zénith de l'industrie
cotonnière. Les bras manquèrent de nouveau, et de nouveau les fabricants
s'adressèrent aux marchands de chair, et ceux-ci se mirent à fouiller les dunes
de Dorset, les collines de Devon et les plaines de Wilts; mais l'excès de
population était déjà dévoré. Le Bury Guardian se lamenta; après la conclusion
du traité de commerce anglo-français, s'écria-t-il, dix mille bras de plus
pourraient être absorbés, et bientôt il en faudra trente ou quarante mille
encore ! Quand les agents et sous-agents du commerce de chair humaine eurent
parcouru à peu près sans résultat, en 1860, les districts agricoles, les
fabricants envoyèrent une députation à M. Villiers, le président du Poor Law
Board, pour obtenir de nouveau qu'on leur procurât comme auparavant des enfants
pauvres ou des orphelins des Workhouses (288). »
L'expérience montre en général au capitaliste qu'il y
a un excès constant de population, c'est-à-dire excès par rapport au besoin
momentané du capital, bien que cette masse surabondante soit formée de
générations humaines mal venues, rabougries, promptes à s'éteindre, s'éliminant
hâtivement les unes les autres et cueillies, pour ainsi dire, avant maturité (289). L'expérience montre aussi, à
l'observateur intelligent, avec quelle rapidité la production capitaliste qui,
historiquement parlant, date d'hier, attaque à la racine même la substance et
la force du peuple, elle lui montre comment la dégénérescence de la population
industrielle n'est ralentie que par l'absorption constante d'éléments nouveaux
empruntés aux campagnes, et comment les travailleurs des champs, malgré l'air
pur et malgré le principe de « sélection naturelle » qui règne si puissamment
parmi eux et ne laisse croître que les plus forts individus, commencent
eux-même à dépérir (290).
Mais le capital, qui a de si « bonnes raisons » pour nier les souffrances de la
population ouvrière qui l'entoure, est aussi peu ou tout autant influencé dans
sa pratique par la perspective de la pourriture de l'humanité et finalement de
sa dépopulation, que par la chute possible de la terre sur le soleil. Dans
toute affaire de spéculation, chacun sait que la débâcle viendra un jour, mais
chacun espère qu'elle emportera son voisin après qu'il aura lui-même recueilli
la pluie d'or au passage et l'aura mise en sûreté. Après moi le déluge ! Telle
est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital ne
s'inquiète donc point de la santé et de la durée de la vie du travailleur, s'il
n'y est pas contraint par la société (291).
A toute plainte élevée contre lui à propos de dégradation physique et
intellectuelle, de mort prématurée, de tortures du travail excessif, il répond
simplement : « Pourquoi nous tourmenter de ces tourments, puisqu'ils augmentent
nos joies (nos profits) (292)
? » Il est vrai qu'à prendre les choses dans leur ensemble, cela ne dépend pas
non plus de la bonne ou mauvaise volonté du capitaliste individuel. La libre
concurrence impose aux capitalistes les lois immanentes de la production
capitaliste comme lois coercitives externes (293).
L'établissement d'une journée de travail normale est
le résultat d'une lutte de plusieurs siècles entre le capitaliste et le
travailleur. Cependant l'histoire de cette lutte présente deux courants
opposés. Que l'on compare, par exemple, la législation manufacturière anglaise
de notre époque avec les statuts du travail en Angleterre depuis le XIV°
jusqu'au-delà de la moitié du XVIII° siècle (294). Tandis que la législation moderne raccourcit
violemment la journée de travail, ces anciens statuts essayent violemment de la
prolonger. Assurément les prétentions du capital encore à l'état d'embryon,
alors qu'en train de grandir il cherche à s'assurer son droit à l'absorption
d'un quantum suffisant de travail extra, non par la puissance seule des
conditions économiques, mais avec l'aide des pouvoirs publics, nous paraissent
tout à fait modestes, si nous les comparons aux concessions que, une fois
arrivé à l'âge mûr, il est contraint de faire en rechignant. Il faut, en effet,
des siècles pour que le travailleur « libre », par suite du développement de la
production capitaliste, se prête volontairement, c'est-à-dire soit contraint
socialement à vendre tout son temps de vie active, sa capacité de travail
elle-même, pour le prix de ses moyens de subsistance habituels, son droit
d'aînesse pour un plat de lentilles. Il est donc naturel que la prolongation de
la journée de travail, que le capital, depuis le milieu du XIV° jusqu'à la fin
du XVII° siècle, cherche à imposer avec l'aide de l'État aux hommes,
corresponde à peu de chose près à la limite du temps de travail que l'Etat décrète
et impose çà et là dans la seconde moitié du XIX° siècle pour empêcher la
transformation du sang d'enfants en capital. Ce qui aujourd'hui, par exemple,
dans le Massachusetts, tout récemment encore l'Etat le plus libre de l'Amérique
du Nord, est proclamé la limite légale du temps de travail d'enfants au-dessous
de douze ans, était en Angleterre, au milieu du XVII° siècle, la journée de
travail normale de vigoureux artisans, de robustes garçons de ferme et
d'athlétiques forgerons (295).
Le premier « Statute of Labourers » (Edouard III,
1349) trouva son prétexte immédiat, - non sa cause, car la législation de ce
genre dure des siècles après que le prétexte a disparu - dans la grande peste
qui décima la population, à tel point que, suivant l’expression d'un écrivain
Tory, « la difficulté de se procurer des ouvriers à des prix raisonnables,
(c'est-à-dire à des prix qui laissassent à leurs patrons un quantum raisonnable
de travail extra) devint en réalité insupportable (296) ». En conséquence la loi se chargea de dicter des
salaires raisonnables ainsi que de fixer la limite de la journée de travail. Ce
dernier point qui nous intéresse seul ici est reproduit dans le statut de 1496 (sous
Henri VIII). La journée de travail pour tous les artisans (artificiers) et
travailleurs agricoles, de mars en septembre, devait alors durer, ce qui
cependant ne fut jamais mis à exécution, de 5 heures du matin à 7 heures et 8
heures du soir; mais les heures de repas comprenaient une heure pour le
déjeuner, une heure et demie pour le dîner et une demi-heure pour la collation
vers 4 heures, c'est-à-dire précisément le double du temps fixé par le Factory
Act aujourd'hui en vigueur (297).
En hiver le travail devait commencer à 5 heures du matin et finir au crépuscule
du soir avec les mêmes interruptions. Un statut d'Elisabeth (1562) pour tous
les ouvriers « loués par jour ou par semaine » laisse intacte la durée de la
journée de travail, mais cherche à réduire les intervalles à deux heures et
demie pour l'été et deux heures pour l'hiver. Le dîner ne doit durer qu'une
heure, et « le sommeil d'une demi-heure l'après-midi » ne doit être permis que
de la mi-mai à la mi-août. Pour chaque heure d'absence il est pris sur le
salaire un penny (10 centimes). Dans la pratique cependant les conditions
étaient plus favorables aux travailleurs que dans le livre des statuts. William
Petty, le père de l'économie politique et jusqu'à un certain point l'inventeur
de la statistique, dit dans un ouvrage qu'il publia dans le dernier tiers du
XVII° siècle :
« Les travailleurs (labouring men, à proprement
parler alors les travailleurs agricoles) travaillent dix heures par jour et
prennent vingt repas par semaine, savoir trois les jours ouvrables et deux le
dimanche. Il est clair d'après cela que s'ils voulaient jeûner le vendredi soir
et prendre leur repas de midi en une heure et demie, tandis qu'ils y emploient
maintenant deux heures, de 11 heures du matin à 1 heure, en d'autres termes
s'ils travaillaient un vingtième de plus et consommaient un vingtième de moins,
le dixième de l'impôt cité plus haut serait prélevable (298). »
Le docteur Andrew Ure n'avait-il pas raison de décrier
le bill des douze heures de 1833 comme un retour aux temps des ténèbres ? Les
règlements contenus dans les statuts et mentionnés par Petty concernent bien
aussi les apprentis; mais on voit immédiatement par les plaintes suivantes où
en était encore le travail des enfants même à la fin du XVII° siècle :
« Nos jeunes garçons, ici en Angleterre, ne font
absolument rien jusqu'au moment où ils deviennent apprentis, et alors ils ont
naturellement besoin de beaucoup de temps (sept années) pour se former et devenir
des ouvriers habiles. »
Par contre l'Allemagne est glorifiée, parce que là
les enfants sont dès le berceau « habitués au moins à quelque peu d'occupation (299) ».
Pendant la plus grande partie du XVIII° siècle,
jusqu'à l'époque de la grande industrie, le capital n'était pas parvenu en
Angleterre, en payant la valeur hebdomadaire de la force de travail, à
s'emparer du travail de l'ouvrier pour la semaine entière, à l'exception
cependant de celui du travailleur agricole. De ce qu'ils pouvaient vivre toute
une semaine avec le salaire de quatre jours, les ouvriers ne concluaient pas le
moins du monde qu'ils devaient travailler les deux autres jours pour le
capitaliste. Une partie des économistes anglais au service du capital dénonça
cette obstination avec une violence extrême; l'autre partie défendit les
travailleurs. Ecoutons par exemple la polémique entre Postlethwaite dont le
dictionnaire de commerce jouissait alors de la même renommée qu'aujourd'hui
ceux de Mac Culloch, de Mac Gregor etc., et l'auteur déjà cité de l'Essay on
Trade and Commerce (300).
Postlethwaite dit entre autres :
« Je ne puis terminer ces courtes observations sans
signaler certaine locution triviale et malheureusement trop répandue. Quand
l'ouvrier, disent certaines gens, peut dans cinq jours de travail obtenir de
quoi vivre, il ne veut pas travailler six jours entiers. Et partant de là, ils
concluent à la nécessité d'enchérir même les moyens de subsistance nécessaires
par des impôts ou d'autres moyens quelconques pour contraindre l'artisan et
l'ouvrier de manufacture à un travail ininterrompu de six jours par semaine. Je
demande la permission d'être d'un autre avis que ces grands politiques tout
prêts à rompre une lance en faveur de l'esclavage perpétuel de la population
ouvrière de ce pays « the perpetual slavery of the working people »; ils
oublient le proverbe : « All work and no play, etc. » (Rien que du travail et
pas de jeu rend imbécile.) Les Anglais ne se montrent-ils pas tout fiers de
l'originalité et de l'habileté de leurs artisans et ouvriers de manufactures
qui ont procuré partout aux marchandises de la Grande-Bretagne crédit et
renommée ? A quoi cela est-il dû, si ce n'est à la manière gaie et originale
dont les travailleurs savent se distraire ? S'ils étaient obligés de trimer
l'année entière, tous les six jours de chaque semaine, dans la répétition
constante du même travail, leur esprit ingénieux ne s'émousserait-il pas; ne
deviendraient-ils pas stupides et inertes, et par un semblable esclavage
perpétuel, ne perdraient-ils pas leur renommée, au lieu de la conserver ? Quel
genre d'habileté artistique pourrions-nous attendre d'animaux si rudement menés
? « hard driven animals »... Beaucoup d'entre eux exécutent autant d'ouvrage en
quatre jours qu'un Français dans cinq ou six. Mais si les Anglais sont forcés
de travailler comme des bêtes de somme, il est à craindre qu'ils ne tombent
(degenerate) encore au-dessous des Français. Si notre peuple est renommé par sa
bravoure dans la guerre, ne disons-nous pas que ceci est dû d'un côté au bon
roastbeef anglais et au pudding qu'il a dans le ventre, et de l'autre à son
esprit de liberté constitutionnelle ? Et pourquoi l'ingéniosité, l'énergie et
l'habileté de nos artisans et ouvriers de manufactures ne proviendraient-elles
pas de la liberté avec laquelle ils s'amusent à leur façon ? J'espère qu'ils ne
perdront jamais ces privilèges ni le bon genre de vie d'où découlent également
leur habileté au travail et leur courage (301). »
Voici ce que répond l'auteur de l'Essay on Trade
and Commerce:
« Si c'est en vertu d'une ordonnance divine que le
septième jour de la semaine est fêté, il en résulte évidemment que les autres
jours appartiennent au travail (il veut dire au capital, ainsi qu'on va le voir
plus loin), et contraindre à exécuter ce commandement de Dieu n'est point un
acte que l'on puisse traiter de cruel. L'homme, en général, est porté par
nature à rester oisif et à prendre ses aises; nous en faisons la fatale
expérience dans la conduite de notre plèbe manufacturière, qui ne travaille pas
en moyenne plus de quatre jours par semaine, sauf le cas d'un enchérissement
des moyens de subsistance... Supposons qu'un boisseau de froment représente
tous les moyens de subsistance du travailleur, qu'il coûte cinq shillings et
que le travailleur gagne un shilling tous les jours. Dans ce cas il n'a besoin
de travailler que cinq jours par semaine; quatre seulement, si le boisseau
coûte quatre shillings. Mais comme le salaire, dans ce royaume, est beaucoup
plus élevé en comparaison du prix des subsistances, l'ouvrier de manufacture
qui travaille quatre jours possède un excédent d'argent avec lequel il vit sans
rien faire le reste de la semaine... J'espère avoir assez dit pour faire voir
clairement qu'un travail modéré de six jours par semaine n'est point un
esclavage. Nos ouvriers agricoles font cela, et d'après ce qu'il paraît, ils
sont les plus heureux des travailleurs (labouring poor) (302). Les Hollandais font de même dans les manufactures
et paraissent être un peuple très heureux. Les Français, sauf qu'ils ont un
grand nombre de jours fériés, travaillent également toute la semaine (303)... Mais notre plèbe manufacturière
s'est mis dans la tête l'idée fixe qu'en qualité d'Anglais tous les individus
qui la composent ont par droit de naissance le privilège d'être plus libres et
plus indépendants que les ouvriers de n'importe quel autre pays de l'Europe.
Cette idée peut avoir son utilité pour les soldats, dont elle stimule la
bravoure, mais moins les ouvriers des manufactures en sont imbus, mieux cela
vaut pour eux-mêmes et pour l'État. Des ouvriers ne devraient jamais se tenir
pour indépendants de leurs supérieurs. Il est extrêmement dangereux
d'encourager de pareils engouements dans un Etat commercial comme le nôtre, où
peut-être les sept huitièmes de la population n'ont que peu ou pas du tout de
propriété (304). La cure ne sera pas complète tant
que nos pauvres de l'industrie ne se résigneront pas à travailler six jours
pour la même somme qu'ils gagnent maintenant en quatre (305). »
Dans ce but, ainsi que pour extirper la paresse, la
licence, les rêvasseries de liberté chimérique, et de plus, pour « diminuer la
taxe des pauvres, activer l'esprit d'industrie et faire baisser le prix du
travail dans les manufactures », notre fidèle champion du capital propose un
excellent moyen, et quel est-il ? C'est d'incarcérer les travailleurs qui sont
à la charge de la bienfaisance publique, en un mot les pauvres, dans une maison
idéale de travail « an ideal Workhouse ». Cette maison doit être une
maison de terreur (house of terror). Dans cet idéal de Workhouse, on
fera travailler quatorze heures par jour, de telle sorte que le temps des repas
soustrait, il reste douze heures de travail pleines et entières
(306).
Douze heures de travail par jour, tel est l'idéal, le
nec plus ultra dans le Workhouse modèle, dans la maison de terreur de 1770 !
Soixante-trois ans plus tard, en 1833, quand le Parlement anglais réduisit dans
quatre industries manufacturières la journée de travail pour les enfants de
treize ans à dix-huit ans à douze heures de travail pleines, il sembla que le
glas de l'industrie anglaise sonnerait. En 1852, quand Louis Bonaparte, pour
s'assurer la bourgeoisie, voulut toucher à la journée de travail légale, la
population ouvrière française cria tout d'une voix : « La loi qui réduit à
douze heures la journée de travail est le seul bien qui nous soit resté de la
législation de la République (307).
» A Zurich, le travail des enfants au-dessous de dix ans a été réduit à douze
heures; dans l'Argovie le travail des enfants entre treize et seize ans a été
réduit, en 1862, de douze heures et demie à douze; il en a été de même en
Autriche, en 1860, pour les enfants entre quinze et seize ans (308). « Quel progrès, depuis 1770 ! s'écrierait
Macaulay avec « exultation ».
La « maison de terreur » pour les pauvres que l'âme
du capital rêvait encore en 1770, se réalisa quelques années plus tard dans la
gigantesque « maison de travail » bâtie pour les ouvriers manufacturiers, son
nom était Fabrique, et l'idéal avait pâli devant la réalité.
VI. Lutte pour la journée de travail normale – Limitation légale du
temps de travail – la législation manufacturière anglaise de 1833 à 1864
Après des siècles d'efforts quand le capital fut
parvenu à prolonger la journée de travail jusqu'à sa limite normale maxima et
au-delà jusqu'aux limites du jour naturel de douze heures (309), alors la naissance de la grande industrie amena
dans le dernier tiers du XVIII° siècle une perturbation violente qui emporta
comme une avalanche toute barrière imposée par la nature et les mœurs, l'âge et
le sexe, le jour et la nuit. Les notions mêmes de jour et de nuit, d'une
simplicité rustique dans les anciens statuts, s'obscurcirent tellement qu'en
l'an de grâce 1860, un juge anglais dut faire preuve d'une sagacité talmudique
pour pouvoir décider « en connaissance de cause » ce qu'était la nuit et ce
qu'était le jour. Le capital était en pleine orgie (310).
Dès que la classe ouvrière abasourdie par le tapage
de la production fut tant soit peu revenue à elle-même, sa résistance commença,
et tout d'abord dans le pays même où s'implantait la grande industrie,
c'est-à-dire en Angleterre, Mais pendant trente ans les concessions qu'elle
arracha restèrent purement nominales. De 1802 à 1833 le Parlement émit trois
lois sur le travail, mais il eut bien soin de ne pas voter un centime pour les
faire exécuter (311), aussi restèrent-elles lettre
morte. « Le fait est qu'avant la loi de 1833, les enfants et les adolescents
étaient excédés de travail (were worked) toute la nuit, tout le jour, jour et
nuit ad libitum (312).
»
C'est seulement à partir du Factory Act de 1833
s'appliquant aux manufactures de coton, de laine, de lin et de soie que date
pour l'industrie moderne une journée de travail normale. Rien ne caractérise
mieux l'esprit du capital que l'histoire de la législation manufacturière
anglaise de 1833 à 1864.
La loi de 1833 déclare
« que la journée de travail ordinaire dans les
fabriques doit commencer à 5 h 30 du matin et finir à 8 h 30 du soir. Entre ces
limites qui embrassent une période de quinze heures, il est légal d'employer
des adolescents (young persons, c'est-à-dire des personnes entre treize et
dix-huit ans), dans n'importe quelle partie du jour; mais il est sous-entendu
qu'individuellement personne de cette catégorie ne doit travailler plus de
douze heures dans un jour, à l'exception de certains cas spéciaux et prévus. »
Le sixième article de cette loi arrête
« que dans le cours de chaque journée il doit être
accordé à chaque adolescent dont le temps de travail est limité, une heure et
demie au moins pour les repas ».
L'emploi des enfants au-dessus de neuf ans, sauf une
exception que nous mentionnerons plus tard, fut interdit : le travail des
enfants de neuf à treize ans fut limité à huit heures par jour. Le travail de
nuit, c'est-à-dire d'après cette loi, le travail entre 8 h 30 du soir et 5 h 30
du matin, fut interdit pour toute personne entre neuf et dix-huit ans.
Les législateurs étaient si éloignés de vouloir
toucher à la liberté du capital dans son exploitation de la force de travail
adulte, ou suivant leur manière de parler, à la liberté du travail, qu'ils
créèrent un système particulier pour prévenir les conséquences effroyables
qu'aurait pu avoir en ce sens le Factory Act.
« Le plus grand vice du système des fabriques, tel
qu'il est organisé à présent, est-il dit dans le premier rapport du conseil
central de la commission du 25 juin 1833, c'est qu'il crée la nécessité de
mesurer la journée des enfants à la longueur de celle des adultes. Pour
corriger ce vice sans diminuer le travail de ces derniers, ce qui produirait un
mal plus grand que celui qu'il s'agit de prévenir, le meilleur plan à suivre
semble être d'employer une double série d'enfants. »
Sous le nom de système des relais (system of
relays, ce mot désigne en anglais comme en français le changement des chevaux
de poste à différentes stations), ce plan fut donc exécuté, de telle sorte par
exemple que de 5 h 30 du matin jusqu'à 1 h 30 de l'après-midi une série
d'enfants entre neuf et treize ans fut attelée au travail, et une autre série
de 1 h 30 de l'après-midi jusqu'à 8 h 30 du soir et ainsi de suite.
Pour récompenser messieurs les fabricants d'avoir
ignoré de la façon la plus insolente toutes les lois promulguées sur le travail
des enfants pendant les vingt-deux dernières années, on se crut obligé de leur
dorer encore la pilule. Le Parlement arrêta qu'après le I° mars 1834 aucun
enfant au-dessous de onze ans, après le I° mars 1835 aucun enfant au-dessous de
douze ans, et après le I° mars 1836 aucun enfant au-dessous de treize ans ne
devrait travailler plus de huit heures dans une fabrique. Ce «libéralisme » si
plein d'égards pour le capital méritait d'autant plus de reconnaissance que le
Dr Farre, Sir A. Carlisle, Sir C. Bell, M. Guthrie, etc., en un mot les
premiers médecins et chirurgiens de Londres avaient déclaré dans leurs
dépositions comme témoins devant la Chambre des communes que tout retard était
un danger, periculum in mora ! Le docteur Farre s'exprima d'une façon
encore plus brutale : « Il faut une législation, s'écria-t-il, pour empêcher
que la mort puisse être infligée prématurément sous n'importe quelle forme et
celle dont nous parlons (celle à la mode dans les fabriques) doit être
assurément regardée comme une des méthodes les plus cruelles de l'infliger (313). » Le Parlement « réformé » qui,
par tendresse pour messieurs les fabricants, condamnait pour de longues années
encore des enfants au-dessous de treize ans, à soixantedouze heures de travail
par semaine dans l'enfer de la fabrique, ce même Parlement, dans l'acte d'émancipation
où il versait aussi la liberté goutte à goutte, défendait de prime abord aux
planteurs de faire travailler aucun esclave nègre plus de quarante-cinq heures
par semaine.
Mais le capital parfaitement insensible à toutes ces
concessions, commença alors à s'agiter bruyamment et ouvrit une nouvelle
campagne qui dura plusieurs années. De quoi s'agissait-il ? De déterminer l'âge
des catégories qui sous le nom d'enfants ne devaient travailler que huit heures
et étaient de plus obligées à fréquenter l'école. L'anthropologie capitaliste
décréta que l'enfance ne devait durer que jusqu'à dix ans, tout au plus jusqu'à
onze. Plus s'approchait le terme fixé pour l'entière mise en vigueur de l'acte
de fabrique, la fatale année 1836, plus les fabricants faisaient rage. Ils
parvinrent en fait à intimider le gouvernement à tel point que celui-ci proposa
en 1835 d'abaisser la limite d'âge des enfants de treize à douze. Sur ces
entrefaites la pression du dehors (pressure from without) devenait de
plus en plus menaçante. La Chambre des communes sentit le cœur lui manquer.
Elle refusa de jeter plus de huit heures par jour des enfants de treize ans
sous la roue du Jagernaut capitaliste, et l'acte de 1833 fut appliqué. Il ne
subit aucune modification jusqu'au mois de juin 1844.
Pendant les dix ans qu'il régla, d'abord en partie,
puis complètement le travail des fabriques, les rapports officiels des
inspecteurs fourmillent de plaintes concernant l'impossibilité de son
exécution. Comme la loi de 1833 permettait aux seigneurs du capital de disposer
des quinze heures comprises entre 5 h 30 du matin et 8 h 30 du soir, de faire
commencer, interrompre ou finir le travail de douze ou de huit heures par tout
enfant, et tout adolescent à n'importe quel moment, et même d'assigner aux diverses
personnes des heures diverses pour les repas, ces messieurs inventèrent bientôt
un « nouveau système de relais » d'après lequel les chevaux de peine au lieu
d'être remplacés à des stations fixes étaient attelés toujours de nouveau à des
stations nouvelles. Nous ne nous arrêterons pas à contempler la perfection de
ce système, parce que nous devons y revenir plus tard. Mais on peut voir du
premier coup d’œil qu'il supprimait entièrement la loi de fabrique, n'en
respectant ni l'esprit ni la lettre. Comment les inspecteurs auraient-ils pu
faire exécuter les articles de la loi concernant le temps de travail et les
repas avec cette tenue de livres si complexe pour chaque enfant et chaque
adolescent ? Dans un grand nombre de fabriques la même brutalité et le même
scandale reprirent leur règne. Dans une entrevue avec le ministre de
l'Intérieur (1844) les inspecteurs de fabrique démontrèrent l'impossibilité de
tout contrôle avec le système de relais nouvellement mis en pratique (314). Cependant les circonstances
s'étaient grandement modifiées. Les ouvriers manufacturiers, surtout depuis
1838, avaient fait du bill des dix heures leur cri de ralliement économique,
comme ils avaient fait de la Charte leur cri de ralliement politique. Même des
fabricants qui avaient réglé leurs fabriques d'après la loi de 1833,
adressèrent au Parlement mémoire sur mémoire pour dénoncer la « concurrence »
immorale des « faux frères » auxquels plus d'impudence et des circonstances
locales plus favorables permettaient de violer la loi. De plus, en dépit du
désir que tout fabricant avait de lâcher bride à sa cupidité native, leur
classe recevait comme mot d'ordre de ses directeurs politiques, de changer de
manières et de langage à l'égard des ouvriers. Elle avait besoin en effet de
leur appui pour triompher dans la campagne qui venait de s'ouvrir pour
l'abolition de la loi sur les céréales. On promit donc non seulement de «
doubler la ration de pain », mais encore d'appuyer le bill des dix heures,
lequel ferait désormais partie du règne millénaire du libre-échange (315). Dans ces circonstances il aurait
été par trop imprudent de venir combattre une mesure seulement destinée à faire
de la loi de 1833 une vérité. Menacés enfin dans leur intérêt le plus sacré, la
rente foncière, les aristocrates furieux tonnèrent philanthropiquement contre
les « abominables pratiques (316)»
de leurs ennemis bourgeois.
Telle fut l'origine du Factory Act additionnel
du 7 juin 1844, qui entra en vigueur le 10 septembre de la même année. Il place
sous la protection de la loi une nouvelle catégorie de travailleurs, savoir les
femmes au-dessus de dix-huit ans. Elles furent mises à tous égards sur un pied
d'égalité avec les adolescents; leur temps de travail fut limité à douze
heures, le travail de nuit leur fut interdit, etc. Pour la première fois la
législation se vit contrainte de contrôler directement et officiellement le
travail de personnes majeures. Dans le rapport de fabrique de 1844-45 il est
dit ironiquement : « Jusqu'ici nous n'avons point connaissance que des femmes
parvenues à majorité se soient plaintes une seule fois de cette atteinte portée
à leurs droits (317). » Le travail des enfants
au-dessous de treize ans fut réduit à six heures et demie par jour et, dans
certains cas, à sept heures (318).
Pour écarter les abus du « faux système de relais »,
la loi établit quelques règlements de détail d'une grande importance, entre
autres les suivants :
« La journée de travail pour enfants et adolescents
doit être comptée à partir du moment où, soit un enfant soit un adolescent,
commence à travailler le matin dans la fabrique. »
De sorte que si A par exemple commence son travail à 8
heures du matin et B à 10 heures, la journée de travail pour B doit finir à la
même heure que pour A.
« Le commencement de la journée de travail doit être
indiqué par une horloge publique, par l'horloge au chemin de fer voisin par
exemple, sur lequel la cloche de la fabrique doit se régler. Il faut que le
fabricant affiche dans la fabrique un avis imprimé en grosses lettres dans
lequel se trouvent fixés le commencement, la fin et les pauses de la journée de
travail. Les enfants qui commencent leur travail avant midi ne doivent plus
être employés après 1 heure de l'après-midi. La série d'après-midi sera donc
composée d'autres enfants que celle du matin. L'heure et demie pour les repas
doit être octroyée à tous les travailleurs protégés par la foi aux mêmes périodes
du jour, une heure au moins avant 3 heures de l'après-midi. Aucun enfant, ou
adolescent ne doit être employé avant 1 heure de l'après-midi plus de cinq
heures sans une pause d'une demi-heure au moins pour leur repas. Aucun enfant,
adolescent, ou femme, ne doit rester pendant un repas quelconque dans l'atelier
de la fabrique, tant qu'il s'y fait n'importe quelle opération, etc. »
On le voit, ces édits minutieux, qui règlent
militairement et au son de la cloche la période, les limites et les pauses du
travail, ne furent point le produit d'une fantaisie parlementaire. Ils
naquirent des circonstances et se développèrent peu à peu comme lois naturelles
du mode de production moderne. Il fallut une longue lutte sociale entre les
classes avant qu'ils fussent formulés, reconnus officiellement et promulgués au
nom de l'Etat. Une de leurs conséquences les plus immédiates fut que, dans la
pratique, la journée de travail des ouvriers mâles adultes se trouva du même
coup limitée, parce que dans la plupart des travaux de la grande industrie la
coopération d'enfants, d'adolescents et de femmes est indispensable. La journée
de travail de douze heures resta donc en vigueur généralement et uniformément
pendant la période de 1844-47 dans toutes les fabriques soumises à la
législation manufacturière.
Les fabricants ne permirent pas néanmoins ce «
progrès », sans qu'il fût compensé par un « recul ». Sur leurs instances la
Chambre des communes réduisit de neuf à huit ans l'âge minimum des
exploitables, pour assurer au capital « l'approvisionnement additionnel
d'enfants de fabrique », qui lui est dû de par Dieu et de par la Loi (319).
Les années 1846-47 font époque dans l'histoire économique
de l'Angleterre. Abrogation de la loi des céréales, abolition des droits
d'entrée sur le coton et autres matières premières, proclamation du
libre-échange comme guide de la législation commerciale ! En un mot le règne
millénaire commençait à poindre. D'autre part c'est dans les mêmes années que
le mouvement chartiste et l'agitation des dix heures atteignirent leur point
culminant. Ils trouvèrent des alliés dans les Tories qui ne respiraient que
vengeance. Malgré la résistance fanatique de l'armée libre-échangiste parjure,
en tête de laquelle marchaient Bright et Cobden, le bill des dix heures, objet
de tant de luttes, fut adopté par le Parlement.
La nouvelle loi sur les fabriques du 8 juin 1847
établit qu'au 1° juillet de la même année la journée de travail serait
préalablement réduite à onze heures pour « les adolescents » (de treize à
dix-huit ans) et pour toutes les ouvrières, mais qu'au 1° mai 1848 aurait lieu
la limitation définitive à dix heures. Pour le reste ce n'était qu'un
amendement des lois de 1833 et 1844.
Le capital entreprit alors une campagne préliminaire
dont le but était d'empêcher la mise en pratique de la loi au 1° mai 1848.
C'étaient les travailleurs eux-mêmes qui censés instruits par l'expérience
devaient, d'après le plan des maîtres, servir d'auxiliaires pour la destruction
de leur propre ouvrage. Le moment était habilement choisi. « On doit se
souvenir que par suite de la terrible crise de 1846-47, il régnait une profonde
misère, provenant de ce qu'un grand nombre de fabriques avaient raccourci le
travail et que d'autres l'avaient complètement suspendu. Beaucoup d'ouvriers se
trouvaient dans la gêne et étaient endettés. Il y avait donc toute apparence
qu'ils accepteraient volontiers un surcroît de travail pour réparer leurs pertes
passées, payer leurs dettes, retirer leurs meubles engagés, remplacer leurs
effets vendus, acheter de nouveaux vêtements pour eux mêmes et pour leurs
familles, etc., (320). » Messieurs les fabricants
cherchèrent à augmenter l'effet naturel de ces circonstances en abaissant d'une
manière générale le salaire de dix pour cent. C'était pour payer la bienvenue
de l'ère libre-échangiste. Une seconde baisse de huit un tiers pour cent se fit
lors de la réduction de la journée à onze heures et une troisième de quinze
pour cent quand la journée descendit définitivement à dix heures. Partout où
les circonstances le permirent, les salaires furent réduits d'au moins
vingt-cinq pour cent (321)
Avec des chances si heureuses on commença à semer l'agitation parmi les
ouvriers pour l'abrogation de la loi de 1847. Aucun des moyens que peuvent
fournir le mensonge, la séduction et la menace ne fut dédaigné; mais tout fut
inutile. On réunit à grand-peine une demi-douzaine de pétitions où des ouvriers
durent se plaindre « de l'oppression qu'ils subissaient en vertu de cette loi
», mais les pétitionnaires eux-mêmes déclarèrent dans leurs interrogatoires
qu'on les avait contraints à donner leurs signatures, « qu'en réalité ils étaient
bien opprimés, mais non point par la loi susdite (322) ». Les fabricants ne réussissant point à faire
parler les ouvriers dans leur sens, se mirent eux-mêmes à crier d'autant plus
haut dans la presse et dans le Parlement au nom des ouvriers. Ils dénoncèrent
les inspecteurs comme une espèce de commissaires révolutionnaires qui
sacrifiaient impitoyablement le malheureux travailleur à leurs fantaisies
humanitaires. Cette manœuvre n'eut 'pas plus de succès que la première. L'inspecteur
de fabrique, Leonhard Horner, en personne et accompagné de ses
sous-inspecteurs, procéda dans le Lancashire à de nombreux interrogatoires.
Environ soixante-dix pour cent des ouvriers entendus se déclarèrent pour dix
heures, un nombre peu considérable pour onze heures, et enfin une minorité tout
à fait insignifiante pour les douze heures anciennes (323).
Une autre manœuvre à l'amiable consista à faire
travailler de douze à quinze heures les ouvriers mâles adultes et à proclamer
ce fait comme la véritable expression des désirs du cœur des prolétaires. Mais
« l'impitoyable » Leonhard Horner revint de nouveau à
la charge. La plupart de ceux qui travaillaient plus que le temps légal
déclarèrent « qu'ils préféreraient de beaucoup travailler dix heures pour un
moindre salaire, mais qu'ils n'avaient pas le choix; un si grand nombre d'entre
eux se trouvaient sans travail - tant de fileurs étaient forcés de travailler
comme simples rattacheurs (piecers), que s'ils se refusaient à la prolongation
du temps de travail, d'autres prendraient aussitôt leur place, de sorte que la
question pour eux se formulait ainsi : ou travailler plus longtemps ou rester
sur le pavé (324) ».
Le ballon d'essai du capital creva et la loi de dix
heures entra en vigueur le 1° mai 1848. Mais la défaite du parti chartiste dont
les chefs furent emprisonnés et l'organisation détruite, venait d'ébranler la
confiance de la classe ouvrière anglaise en sa force. Bientôt après,
l'insurrection de Juin à Paris, noyée dans le sang, réunit sous le même
drapeau, en Angleterre comme sur le continent, toutes les fractions des classes
régnantes - propriétaires fonciers et capitalistes, loups de bourse et rats de
boutique, protectionnistes et libre-échangistes, gouvernement et opposition,
calotins et esprits forts, jeunes catins et vieilles nonnes, et leur cri de
guerre fut : sauvons la caisse, la propriété, la religion, la famille et la
société. La classe ouvrière, déclarée criminelle, fut frappée d'interdiction et
placée sous « la loi des suspects ». Messieurs les fabricants n'eurent plus dès
lors besoin de se gêner. Ils se déclarèrent en révolte ouverte, non seulement
contre la loi des dix heures, mais encore contre toute la législation qui
depuis 1833 cherchait à refréner dans une certaine mesure la « libre »
exploitation de la force de travail. Ce fut une rébellion esclavagiste (Proslavery
Rebellion) en miniature, poursuivie pendant plus de deux ans avec
l'effronterie la plus cynique, la persévérance la plus féroce et le terrorisme
le plus implacable, à d'autant meilleur compte que le capitaliste révolté ne
risquait que la peau de ses ouvriers.
Pour comprendre ce qui suit, il faut se souvenir que
les lois de 1833, 1844 et 1847 sur le travail dans les fabriques, étaient
toutes trois en vigueur, en tant du moins que l'une n'amendait pas l'autre;
qu'aucune ne limitait la journée de travail de l'ouvrier mâle âgé de plus de
dix-huit ans, et que depuis 1833 la période de quinze heures, entre 5 h 30 du
matin et 8 h 30 du soir, était restée le « jour » légal dans les limites duquel
le travail des adolescents et des femmes, d'abord de douze heures, plus tard de
dix, devait s'exécuter dans les conditions prescrites.
Les fabricants commencèrent par congédier çà et là
une partie et parfois la moitié des adolescents et des ouvrières employés par
eux; puis ils rétablirent en revanche parmi les ouvriers adultes le travail de
nuit presque tombé en désuétude. « La loi des dix heures, s'écrièrent-ils, ne
nous laisse pas d'autre alternative (325).»
Leur seconde agression eut pour objet les intervalles
légaux prescrits pour les repas. Ecoutons les inspecteurs :
« Depuis la limitation des heures de travail à dix,
les fabricants soutiennent, bien que dans la pratique ils ne poussent pas leur
manière de voir à ses dernières conséquences, que s'ils font travailler, par
exemple, de 9 heures du matin à 7 heures du soir, ils satisfont aux
prescriptions de la loi en donnant une heure et demie pour les repas de la
façon suivante : une heure le matin avant 9 heures et une demi-heure le soir
après 7 heures. Dans certains cas ils accordent maintenant une demi-heure pour
le dîner, mais ils prétendent en même temps que rien ne les oblige à accorder
une partie quelconque de l'heure et demie légale dans le cours de la journée de
travail de dix heures (326). »
Messieurs les fabricants soutenaient donc que les
articles de la loi de 1844, qui règlent si minutieusement les heures de repas,
donnaient tout simplement aux ouvriers la permission de manger et de boire
avant leur entrée dans la fabrique et après leur sortie, c'est-à-dire de
prendre leurs repas chez eux. Pourquoi, en effet, les ouvriers ne
dîneraient-ils pas avant 9 heures du matin ? Les juristes de la couronne
décidèrent pourtant que, le temps prescrit pour les repas devait être accordé
pendant la journée de travail réelle, par intervalles, et qu'il était illégal
de faire travailler sans interruption dix heures entières, de 9 heures du matin
à 7 heures du soir (327).
Après ces aimables démonstrations, le capital préluda
à sa révolte par une démarche qui était conforme à la loi de 1844 et par
conséquent légale.
La loi de 1844 défendait bien, passé 1 heure de l'après-midi,
d'employer de nouveau les enfants de huit à treize ans qui avaient été occupés
avant midi; mais elle ne réglait en aucune manière les six heures et demie de
travail des enfants qui se mettaient à l'ouvrage à midi ou plus tard. Des
enfants de huit ans pouvaient donc, à partir de midi, être employés jusqu'à 1
heure, puis de 2 heures à 4 heures et enfin de 5 heures à 8 h 30, en tout six
heures et demie, conformément à la loi ! Mieux encore. Pour faire coïncider
leur travail avec celui des ouvriers adultes jusqu'à 8 h 30 du soir, il
suffisait aux fabricants de ne leur donner aucun ouvrage avant 2 heures de
l'après-midi, et de les retenir ensuite, sans interruption dans la fabrique
jusqu'à 8 h 30.
« Aujourd'hui, l'on avoue expressément, que par suite
de la cupidité des fabricants et de leur envie de tenir leurs machines en
haleine pendant plus de dix heures, la pratique s'est glissée en Angleterre de
faire travailler jusqu'à 8 h 30 du soir des enfants des deux sexes, de huit à
treize ans, seuls avec les hommes, après le départ des adolescents et des
femmes (328). »
Ouvriers et inspecteurs protestèrent au nom de la
morale et de l'hygiène. Mais le capital pense comme Shylock :
« Que le poids de mes actes retombe sur ma tête ! Je
veux mon droit, l'exécution de mon bail et tout ce qu'il a stipulé. »
En réalité, d'après les chiffres produits devant la
Chambre des communes le 26 juillet 1850, et malgré toutes les protestations, il
y avait le 15 juillet 1850, trois mille sept cent quarante-deux enfants dans
deux cent soixante-quinze fabriques soumis à cette « pratique » nouvelle (329). Ce n'était pas encore assez !
L’œil de lynx du capital découvrit que la loi de 1844 défendait bien, il est
vrai, de faire travailler plus de cinq heures avant midi sans une pause d'au
moins trente minutes pour se restaurer, mais aussi qu'il ne prescrivait rien de
pareil pour le travail postérieur. Il demanda donc et obtint la jouissance non
seulement de faire trimer de 2 à 9 heures du soir, sans relâche, des enfants de
huit ans, mais encore de les faire jeûner et de les affamer.
« C'est la chair qu'il me faut, disait Shylock; ainsi
le porte le billet (330). »
Cette façon de s'accrocher à la lettre de la loi, en
tant qu'elle règle le travail des enfants, n'avait pour but que de préparer la
révolte ouverte contre la même loi, en tant qu'elle règle le travail des
adolescents et des femmes. On se souvient que l'objet principal de cette loi
était l'abolition du faux système de relais. Les fabricants commencèrent leur
révolte en déclarant tout simplement que les articles de la loi de 1844 qui
défendent d'employer ad libitum les adolescents et les femmes en leur
faisant suspendre et reprendre leur travail à n'importe quel moment de la
journée, n'étaient qu'une bagatelle comparativement tant que le temps de
travail demeurait fixé, à douze heures, mais que depuis la loi des dix heures
il ne fallait plus parler de s'y soumettre (331). Ils firent donc entendre aux inspecteurs avec le
plus grand sang-froid qu'ils sauraient se placer au-dessus de la lettre de la
loi et rétabliraient l'ancien système de leur propre autorité (332). Ils agissaient ainsi, du reste, dans l'intérêt même
des ouvriers mal conseillés, « pour pouvoir leur payer des salaires plus élevés
». « C'était en outre le seul et unique moyen de conserver, avec la loi des dix
heures, la suprématie industrielle de la GrandeBretagne (333). » « Possible que la pratique du système des relais
rende quelque peu difficile la découverte des infractions à la loi; mais quoi ?
(What of that ?) Le grand intérêt manufacturier du pays doit-il être traité
par-dessous la jambe, pour épargner un peu de peine (some little trouble) aux
inspecteurs de fabrique et aux sous-inspecteurs (334) ? »
Toutes ces balivernes ne produisirent naturellement
aucun effet. Les inspecteurs des fabriques procédèrent juridiquement.
Mais bientôt le ministre de l'Intérieur, Sir George Grey, fut tellement
bombardé de pétitions des fabricants, que dans une circulaire du 5 août 1848,
il recommanda aux inspecteurs « de ne point intervenir pour violation de la
lettre de la loi, tant qu'il ne serait pas prouvé suffisamment qu'on avait
abusé du système des relais pour faire travailler des femmes et des adolescents
plus de dix heures ». Aussitôt l'inspecteur de fabrique, J. Stuart, autorisa le
susdit système dans toute l'Écosse, où il refleurit de plus belle. Les
inspecteurs anglais, au contraire, déclarèrent que le ministre ne possédait
aucun pouvoir dictatorial qui lui permît de suspendre les lois et continuèrent
à poursuivre juridiquement les rebelles.
Mais à quoi bon traîner les capitalistes à la barre
de la justice, puisque les county magistrates (335) prononcent l'acquittement ? Dans ces tribunaux,
messieurs les fabricants siégeaient comme juges de leur propre cause. Un exemple
: un certain Eskrigge, filateur, de la raison sociale Kershaw, Leese et Cie,
avait soumis à l'inspecteur de son district le plan d'un système de relais
destiné à sa fabrique. Econduit avec un refus, il se tint d'abord coi. Quelques
mois plus tard un individu nommé Robinson, filateur de coton également, et dont
le susdit Eskrigge était le parent, sinon le Vendredi, comparaissait devant le
tribunal du bourg de Stockport, pour avoir mis à exécution un plan de relais ne
différant en rien de celui qu'Eskrigge avait inventé. Quatre juges siégeaient,
dont trois filateurs de coton, à la tête desquels l'inventif Eskrigge. Eskrigge
acquitta Robinson, puis fut d'avis que ce qui était juste pour Robinson était
équitable pour Eskrigge. S'appuyant donc sur son propre arrêt, il établit
immédiatement le système dans sa propre fabrique (336). La composition de ce tribunal était déjà assurément
une violation flagrante de la loi (337).
« Ce genre de farces juridiques », s'écrie l'inspecteur Howell, « exige qu'on y
mette bon ordre... Ou bien accommodez la loi à ces sortes de jugements, ou bien
confiez-la à un tribunal moins sujet à faillir et qui sache mettre ses
décisions en accord avec elle... Dans tous les cas semblables, combien ne
désire-t-on pas un juge payé (338)
! »
Les juristes de la couronne déclarèrent absurde
l'interprétation donnée par les fabricants à la loi de 1844, mais les sauveurs
de la société ne s'émurent pas pour si peu.
« Après avoir essayé en vain, rapporte Leonhard
Horner, de faire exécuter la loi, au moyen de dix poursuites dans sept
circonscriptions judiciaires différentes, et n'avoir été soutenu qu'en un seul
cas par les magistrats, je regarde toute poursuite pour entorse donnée à la loi
comme désormais inutile. La partie de la loi qui a été rédigée pour créer
l'uniformité dans les heures de travail, n'existe plus dans le Lancashire.
D'autre part mes sous-agents et moi, nous ne possédons aucun moyen de nous
assurer que les fabriques, où règne le système des relais, n'occupent pas les
adolescents et les femmes au-delà de dix heures. Depuis la fin d'avril 1849, il
y a déjà dans mon district cent dix-huit fabriques qui travaillent d'après cette
méthode et leur nombre augmente tous les jours rapidement. En général elles
travaillent maintenant treize heures et demie, de 6 heures du matin à 7 h 30 du
soir; dans quelques cas quinze heures, de 5 h 30 du matin à 8 h 30 du soir (339). » En décembre 1848, Leonhard
Horner possédait déjà une liste de soixante-cinq fabricants et de vingt-neuf
surveillants de fabrique qui déclaraient tous d'une voix, qu'avec le système
des relais en usage, aucun système d'inspection ne pouvait empêcher le travail
extra d'avoir lieu sur la plus grande échelle (340). Les mêmes enfants et les mêmes adolescents étaient
transférés (shifted) tantôt de la salle à filer dans la salle à tisser, tantôt
d'une fabrique dans une autre (341). Comment contrôler un système « qui abuse du mot relais pour mêler les
« bras » comme des cartes les unes avec les autres en mille combinaisons
diverses et pour varier chaque jour les heures de travail et de répit à tel point
pour les différents individus, qu'un seul et même assortiment de « bras »
complet ne travaille jamais à la même place et dans le même temps » (342) !
Indépendamment de l'excès de travail qu'il créait, ce
susdit système de relais était un produit de la fantaisie capitaliste, tel que
Fourier n'a pu le dépasser dans ses esquisses les plus humoristiques « des
courtes séances »; mais il faut dire que le système remplaçait l'attraction du
travail par l'attraction du capital. il suffit, pour s'en assurer, de jeter un
coup d’œil sur les cadres fournis par les fabricants, sur cette organisation
que la presse honnête et modérée exaltait comme un modèle « de ce qu'un degré
raisonnable de soin et de méthode peut accomplir » (what a reasonable degree of
care and method can accomplish). Le personnel des travailleurs était divisé
parfois en douze et quatorze catégories, dont les parties constitutives
subissaient de nouveau des modifications continuelles. Pendant la période de
quinze heures formant la journée de fabrique, le capital appelait l'ouvrier,
maintenant pour trente minutes, puis pour une heure, et le renvoyait ensuite
pour le rappeler de nouveau et le renvoyer encore, le ballottant de côté et
d'autre par lambeaux de temps disséminés, sans jamais le perdre de l’œil ni de
la main jusqu'à ce que le travail de dix heures fût accompli. Comme sur un
théâtre les mêmes comparses avaient à paraître tour à tour dans les différentes
scènes des différents actes. Mais de même qu'un acteur pendant toute la durée
du drame appartient à la scène, de même les ouvriers appartenaient à la
fabrique pendant quinze heures, sans compter le temps d'aller et de retour. Les
heures de répit se transformaient ainsi en heures d'oisiveté forcée qui
entraînaient le jeune ouvrier au cabaret et la jeune ouvrière au bordel. Chaque
fois que le capitaliste inventait quelque chose de neuf - ce qui avait lieu
tous les jours - pour tenir ses machines en haleine pendant douze ou quinze
heures, sans augmenter son personnel, le travailleur était obligé, tantôt de
perdre son temps, tantôt d'en profiter à la hâte pour avaler son repas. Lors de
l'agitation des dix heures, les fabricants criaient partout que si la canaille
ouvrière faisait des pétitions, c'était dans l'espoir d'obtenir un salaire de
douze heures pour un travail de dix. Ils avaient maintenant retourné la
médaille; ils payaient un salaire de dix heures pour une exploitation de douze
et quinze heures (343)
! Voilà comment la loi des dix heures était interprétée par les fabricants !
C'étaient cependant les mêmes hommes, les mêmes libre-échangistes confits
d'onction, suant par tous les pores l'amour de l'humanité, qui pendant dix ans,
tant que dura l'agitation contre la loi des céréales, ne se lassaient pas de
démontrer aux ouvriers, par sous et liards, que dix heures de leur travail
quotidien suffiraient amplement pour enrichir les capitalistes, si un nouvel
essor était donné à l'industrie anglaise par la libre importation des grains (344).
La révolte du capital, après avoir duré deux années,
fut enfin couronnée par l'arrêt d'une des quatre hautes cours d'Angleterre, la
cour de l'Echiquier. A propos d'un cas qui lui fut présenté le 8 février
1850, cette cour décida que les fabricants agissaient, il est vrai, contre le
sens de la loi de 1844, mais que cette loi elle-même contenait certains mots
qui la rendaient absurde. « Par suite de cette décision la loi des dix heures
fut en réalité abolie (345).
» Une foule de fabricants qui jusqu'alors n'avaient pas osé employer le système
des relais pour les adolescents et les ouvrières, y allèrent désormais des deux
mains à la fois (346).
Mais ce triomphe du capital en apparence définitif
fut aussitôt suivi d'une réaction. Les travailleurs avaient opposé jusqu'alors
une résistance passive, quoique indomptable et sans cesse renaissante. Ils se
mirent maintenant à protester dans le Lancashire et le Yorkshire, par des
meetings de plus en plus menaçants. « La prétendue loi des dix heures,
s'écriaient-ils, n'aurait donc été qu'une mauvaise farce, une duperie
parlementaire, et n'aurait jamais existé ? » Les inspecteurs de fabrique
avertirent avec instances le gouvernement que l'antagonisme des classes était
monté à un degré incroyable. Des fabricants eux-mêmes se mirent à murmurer. Ils
se plaignirent de ce que
« grâce aux décisions contradictoires des magistrats
il régnait une véritable anarchie. Telle loi était en vigueur dans le Yorkshire,
telle autre dans le Lancashire, telle autre dans une paroisse de ce dernier
comté, telle autre enfin dans le voisinage immédiat. Si les fabricants des
grandes villes pouvaient éluder la loi, il n'en était pas de même des autres
qui ne trouvaient point le personnel nécessaire pour le système de relais et
encore moins pour le ballottage des ouvriers d'une fabrique dans une autre, et
ainsi de suite. »
Or le premier droit du capital n'est-il pas l'égalité
dans l'exploitation de la force du travail ?
Ces diverses circonstances amenèrent un compromis
entre fabricants et ouvriers, lequel fut scellé parlementairement par la loi
additionnelle sur les fabriques, le 5 août 1850. La journée de travail fut
élevée de dix heures à dix heures et demie dans les cinq premiers jours de la
semaine et restreinte à sept heures et demie le samedi pour « les adolescents
et les femmes ». Le travail doit avoir lieu de 6 heures du matin à 6 heures du
soir (347), avec des pauses d'une heure et
demie pour les repas, lesquelles doivent être accordées en même temps,
conformément aux prescriptions de 1844, etc. Le système des relais fut ainsi
aboli une fois pour toutes (348).
Pour ce qui est du travail des enfants, la loi de 1844 resta en vigueur.
Une autre catégorie de fabricants s'assura cette fois
comme précédemment, des privilèges seigneuriaux sur les enfants des
prolétaires. Ce furent les fabricants de soie. En 1833 ils avaient hurlé
comminatoirement que « si on leur ôtait la liberté d'exténuer pendant dix
heures par jour des enfants de tout âge, c'était arrêter leur fabrique (if the
liberty of working children of any age for ten hours a day was taken away, it
would stop their works); qu'il leur était impossible d'acheter un nombre
suffisant d'enfants au-dessus de treize ans », et ils avaient ainsi extorqué le
privilège désiré. Des recherches ultérieures démontrèrent que ce prétexte était
un pur mensonge (349), ce qui ne les empêcha pas, dix
années durant, de filer de la soie chaque jour pendant dix heures avec le sang
d'enfants si petits qu'on était obligé de les mettre sur de hautes chaises
pendant toute la durée de leur travail. La loi de 1844 les « dépouilla » bien,
à vrai dire, de la « liberté » de faire travailler plus de six heures et demie
des enfants au-dessous de onze ans, mais leur assura en retour le privilège
d'employer pendant dix heures des enfants entre onze et treize ans, et de
défendre à leurs victimes de fréquenter l'école obligatoire pour les enfants
des autres fabriques. Cette fois le prétexte était que : « la délicatesse du
tissu exigeait une légèreté de toucher qu'ils ne pouvaient acquérir qu'en
entrant de bonne heure dans la fabrique » (350). Pour la finesse des tissus de soie les enfants
furent immolés en masse, comme les bêtes à cornes le sont dans le sud de la
Russie pour leur peau et leur graisse. Le privilège accordé en 1844 fut enfin
limité en 1850 aux ateliers de dévidage de soie; mais ici, pour dédommager la
cupidité de sa « liberté » ravie, le temps de travail des enfants de onze à
treize ans fut élevé de dix heures à dix heures et demie. Sous quel nouveau
prétexte ? « Parce que le travail est beaucoup plus facile dans les
manufactures de soie que dans les autres et de beaucoup moins nuisible à la
santé (351). » Une enquête médicale officielle
prouva ensuite que bien au contraire « le chiffre moyen de mortalité, dans les
districts où se fabrique la soie, est exceptionnellement élevé et dépasse même,
pour la partie féminine de la population, celui des districts cotonniers du
Lancashire » (352). Malgré les protestations des
inspecteurs renouvelées tous les six mois le même privilège dure encore (353).
La loi de 1850 ne convertit que pour « les
adolescents et les femmes » la période de quinze heures, de 5 h 30 du matin à 8
h 30 du soir, en une période de douze heures, de 6 heures du matin à 6 heures
du soir. Elle n'améliora en rien la condition des enfants qui pouvaient
toujours être employés une demi-heure avant le commencement et deux heures et
demie après la fin de cette période, bien que la durée totale de leur travail
ne dût pas dépasser six heures et demie. Pendant la discussion de la loi les
inspecteurs de fabrique présentaient au Parlement une statistique des abus
infâmes auxquels donnait lieu cette anomalie. Mais tout fut inutile.
L'intention secrète cachée au fond de ces manœuvres était, en mettant en jeu
les enfants, de faire remonter à quinze heures pendant les années de
prospérité, la journée de travail des ouvriers adultes. L'expérience des trois
années suivantes fit voir qu'une semblable tentative échouerait contre la
résistance de ces derniers (354).
La loi de 1850 fut donc complétée en 1853 par la défense « d'employer les
enfants le matin avant et le soir après les adolescents et les femmes ». A
partir de ce moment, la loi de 1850 régla, à peu d'exceptions près, la journée
de travail de tous les ouvriers dans les branches d'industrie qui lui étaient
soumises (355). Depuis la publication du premier Factory
Act il s'était écoulé un demi-siècle (356).
La législation manufacturière sortit pour la première
fois de sa sphère primitive par le Printwork's Act de 1845 (loi
concernant les fabriques de cotons imprimés). Le déplaisir avec lequel le
capital accepta cette nouvelle « extravagance » perce à chaque ligne de la loi
! Elle restreint la journée de travail pour enfants et pour femmes, à seize
heures comprises entre 6 heures du matin et 10 heures du soir sans aucune
interruption légale pour les repas. Elle permet de faire travailler les
ouvriers mâles, au-dessus de treize ans, tout le jour et toute la nuit à
volonté (357) C'est un avortement parlementaire (358).
Néanmoins, par la victoire dans les grandes branches
d'industrie, qui sont la création propre du mode de production moderne, le
principe avait définitivement triomphé. Leur développement merveilleux de 1853
à 1860 marchant de pair avec la renaissance physique et morale des
travailleurs, frappa les yeux des moins clairvoyants. Les fabricants eux-mêmes,
auxquels la limitation légale et les règlements de la journée de travail
avaient été arrachés lambeaux par lambeaux par une guerre civile d'un
demi-siècle, firent ressortir avec ostentation le contraste qui existait entre
les branches d'exploitation encore « libres » et les établissements soumis à la
loi (359). Les pharisiens de « l'économie
politique » se mirent à proclamer que la découverte nouvelle et caractéristique
de leur « science » était d'avoir reconnu la nécessité d'une limitation légale
de la journée de travail (360).
On comprend facilement que lorsque les magnats de l'industrie se furent soumis
à ce qu'ils ne pouvaient empêcher et se furent même réconciliés avec les
résultats acquis, la force de résistance du capital faiblit graduellement,
tandis que la force d'attaque de la classe ouvrière grandit avec le nombre de
ses alliés dans les couches de la société qui n'avaient dans la lutte aucun
intérêt immédiat. De là, comparativement, des progrès rapides depuis 1850.
Les teintureries et les blanchisseries
(361) furent soumises en 1860, les fabriques de dentelles
et les bonneteries en 1861, à la loi sur les fabriques de 1850. A la suite du
premier rapport de la « Commission des enfants », les manufactures de toute
espèce d'articles d'argile (non pas seulement les poteries) partagèrent le même
sort, ainsi que les fabriques d'allumettes chimiques, de capsules, de
cartouches, de tapis, et un grand nombre de procédés industriels compris sous
le nom de « finishing », (dernier apprêt). En 1863, les blanchisseries en plein
air (362) et les boulangeries furent
soumises également à deux lois particulières, dont la première défend le
travail de nuit (de 8 heures du soir à 6 heures du matin) pour enfants, femmes
et adolescents, et la seconde l'emploi de garçons boulangers au-dessous de
dix-huit ans, entre 9 heures du soir et 5 heures du matin. Nous reviendrons
plus tard sur les propositions ultérieures de la même commission, qui, à
l'exception de l'agriculture, des mines et des transports, menacent de priver
de leur « liberté » toutes les branches importantes de l'industrie anglaise (363).
VII. La lutte pour la journée de travail normale. Contrecoup de la
législation anglaise sur les autres pays.
Le lecteur se souvient que l'objet spécial, le but réel de la production
capitaliste, c'est la production d'une plus-value ou l'extorsion de travail extra,
abstraction faite de tout changement dans le mode de production, provenant de
la subordination du travail au capital. Il se souvient qu'au point de vue
développé jusqu'ici, il n'y a que le travailleur indépendant, légalement
émancipé, qui, en qualité de possesseur de marchandise, puisse passer contrat
avec le capitaliste. Si dans notre esquisse historique nous avons donné un rôle
important d'une part à l'industrie moderne, d'autre part au travail d'enfants
et de personnes mineures physiquement et juridiquement, cette industrie n'était
cependant pour nous qu'une sphère particulière, et ce travail qu'un exemple
particulier de l'exploitation du travail. Cependant, sans empiéter sur les
développements qui viendront plus tard, voici ce qui résulte du simple exposé
des faits :
Premièrement, le penchant du capital à prolonger la journée de travail
sans trêve ni merci, trouve d'abord à se satisfaire dans les industries
révolutionnées par l'eau, la vapeur et la mécanique, dans les premières
créations du mode de production moderne, telles que les filatures de coton, de
laine, de lin et de soie. Les changements du mode matériel de production et les
changements correspondants dans les rapports sociaux de production
(364) sont la
première cause de cette transgression démesurée qui réclame ensuite, pour lui
faire équilibre, l'intervention sociale, laquelle, à son tour, limite et règle
uniformément la journée de travail avec ses temps de repos légaux. Cette
intervention ne se présente donc, pendant la première moitié du XIX° siècle,
que comme législation exceptionnelle (365). A peine
avait-elle conquis ce terrain primitif du mode de production nouveau, il se
trouva, sur ces entrefaites, que non seulement beaucoup d'autres branches de
production étaient entrées dans le régime de fabrique proprement dit, mais
encore que des manufactures avec un genre d'exploitation plus ou moins suranné,
telles que les verreries, les poteries, etc., des métiers de vieille roche,
tels que la boulangerie, et enfin même les travaux à l'établi disséminés çà et
là, tels que celui du cloutier (366), étaient
tombés dans le domaine de l'exploitation capitaliste, tout aussi bien que la
fabrique elle-même. La législation fut donc forcée d'effacer peu à peu son
caractère exceptionnel, ou de procéder, comme en Angleterre, suivant la
casuistique romaine, déclarant, d'après sa convenance, que n'importe quelle
maison où l'on travaille est une fabrique (factory (367)).
Secondement : l'histoire de la réglementation de la journée de travail
dans quelques branches de la production, et, dans les autres branches, la lutte
qui dure encore au sujet de cette réglementation, démontrent jusqu'à l'évidence
que le travailleur isolé, le travailleur, en tant que vendeur « libre » de sa
force de travail, succombe sans résistance possible, dès que la production
capitaliste a atteint un certain degré. La création d'une journée de travail
normale est par conséquent le résultat d'une guerre civile longue, opiniâtre et
plus ou moins dissimulée entre la classe capitaliste et la classe ouvrière. La
lutte ayant commencé dans le domaine de l'industrie moderne, elle devait par
conséquent être déclarée d'abord dans la patrie même de cette industrie,
l'Angleterre (368). Les ouvriers manufacturiers anglais furent les premiers
champions de la classe ouvrière moderne et leurs théoriciens furent les
premiers qui attaquèrent la théorie du capital (369). Aussi le
philosophe manufacturier, le docteur Ure, déclare-t-il que c'est pour la classe
ouvrière anglaise une honte ineffaçable d'avoir inscrit sur ses drapeaux «
l'esclavage des lois de fabrique », tandis que le capital combattait virilement
pour « la liberté pleine et entière du travail (370). »
La France marche à pas lents sur les traces de l'Angleterre. Il lui
faut la révolution de Février (1848) pour enfanter la loi des douze heures (371), bien plus défectueuse que son original anglais. Toutefois
la méthode révolutionnaire française a aussi ses avantages particuliers. Elle
dicte du même coup à tous les ateliers et à toutes les fabriques, sans
distinction, une même limite de la journée de travail, tandis que la
législation anglaise, cédant malgré elle à la pression des circonstances,
tantôt sur un point, tantôt sur un autre, prend toujours le meilleur chemin
pour faire éclore toute une nichée de difficultés juridiques (372). D'autre part,
la loi française proclame, au nom des principes, ce qui n'est conquis en
Angleterre qu'au nom des enfants, des mineurs et des femmes, et n'a été réclamé
que depuis peu de temps à titre de droit universel (373).
Dans les Etats-Unis du nord de l'Amérique, toute velléité
d'indépendance de la part des ouvriers est restée paralysée aussi longtemps que
l'esclavage souillait une partie du sol de la République. Le travail sous peau blanche
ne peut s'émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri.
Mais la mort de l'esclavage fit éclore immédiatement une vie nouvelle. Le
premier fruit de la guerre fut l'agitation des huit heures, qui courut, avec
les bottes de sept lieues de la locomotive, de l'océan Atlantique à l'océan
Pacifique, depuis la Nouvelle-Angleterre jusqu'en Californie. Le congrès
général des ouvriers à Baltimore (16 août 1866) fit la déclaration suivante :
« Le premier et le plus grand besoin du présent, pour délivrer le
travail de ce pays de l'esclavage capitaliste, est la promulgation d'une loi
d'après laquelle la journée de travail doit se composer de huit heures dans
tous les Etats de l'Union américaine. Nous sommes décidés à mettre en oeuvre
toutes nos forces jusqu'à ce que ce glorieux résultat soit atteint
(374). »
En même temps (au commencement de septembre 1866) le congrès de
l'Association Internationale des Travailleurs, à Genève, sur la proposition du Conseil
général de Londres, prenait une décision semblable :
« Nous déclarons que la limitation de la journée de travail est la
condition préalable sans laquelle tous les efforts en vue de l'émancipation
doivent échouer. Nous proposons huit heures pour limite légale de la journée de
travail. »
C'est ainsi que le mouvement de la classe ouvrière, né spontanément des
deux côtés de l'Atlantique, des rapports mêmes de la production, sanctionne les
paroles de l'inspecteur de fabrique anglais R. J. Saunders :
« Il est impossible de faire un pas vers la réforme de la société, avec
quelque espoir de réussite, si la journée de travail n'est pas d'abord limitée,
et si la limitation prescrite n'est pas strictement et obligatoirement observée (375) . »
Notre travailleur, il faut l'avouer, sort de la serre chaude de la
production autrement qu'il n'y est entré. Il s'était présenté sur le marché
comme possesseur de la marchandise « force de travail », vis-à-vis de
possesseurs d'autres marchandises, marchand en face de marchand. Le contrat par
lequel il vendait sa force de travail semblait résulter d'un accord entre deux
volontés libres, celle du vendeur et celle de l'acheteur. L'affaire une fois
conclue, il se découvre qu'il n'était point « un agent libre »; que le temps
pour lequel il lui est permis de vendre sa force de travail est le temps pour
lequel il est forcé de la vendre (376), et qu'en
réalité le vampire qui le suce ne le lâche point tant qu'il lui reste un muscle,
un nerf, une goutte de sang à exploiter (377). Pour se
défendre contre « le serpent de leurs tourments (378) », il faut que
les ouvriers ne fassent plus qu'une tête et qu'un cœur; que par un grand effort
collectif, par une pression de classe, ils dressent une barrière
infranchissable, un obstacle social qui leur interdise de se vendre au capital
par « contrat libre », eux et leur progéniture, jusqu'à l'esclavage et la mort (379).
Le pompeux catalogue des « droits de l'homme » est ainsi remplacé par
une modeste « grande charte » qui détermine légalement la journée de travail et
« indique enfin clairement quand finit le temps que vend le travailleur, et
quand commence le temps qui lui appartient (380)». Quantum
mutatus ab illo !
Chapitre XI : Taux et masse de la plus-value
Dans ce chapitre, comme dans les précédents, la valeur
journalière de la force de travail, et par conséquent la partie de la journée
où l'ouvrier ne fait que reproduire ou maintenir cette force, sont censées être
des grandeurs constantes.
Posons que la valeur journalière d'une force de
travail moyenne soit de trois shillings ou un écu, et qu'il faut six heures par
jour pour la reproduire. Pour acheter une telle force, le capitaliste doit donc
avancer un écu. Combien de plus-value lui rapportera cet écu ? Cela dépend du taux
de la plus-value. S'il est de cinquante pour cent, la plus-value sera un
demi-écu, représentant trois heures de surtravail; s'il est de cent pour cent,
elle montera à un écu représentant six heures de surtravail. Le taux de la
plus-value détermine donc la somme de plus-value produite par un ouvrier
individuel, la valeur de sa force étant donnée.
Le capital variable est l'expression monétaire de la
valeur de toutes les forces de travail que le capitaliste emploie à la fois. Sa
valeur égale la valeur moyenne d'une force de travail multipliée par le nombre
de ces forces individuelles; la grandeur du capital variable est donc
proportionnelle au nombre des ouvriers employés. Il se monte à cent écus par
jour, si le capitaliste exploite quotidiennement cent forces, à n écus,
s'il exploite n forces.
De même, si un écu, le prix d'une force de travail,
produit une plus-value quotidienne d'un écu, un capital variable de cent écus,
produira une plus-value de cent écus, un capital de n écus une
plus-value de 1 écu x n. La somme de plus-value produite par un capital
variable est donc déterminée, par le nombre des ouvriers qu'il paye, multipliée
par la somme de plus-value que rapporte par jour l'ouvrier individuel; et cette
somme, étant connue la valeur de la force individuelle, dépend du taux de la plus-value,
en d'autres termes, du rapport du surtravail de l’ouvrier à son travail
nécessaire (381). Nous obtenons donc cette loi : la
somme de la plus-value produite par un capital variable, est égale à la valeur
de ce capital avancé, multipliée par le taux de la plus-value, ou bien, elle
est égale à la valeur d'une force de travail, multipliée par le degré de son
exploitation, multipliée par le nombre des forces. employées conjointement.
Ainsi, si nous nommons la somme de plus-value P, la
plus-value quotidiennement produite par l'ouvrier individuel p, le
capital variable avancé pour le payement d'un ouvrier v, la valeur
totale du capital variable V, la valeur d'une force moyenne de travail f,
son degré d'exploitation
t' (surtravail) / t (travail nécessaire)
et le nombre des ouvriers employés n, nous
aurons :
Pí |
= (p/v * V = f * (t'/t) * n |
Or, un produit ne change pas de grandeur numérique, quand
celle de ses facteurs change simultanément et en raison inverse.
Dans la production d'une masse déterminée de
plus-value, le décroissement de l'un de ses facteurs peut donc être compensé
par l'accroissement de l'autre.
Ainsi, une diminution du taux de la plus-value n'en
affecte pas la masse produite, si le capital variable ou le nombre des ouvriers
employés croissent proportionnellement.
Un capital variable de cent écus, qui exploite cent ouvriers
au taux de cent pour cent, produit cent écus de plus-value. Diminuez de moitié
le taux de la plus-value, et sa somme reste la même, si vous doublez en même
temps le capital variable.
Par contre : la somme de plus-value reste la même
quand le capital variable diminue, tandis que le taux de la plus-value augmente
en proportion inverse. Supposez que le capitaliste paie quotidiennement cent
écus à cent ouvriers, dont le temps de travail nécessaire s'élève à six heures
et le surtravail à trois heures. Le capital avancé de cent écus se fait valoir
au taux de cinquante pour cent, et produit une plus-value de cinquante écus ou
de 100 x 3 heures de travail = 300 heures. Si le capitaliste réduit maintenant
ses avances de moitié, de cent à cinquante écus, ou n'embauche plus que
cinquante ouvriers; s'il réussit en même temps à doubler le taux de la
plus-value, ou, ce qui revient au même, à prolonger le surtravail de trois à
six heures, il gagnera toujours la même somme, car 50 écus x (100/100) = 100
écus x (50/100) = 50 écus. Calculant par heures de travail, on obtient : 50
forces de travail x 6 heures = 100 forces de travail x 3 heures = 300 heures.
Une diminution du capital variable peut donc être
compensée par une élévation proportionnelle du taux de la plus-value ou bien
une diminution des ouvriers employés, par une prolongation proportionnelle de
leur journée de travail. Jusqu'à un certain point, la quantité de travail
exploitable par le capital devient ainsi indépendante du nombre des ouvriers (382).
Cependant, cette sorte de compensation rencontre une
limite infranchissable. Le jour naturel de vingt-quatre heures est toujours
plus grand que la journée moyenne de travail; celle-ci ne peut donc jamais
rendre une valeur quotidienne de quatre écus, si l'ouvrier moyen produit la
valeur de un sixième d'écu par heure; car il lui faudrait vingt-quatre heures
pour produire une valeur de quatre écus. Quant à la plus-value, sa limite est
encore plus étroite. Si la partie de la journée nécessaire pour remplacer le
salaire quotidien s'élève à six heures, il ne reste du jour naturel que
dix-huit heures, dont les lois biologiques réclament une partie pour le repos
de la force; posons six heures comme limite minima de ce repos, en
prolongeant la journée de travail à la limite maxima de dix-huit heures,
le surtravail ne sera que de douze heures, et ne produira par conséquent qu'une
valeur de deux écus.
Un capital variable de cinq cents écus, qui emploie
cinq cents ouvriers à un taux de plus-value de cent pour cent, ou avec un
travail de douze heures, dont six appartiennent au surtravail, produit chaque
jour une plus-value de cinq cents écus ou 6 x 500 heures de travail. Un capital
de cent écus qui emploie chaque jour cent ouvriers à un taux de plus-value de
deux cents pour cent ou avec une journée de travail de dix-huit heures, ne
produit qu'une plus-value de deux cents écus ou 12 x 100 heures de travail. Son
produit en valeur totale ne peut jamais, par journée moyenne, atteindre la
somme de quatre cents écus ou 24 x 100 heures de travail. Une diminution du
capital variable ne peut donc être compensée par l'élévation du taux de la.
plus-value, ou, ce qui revient au même, une réduction du nombre des ouvriers
employés, par une hausse du degré d'exploitation, que dans les limites
physiologiques de la journée de travail, et, par conséquent, du surtravail
qu'elle renferme.
Cette loi, d'une évidence absolue, est importante
pour l'intelligence de phénomènes compliqués. Nous savons déjà que le capital
s'efforce de produire le maximum possible de plus-value, et nous verrons plus
tard qu'il tâche en même temps de réduire au minimum, comparativement aux
dimensions de l'entreprise, sa partie variable ou le nombre d'ouvriers qu'il
exploite. Ces tendances deviennent contradictoires dès que la diminution de
l'un des facteurs qui déterminent la somme de la plus-value, ne peut plus être
compensée par l'augmentation de l'autre.
Comme la valeur n'est que du travail réalisé, il est
évident que la masse de valeur qu'un capitaliste fait produire dépend
exclusivement de la quantité de travail qu'il met en mouvement. Il en peut
mettre en mouvement plus ou moins, avec le même nombre d'ouvriers, selon que
leur journée est plus ou moins prolongée. Mais, étant donné et la valeur de la
force de travail et le taux de la plus-value, en d'autres termes, - les limites
de la journée et sa division en travail nécessaire et surtravail, - la masse
totale de valeur, y inclus la plus-value, qu'un capitaliste réalise, est
exclusivement déterminée par le nombre des ouvriers qu'il exploite, et ce
nombre lui-même dépend de la grandeur du capital variable qu'il avance.
Les masses de plus-value produites sont alors en
raison directe de la grandeur des capitaux variables avancés. Or, dans les
diverses branches d'industrie, la division proportionnelle du capital entier en
capital variable et en capital constant diffère grandement. Dans le même genre
d'entreprise cette division se modifie selon les conditions techniques et les
combinaisons sociales du travail. Mais on sait que la valeur du capital
constant reparaît dans le produit, tandis que la valeur ajoutée aux moyens de
production ne provient que du capital variable, de cette partie du capital
avancé qui se convertit en force de travail. De quelque manière qu'un capital
donné se décompose en partie constante et en partie variable, que celle-là soit
à celle-ci comme deux est à un, comme dix est à un, etc.; que la valeur des
moyens de production, comparée à la valeur des forces de travail employées,
croisse, diminue, reste constante, qu'elle soit grande ou petite, peu importe;
elle reste sans la moindre influence sur la masse de valeur produite. Si l'on
applique la loi émise plus haut aux différentes branches d'industries, quelle
que puisse y être la division proportionnelle du capital avancé en partie
constante et en partie variable, on arrive à la loi suivante : La valeur de
la force moyenne de travail et le degré moyen de son exploitation étant
supposés égaux dans différentes industries, les masses de plus-value produites
sont en raison directe de la grandeur des parties variables des capitaux
employés, c'est-à-dire en raison directe de leurs parties converties en force
de travail.
Cette loi est en contradiction évidente avec toute
expérience fondée sur les apparences. Chacun sait qu'un filateur, qui emploie
relativement beaucoup de capital constant et peu de capital variable, n'obtient
pas, à cause de cela, un bénéfice ou une plus-value moindre que le boulanger,
qui emploie relativement beaucoup de capital variable et peu de capital
constant. La solution de cette contradiction apparente exige bien des moyens
termes, de même qu'en algèbre, il faut bien des moyens termes pour comprendre
que 0/0 peut représenter une grandeur réelle. Bien que l'économie classique
n'ait jamais formulé cette loi, elle y tient instinctivement, parce qu'elle
découle de la nature même de la valeur. On verra plus tard (383) comment l'école de Ricardo est venue buter contre
cette pierre d'achoppement. Quant à l'économie vulgaire, elle se targue ici
comme partout des apparences pour nier la loi des phénomènes. Contrairement à
Spinoza, elle croit que « l'ignorance est une raison suffisante ».
Le travail qui est mis en mouvement, un jour portant
l'autre, par tout le capital d'une société, peut être considéré comme une seule
journée de travail. Le nombre des travailleurs est-il, par exemple, d'un
million, et la journée de travail moyenne est-elle de dix heures, la journée de
travail sociale consiste en dix millions d'heures. La longueur de cette journée
étant donnée, que ses limites soient fixées physiquement ou socialement, la
masse de la plus-value ne peut être augmentée que par l'augmentation du nombre
des travailleurs, c'est-à-dire de la population ouvrière. L'accroissement de la
population forme ici la limite mathématique de la production de la plus-value
par le capital social. Inversement : étant donné la grandeur de la population,
cette limite est formée par la prolongation possible de la journée de travail (384). On verra dans le chapitre suivant
que cette loi n'est valable que pour la forme de la plus-value traitée jusqu'à
présent.
Il résulte de l'examen que nous venons de faire de la
production de la plus-value, que toute somme de valeur ou de monnaie ne peut
pas être transformée en capital. Cette transformation ne peut s'opérer sans
qu'un minimum d'argent ou de valeur d'échange se trouve entre les mains du
postulant à la dignité capitaliste. Le minimum du capital variable est le prix
moyen d'une force de travail individuelle employée l'année entière à la
production de plus-value. Si le possesseur de cette force était nanti de moyens
de production à lui, et se contentait de vivre comme ouvrier, il lui suffirait
de travailler le temps nécessaire pour payer ses moyens de subsistance, mettons
huit heures par jour. Il n'aurait également besoin de moyens de production que
pour huit heures de travail; tandis que le capitaliste qui, outre ces huit
heures, lui fait exécuter un surtravail de quatre heures, par exemple, a besoin
d'une somme d'argent supplémentaire pour fournir le surplus des moyens de
production. D'après nos données, il devrait déjà employer deux ouvriers, pour
pouvoir vivre comme un seul ouvrier, de la plus-value qu'il empoche chaque
jour, c'est-à-dire satisfaire ses besoins de première nécessité. Dans ce cas,
le but de sa production serait tout simplement l'entretien de sa vie, et non
l'acquisition de richesse; or celle-ci est l'objet sous-entendu de la
production capitaliste. Pour qu'il vécût seulement deux fois aussi bien qu'un
ouvrier ordinaire, et transformât en capital la moitié de la plus-value
produite, il lui faudrait augmenter de huit fois le capital avancé, en même
temps que le nombre des ouvriers. Assurément, il peut lui-même, comme son
ouvrier, mettre la patte à l’œuvre mais alors il n'est plus qu'un être hybride,
qu'une chose intermédiaire entre capitaliste et travailleur, un « petit patron
». A un certain degré de développement, il faut que le capitaliste puisse employer
à l'appropriation et à la surveillance du travail d'autrui et à la vente des
produits de ce travail tout le temps pendant lequel il fonctionne comme capital
personnifié (385). L'industrie corporative du moyen
âge cherchait à empêcher le maître, le chef de corps de métier, de se
transformer en capitaliste, en limitant à un maximum très restreint le nombre
des ouvriers qu'il avait le droit d'employer. Le possesseur d'argent ou de
marchandises ne devient en réalité capitaliste que lorsque la somme minima
qu'il avance pour la production dépasse déjà de beaucoup le maximum du moyen
âge. Ici, comme dans les sciences naturelles, se confirme la loi constatée par
Hegel dans sa Logique, loi d'après laquelle de simples changements dans la
quantité, parvenus à un certain degré, amènent des différences dans la qualité (386).
Le minimum de la somme de valeur dont un possesseur
d'argent ou de marchandise doit pouvoir disposer pour se métamorphoser en
capitaliste, varie suivant les divers degrés de développement de la production.
Le degré de développement donné, il varie également dans les différentes
industries, suivant leurs conditions techniques particulières. A l'origine même
de la production capitaliste, quelques-unes de ces industries exigeaient déjà
un minimum de capital qui ne se trouvait pas encore dans les mains de
particuliers. C'est ce qui rendit nécessaires les subsides d'Etat accordés à
des chefs d'industrie privée, - comme en France du temps de Colbert, et comme
de nos jours cela se pratique encore dans plusieurs principautés de
l'Allemagne, - et la formation de sociétés avec monopole légal pour
l'exploitation de certaines branches d'industrie et de commerce
(387), autant d'avant-coureurs des sociétés modernes par
actions.
Le capital, comme nous l'avons vu, se rend maître du
travail, c'est-à-dire parvient à courber sous sa loi la force de travail en
mouvement ou le travailleur lui-même. Le capitaliste veille à ce que l'ouvrier
exécute son ouvrage soigneusement et avec le degré d'intensité requis.
Le capital s'offre en outre comme rapport coercitif
obligeant la classe ouvrière à exécuter plus de travail que ne l'exige le
cercle resserré de ses besoins. Comme producteur et metteur en oeuvre de
l'activité d'autrui, comme exploiteur de la force de travail et soutireur de
travail extra, le système capitaliste dépasse en énergie, en efficacité et en
puissance illimitée tous les systèmes précédents de production fondés
directement sur les différents systèmes de travaux forcés.
Le capital s'empare d'abord du travail dans les
conditions techniques données par le développement historique. Il ne modifie
pas immédiatement le mode de production. La production de plus-value, sous la
forme considérée précédemment, par simple prolongation de la journée, s'est
donc présentée indépendante de tout changement dans le mode de produire. De nos
jours elle n'est pas moins active dans les boulangeries où s'appliquent encore
des procédés primitifs, que dans les filatures automatiques. Quand nous
examinions la production au simple point de vue de la valeur d'usage, les
moyens de production ne jouaient point vis-à-vis de l'ouvrier le rôle de
capital, mais celui de simples moyens et matériaux de son activité productive.
Dans une tannerie, par exemple, il tanne le cuir et non le capital.
Il en a été autrement dès que nous avons considéré la
production au point de vue de la plus-value. Les moyens de production se sont
transformés immédiatement en moyens d'absorption du travail d'autrui. Ce n'est
plus le travailleur qui les emploie, mais ce sont au contraire eux qui
emploient le travailleur. Au lieu d'être consommés par lui comme éléments
matériels de son activité productive, ils le consomment lui-même comme ferment indispensable
à leur propre vie; et la vie du capital ne consiste que dans son mouvement
comme valeur perpétuellement en voie de multiplication. Les hauts fourneaux et
les bâtiments de fabrique qui se reposent la nuit et n'absorbent aucun travail
vivant, sont perte pure (a mere loss) pour le capitaliste. Voilà pourquoi les
hauts fourneaux et les bâtiments de fabrique constituent « un titre, un droit
au travail de nuit » des ouvriers. Inutile pour le moment d'en dire davantage.
Montrons seulement par un exemple comment cette interversion des rôles qui
caractérise la production capitaliste, comment ce renversement étrange du
rapport entre le travail mort et le travail vivant, entre la valeur et la force
créatrice de valeur, se reflète dans la conscience des seigneurs du capital.
Pendant la révolte des fabricants anglais de
1848-1860, le chef de la filature de lin et de coton de Paisley, une des
raisons sociales les plus anciennes et les plus respectables de l'Écosse
occidentale, de la société Carlisle et fils, qui existe depuis 1752, et, de
génération en génération, est toujours dirigée par la même famille, - ce
gentleman possesseur d'une intelligence hors ligne, écrivit dans la « Glasgow
Daily Mail » du 25 avril 1849 une lettre (388) intitulée : « Le système des relais », où se trouve,
entre autres, le passage suivant, d'un grotesque naïf :
« Considérons les maux qui découlent d'une réduction
du temps de travail de douze heures à dix,... ils portent le plus sérieux
préjudice aux prérogatives et à la propriété du fabricant. Si, après avoir
travaillé douze heures (il veut dire : fait travailler ses bras), il ne
travaillait plus que dix, alors chaque douze machines ou broches, par exemple,
de son établissement se rapetisseraient à dix (then every twelve machines or
spindles, in his etablishment, shrink to ten), et s'il voulait vendre sa
fabrique, on ne les estimerait que dix en réalité, de sorte que chaque
fabrique, dans tout le pays, perdrait un sixième de sa valeur (389). »
Pour cette forte tête d'Écosse, la valeur des
instruments de production se confond entièrement, comme on le voit, avec la
propriété qu'ils possèdent, en tant que capital, de se faire valoir ou de
s'assimiler chaque jour un quantum déterminé de travail gratuit; et ce chef de
la maison Carlisle et Cie s'illusionne au point de croire que, dans la vente de
sa fabrique, il lui est payé non seulement la valeur de ses machines, mais
encore, par-dessus le marché, leur mise en valeur; non seulement le travail
qu'elles recèlent, et qui est nécessaire à la production de machines
semblables, mais encore le surtravail qu'elles servent à soutirer chaque jour
des braves Écossais de Paisley : et voilà pourquoi, selon lui, une réduction de
deux heures de la journée de travail ferait réduire le prix de vente de ses
machines. Une douzaine n'en vaudrait plus qu'une dizaine !
NOTES
172 En allemand Arbeits Process
(Procès de travail). Le mot « process », qui exprime un
développement considéré dans l'ensemble de ses conditions réelles, appartient
depuis longtemps à la langue scientifique de toute l'Europe. En France on l'a
d'abord introduit d'une manière timide sous sa forme latine - processus. Puis
il s'est glissé, dépouillé de ce déguisement pédantesque, dans les
livres de chimie, physiologie, etc., et dans quelques œuvres de métaphysique.
Il finira par obtenir ses lettres de grande naturalisation. Remarquons en
passant que les Allemands, comme les Français, dans le langage ordinaire,
emploient le mot « procès » dans son sens juridique. Retour au texte (172)
173 « Les productions spontanées de la
terre ne se présentent qu’en petite quantité et tout à fait indépendamment de
l'homme. Il semblerait qu'elles ont été fournies par la nature de la même
manière que l'on donne à un jeune homme une petite somme d'argent pour le
mettre à même de se frayer une route dans l'industrie et de faire fortune. »
(James Steuart : Principles of Polit. Econ., Edit. Dublin, 1770, v. 1,
p. 116.)
174 « La raison
est aussi puissante que rusée. Sa ruse consiste en général, dans cette activité
entremetteuse qui en laissant agir les objets les uns sur les autres
conformément à leur propre nature, sans se mêler directement à leur action
réciproque, en arrive néanmoins à atteindre uniquement le but qu'elle se
propose. » (Hegel : Encyclopédie, Erster Theil. Die Logik. Berlin,
1840, p.382) Retour au texte (174)
175 Dans son
ouvrage d'ailleurs pitoyable : Théorie de l'Econ. Polit, Paris, 1815,
Ganilh objecte aux physiocrates, et énumère très bien la grande série de
travaux qui forment la base préliminaire de l'agriculture proprement dite. Retour au texte (175)
176 Dans ses Réflexions
sur la formation et la distribution des richesses, 1776, Turgot fait
parfaitement ressortir l'importance de l'animal apprivoisé et dompté pour les
commencements de la culture.
177 De toutes les
marchandises, les marchandises de luxe proprement dites sont les plus
insignifiantes pour ce qui concerne la comparaison technologique des
différentes époques de production. Bien que les histoires écrites jusqu’ici
témoignent d'une profonde ignorance de tout ce qui regarde la production
matérielle, base de toute vie sociale, et par conséquent de toute histoire
réelle, on a néanmoins par suite des recherches scientifiques des naturalistes
qui n’ont rien de commun avec les recherches soi-disant historiques,
caractérisé les temps préhistoriques d'après leur matériel d'armes et d'outils,
sous les noms d’âge de pierre, d'âge de bronze et d'âge de fer. Retour au texte (177)
178 Il semble
paradoxal d'appeler par exemple le poisson qui n'est pas encore pris un moyen
de production pour la pêche. Mais jusqu'ici on n'a pas encore trouvé le moyen
de prendre des poissons dans les eaux où il n'y en a pas. Retour au texte (178)
179 Cette
détermination du travail productif devient tout à fait insuffisante dès qu'il
s'agit de la production capitaliste.
180 Storch distingue
la matière première proprement dite qu'il nomme simplement « matière », des
matières auxiliaires qu'il désigne sous le nom de « matériaux », et que
Cherbuliez appelle « matières instrumentales ». Retour au texte (180)
181 C'est
probablement pour cela que, par un procédé de « haute » logique, le colonel
Torrens a découvert dans la pierre du sauvage, l'origine du
capital. « Dans la première pierre que le sauvage lance sur le gibier qu'il
poursuit, dans le premier bâton qu'il saisit pour abattre le fruit qu'il ne
peut atteindre avec la main, nous voyons l'appropriation d'un article dans le
but d'en acquérir un autre, et nous découvrons ainsi l'origine du
capital. » (R. Torrens : An Essay on the Production of Wealth, etc. p.
79.) C'est probablement aussi grâce à ce premier bâton, en vieux français estoc,
en allemand stock, qu'en anglais stock devient le synonyme de
capital. Retour au texte (181)
182 « Les produits
sont appropriés avant d'être transformés en capital; leur transformation
ne les dérobe pas à cette appropriation. » (Cherbuliez : Riche ou Pauvre, édit.
Paris 1841, p.53, 54.) « Le prolétaire en vendant son travail contre un quantum
déterminé d'approvisionnement, renonce complètement à toute participation au
produit. L'appropriation des produits reste la même qu'auparavant; elle n'est
modifiée en aucune sorte par la convention mentionnée. Le produit appartient
exclusivement au capitaliste qui a livré les matières premières et
l’approvisionnement. C’est là une conséquence rigoureuse de là loi
d'appropriation dont le principe fondamental était au contraire le droit
de propriété exclusif de chaque travailleur à son produit. » (l.c., p.58.)
« Quand les ouvriers travaillent pour un salaire, le capitaliste est
propriétaire non seulement du capital (moyens de production), mais encore du
travail (of labour also). Si l’on comprend, comme c’est l’usage, dans la notion
de capital, ce qui est payé pour salaire, il est absurde de parler séparément
du capital et du travail. Le mot capital dans ce sens renferme deux choses,
capital et travail » (James Mill : Elements of Polit. Econ.,
etc. p.15)
183 « Non seulement
le travail appliqué aux marchandises affecte leur valeur, mais encore le
travail incorporé dans les fournitures, les outils et les constructions sans
lesquels un tel travail ne pourrait avoir lieu. » (Ricardo, l.c.,
p.16). Retour au texte (183)
184 Les chiffres
sont ici tout à fait arbitraires. Retour
au texte (184)
185 C’est
principalement sur cette proposition que les physiocrates fondent leur doctrine
de l'improductivité de tout travail non agricole, et elle est irréfutable pour
les économistes en titre. « Cette façon d'imputer à une seule chose la
valeur de plusieurs autres (par exemple au lin la consommation du tisserand),
d’appliquer, pour ainsi dire, couche sur couche, plusieurs valeurs sur une
seule, fait que celle-ci grossit d'autant. Le terme d'addition peint très bien
la manière dont se forme le prix des ouvrages de main-d’œuvre; ce prix n'est
qu'un total de plusieurs valeurs consommées et additionnées ensemble; or
additionner n’est pas multiplier. » (Mercier de la Rivière, l.c., p.599.) Retour au texte (185)
186 C’est ainsi
par exemple, que de 1844 1847 il retira une partie de son capital de la
production pour spéculer sur les actions de chemin de fer. De même, pendant la
guerre civile américaine il ferma sa fabrique et jeta ses ouvriers sur le pavé
pour jouer sur les cotons bruts à la bourse de Liverpool. Retour au texte (186)
187 « Fais
chanter tes louanges, tant que tu voudras… mais quiconque prend plus ou mieux
qu'il ne donne, celui là est un usurier et ceci s'appelle non rendre un
service mais faire tort à son prochain, comme qui filoute et pille. N'est pas
service ou bienfait tout ce qu'on appelle de ce nom. Un homme et une femme
adultères se rendent service l'un à l'autre et se font grand plaisir. Un reître
rend à un assassin incendiaire grand service de reître en lui prêtant aide pour
faire ses exploits de meurtre et de pillage sur les grands chemins, et pour
attaquer les propriêtés et les personnes. Les papistes rendent aux nôtres un
grand service, en ce qu'ils ne noient pas, ne brûlent pas, ne tuent pas, ne
laissent pas pourrir dans les cachots tous les nôtres, et en laissant vivre
quelques uns qu'ils se contentent de chasser en leur prenant d'abord tout
ce qu'ils possèdent. Le diable lui-même rend à ses serviteurs un grand, un
incommensurable service… En somme, le monde entier regorge de grands,
d'excellents, de quotidiens services et bienfaits. « (Martin Luther : An
die Pfarherrn, wider den wucher zu predigen, etc. Wittemberg, 1540.)
188 « On
comprend le service que la catégorie service doit rendre à une espèce
d’économistes comme J. B. Say
et F. Bastiat. » Karl Marx : « Zur Kritik », etc., p.14. Retour au texte (188)
189 Cette
circonstance est une de celles qui renchérissent la production fondée sur
l’esclavage. Là, d'après l'expression frappante des anciens, le travailleur est
censé se distinguer seulement comme instrumentum vocale de l'instrumentum
semi-vocale, l’animal, et de l'instrumentum mutum, les instruments
inanimés. Mais l’esclave lui-même fait bien sentir aux animaux et aux
instruments de travail qu’ils sont loin d'être ses égaux, qu'il est homme. Pour
se donner cette jouissance, il les maltraite con amore. Aussi est ce
un principe économique, accepté dans ce mode de production, qu'il faut employer
les instruments de travail les plus rudes et les plus lourds, parce que leur
grossièreté et leur poids les rendent plus difficiles à détériorer. Jusqu'à
l'explosion de la guerre civile, on trouvait dans les Etats à esclaves situés
sur le golfe du Mexique des charrues de construction chinoise qui fouillaient
le sol comme le porc et la taupe, sans le fendre ni le retourner. V. J. C.
Cairns : The Slave Power. London, 1862, p.46 et suiv. - Voici en
outre ce que raconte Oirnsted dans son ouvrage intitulé Slave states : « On
m'a montré ici des instruments que chez nous nul homme sensé ne voudrait mettre
entre les mains d'un ouvrier; car leur grossièreté rendraient le travail de dix
pour cent au moins plus difficile qu'il ne l'est avec ceux que nous employons.
Et je suis persuadé qu'il faut aux esclaves des instruments de ce genre parce
que ce ne serait point une économie de leur en fournir de plus légers et
de moins grossiers. Les instruments que nous donnons à nos ouvriers et avec
lesquels nous trouvons du profit, ne dureraient pas un seul jour dans les
champs de blé de la Virginie, bien que la terre y soit plus légère et moins
pierreuse que chez nous. De même, lorsque je demande pourquoi les mules sont
universellement substituées aux chevaux dans la ferme, la première raison qu'on
me donne, et la meilleure assurément, c'est que les chevaux ne peuvent
supporter les traitements auxquels ils sont en butte de la part des nègres. Ils
sont toujours excédés de fatigue ou estropiés, tandis que les mules reçoivent
des volées de coups et se passent de manger de temps à autre sans être trop
incommodées. Elles ne prennent pas froid et ne deviennent pas malades quand on
les néglige ou qu’on les accable de besogne. Je n’ai pas besoin d'aller plus
loin que la fenêtre de la chambre où j'écris pour être témoin à chaque instant
des mauvais traitements exercés sur les bêtes de somme, tels qu'aucun fermier
du Nord ne pourrait les voir, sans chasser immédiatement valet de ferme. »
190 La distinction
entre le travail complexe et le travail simple (unskilled labour) repose souvent
sur de pures illusions, ou du moins sur des différences qui ne possèdent depuis
longtemps aucune réalité et ne vivent plus que par une convention
traditionnelle. C'est aussi souvent une maniére de parler qui prétend colorer
le fait brutal que certains groupes de la classe ouvrière, par exemple les
laboureurs, sont plus mal placés que d'autres pour arracher la valeur de leur
force de travail. Des circonstances accidentelles jouent même ici un si grand
rôle que l'on peut voir des travaux du même genre changer tour à tour de place.
Là où, par exemple, la constitution physique des travailleurs est affaiblie ou
relativement épuisée par le régime industriel, des travaux réellement brutaux,
demandant beaucoup de force musculaire, montent sur l'échelle, tandis que des
travaux bien plus délicats descendent au rang de travail simple. Le travail
d'un maçon (bricklayer) occupe en Angleterre un rang bien plus élevé que celui
d'un damassier. D'un autre côté, le travail d'un coupeur (fustian cutter)
figure comme travail simple, bien qu'il exige beaucoup d’efforts corporels et
de plus qu'il soit très malsain. D'ailleurs il ne faut pas s’imaginer que le
travail prétendu supérieur « skilled » occupe une large place dans le travail
national. D'après le calcul de Laing, il y avait en 1843, en Angleterre, y
compris le pays de Galles, onze millions d'habitants dont l'existence reposait
sur le travail simple. Déduction faite d'un million d'aristocrates et d'un
million correspondant de pauvres, de vagabonds, de criminels, de prostituées,
etc., sur les dix sept millions qui composaient la population au moment où
il écrivait, il reste quatre millions pour la classe moyenne, y compris les
petits rentiers, les employés, les écrivains, les artistes, les instituteurs,,
etc. Pour obtenir ces quatre millions, il compte dans la partie travailleuse de
la classe moyenne, outre les banquiers, les financiers, etc., les ouvriers de
fabrique les mieux payés ! Les maçons eux mêmes figurent parmi les
travailleurs élevés à la seconde puissance; il lui reste alors les onze
millions sus mentionnés qui tirent leur subsistance du travail simple.
(Laing : National distress, etc., London, 1844.) « La grande
classe qui n'a à donner pour sa nourriture que du travail ordinaire, forme la
grande masse du peuple. » (James Mill, Art. Colony, supplément of the
Encyclop. Brit., 1831). Retour
au texte (190)
191 « Quand on
s'en rapporte au travail pour mesurer la valeur, on entend nécessairement un
travail d'une certaine espèce... dont la proportion avec les autres espèces est
aisément déterminée. » (Outlines of Polit. Econ. London, 1832,
p.22, 23.) Retour au texte
(191)
192 « Le travail
fournit une création nouvelle pour une qui est éteinte. » An Essay on
the polit. Econ. of Nations. London, 1821, p. 13.
193 Il ne s'agit
pas ici de travaux de réparation des outils, des machines, des
constructions, etc. Une machine qu'on répare ne fonctionne pas comme moyen mais
comme objet de travail. On ne travaille pas avec elle; c'est
elle même qu'on travaille pour raccommoder sa valeur d'usage. Pour nous de
pareil, raccommodages peuvent toujours être censés inclus dans le travail
qu'exige la production la de l'instrument. Dans le texte il s'agit de l'usure
qu'aucun docteur ne peut guérir et qui amène peu à peu la mort, « de ce
genre d'usure auquel on ne peut porter remède de temps en temps et qui, s'il
s'agit d'un couteau par exemple, le réduit finalement à un état tel que le coutelier
dit de lui : il ne vaut plus la peine d'une nouvelle lame. » On a vu plus haut,
qu'une machine, par exemple, entre tout entière dans chaque opération
productive mais par fractions seulement dans la formation simultanée de la
valeur. On peut juger d’après cela du quiproquo suivant : « M. Ricardo parle de
la portion du travail de l'ingénieur dans la construction d'une machine à faire
des bas, comme contenue, par exemple, dans la valeur d'une paire de bas.
Cependant le travail total qui produit chaque paire de bas, renferme le travail
entier de l'ingénieur et non une portion; car une machine fait plusieurs paires
et aucune de ces paires n'aurait pu être faite sans employer toutes les parties
de la machine. » (Observations on certain verbal disputes in Pol. Econ.
particularly relating to value, and to demand and supply. London
1821, p.54.) L'auteur, d'ailleurs pédant plein de suffisance, a raison dans sa
polémique, jusqu'à un certain point, en ce sens que ni Ricardo ni aucun
économiste, avant ou après lui, n'ont distingué exactement les deux côtés du
travail et encore moins analysé leur influence diverse sur la formation de la
valeur.
194 On peut juger d'après
cela de l'idée lumineuse de J.B. Say qui veut faire dériver la plus value
(intérêt, profit , rente), des services productifs que les moyens de production
: terre, instruments, cuir, etc., rendent au travail par leurs valeurs d’usage.
Le professeur Roscher qui ne perd jamais une occasion de coudre noir sur blanc
et de présenter des explications ingénieuses faites de pièces et de morceaux,
s'écrie à ce propos : « J.B.. Say, dans son Traité, t.I, ch.IV,,
fait cette remarque, très juste, que la valeur produite par un moulin à huile,
déduction faite de tous frais, est quelque chose de neuf, essentiellement
différent du travail par lequel le moulin lui-même a été créé. » (L c., p. 82,
note.) C’est en effet très juste ! « L'huile » produite par le moulin est
quelque chose de bien différent du travail que ce moulin coûte. Et sous le nom
de « valeur », maître Roscher comprend des choses comme « l'huile »,
puisque l'huile a de la valeur mais comme « dans la nature » il se trouve de
l'huile de pétrole, quoique relativement peu, il en déduit cet autre dogme : «
Elle (la nature !) ne produit presque pas de valeurs d'échange. » La
nature de M. Roscher, avec sa valeur d'échange, ressemble à la jeune fille qui
avouait bien avoir eu un enfant, « mais si petit ! » Le même savant
sérieux dit encore en une autre occasion : « L’école de Ricardo a
coutume de faire entrer le capital dans le concept du travail, en le
définissant du travail accumulé. Ceci est malhabile (!) parce que certes le
possesseur du capital a fait évidemment bien plus (!) que le produire
simplement (!) et le conserver. » Et qu'a t il donc fait ? Eh
bien ! « il s'est abstenu de jouir autant qu'il l'aurait pu, c’est
pourquoi (!) par exemple, il veut et demande de l’intérêt. » Cette méthode que
M. Roscher baptise du nom « d'anatomico physiologique de
l'économie politique » qu'elle est habile ! Elle convertit un simple désir
de la volonté en source inépuisable de valeur ! Retour au texte (194)
195 De tous les
instruments employés par le cultivateur, le travail de l'homme est celui sur
lequel il doit le plus faire fonds pour le remboursement de son capital. Les
deux autres, d'un côté les bêtes de trait et de labour, de l'autre, les
charrues, tombereaux, pioches, bêches et ainsi de suite, ne sont absolument
rien sans une portion donnée du premier. » (Edmond Burke : Thoughts and
details on scarcity originally presented to the R. Hon. W. Pitt in the month of
November 1695, Edit. London, 1800, p.10.) Retour au texte (195)
196 Dans le Times du 26 nov.
1862, un fabricant dont la filature occupe huit cent ouvriers et consomme par
semaine cent cinquante balles de coton indien en moyenne, ou environ cent
trente balles de coton américain, fatigue le public de ses jérémiades sur les
frais annuels que lui coûte la suspension intermittente du travail dans sa
fabrique. Il les évalue à six mille livres sterling. Parmi ces frais se trouve
nombre d'articles dont nous n'avons pas à nous occuper, tels que rente
foncière, impôts, prime d'assurance, salaire d'ouvriers engagés à l’année,
surveillant, teneur de livres, ingénieur et ainsi de
suite. Il compte ensuite cent cinquante livres sterling de charbon pour
chauffer la fabrique de temps à autre et mettre la machine à vapeur en mouvement,
et de plus le salaire des ouvriers dont le travail est occasionnellement
nécessaire. Enfin douze cents livres sterling pour les machines, attendu que «
la température et les principes naturels de détérioration ne suspendent pas
leur action parce que les machines ne fonctionnent pas. » Il remarque
emphatiquernent que si son évaluation ne dépasse pas de beaucoup cette somme de
douze cents livres sterling c'est que tout son matériel est bien près d'être
hors d'usage. Retour au texte (196)
197 Consommation productive : quand la
consommation d'une marchandise fait partie du procédé de production... dans de
telles circonstances il n'y a point de consommation de valeur. » (S. P. Newman,
l.c.., p. 296.) Retour au texte
(197)
198 On lit dans un
manuel imprimé aux Etats Unis et qui est peut-être à sa vingtième édition
: « Peu importe la forme sous laquelle le capital réapparaît ». Après une
énumération à dormir debout de tous les ingrédients possibles de la production
dont la valeur se montre de nouveau dans le produit, on trouve pour conclusion
: : « Les différentes espèces d'aliments, de vêtements, de logements
nécessaires pour l'existence et le confort de l'être humain sont ainsi
transformées. Elles sont consommées de temps en temps et leur valeur réapparaît
dans cette nouvelle vigueur communiquée à son corps et à son esprit, laquelle
forme un nouveau capital qui sera employé de nouveau dans l’œuvre de la
production » (Weyland, l.c., p 31, 32.) Abstraction faite d'autres bizarreries,
remarquons que ce n'est pas le prix du pain, mais bien ses substances
formatrices du sang qui réapparaissent dans la force renouvelée de l'homme. Ce
qui au contraire réapparait comme valeur de la force, ce ne sont pas les moyens
de subsistance, mais leur valeur. Les mêmes moyens de subsistance, à moitié
prix seulement, produisent tout autant de muscles, d'os, etc., en un mot la
même force, mais non pas une force de même valeur. Cette confusion entre «
valeur » et « force » et toute cette indécision pharisaïque n'ont pour but que
de dissimuler une tentative inutile, celle d'expliquer une plus value par
la simple réapparition de valeurs avancées. Retour au texte (198)
199 « Toutes les productions
d'un même genre ne forment proprement qu'une masse, dont le prix se détermine
en général et sans égard aux circonstances particulières. » (Le Trosne, l.c.,
p. 893.)
200 « Si nous
comptons la valeur du capital fixe employé comme faisant partie des avances,
nous devons cornpter à la fin de l'année la valeur persistante de ce capital
comme faisant partie de ce qui nous revient annuellement. » (Malthus : Princ.
of Pol. Econ. 2° édit., London, 1836, p.269.) Retour au texte (200)
201 Il est
évident, comme dit Lucrèce, « nil posse creari de nihilo », que rien ne
peut être créé de rien. Création de valeur est transformation de force de
travail en travail. De son côté la force de travail est avant tout un ensemble
de substances naturelles transformées en organisme humain.
202 On dit de
même, taux du profit, taux de l'intérêt, etc., (en anglais, rate of profit, etc.).
On verra dans le livre III, que le taux du profit est facile à déterminer dès
que l'on connaît les lois de la plus value. Par la voie opposée on ne
trouve ni l'un ni l'autre. Retour
au texte (202)
203 Nous avons
employé jusqu'ici le mot « temps de travail nécessaire » pour désigner le temps
de travail socialement nécessaire à la production d'une marchandise quelconque.
Désormais nous l'emploierons aussi pour désigner le temps de travail nécessaire
à la production de la marchandise spéciale force de travail. L'usage des
mêmes termes techniques dans un sens différent a certes des inconvénients; mais
cela ne peut être évité dans aucune science. Que l'on compare, par exemple, les
parties supérieures et élémentaires des mathématiques. Retour au texte (203)
204 Maître Wilhelm
Thucydides Roscher est vraiment impayable ! Il découvre que si la formation
d'une plus value ou d'un produit net et l'accumulation qui en résulte sont
dus aujourd'hui à l'épargne et à l'abstinence du capitaliste, ce qui l'autorise
à « exiger des intérêts », « dans un état inférieur de civilisation au
contraire, ce sont les faibles qui sont contraints par les forts à économiser
et à s'abstenir. » (L.c., p.78.) A s'abstenir de travailler ? Ou à économiser
un excédent de produits qui n'existe pas ? Ce qui entraîne les Roscher et
consorts à traiter comme raisons d'être de la plus value, les raisons plus
ou moins plausibles par lesquelles le capitaliste cherche à justifier son
appropriation de toute plus value créée, c'est évidemment, outre une
ignorance candide, l'appréhension que leur cause toute analyse consciencieuse
et leur crainte d'arriver malgré eux à un résultat qui ne satisferait pas la
police.
205 Le taux de la
plus value n'exprime pas la grandeur absolue de l'exploitation bien qu'il
en exprime exactement le degré. Supposons par exemple que le travail nécessaire
= 5 heures et le surtravail = 5 heures également, le degré d'exploitation est
alors de cent pour cent et la grandeur absolue de l'exploitation est de cinq
heures. Si au contraire le travail nécessaire = 6 heures et que le surtravail =
6 heures, le degré d'exploitation reste le même, c'est à dire de cent
pour cent; mais la grandeur de l'exploitation s'est accrue de vingt pour cent
de cinq à six heures. Retour
au texte (205)
206 Il est à
remarquer qu'en Angleterre l'ancienne force de cheval était calculée d'après le
diamètre du cylindre, et que la nouvelle au contraire se calcule sur la force
réelle que montre l'indicateur.
207 Ces chiffres
n'ont de valeur qu'à titre d'explication. En effet il a été suppose que les prix
= les valeurs. Or, on verra dans le livre III que cette égalisalion, même pour
les prix moyens, ne se fait pas d'une manière aussi simple. Retour au texte (207)
208 Senior, l.c.,
p.12, 13 Nous n'entrons pas dans les détails plus ou moins curieux, mais
indifférents à notre but. Nous n'examinons point, par exemple, cette assertion
que les fabricants font entrer la compensation de l'usure des machines, etc.,
c'est à dire d'une partie constitutive du capital, dans leur profit,
brut ou net, propre ou malpropre. Nous ne contrôlons pas non plus l'exactitude
ou la fausseté des chiffres avancés. Leonhard Horner dans « A letter to Mr.
Senior, etc., London, 1837 », a démontré qu'ils n'avaient pas plus de
valeur que la prétendue « analyse ». Leonhard Horner, un des Factory Inquiry
Commissioners de 1833, inspecteur, ou plutôt en réalité censeur des
fabriques jusqu'en 1859, s'est acquis des droits immortels à la reconnaissance
de la classe ouvrière anglaise. Sa vie n'a été qu'un long combat non seulement
contre les fabricants exaspérés, mais encore contre les ministres qui
trouvaient infiniment plus important de compter « les voix » des maîtres
fabricants dans la Chambre des communes que les heures de travail des « bras »
dans la fabrique.
L'exposition de Senior est confuse, indépendamment de la
fausseté de son contenu. Voici, à proprement parler, ce qu'il voulait dire :
Le fabricant occupe les ouvriers onze heures et demie ou vingt trois
demi-heures chaque jour. Le travail de l'année entière comme celui de chaque
journée particulière, consiste en onze heures et demie ou vingt trois
demi heures (c'est à dire en vingt trois demi heures
multipliées par le nombre des jours de travail pendant l'année). Ceci admis, les
vingt trois demi heures de travail donnent le produit annuel de cent
quinze mille livres sterling, une demi heure de travail produit 1/23 x 115
000 livres sterling, 20/2 heures de travail produisent 20/23 x 115 000 livres
sterling = 115 000 livres sterling, c'est à dire compensent seulement
le capital avancé. Restent trois demi heures de travail qui produisent
3/33 x 115 000 livres sterling = 15 000 livres sterling, le profit brut. Sur
ces trois demi heures de travail une demi heure produit 1/25 x 115
000 livres sterling = 5 000 livres sterling, ou compense seulement l’usure de
la fabrique et des machines. Les deux dernières demi heures,
c'est à dire la dernière heure de travail produit 2/23 x 115 000
livres sterling = 10 000 livres sterling qui forment le profit net. Dans le
texte, Senior transforme les vingt troisièmes parties du produit, en
parties de la journée de travail elle même. Retour au texte (208)
209 Si Senior a
prouvé que le bénéfice net des fabricants, l'existence de l'industrie
cotonnière anglaise et le marché de la Grande Bretagne dépendent « de la
Dernière heure de travail » le docteur Andrew Ure a par dessus le marché
démontré pour sa part, que si au lieu d'exténuer de travail les enfants et les
adolescents au dessous de huit ans dans l'atmosphère brûlante mais morale
de la fabrique, on les renvoyait une heure plus tôt dans le monde extérieur
aussi froid que frivole, l'oisiveté et le vice leur feraient perdre le salut de
leurs âmes. Depuis 1848 les inspecteurs ne se lassent jamais dans leurs rapports
semestriels de railler et d'agacer les fabricants avec « la dernière, la
fatale dernière heure ».
On lit, par exemple, dans le rapport de M. Howell, du 31 mai 1855 : «
Si l'ingénieux calcul suivant (il cite Senior) était juste, toutes les
fabriques de coton dans le Royaume Uni auraient travaillé avec perte
depuis 1850. » (Reports of the Insp. of Fact. for the half year ending
30 th. April 1855, p.19,20.) Lorsque le bill des dix heures passa au
Parlement en 1848, les fabricants firent signer par quelques travailleurs des
localités disséminées entre les comtés de Dorset et de Sommerset une
contre-pétition dans laquelle on lit entre autres choses ce qui suit : « Vos
pétitionnaires, tous pères de familles, croient qu'une heure de loisir
additionnelle n'aurait d'autre effet que de démoraliser leurs enfants, car
l'oisiveté est la mère de tous les vices. » Le rapport de fabrique du 31
octobre 1848 fait à ce propos quelques observations : « L'atmosphère des
filatures de lin, dans lesquelles travaillent les enfants de ces tendres et
vertueux parents, est remplie d'une si énorme quantité de particules de
poussière, de fil et autres matières qu'il est extraordinairement désagréable
d'y passer seulement dix minutes; on ne le peut même pas sans éprouver la
sensation la plus pénible, car les yeux, les oreilles, les narines et la bouche
se remplissent aussitôt de nuages de poussière de lin, dont il est impossible
de se garer. Le travail lui même exige, en raison de la marche
vertigineuse de la machine, une dépense continue de mouvements rapides et faits
à propos, soumis à une attention infatigable, et il semble assez cruel de faire
appliquer par des parents le terme de « fainéantise » à leurs enfants qui,
déduction faite du temps des repas, sont cloués dix heures entières à une
pareille occupation et dans une telle atmosphère... Ces enfants travaillent
plus longtemps que les garçons de ferme des villages voisins. Ces propos sans
cesse rebattus sur « l'oisiveté et la paresse » sont du cant le plus pur
et doivent être flétris comme l'hypocrisie la plus éhontée... La partie du
public qui, il y a quelques années, fut si stupéfaite de l'assurance avec
laquelle on proclama ouvertement et publiquement, sous la sanction des plus
hautes autorités, que le « bénéfice net » des fabricants provenait tout entier
du travail de la dernière heure, de sorte qu'une réduction d'une heure sur la
journée de travail anéantirait ce bénéfice, cette partie du public en croira à
peine ses yeux quand elle verra quels progrès, a fait depuis cette théorie qui
comprend maintenant dans les vertus de la dernière heure la morale et le profit
ex aequo, si bien que la réduction du travail des enfants à dix heures pleines
ferait aller à la dérive la morale des petits enfants et le profit net de leurs
patrons, morale et profit qui dépendent tous deux de cette heure fatale. » (Rpts Insp. of
Fact. 31 st. Oct. 1848, p.101.) Le même rapport nous fournit ensuite des
échantillons de la « morale » et de la « vertu » de messieurs les fabricants;
il mentionne tout au long les intrigues, les détours, les menées, les ruses,
les séductions, les menaces, les falsifications, etc., qu'ils emploient pour
faire signer des pétitions de ce genre par un petit nombre d'ouvriers intimidés
et les présenter ensuite au Parlement comme pétitions de toute une branche
d'industrie et de tout un comté ou de plusieurs. Reste un fait qui
caractérise fort bien l'état actuel de la « science » soi-disant économique;
c'est que ni Senior lui-même qui, à son honneur, se déclara plus tard énergiquement
pour la limitation légale de la journée de travail, ni ses premiers et récents
contradicteurs n'ont su découvrir les paralogismes de la « découverte originale
». Force leur a été d'en appeler à l'expérience pour toute solution. Le comment
et le pourquoi sont restés un mystère. Retour au texte (209)
210 M. le professeur a pourtant tiré
quelque profit de sa brillante campagne à Manchester. Dans ses Letters on
the Factory Act le bénéfice net tout entier « profit » et « intérêt » et
même « quelque chose de plus » dépendent d'une heure de travail non payée de
l'ouvrier. Une année auparavant, dans son livre intitulê : Outlines of
Political Economy, composé pour la délectation des étudiants d'Oxford et
des « classes éclairées », il avait « découvert », contrairement à la doctrine
de Ricardo, suivant laquelle la valeur est déterminée par le temps de travail,
que le profit provient du travail du capitaliste et l'intérêt de son abstinence.
La bourde était vieille, mais le mot nouveau. Maître Roscher l'a assez bien
traduit et germanisé par le mot Enthaltung qui a le même sens. Ses
compatriotes moins frottés de latin, les Wirth, les Schulze et autres Michel,
l'ont vainement encapuchonné. L'abstinence (Enthaltung) est devenue
renoncement (Enisagung).
211 « Pour un individu qui possède un capital de vingt mille
livres sterling et dont les profits se montent annuellement à deux mille livres
sterling, ce serait chose absolument indifférente, si son capital occupait cent
ou mille ouvriers et si les marchandises produites se vendaient à dix mille ou
à vingt mille livres sterling, pourvu que dans tous les cas ses profits ne
tombassent pas au dessous de deux mille livres sterling. Est ce qu'il
n'en est pas de même de l'intérêt réel d'une nation ? En supposant que ses
revenus nets, ses rentes et ses profits restent les mêmes, il n'y a pas la
moindre importance à ce que la nation se compose de dix ou douze millions
d'habitants. » (Ricardo, l.c., p.416.) Longtemps avant Ricardo, un fanatique du
produit net, Arthur Young, écrivain aussi prolixe et bavard que dépourvu de
jugement, dont la renommée est en raison inverse de son mérite, disait entre
autres : « De quelle utilité serait dans un pays moderne une province entière
dont le sol serait cultivé, selon l'ancien mode romain, par de petites paysans
indépendants, fût il même le mieux cultivé possible ? A quoi cela
aboutirait il ? Sinon uniquement à élever des hommes (the mere purpose
of breeding men) ce qui en soi n'a pas le moindre but (is a
useless purpose). » Arthur Young : Political arithmetic, etc.,
London, 1774, p.47.) Hopkins fait cette remarque fort juste : « Il est étrange
que l'on soit si fortement enclin à représenter le produit net comme avantageux
pour la classe ouvrière, parce qu'il permet de la faire travailler. Il est
pourtant bien évident que s'il a ce pouvoir, ce n'est point parce qu'il est
net. » (Thomas Hopkins : On Rent of Land, etc., London, 1828, p.
126.) Retour au
texte (211)
212 « Travail d'un
jour, c'est très vague; ça peut être long ou court. » (An Essay on Trade and
Commerce, containing Observations on Taxation, etc., London, 1770, p.73.) Retour au texte (212)
213 Cette question
est infiniment plus importante que la célèbre question de Sir Robert Peel à la
Chambre de commerce de Birmingham : « Qu'est-ce qu'une livre sterling
? » question qui ne pouvait être posée, que parce que Robert Peel n'en
savait pas plus sur la nature de la monnaie que les « little shilling men » auxquels
il s'adressait. Retour
au texte (213)
214 « C'est la
tâche du capitaliste d'obtenir du capital dépensé la plus forte somme de
travail possible. » (J. G. Courcelle Seneuil : Traité théorique et
pratique des entreprises industrielles. 2° édit., Paris, 1857. p.63.) Retour au texte (214)
215 « Une heure de
travail perdue par jour porte un immense préjudice à un état commercial. » - «
Il se fait une consommation de luxe extraordinaire parmi les pauvres
travailleurs du royaume et particulièrement dans la populace manufacturière :
elle consiste dans la consommation de leur temps, consommation la plus fatale
de toutes. » (An Essay on Trade and Commerce, etc., p.47 et 153.)
216 « Si le
manouvrier libre prend un instant de repos, l'économie sordide qui le suit des
yeux avec inquiétude, prétend qu'il la vole. » (N. Linguet: Théorie des lois
civiles, etc. Londres, 1767, t. II, p.466.)
217 Pendant la
grande agitation des ouvriers en bâtiment à Londres, 1860-61, pour la réduction
de la journée de travail à neuf heures, leur comité publia un manifeste qui
contient à peu de chose près le plaidoyer de notre travailleur. Il y est fait
allusion, non sans ironie, à ce que Sir M. Peto, le maître entrepreneur le plus
âpre au gain, devenu depuis célèbre par sa gigantesque banqueroute, était en
odeur de sainteté.
218 « Ceux qui
travaillent... nourrissent en réalité tout à la fois et les pensionnaires qu'on
appelle les riches et eux-mêmes. » (Edmond Burke, l.c., p.2.) Retour au texte (218)
219 Niebuhr, dans
son Histoire romaine, laisse échapper cette naïve remarque : « On
ne peut se dissimuler que des ouvrages, comme ceux des Étrusques, dont les
ruines nous étonnent encore aujourd'hui, supposent dans les petits Etats des
seigneurs et des serfs. » Sismondi est bien plus dans le vrai quand il dit que
les « dentelles de
Bruxelles » supposent des capitalistes et des salariés. Retour au texte (219)
220 « Il est
impossible de voir ces malheureux (dans les mines d'or situées entre l'Égypte,
l'Éthiopie et l'Arabie) qui ne peuvent pas même entretenir la propreté de leur
corps, ni couvrir leur nudité, sans être forcés de s'apitoyer sur leur
lamentable destin. Là point d'égards ni de pitié pour les malades, les
estropiés, les vieillards, ni même pour la faiblesse des femmes. Tous, forcés
par les coups, doivent travailler et travailler encore jusqu'à ce que la mort
mette un terme à leur misère et à leurs tourments. » (Diod. Sic.
Bibliothèque historique, liv. III, ch.13.)
221 Ce qui suit se
rapporte aux conditions des provinces roumaines avant les changements opérés
depuis la guerre de Crimée.
222 Pour plus de
détails consulter E. Regnault : Histoire politique et sociale des
principautés Danubiennes. Paris, 1855.
223 « En général
et dans de certaines limites, c'est un témoignage en faveur de la bonne venue
et de la prospérité des êtres organisés, quand ils dépassent la taille moyenne
de leur espèce. Pour ce qui est de l'homme, sa taille s'amoindrit dès que sa
croissance régulière trouve des obstacles dans n'importe quelles circonstances,
soit physiques, soit sociales. Dans tous les pays de l'Europe où règne la
conscription, depuis son établissement, la taille moyenne des hommes faits
s'est amoindrie et ils sont en général devenus moins propres au service
militaire. Avant la Révolution (1789) la taille minimum du soldat d'infanterie
en France était de cent soixante-cinq centimètres; en 1818 (loi du 10 mars) de
cent cinquante-sept; enfin après la loi du 21 mars 1832, de cent cinquante-six
seulement. Plus de la moitié des hommes sont généralement déclarés impropres au
service pour défaut de taille et vices de constitution. La taille militaire en
Saxe était en 1780 de cent soixante-dix-huit centimètres; elle est aujourd'hui
de cent cinquante-cinq; en Prusse de cent cinquante-sept. D'après les données
fournies par le docteur Meyer dans la Gazette de Bavière du 9 mai 1862,
il résulte d'une moyenne de neuf ans qu'en Prusse sur mille conscrits sept cent
seize sont impropres au service, trois cent dix-sept pour défaut de taille et
trois cent quatre-vingt-dix-neuf pour vices de constitution, etc. En 1858,
Berlin ne put fournir son contingent pour la réserve, il manquait cent
cinquante-six hommes. » (J. V. Liebig : La chimie dons son
application à l'agriculture et à la physiologie, 1862, 7° édition, v.I,
p.116, 118.)
224 On trouvera
l'histoire du Factory Act de 1850 dans le cours de ce chapitre. Retour au texte (224)
225 Je ne m'occupe que de temps à
autre de la période qui s'étend du début de la grande industrie en Angleterre
jusqu'en 1845, et sur cette matière je renvoie le lecteur au livre de Friedrich
Engels sur la situation des classes ouvrières anglaises. (Die Lage der
arbeitenden Masse in England, von Friedrich Engels, Leipzig, 1845.) Les Factory
Reports, Reports on Mines, etc., qui ont paru depuis 1845 témoignent de la
profondeur avec laquelle il a saisi l'esprit du mode de production capitaliste,
et la comparaison la plus superficielle de son écrit avec les rapports
officiels de la « Children's Employment Commission » publiés vingt ans
plus tard, montrent avec quel art admirable il a su peindre la situation dans tous
ses détails. Ces derniers rapports traitent spécialement de branches
d'industrie où la législation manufacturière n'était pas encore introduite en
1862 et en partie ne l'est même pas aujourd'hui. L'état des choses, tel que l'a
dépeint Engels, n'y a donc pas subi de modification bien sensible. J'emprunte
mes exemples principalement à la période de liberté commerciale qui a suivi
1848, à cette époque paradisiaque dont les commis voyageurs du libre-échange
aussi terriblement bavards que pitoyablement ignorants racontent tant de
merveilles. - Du reste, si l'Angleterre figure au premier rang, c'est qu'elle
est la terre classique de la production capitaliste, et qu'elle possède seule
une statistique continue et officielle des matières que nous traitons.
226 « Suggestions,
etc., by M. L. Horner, Inspector of Factories » dans le « Factory Regulation
act, ordered by the House of Commons to be printed, 9 août 1859 », p.4, 5. Retour au texte (226)
227 Reports of the
Insp. of Fact. for the hall-year ended, 1856, p.34.
228 Reports, etc.,
30 April 1858, p.7. Retour au texte (228)
229 Reports, etc., l. c., p.43. Retour au texte (229)
230 Reports, etc., l. c., p. 25. Retour au texte (230)
231 Reports, etc., for half-.year ending, 30 th. April 1861. V. Appendix
n°2, Reports, etc., 31 st. Octobre 1862, p.7, 52, 53. Les
infractions deviennent plus nombreuses dans le dernier semestre de 1863. Comp.
Reports, etc., ending 31 Oct. 1863, p.7.) Retour au texte (231)
232 Reports, etc., 31 st. Oct. 1860, p.23. Pour montrer avec quel
fanatisme, d'après les dépositions des fabricants devant la justice, « leurs
bras » s'opposent à toute interruption du travail dans la fabrique, il suffit
de citer ce cas curieux , Au commencement de juin 1836, des dénonciations
furent adressées aux magistrats de Dewsbury (Yorkshire) d'après lesquelles les
propriétaires de huit grandes fabriques dans le voisinage de Butley auraient
violé le Factory Act. Une partie de ces messieurs étaient accusés
d'avoir exténué de travail cinq garçons âgés de douze à quinze ans, depuis
vendredi, 6 heures du matin jusqu'au samedi, 4 heures du soir, sans leur
permettre le moindre répit excepté pour les repas, et une heure de sommeil vers
minuit. Et ces enfants avaient eu à exécuter ce travail incessant de trente
heures dans le « shoddy hole », ainsi se nomme le bouge où les chiffons de
laine sont mis en pièces et où une épaisse atmosphère de poussière force même
le travailleur adulte à se couvrir constamment la, bouche avec des mouchoirs
pour protéger ses poumons ! Les accusés certifièrent - en qualité de quakers
ils étaient trop scrupuleusement religieux pour prêter serment - que
dans leur grande compassion pour ces pauvres enfants ils leur avaient permis de
dormir quatre heures, mais que ces entêtés n'avaient absolument pas voulu aller
au lit. MM. les quakers furent condamnés à une amende de vingt livres sterling.
Dryden pressentait ces quakers, quand il disait :
« Renard tout fourré de
sainteté,
Qui craint un serment, mais mentirait comme le diable,
Qui, avec un
air de carême, roule pieusement des regards obliques,
Et n'oserait commettre
un péché, non ! sans avoir dit sa prière. » Retour au texte (232)
233 Rep., etc., 31 Oct. 1856, p.34. Retour au texte (233)
234 L.c., p.35. Retour au texte (234)
235 L.c., p.48. Retour au texte (235)
236 L.c. Retour
au texte (236)
237 L.c. Retour au texte (237)
238 L.c., p.48 Retour au texte (238)
239 « Moments are
the elements of Profit. » Rep. of the Inspect, etc., 30 th., April 1860, p.56 Retour au texte (239)
240 Cette expression
est admise officiellement, aussi bien dans la fabrique que dans les rapports
des inspecteurs. Retour au texte
(240)
241 C'est un économiste bourgeois qui
s'exprime ainsi : « La cupidité des maîtres de fabriques leur fait commettre
dans la poursuite du gain des cruautés que les Espagnols, lors de la conquête
de l'Amérique, ont à peine surpassées dans leur poursuite de l'or. » John Wade
: History of the Middle and Working Classes, 3° édit. Lond., 1835,
p.114. La partie théorique de cet ouvrage, sorte d'esquisse de l'économie
politique, contient pour son époque, des choses originales, principalement sur
les crises commerciales. La partie historique est trop souvent un impudent
plagiat de l'ouvrage de Sir M. Eden, History of the Poor. London, 1799.
242 London Daily
Telegraph du 14 janvier 1860. Retour au texte (242)
243 Voir. Engels :
Lage, etc., p. 249, 51. Retour au
texte (243)
244 Children's
Employment Commission. First Report, etc., 1863, Appendix, p. 16, 17, 18. Retour au texte (244)
245 Public Health.
Third Report, etc., p. l02, 104, 105.
246 Children's
Employment Commission, 1863,
p. 22, et xi. Retour
au texte (246)
247 L.c., p. XLVII
Retour au texte (247)
248 L.c., p. LIV Retour au texte (248)
249 Dans la langue
distinguée des fabricants anglais les ouvriers sont appelés « hands », littéralement
« mains ». Quand ce mot se trouve
dans nos citations anglaises, nous le traduisons toujours par « bras ».
250 Ceci ne doit
pas être pris dans le sens que nous avons donné au temps de surtravail. Ces
messieurs considèrent les dix heures et demie de travail comme constituant la
journée normale, laquelle renferme aussi le surtravail normal. Alors commence
ce « temps de travail en plus » qui est payé un peu plus cher; mais on verra
plus tard que, par contre, l'emploi de la force de travail pendant la prétendue
journée normale est payé au-dessous de sa valeur. Retour au texte (250)
251 L.c. Appendix,
p. 123, 124, 125, 140 et LIV. Retour
au texte (251)
252 L'alun réduit
en poudre fine, ou mêlé avec du sel, est un article ordinaire de commerce qui
porte le nom significatif de « baker's stuff » (matière de boulanger). Retour au texte (252)
253 Chacun sait
que la suie est une forme très pure du carbone et constitue un engrais que des
ramoneurs capitalistes vendent aux fermiers anglais. Or il y eut un procès en 1862,
dans lequel le jury anglais avait à décider si de la suie à laquelle se
trouvent mêlés à l'insu de l'acheteur, quatre-vingt-dix pour cent de poussière
et de sable, est de la suie « réelle » dans le sens « commercial » ou de la
suie « falsifiée » dans le sens « légal ». Les jurés, « amis du commerce »,
décidèrent que c'était de la suie « réelle » du commerce et déboutèrent le
fermier de sa plainte en lui faisant payer par-dessus le marché tous les frais
du procès.
254 Dans un traité
sur les falsifications des marchandises, le chimiste français Chevallier passe
en revue six cents et quelques articles et compte pour beaucoup d'entre eux
dix, vingt, trente méthodes de falsification. Il ajoute qu'il ne connaît pas
toutes les méthodes et ne mentionne pas toutes celles qu'il connaît. Il indique
six espèces de falsifications pour le sucre, neuf pour l'huile d'olive, dix
pour le beurre, douze pour le sel, dix-neuf pour le lait, vingt pour le pain,
vingt-trois pour l'eau-de-vie, vingt-quatre pour la farine, vingt-huit pour le
chocolat, trente pour le vin, trente-deux pour le café, etc. Même le bon Dieu
n'est pas épargné comme le prouve l'ouvrage de M. Ronard de Card « De la
falsification des substances sacramentelles, Paris, 1856. » Retour au texte (254)
255 Report, etc.,
relating to the Grievances complained of by the Journeymen Bakers, etc. London, 1862, et Second Report, etc. London,
1863. Retour au texte (255)
256 First Report, l.c., p. XL. Retour au texte (256)
257 L.c., p. LXXI.
Retour au texte (257)
258 George Read; The
History of Baking. London, 1848, p.16.
259 First
Report, etc. Evidence. Déposition de M. Cheesman, boulanger « full priced
». Retour au texte (259)
260 George Read,
l.c. A la fin du XVII° siècle et au commencement du XVIII° on dénonçait officiellement
comme une peste publique les agents ou hommes d 'affaires qui se faufilent dans
toutes les branches d'industrie. C'est ainsi, par exemple, que dans la session
trimestrielle des juges de paix du comté de Somerset, le grand jury adressa à
la Chambre des communes un « presentment » dans lequel, il est dit entre autres
: « Ces agents (les facteurs de Blackwell Hall) sont une calamité publique et
portent préjudice au commerce des draps et vêtements; on devrait les réprimer
comme une peste. » (The Case of our English Waal, etc., London,
1685, p. 67.) Retour au texte (260)
261 First Report, etc., p. VIII. Retour
au texte (261)
262 Report of
Committee on the Baking Trade in Ireland for 1861.
263 L.c. Retour au texte (263)
264 Meeting public
des travailleurs agricoles à Lasswade, près de Glasgow, du 5 janvier 1866.
(Voy. Workman's Advocate du 13 janv. 1866.) La formation depuis la fin
de 1865 d'une Trade-Union parmi les travailleurs agricoles, d'abord en
Ecosse, est un véritable événement historique. Retour au texte (264)
265 « Reynolds's
News Paper » du 20 janv. 1866. Chaque
semaine ce même journal publie avec des titres à sensation (sensational
headings), tels que ceux-ci : « Fearful and fatal accidents », « Appallings
tragédies » etc., toute une liste de nouvelles catastrophes de chemins de fer.
Un ouvrier de la ligne de North Stafford fait à ce propos les observations
suivantes : « Chacun sait ce qui arrive quand l'attention du mécanicien et du
chauffeur faiblit un instant. Et comment pourrait-il en être autrement, étant
donné la prolongation démesurée du travail sans une pause ou un moment de répit
? Prenons pour exemple de ce qui arrive tous les jours, un cas qui vient de se
passer : lundi dernier un chauffeur se mit à son travail le matin de très
bonne heure. Il le termina après 14 h 50. Avant qu'il eût eu le temps de
prendre seulement son thé, il fut de nouveau appelé au travail et il lui fallut
ainsi trimer vingt-neuf heures quinze minutes sans interruption. Le reste de
son travail de la semaine se distribuait comme suit : mercredi, quinze heures;
jeudi, quinze heures trente-cinq minutes; vendredi, quatorze heures et demie;
samedi, quatorze heures dix minutes. Total pour toute la semaine,
quatre-vingt-huit heures quarante minutes. Et maintenant figurez-vous son
étonnement lorsqu'il reçut une paye de six jours seulement. Notre homme était
novice; il demanda ce que l'on entendait par ouvrage d'une journée. Réponse :
treize heures, et conséquemment soixante-dix-huit heures par semaine. Mais
alors où est la paye des dix heures quarante minutes supplémentaires ? Après de
longues contestations, il obtint une indemnité de dix pence (un F) ». L.c. N°
du 10 février 1866.
266 Comp. Fr.
Engels, l. c. p. 253, 254. Retour au texte (266)
267 Dr Letheby,
médecin employé au Board of Health déclarait alors…
« Le minimum d'air
nécessaire à un adulte dans une chambre à coucher est de trois cents pieds
cubes, et dans une chambre d'habitation de cinq cents. » Dr Richardson, médecin
en chef d'un hôpital de Londres, dit : « Les couturières de toute espèce,
modistes, tailleuses en robes, etc., sont frappées par trois fléaux : excès de
travail, manque d'air et manque de nourriture ou manque de digestion. En
général, ce genre (le travail convient mieux en toute circonstance aux femmes
qu'aux hommes. Mais le malheur pour le métier, surtout à Londres, c'est qu'il a
été monopolisé par vingt-six capitalistes qui, par des moyens coercitifs
résultant du capital même « that spring from capital » économisent la dépense
en prodiguant la force de travail. Cette puissance se fait sentir dans toutes
les branches de la couture. Une tailleuse en robes par exemple parvient-elle à
se faire un petit cercle de pratiques, la concurrence la force de travailler à
mort pour le conserver, et d'accabler de travail ses ouvrières. Si ses affaires
ne vont pas, ou qu'elle ne puisse s'établir d'une manière indépendante, elle
s'adresse à un établissement où le travail n'est pas moindre, mais le payement
plus sur. Dans ces conditions elle devient une pure esclave, ballottée çà et là
par chaque fluctuation de la société, tantôt chez elle, dans une petite chambre
et mourant de faim ou peu s'en faut; tantôt dans un atelier, occupée quinze,
seize et dix-huit heures sur vingt-quatre, dans une atmosphère à peine
supportable, et avec une nourriture qui, fût-elle bonne, ne peut être digérée,
faute d'air pur. Telles sont les victimes offertes chaque jour à la phtisie et
qui perpétuent son règne; car cette maladie n'a pas d'autre origine que l'air
vicié. » (Dr Richardson : « Death front simple overwork » dans la «
Social Science Review », juillet 1863). Retour au texte (267)
268 Morning Star, 23 juin 1863. Le Times profita de la circonstance
pour défendre les esclavagistes américains contre Bright et Cie. « Beaucoup
d'entre nous, dit-il, sont d'avis que tant que nous ferons travailler à mort
nos jeunes femmes, en employant l'aiguillon de la faim au lieu du claquement du
fouet, nous aurons à peine le droit d'invoquer le fer et le feu contre des
familles qui sont nées esclavagistes, et nourrissent du moins bien leurs
esclaves et les font travailler modérément. » (Times 2 juillet 1863). Le
Standard, journal Tory, sermonna de la même manière le Rev. Newman
Hall : « Vous excommuniez, lui dit-il, les possesseurs d'esclaves, mais
vous priez avec les braves gens qui sans remords font travailler seize heures
par jour et pour un salaire dont un chien ne voudrait pas, les cochers et les
conducteurs d'omnibus de Londres. » Enfin parla la Sibylle de Chelsea, Thomas
Carlyle, l'inventeur du culte des génies (hero worship), à propos duquel
j'écrivais déjà en 1850 : « Le génie s'en est allé au diable, mais le culte est
resté. » Dans une piètre parabole il réduit le seul grand événement de l'époque
actuelle, la guerre civile américaine, à ce simple fait : Pierre du Nord veut à
toute force casser la tête à Paul du Sud, parce que Pierre du Nord loue son
travailleur quotidiennement, tandis que Paul du Sud le loue pour la vie. Macmillian's
Magazine. Ilias Americana in nuce (livraison d'août 1863). Enfin les Tories
ont dit le dernier mot de leur philanthropie : Esclavage !
269 Dr Richardson,
l.c. Retour au texte (269)
270 « Children's
Employment Commission. » Third Report. London, 1864, p.4, 5, 6. Retour au texte (270)
271 « Dans le
Staffordshire et le sud du pays de Galles, des jeunes filles et des femmes sont
employées au bord des fosses et aux tas de coke, non seulement le jour, mais
encore la nuit. Cette coutume a été souvent mentionnée dans des rapports
présentés au Parlement comme entraînant à sa suite des maux notoires. Ces
femmes employées avec les hommes, se distinguant à peine d'eux dans leur
accoutrement, et toutes couvertes de fange et de fumée, sont exposées à perdre
le respect d'elles-mêmes et par suite à s'avilir, ce que ne peut manquer
d'amener un genre de travail si peu féminin. » L.c., 194, p. 36. Comp. Fourth
Report (1865) 61, p. 13. Il en est de même dans les verreries. Retour au texte (271)
272 « Il semble
naturel », remarque un fabricant d'acier qui emploie des enfants au travail de
nuit, « que les jeunes garçons qui travaillent la nuit ne puissent ni dormir le
jour, ni trouver un moment de repos régulier, mais ne cessent de rôder çà et là
pendant le jour. » L.c. Fourth Rep., 63, p. 13. Quant à l'importance de
la lumière du soleil pour la conservation et le développement du corps, voici
ce qu'en dit un médecin : « La lumière agit directement sur les tissus du corps
auxquels elle donne à la fois solidité et élasticité. Les muscles des animaux
que l'on prive de la quantité normale de lumière, deviennent spongieux et mous;
la force des nerfs n'étant plus stimulée perd son ton, et rien de ce qui est en
travail de croissance n'arrive à bon terme. Pour ce qui est des enfants,
l'accès d'une riche lumière et l'action directe des rayons du soleil pendant
une partie du jour sont absolument indispensables à leur santé. La lumière
favorise l'élaboration des aliments pour la formation d'un bon sang plastique
et durcit la fibre une fois qu'elle est formée. Elle agit aussi comme stimulant
sur l'organe de la vue et évoque par ce la même une plus grande activité dans
les diverses fonctions du cerveau. » M. W. Strange, médecin en chef du «
General Hospital » de Worcester, auquel nous empruntons ce passage de son
livre sur la Santé (1864), écrit dans une lettre à l'un des commissaires
d'enquête, M. White : « J'ai eu l'occasion dans le Lancashire d'observer les
effets du travail de nuit sur les enfants employés dans les fabriques, et
contradictoirement aux assertions intéressées de quelques patrons, je déclare
et je certifie que la santé des enfants en souffre beaucoup. » (L.c., 284,
p.55). Il est vraiment merveilleux qu'un pareil sujet puisse fournir matière à
des controverses sérieuses. Rien ne montre mieux l'effet de la production
capitaliste sur les fonctions cérébrales de ses chefs et de leur domesticité. Retour au texte (272)
273 L.c., 57,
p.12. Retour au texte (273)
274 L. c., (4th.
Report, 1865) 58, p.12. Retour
au texte (274)
275 L.c. Retour au texte (275)
276 L.c., p.13. Le
degré de culture de ces « forces de travail » doit naturellement être tel que
nous le montrent les dialogues suivants avec un des commissaires d'enquête : Jérémias
Haynes, âge de douze ans : « Quatre fois quatre fait huit, mais quatre quatre
(quatre l'ours) font 16... Un roi est lui qui a tout l'or et tout l'argent. (A
king is Nor that has all the money and gold.) Nous avons un roi, on dit que
c'est une reine, elle s'appelle princesse Alexandra. On dit qu'elle a épousé le
fils du roi. Une princesse est un homme. » Win. Turner, âgé de douze ans : « Ne
vit pas en Angleterre, pense qu'il y a bien un pays comme ça, n'en savait rien
auparavant. » John Morris, quatorze ans: «J'ai entendu dire que Dieu a fait le
monde et que tout le peuple a été noyé, excepté un; j'ai entendu dire qu'il y
en avait un qui était un petit oiseau. » William Smith, quinze ans : «
Dieu a fait l'homme; l'homme a fait la femme. » Edward Taylor, quinze
ans : « Ne sait rien de Londres. » Henry Matthewmann, dix-sept ans :
« Vais parfois à l'église. Un nom sur quoi ils prêchent, était un certain
Jésus-Christ, mais je puis pas nommer d'autres noms et je puis pas non plus
rien dire sur celui-là. Il ne fut pas massacré, mais mourut comme u un autre.
D'une façon il n'était pas comme d'autres, parce qu'il était religieux d'une
façon, et d'autres ne le sont pas. »(He was not the same as other people in
some ways, because he was religious in some ways, and others, is n't. » (L.c.
74, p.15.) « Le diable est un bon homme. Je ne sais pas où il vit. Christ était
un mauvais gars. (The devil is a good person. I don't know where he lives.
Christ was a wicked man.) » Ch. Empl. Report Comm. V. 1866, p. 55, n°
278, etc. Le même système règne dans les verreries et les papeteries tout comme
dans les établissements métallurgiques que nous avons cités. Dans les
papeteries où le papier est fait avec des machines, le travail de nuit est la
règle pour toute opération, sauf pour le délissage des chiffons, Dans quelques
cas le travail de nuit est continué, par relais, pendant la semaine entière,
depuis la nuit du dimanche ordinairement jusqu'à minuit du samedi suivant.
L'équipe d'ouvriers de la série de jour, travaille cinq jours de douze heures
et un jour de dix-huit heures, et l'équipe de la série de nuit travaille cinq
nuits de douze heures et une de six heures, chaque semaine. Dans d'autres cas
chaque série travaille vingt-quatre heures alternativement Une série travaille six
heures le lundi et dix-huit le samedi pour coinpléter les vingt-quatre heures.
Dans d'autres cas encore on met en pratique un système intermédiaire, dans
lequel tous ceux qui sont attachés à la machine des faiseurs de papier
travaillent chaque jour de la semaine quinze à seize heures. Ce système, dit un
des commissaires d'enquête, M. Lord, paraît réunir tous les maux qu'entraînent
les relais de douze et de vingt-quatre heures. Des enfants au-dessous de treize
ans, des adolescents au-dessous de dix-huit ans et des femmes sont employés
dans ce système au travail de nuit. Maintes fois dans le système de douze
heures, il leur fallait travailler, par suite de l'absence des relayeurs, la
double série de vingt-quatre heures. Les dépositions des témoins prouvent que
des jeunes garçons et des jeunes filles sont très souvent accablés d'un travail
extra qui ne dure pas moins de vingt-quatre et même trente-six heures sans
interruption. Dans les ateliers de vernissage on trouve des jeunes filles de
douze ans qui travaillent quatorze heures par jour pendant le mois entier, sans
autre répit régulier que deux ou trois demi-heures au plus pour les repas. Dans
quelques fabriques, où l'on a complètement renoncé au travail de nuit, le
travail dure effroyablement au-delà du temps légitime, et « précisément là où
il se compose des opérations les plus sales, les plus échauffantes et les plus
monotones. »(Children's Employment Commission Report IV, 1865,
p.38 et 39.)
277 Fourth Report.
etc., 1865, 79, p. xvi. Retour au texte (277)
278 L.c., 80. Retour au texte (278)
279 L.c., 82. Retour au texte (279)
280 « Dans notre
époque raisonneuse à outrance, il faut vraiment n'être pas fort pour ne pas
trouver une bonne raison pour tout, même pour ce qu'il y a de pis et de plus
pervers. Tout ce qui s'est corrompu et dépravé dans le monde s'est corrompu et
dépravé pour de bonnes raisons. » (Hegel, l. c., p. 249.) Retour au texte (280)
281 L.c., p. 85.
Les scrupules semblables des tendres fabricants verriers d'après lesquels « les
repas réguliers fiers des enfants sont impossibles parce qu'un certain quantum
de chaleur rayonné pendant ce temps par les fourneaux serait pure perte
pour eux », ne produisent aucun effet sur le commissaire d'enquête, M. White. «
L'abstinence ou l'abnégation » ou « l'économie » avec laquelle les capitalistes
dépensent leur argent et la « prodigalité » digne d'un Tamerlan avec laquelle
ils gaspillent la vie des autres hommes, ne l'émeuvent pas comme elles ont ému
MM. Ure, Senior, etc., et leurs plats plagiaires allemands, tels que Roscher et
Cie. Aussi leur répond-il : « Il est possible qu'un peu plus de chaleur soit
perdu par suite de l'établissement de repas réguliers; mais même estimée en
argent cette perte n'est rien en comparaison de la dilapidation de force vitale
(the waste of animal power) causée dans le royaume par ci, fait que les
enfants en voie de croissance, employés dans les verreries, ne trouvent aucun
moment de repos pour prendre à l'aise leur nourriture et la digérer. » (L.c.,
p. XLV.) Et cela dans l'année de progrès 1865 ! Sans parler de la
dépense de force qu'exige de leur part l'action de lever et de porter des
fardeaux, la plupart des enfants, dans les verreries où l'on fait des
bouteilles et du flintglass, sont obligés de faire en six heures, pour exécuter
leur travail, de quinze à vingt milles anglais, et cela dure souvent quatorze à
quinze heures sans interruption. Dans beaucoup de ces verreries règne, comme
dans les filatures de Moscou, le système des relais de six heures. « Pendant la
semaine, la plus grande période de répit comprend au plus six heures, sur
lesquelles il faut prendre le temps d'aller et de venir de la fabrique, de se
laver, de s'habiller, de manger, etc., de sorte qu'il reste à peine un moment
pour se reposer. Pas un instant pour jouer, pour respirer l'air pur, si ce
n'est aux dépens du sommeil si indispensable à des enfants qui exécutent de si
durs travaux dans une atmosphère aussi brûlante... Le court sommeil lui-même
est interrompu par cette raison que les enfants doivent s'éveiller eux-mêmes la
nuit ou sont troublés dans le jour par le bruit extérieur. » M. White cite des
cas où un jeune garçon a travaillé trente-six heures de suite, d'autres où des
enfants de douze ans s'exténuent jusqu'à 2 heures de la nuit et dorment ensuite
jusqu'à 5 heures du matin (trois heures !) pour reprendre leur travail de
plus belle. « La masse de travail, disent les rédacteurs du rapport général,
Tremenheere et Turnell, que des enfants, des jeunes filles et des femmes
exécutent dans le cours de leur incantation de jour et de nuit (spell of
labour) est réellement fabuleuse. » (L.c., XLIII et XLIV.) Et cependant
quelque nuit peut-être le capital verrier, pour prouver son abstinence, sort du
club fort tard, la tête tournée par le vin de Porto; il rentre chez lui en
vacillant et fredonne comme un idiot : « Britons never, never shall
be slaves ! (Jamais l'Anglais, non jamais l'Anglais ne sera esclave !) »
282 En Angleterre,
par exemple, on voit de temps à autre dans les districts ruraux quelque ouvrier
condamné à la prison pour avoir profané le sabbat en travaillant devant sa
maison dans son petit jardin. Le même ouvrier est puni pour rupture de contrat,
s'il s'absente le dimanche de la fabrique, papeterie, verrerie, etc., même par
dévotion. Le Parlement orthodoxe ne s'inquiète pas de la profanation du sabbat
quand elle a lieu en l'honneur et dans l'intérêt du Dieu Capital. Dans un
mémoire des journaliers de Londres employés chez des marchands de poisson et de
volaille, où l'abolition du travail du dimanche est demandée (août 1863), il
est dit que leur travail dure en moyenne quinze heures chacun des six premiers
jours de la semaine et huit à dix heures le dimanche. On voit par ce mémoire
que c'est surtout la gourmandise délicate des bigots aristocratiques de Exeter
Hall qui encourage cette profanation du jour du Seigneur. Ces saints
personnages si zélés « in cute curanda », autrement dit, dans le soin de leur
peau, attestent leur qualité de chrétien par la résignation avec laquelle ils
supportent le travail excessif, la faim et les privations d'autrui. Obsequium
ventris istis (c'est-à-dire aux travailleurs) perniciosius est. Retour au texte (282)
283 « Nous avons
donné dans nos rapports antérieurs l'opinion de plusieurs manufacturiers
expérimentés au sujet des heures de travail extra... il est certain que d'après
eux ces heures tendent à épuiser prématurément la force de travail de l'homme.
» (L.c., 64, p. XIII.)
284 Cairns, l.c., p.110, 111. Retour au texte (284)
285 John Ward : History of the Borough
of Stoke-upon-Trent. London, 1843, p.42. Retour au texte (285)
286 Discours de
Ferrand à la Chambre des communes, du 27 avril 1863.
287 « That the
manufacturers would absorb it and use it up. Those were the very words used by
the cotton manufacturers. » L.c.
288 L.c. M.
Villiers, malgré la meilleure volonté du monde, était « légalement » forcé de
repousser la demande des fabricants. Ces messieurs atteignirent néanmoins leur
but grâce à la complaisance des administrations locales. M. A. Redgrave,
inspecteur de fabrique, assure que cette fois le système d'après lequel les
orphelins et les enfants des pauvres sont traités « légalement » comme
apprentis ne fut pas accompagné des mêmes abus que par le passé. (Voy. sur ces
abus Fred. Engels, l.c.) Dans un cas néanmoins « on abusa du système à l'égard
de jeunes filles et de jeunes femmes qui des districts agricoles de l'Écosse
furent conduites dans le Lancashire et le Cheshire... » - Dans ce système le
fabricant passe un traité avec les administrateurs dos maisons de pauvres pour
un temps déterminé. Il nourrit, habille et loge les enfants et leur donne un
petit supplément en argent. Une remarque de M. Redgrave, que nous citons plus
loin, paraît assez étrange, si l'on prend en considération que parmi les
époques de prospérité de l'industrie cotonnière anglaise l'année 1860 brille
entre toutes et que les salaires étaient alors très élevés, parce que la
demande extraordinaire de travail rencontrait toutes sortes de difficultés.
L'Irlande était dépeuplée; les districts agricoles d'Angleterre et d'Écosse se
vidaient par suite d'une émigration sans exemple pour l'Australie et
l'Amérique; dans quelques districts agricoles anglais régnait une diminution
positive de la population qui avait pour causes en partie une restriction
voulue et obtenue de la puissance génératrice et en partie l'épuisement de la
population disponible déjà effectué par les trafiquants de chair humaine. Et
malgré tout cela M. Redgrave nous dit : « Ce genre de travail (celui des
enfants des hospices) n'est recherché que lorsqu'on ne peut pas en trouver
d'autre, car c'est un travail qui coûte cher (high priced labour). Le
salaire ordinaire pour un garçon de treize ans est d'environ quatre shillings
(5 F) par semaine. Mais loger, habiller, nourrir cinquante ou cent de ces
enfants, les surveiller convenablement, les pourvoir des soins médicaux et leur
donner encore une petite paie en monnaie, c'est une chose infaisable pour
quatre shillings par tête et par semaine. » (Report of the Insp. of
Factories for 30 th, April 1862, p.27.) M. Redgrave oublie de nous
dire comment l'ouvrier lui-même pourra s'acquitter de tout cela à l'égard de ses
enfants avec leurs quatre shillings de salaire, si le fabricant ne le peut pas
pour cinquante ou cent enfants qui sont logés, nourris et surveillés en commun.
- Pour prévenir toute fausse conclusion que l'on pourrait tirer du texte, je
dois faire remarquer ici que l'industrie cotonnière anglaise, depuis qu'elle
est soumise au Factory Act de 1850, à son règlement du temps de travail,
etc., peut être considérée comme l'industrie modèle en Angleterre. L'ouvrier
anglais dans cette industrie est sous tous les rapports dans une condition
supérieure à celle de son compagnon de peine sur le continent. « L'ouvrier de
fabrique prussien travaille au moins dix heures de plus par semaine que son
rival anglais, et quand il est occupé chez lui à son propre métier, ses heures
de travail n'ont même plus de limite. » (Rap. of Insp. of Fact. 31 Oct.
1855, p.103). L'inspecteur Redgrave cité plus haut fit un voyage sur
le continent après l'exposition industrielle de 1851, spécialement en France et
en Prusse, pour y étudier la situation manufacturière de ces deux pays. «
L'ouvrier des manufactures prussiennes, nous dit-il, obtient un salaire
suffisant pour le genre de nourriture simple et le peu de confort auxquels il
est habitué et dont il se trouve satisfait... il vit plus mal et travaille plus
durement que son rival anglais. » (Rep. of Insp. of Fact. 31 Oct. 1853, p.85.)
289 « Les
travailleurs soumis à un travail excessif meurent avec une rapidité
surprenante; mais les places de ceux qui périssent sont aussitôt remplies de
nouveau, et un changement fréquent des personnes ne produit aucune modification
sur la scène. » England and America, London, 1833 (par E. G.
Wakefield). Retour au texte (289)
290 Voy. «
Public Health. Sixth Report of the Médical Officer of the Privy Council, 1863,
» publié à Londres en 1864. Ce rapport traite des travailleurs
agricoles. « On a présenté le comté de Sutherland comme un comté où on a fait
de grandes améliorations; mais de nouvelles recherches ont prouvé que dans ces
districts autrefois renommés pour la beauté des hommes et la bravoure des
soldats, les habitants dégénérés ne forment plus qu'une race amaigrie et
détériorée. Dans les endroits les plus sains, sur le penchant des collines qui
regardent la mer, les visages de leurs enfants sont aussi amincis et aussi
pâles que ceux que l'on peut rencontrer dans l'atmosphère corrompue d'une
impasse de Londres. » (Thornton, l.c., p. 74, 75.) Ils ressemblent en réalité
aux trente mille « gallant Highlanders » que Glasgow fourre dans ses « wynds
and closes » et accouple avec des voleurs et des prostituées. Retour au texte (290)
291 « Quoique la santé
de la population soit un élément important du capital national, nous craignons
d'être obligés d'avouer que les capitalistes ne sont pas disposés à conserver
ce trésor et à l'apprécier à sa valeur. Les fabricants ont été contraints
d'avoir des ménagements pour la santé du travailleur. » (Times, octobre
1861.) « Les hommes du West Riding sont devenus les fabricants de drap
de l'humanité entière, la santé du peuple des travailleurs a été sacrifiée et
deux générations auraient suffi pour faire dégénérer la race, s'il ne s'était
pas opéré une réaction. Les heures de travail des enfants ont été limitées,
etc. » (Report of the Registrar Général for October 1861.) Retour au texte (291)
292 Paroles de
Goethe. Retour au texte (292)
293 C'est pourquoi
nous trouvons, par exemple, qu'au commencement de l'année 1863 vingt-six
propriétaires de poteries importantes dans le Staffordshire, parmi lesquels MM.
J. Wedgwood et fils, pétitionnaient dans un mémoire pour l'intervention
autoritaire de l'État. « La concurrence avec les autres capitalistes ne nous
permet pas de limiter volontairement le temps de travail des enfants, etc. » -
« Si fort que nous déplorions les maux que nous venons de mentionner, il serait
impossible de les empêcher au moyen de n'importe quelle espèce d'entente entre
les fabricants... Tout bien considéré, nous sommes arrivés à la conviction
qu'une loi coercitive est nécessaire. » Children's Emp. Comm. Rep. 1, 1863,
p.322. - Voici un exemple plus remarquable et de date toute récente !
L'élévation des prix du coton dans une époque d'activité industrielle fiévreuse
avait engagé les propriétaires des manufactures de Blackburn à diminuer, d'une
commune entente, le temps de travail dans leurs fabriques pendant une période
déterminée, dont le terme arriva vers la fin de novembre 1871. Sur ces
entrefaites les fabricants plus riches, à la fois manufacturiers et filateurs,
mirent à profit le ralentissement de la production occasionné par cette
entente, pour faire travailler à mort chez eux, étendre leurs propres affaires
et réaliser de grands profits aux dépens des petits manufacturiers. Ces
derniers aux abois firent appel aux ouvriers, les excitèrent à mener vivement
et sérieusement l'agitation des neuf heures et promirent de contribuer à ce but
de leur propre argent !
294 Ces statuts du
travail que l'on trouve aussi en France, dans les Pays-Bas, etc., ne furent
abolis en Angleterre formellement qu'en 1813. Depuis longtemps les conditions
de la production les avaient rendus surannés.
295 « Aucun enfant
au-dessous de douze ans ne doit être employé dans un établissement
manufacturier quelconque plus de dix heures par jour. » General Statures of
Massachusetts, 63, ch.12. (Les ordonnances ont été publiées de 1836 à
1858.) « Le travail exécuté pendant une période de dix heures par jour dans les
manufactures de coton, de laine, de soie, de papier, de verres et de lin, ainsi
que dans les établissements métallurgiques doit être considéré comme journée de
travail légale. Il est arrêté que désormais aucun mineur engagé dans une
fabrique, ne doit être employé au travail plus de dix heures par jour ou
soixante heures par semaine, et que désormais aucun mineur ne doit être admis
comme ouvrier au-dessous de dix ans dans n'importe quelle fabrique de cet Etat.
» State of New Jersey. An act to limit the hours of abour, etc., 61 et
52 (loi du 11 mars 1855). « Aucun mineur qui a atteint l'âge de douze ans et
pas encore celui de quinze, ne doit être employé dans un établissement
manufacturier plus de onze heures par jour, ni avant 5 heures du matin, ni
après 7 h 30 du soir. » Revised Statutes of Rhode Island, etc., chap.
xxxix, § 23, (I° juillet 1857). Retour
au texte (295)
296 Sophisms of
Free Trade, 7° édit. Lond. 1850,
p.205. Le même Tory en convient d'ailleurs : « Les actes du Parlement sur le
règlement des salaires faits contre les ouvriers en faveur de ceux qui les
emploient, durèrent la longue période de quatre cent soixante-quatre ans. La
population augmenta. Ces lois devinrent superflues et importunes. » (L.c.,
p.206.) Retour au texte (296)
297 J. Wade fait à
propos de ce statut une remarque fort juste : « Il résulte du statut de 1496
que la nourriture comptait comme l'équivalent du tiers de ce que recevait
l'ouvrier, et des deux tiers de ce que recevait le travailleur agricole. Cela
témoigne d'un plus haut degré d'indépendance parmi les travailleurs que celui
qui règne aujourd'hui; car la nourriture des ouvriers de n'importe quelle
classe, représente maintenant une fraction bien plus élevée de leur salaire. »
(J. Wade, l.c., p. 24, 25 et 577.) Pour réfuter l'opinion d'après laquelle
cette différence serait due à la différence par exemple du rapport de prix
entre les aliments et les vêtements, alors et aujourd'hui, il suffit de jeter
le moindre coup d’œil sur le Chronicon Pretiosurn, etc., par l'évêque
Fletwood, I° édit. London, 1707. 2° édit. London, 1745. Retour au texte (297)
298 W. Petty : Political
Anatomy of Ireland, 1672, édit. 1691, p.10.
299 A discussion on
the Necessity of Encouraging rnechanick Industry, London, 1689, p. 13. Macaulay qui a falsifié l'histoire d'Angleterre
dans l'intérêt Whig et bourgeois, se livre à la déclamation suivante : «
L'usage de faire travailler les enfants prématurément, régnait au XVII° siècle
à un degré presque incroyable pour l'état de l'industrie d'alors. A Norwich, le
siège principal de l'industrie cotonnière, un enfant de six ans était censé
capable de travail. Divers écrivains de ce temps, dont quelques-uns passaient
pour extrêmement bien intentionnés, mentionnent avec enthousiasme, « exultation
» le fait que, dans cette ville seule, les garçons et les jeunes filles
créaient une richesse qui dépassait chaque année de douze mille livres sterling
les frais de leur propre entretien. Plus nous examinons attentivement
l'histoire du passé, plus nous trouvons de motifs pour rejeter l'opinion de
ceux qui prétendent que notre époque est fertile en maux nouveaux dans la
société. Ce qui est vraiment nouveau, c'est l'intelligence qui découvre le mal,
et l'humanité qui le soulage. » (History of England, v. I p.
419.) Macaulay aurait pu rapporter encore qu'au XVII° siècle des amis du
commerce « extrêmement bien intentionnés » racontent avec « exultation »
comment, dans un hôpital de Hollande un enfant de quatre ans fut employé au
travail, et comment cet exemple de « vertu mise en pratique » fut cité
pour modèle dans tous les écrits des humanitaires à la Macaulay, jusqu'au temps
d'Adam Smith. Il est juste de dire qu'à mesure que la manufacture prit la place
du métier, on trouve des traces de l'exploitation des enfants. Cette
exploitation a existé de tout temps dans une certaine mesure chez le paysan,
d'autant plus développée, que le joug qui pèse sur lui est plus dur. La
tendance du capital n'est point méconnaissable; mais les faits restent encore
aussi isolés que le phénomène des enfants à deux têtes. C'est pourquoi ils sont
signalés avec «exultation » par des « amis du commerce » clairvoyants, comme
quelque chose de particulièrement digne d'admiration, et recommandés à
l'imitation des contemporains et de la postérité. Le même sycophante écossais,
le beau diseur Macaulay ajoute : « On n'entend parler aujourd'hui que de
rétrogradation, et l'on ne voit que progrès. » Quels yeux et surtout quelles
oreilles ! Retour au texte (299)
300 Parmi les
accusateurs de la classe ouvrière, le plus enragé est l'auteur anonyme de
I'écrit mentionne dans le texte : An Essay on Trade and Commerce
containing Observations on Taxation, etc., London, 1770. Il avait déjà
préludé dans un autre ouvrage : Considerations on Taxes, London, 1765.
Sur la même ligne vient de suite le faiseur de statistiques, Polonius Arthur
Young. Parmi les défenseurs on trouve au premier rang Jacob Vanderlint, dans
son ouvrage Money answers ail things. London, 1734; Rev. Nathaniel
Forster, D. D, dans An Enquiry into the Causes of the Prescrit Price of
Provisions. London, 1766; Dr Price, et aussi Postlethwaite dans un
supplément à son « Universal Dictionary of Trade and Commerce », et
dans : Great Britain's Commercial Interest explained and improved, 2°
édit. London, 1775. Les faits eux-mêmes sont constatés par beaucoup d'autres
auteurs contemporains, entre autres, par Rev. Josiah Tucker. Retour au texte (300)
301 Postlethwaite, l.c., First Preliminary Discourse, p.4.
302 An Essay, etc. Il nous raconte lui-même, p.96, en quoi consistait
déjà en 1770 « le bonheur » des laboureurs anglais. « Leurs forces de travail
(their working powers) sont tendues à l'extrême (on the stretch); ils ne
peuvent pas vivre à meilleur marché qu'ils ne font (they cannot live cheaper
than they do), ni travailler plus durement (nor work harder). »
303 Le
protestantisme joue déjà par la transformation qu'il opère de presque tous les
jours fériés en jours ouvrables, un rôle important dans la genèse du capital. Retour au texte (303)
304 An Essay, etc., p.15, 57, passim. Retour au texte (304)
305 L.c., p.69.
Jacob Vanderlint déclarait déjà en 1734, que tout le secret des plaintes des
capitalistes à propos de la fainéantise de la population ouvrière n'avait qu' un
motif, la revendication de six jours de travail au lieu de quatre pour le même
salaire. Retour au texte (305)
306 L. c., p. 260
: « Such ideal workhouse must be made an House of Terror and not an asylum for
the poor, etc. In this ideal Workhouse the poor shall work fourteen hours, in a
day, allowing proper time for rneals, in such manner that there shall rernain
twelve hours of neat labour. » Les Français, dit-il, rient de nos idées
enthousiastes de liberté. (L.c., p. 78.)
307 Report of
Insp. of. Fact., 31 oct. 1856, p.80. La
loi française des douze heures du 5 septembre 1850, édition bourgeoise du
décret du gouvernement provisoire du 2 mars 1848, s'étend à tous les ateliers
sans distinction. Avant cette loi, la journée de travail en France n'avait pas
de limites. Elle durait dans les fabriques quatorze, quinze heures et
davantage. Voy. : Des classes ouvrières en France, pendant l'année 1848, par
M. Blanqui, l'économiste, non le révolutionnaire, qui avait été chargé par le
gouvernement d'une enquête sur la situation des travailleurs.
308 En ce qui
regarde le règlement de la journée de travail, la Belgique maintient son rang
d'Etat bourgeois modèle. Lord Howard de Welden, plénipotentiaire anglais à la
cour de Bruxelles, écrit dans un rapport au Foreign Office du 12 mai
1862 : « Le ministre Rogier m'a déclaré que le travail des enfants n'était
limité ni par une loi générale, ni par des règlements locaux; que le
gouvernement, pendant les trois dernières années, avait eu le dessein à chaque
session, de présenter aux Chambres une loi à ce sujet, mais que toujours il
avait trouvé un obstacle invincible dans l'inquiétude jalouse qu'inspire toute
Iégislation qui ne repose pas sur le principe de liberté absolue du travail. »
Les soi-disant « socialistes belges », ne font que répéter, sous une forme
amphigourique, ce mot d'ordre donné par leur bourgeoisie ! Retour au texte (308)
309 « Il est certainement très regrettable qu'une classe
quelconque de sonnes doive chaque jour s'exténuer pendant douze heures.
Ajoute-t-on a per- cela les repas et les aller et retour de l'atelier, c'est
quatorze heures par jour sur vingt-quatre... Question de santé à part, personne
ne niera, je l'espère, qu'au point de vue moral, une absorption si complète du
temps des classes travailleuses, sans relâche, depuis l'âge de treize ans, et
dans les branches d'industrie « libres » depuis un âge plus tendre encore ne
constitue un mal extrêmement nuisible, un mal effroyable. Dans l'intérêt de la
morale publique, dans le but d'élever une population solide et habile, et pour
procurer à la grande masse du peuple une jouissance raisonnable de la vie, il
faut exiger que dans toutes les branches d'industrie, une partie de chaque
journée de travail soit réservée aux repas et au délassement. » (Leonhard
Horner dans : lnsp. of Fact. Reports 31 déc. 1841.) Retour au texte (309)
310 Voyez : Judgment
of M. J. H . Otwey. Belfast. Hilary Sessions, 1860.
311 Un fait qui
caractérise on ne peut mieux le gouvernement de Louis-Philippe, le roi bourgeois,
c'est que l'unique loi manufacturière promulguée sous son règne, la loi du 22
mars 1841 ne fut jamais mise en vigueur. Et cette loi n'a trait qu'au travail
des enfants. 'Elle établit huit heures pour les enfants entre huit et douze
ans, douze heures pour les enfants entre douze et seize ans, etc., avec un
grand nombre d'exceptions qui accordent le travail de nuit, même pour les
enfants de huit ans. Dans un pays où le moindre rat est administré
policièrement, la surveillance et l'exécution de cette loi furent confiées à la
bonne volonté « des amis du commerce ». C'est depuis 1853 seulement que le
gouvernement paye un inspecteur dans un seul département, celui du Nord. Un
autre fait qui caractérise également bien le développement de la société française,
c'est que la loi de Louis-Philippe restait seule et unique jusqu'à la
révolution de 1848, dans cette immense fabrique de lois qui, en France, enserre
toutes choses. Retour au texte
(311)
312 Rep. of Insp. of Fact., 30 avril
1860, p.5 1 Retour au texte (312)
313 « Legislation
is equally necessary for the prevention of death, in any form in which it can
be prematurely inflicted, and certainly this must be viewed as a most
cruel mode, of inflicting it ». Retour
au texte (313)
314 Rep. of lnsp.
of Fact., 31 oct, 1849, p 6. Retour au texte (314)
315 Rep. of Insp. of Fact., 31 oct . 1848, p.98. Retour au texte (315)
316 Cette
expression « nefarious practices », se trouve également dans le rapport
officiel de Leonhard Horner (Rep. of lnsp. of Fact., 31 oct. 1859, p.7).
Retour au texte (316)
317 Rep. etc., for 30 th. sept. 1844, p.15. Retour au texte (317)
318 L'acte permet
d'employer des enfants pendant dix heures, quand au lieu de travailler
tous les jours ils travaillent seulement un jour sur deux. En général, cette
clause resta sans effet. Retour
au texte (318)
319 « Comme une
réduction des heures de travail des enfants serait cause qu'un grand nombre
d'entre eux serait employé, on a pensé qu'un approvisionnement additionnel
d'enfants de huit à neuf ans couvrirait l'augmentation de la demande. »
(L.c., p.13.) Retour au texte (319)
320 Rep. of insp.
of Fact., 31 st. oct. 1848, p.16.
321 « Je vis qu'on
prélevait un shilling sur les gens qui avaient reçu dix shillings par semaine,
en raison de la baisse générale du salaire de dix pour cent, et un shilling six
pence en plus, à cause de la diminution du temps de travail, soit en tout deux
shillings six pence; mais cela n'empêcha point le plus grand nombre de tenir ferme
pour le bill des dix heures. » (L.c.) Retour
au texte (321)
322 « En signant
la pétition, je déclarai que je n'agissais pas bien. - Alors, pourquoi
avez-vous signe ? - Parce qu'en cas de refus on m'aurait jeté sur le pavé. » Le
pétitionnaire se sentait en réalité « opprimé » mais pas précisément par la loi
sur les fabriques. » (L.c., p. 102.)
323 p.17, l.c.
Dans le district de M. Horner, dix mille deux cent soixante-dix ouvriers
adultes furent interrogés dans cent quatre-vingt-une fabriques. On trouve leurs
dépositions dans l'appendice du rapport de fabrique semestriel d'octobre 1848.
Ces témoignages offrent des matériaux qui ont beaucoup d'importance sous
d'autres rapports.
324 L.c. Voy. les
dépositions rassemblées par Leonhard Horner lui-même, n° 69, 70, 71, 72, 92,
93, et celles recueillies par le sous-inspecteur A, n° 51, 52, 58, 59, 60, 62,
70 de l'Appendice. Un fabricant dit même la vérité toute nue. Voy. n° 14 après
n° 265, l.c. Retour au texte (324)
325 Reports, etc., for 31 st. october 1848, p.133, 134.
326 Reports, etc., for 30th. april 1848, p. 47. Retour au texte (326)
327 Reports, etc.,
for 31st. oct. 1848, p.130. Retour au texte (327)
328
Reports, etc., 1.c. p.42. Retour au texte (328)
329 Reports, etc.,
for 31 st. oct. 1850, p.5, 6. Retour au texte (329)
330 La nature du
capital reste toujours la même, que ses formes soient à peine ébauchées ou
développées complètement. Dans un code octroyé au territoire du Nouveau-Mexique,
par les propriétaires d'esclaves, à la veille de la guerre civile américaine,
on lit : « L'ouvrier, en tant que le capitaliste a acheté sa force de travail,
est son argent (l'argent du capitaliste) « The labourer is his (the
capitalist's) money. » La même manière de voir régnait chez les patriciens
de Rome. L'argent qu'ils avaient avancé au débiteur plébéien, se
transsubstantiait par l'intermédiaire des moyens de subsistance, dans la chair
et le sang du malheureux. Cette « chair » et ce sang étaient donc « leur argent
». De là la loi des douze tables, toute à la Shylock ! Nous passons
naturellement sur l'hypothèse de Linguet, d'après laquelle les créanciers
patriciens s'invitaient de temps à autre, de l'autre côté du Tibre, à des
festins composés de la chair de débiteurs, cuite à point, ainsi que sur
l'hypothèse de Daumer à propos de l'eucharistie chrétienne. Retour au texte (330)
331 Reports, etc., for 31 st. oct. 1848, p.133. Retour au texte (331)
332 C'est ce que
fit, entre autres, le philanthrope Ashworth dans une lettre suintant le
quakerisme, adressée à Leonhard Horner.
333 L.c., p.134. Retour au texte (333)
334 L c., p.140. Retour au texte (334)
335 Ces « county
magistrales », les « grands non-payés » (great unpaid), comme les nomme W.
Cobbett, sont des juges de paix, pris parmi les notables des comtés et remplissant
leurs fonctions gratuitement. Ils forment en réalité la juridiction
patrimoniale des classes régnantes. Retour
au texte (335)
336 Reports, etc., for 30 th. april 1849, p. 21, 22. V. des exemples
semblables, ibid., p.4, 5. Retour
au texte (336)
337 Par les art. 1
et 2, IV, ch. 24, p.10, connus sous le nom de Factory Act de Sir John Hobhouse,
il est défendu à n'importe quel propriétaire de filature ou de tisseranderie,
et de même aux père, fils et frère d'un tel propriétaire, de fonctionner comme
juges de paix dans les questions qui ressortissent du Factory Act. Retour au texte (337)
338 L.c. Retour au texte (338)
339 Reports, etc., for 30 th. april 1849, p.5. Retour au texte (339)
340 Reports, etc., for 31 oct. 1849, p.6. Retour au texte (340)
341 Reports, etc., for 30 th. april 1849, p.2 1. Retour au texte (341)
342 Reports, etc., for 1° déc. 1848, p.95. Retour au texte (342)
343 Voy. « Reports,
etc., for 30 th. april 1849, p.6, et l'explication détaillée du « Shifting
system » donnée par les inspecteurs de fabrique Howell et Saunders dans les Reports
for 31 oct. 1848. Voy. de même la pétition du clergé d'Ashton et des
alentours, adressée à la reine (avril 1849) contre le « Shift system ». Retour au texte (343)
344
Comp. par ex. « The Factory Question and the Ten Hauts Bill. By R.
H. Greg., 1837 ». Retour au texte (344)
345 F. Engels : Die
Englische Zehnstundenbill (dans la Neue Rh. Zeitung, revue politique et
économique, éditée par Karl Marx, liv. d'avril 1850, p.13). Cette même «
haute » cour découvrit aussi pendant la guerre civile américaine une ambiguité
de mots qui changeait complètement le sens de la loi dirigée contre l'armement
des navires de pirates, et la transformait en sens contraire. Retour au texte (345)
346 Reports, etc., for 30 th. april 1850. Retour au texte (346)
347 En hiver, de 7
heures du matin à 7 heures du soir, si l'on veut.
348 « La présente
loi (de 1850) a été un compromis par lequel les ouvriers employés livraient le
bénéfice de la loi des dix heures en retour d'une période uniforme, pour le commencement
et la fin du travail de ceux dont le travail est restreint. » (Reports,
etc., for 30 th. april 1852, p.14.) Retour au texte (348)
349 Reports, etc., for 30 th. sept. 1844, p.13. - 2. L.c.
350 « The délicate
texture of the fabric in which they were employed requiring a lightness of
touch, only to be acquired by their early introduction to these factories. »
(L.c., p.20.) Retour au texte (350)
351 Reports, etc., for 31 oct. 1861, p.26. Retour au texte (351)
352 L.c., p.27. En
général la population ouvrière soumise à la loi des fabriques, s'est
physiquement beaucoup améliorée. Néanmoins on trouve dans les rapports officiels
du Dr Grennhow le tableau suivant :
Tant pour 100 des adultes occupés dans les manu- factures |
Chiffre de mortalité pour affection des poumons sur 100 000 hommes |
Nom du district |
Chiffre de Mortalité Pour ffection des poumons sur 100 000 femmes |
Tant pour 100 des femmes occupées dans les manu- factures |
Genre d’occu- pation |
14,9 |
598 |
Wigan |
644 |
18,0 |
Coton |
42,6 |
708 |
Blackburn |
734 |
34,9 |
- |
37,3 |
547 |
Halifax |
564 |
20,4 |
Worsted (Laine filée) |
41,9 |
611 |
Bradford |
606 |
30,0 |
- |
21,0 |
691 |
Macclesfield |
804 |
26,0 |
Soie |
14,9 |
588 |
Leek |
705 |
17,2 |
- |
36,6 |
721 |
Stoke upon Trent |
665 |
19,3 |
Poterie |
30,4 |
726 |
Woolstanton |
665 |
13,9 |
- |
305 |
Huit districts agricoles |
340 |
353 On sait avec
quelle répugnance les « libre-échangistes » anglais renoncèrent aux droits
protecteurs des manufactures de soie. Le service que leur rendait la protection
contre l'importation française, leur rend maintenant le manque de protection
pour les enfants employés dans leurs fabriques. Retour au texte (353)
354 Reports, etc., for 30 th. april 1853, p.31. Retour au texte (354)
355 Pendant les
années de la plus haute prospérité pour l'industrie cotonnière anglaise, 1859
et 1860, quelques fabricants essayèrent, en offrant des salaires plus élevés pour
le temps de travail extra, de déterminer les fileurs adultes, etc., à accepter
une prolongation de la journée. Ceux-ci mirent fin à toute tentative de ce
genre par un mémoire adressé aux fabricants, dans lequel il est dit entre
autres : « Pour dire toute la vérité, notre vie nous est à charge, et tant que
nous serons enchaînés à la fabrique presque deux jours de plus (vingt heures)
par semaine que les autres ouvriers, nous nous sentirons comme des ilotes dans
le pays, et nous nous reprocherons d'éterniser un système qui est une cause de
dépérissement moral et physique pour nous et notre race... Nous vous
avertissons donc respectueusement qu'à partir du premier jour de la nouvelle
année, nous ne travaillerons plus une seule minute au-delà de soixante heures
par semaine, de 5 h du matin à 6 h du soir, déduction faite des pauses légales
de une heure et demie. » (Reports, etc., for 30 th. april 1860,
p.30.) Retour au texte (355)
356 Sur les moyens
que fournit la rédaction de cette loi pour sa propre violation, compulser le
rapport parlementaire : « Factory Regulations Acts » (6 août 1859) et
dans ce rapport les observations de Leonhard Horner « Suggestions for Amending
the Factory Acts to enable the Inspectors to prevent Illegal Working,
now become very prevalent ».
357 « Des enfants
de huit ans et d'autres plus âgés ont été réellement exténués de travail dans
mon district, de 6 h du matin à 9 h du soir pendant le dernier semestre de
l'année 1857. » (Reports, etc., for 31 oct. 1857, p.39) Retour au texte (357)
358 « Il est admis
que le « Printwork's Act » est un avortement pour ce qui regarde soit ses règlements
protecteurs, soit ses règlements sur l'éducation. » (Reports, etc., for
31 oct. 1862, p.62.)
359 Ainsi par ex.
B. E. Potter dans une lettre adressée au Times du 24 mars 1863. Le Times
lui rafraîchit la mémoire et lui rappelle la révolte des fabricants
contre la loi des dix heures. Retour
au texte (359)
360 Entre autres
M. W. Newmarch, collaborateur et éditeur de « L'Histoire des Prix » de
Tooke. Est-ce donc un progrès scientifique que de faire de lâches concessions à
l'opinion publique ? Retour
au texte (360)
361 La loi concernant les
blanchisseries et les teintureries publiée en 1860, arrête que la journée de
travail sera réduite provisoirement à douze heures le 1° août 1861, et à dix
heures définitivement le 1° août 1862, C'est-à-dire dix heures et demie pour
les jours ordinaires, et sept heures et demie pour les samedis. Or, lorsque
arriva la fatale année 1862, la même vieille farce se renouvela. Messieurs les
fabricants adressèrent au Parlement pétitions sur pétitions, pour obtenir qu'il
leur fût permis, encore une petite année, pas davantage, de faire travailler
douze heures les adolescents et les femmes... Dans la situation actuelle, disaient-ils
(pendant la crise cotonnière), ce serait un grand avantage pour les ouvriers,
si on leur permettait de travailler douze heures par jour et d'obtenir ainsi le
plus fort salaire possible... La Chambre des communes était déjà sur le point
d'adopter un bill dans ce sens; mais l'agitation ouvrière dans les
blanchisseries de l'Écosse l'arrêta. (Reports, etc., for 31 oct. 1862,
p.14, 15.) Battu par les ouvriers au nom desquels il prétendait parler, le
capital empruntant les besicles des juristes découvrit que la foi de 1860,
comme toutes les lois du Parlement « pour la protection du travail » était
rédigée en termes équivoques qui lui donnaient un prétexte d'exclure de la
protection de la loi les « calendreurs et les finisseurs » (finishers). La
juridiction anglaise, toujours au service du capital, sanctionna la chicanerie
par un arrêt de la cour des plaids communs (common pleas). « Cet arrêt souleva
un grand mécontentement parmi les ouvriers, et il est très regrettable que les
intentions manifestes de la législation soient éludées sous prétexte d'une
définition de mots défectueuse. » (L.c., p.18.) Retour au texte (361)
362 Les «
blanchisseurs en plein air » s'étaient dérobés à la loi de 1860 sur les blanchisseries,
en déclarant faussement qu'ils ne faisaient point travailler de femmes la nuit.
Leur mensonge fut découvert par les inspecteurs de fabrique, et en même temps,
à la lecture des pétitions ouvrières, le Parlement vit s'évanouir toutes les sensations
de fraîcheur qu'il éprouvait à l'idée d'une « blanchisserie en plein air ».
Dans cette blanchisserie aérienne on emploie des chambres à sécher de 90 à 100
degrés Fahrenheit dans lesquelles travaillent principalement des jeunes filles.
« Cooling» (rafraîchissement), tel est le terme technique qu'elles emploient
pour leur sortie de temps à autre du séchoir. » Quinze jeunes filles dans les
séchoirs, chaleur de 80 à 90° pour la toile, de 100° et plus pour la batiste
(cambrics). Douze jeunes filles repassent dans une petite chambre de dix pieds
carrés environ, chauffée par un poêle complètement fermé. Elles se tiennent
tout autour de ce poêle qui rayonne une chaleur énorme, et sèche rapidement la
batiste pour les repasseuses. Le nombre des heures de travail de « ces bras »
est illimité. Quand il y a de l'ouvrage, elles travaillent jusqu'à 9 heures du
soir ou jusqu'à minuit plusieurs jours de suite. (Reports, etc., for
31 oct. 1862, p.56.) Un médecin fait cette déclaration : « Il n'y a point
d'heures fixes pour le rafraîchissement, mais quand la température est
insoutenable, ou que la sueur commence à salir les mains des ouvrières, on leur
permet de sortir deux minutes... Mon expérience dans le traitement des maladies
de ces ouvrières me force à constater que leur état de santé est fort
au-dessous de celui des ouvrières en coton (et le capital, dans sa pétition au
Parlement, les avait dépeintes comme plus roses et plus joufflues que les
Flamandes de Rubens). Leurs maladies principales sont : la phtisie, la bronchite,
les affections de l'utérus, l'hystérie sous sa forme la plus horrible et le
rhumatisme. Elles proviennent toutes, selon moi, de l'atmosphère surchauffée de
leurs chambres de travail et du manque de vêtements convenables qui puissent
les protéger, quand elles sortent dans les mois d'hiver, contre l'air froid et
humide. » (L.c., p.56,57.) Les inspecteurs de fabrique remarquent à propos de
la loi arrachées ensuite en 1863, à ces joviaux blanchisseurs en plein air : «
Cette loi non seulement n'accorde pas aux ouvriers la protection qu'elle semble
accorder, mais elle est formulée de telle sorte, que sa protection n'est
exigible que lorsqu'on surprend en flagrant délit de travail, après 8 heures du
soir, des femmes et des enfants; et même dans ce cas la méthode prescrite pour
faire la preuve a des clauses telles, qu'il est à peine possible de sévir. »
(L. c., p. 52.) « Comme loi se proposant un but humain et éducateur, elle est
complètement manquée. Car enfin, on ne dira pas qu'il est humain d'autoriser des
femmes et des enfants, ou, ce qui revient au même, de les forcer à travailler
quatorze heures par jour et peut-être encore plus longtemps, avec ou sans
repos, comme cela se rencontre, sans considération d'âge, de sexe, et sans
égard pour les habitudes sociales des familles voisines des blanchisseries. » (Reports,
etc., for 30 th. april 1863, p. 40.) Retour au texte (362)
363 Depuis 1866,
époque à laquelle j'écrivais ceci, il s'est opéré une nouvelle réaction. Les
capitalistes, dans les branches d'industrie menacées d'être soumises à la
législation des fabriques, ont employé toute leur influence parlementaire pour
soutenir leur « droit de citoyen » à l'exploitation illimitée de la force
de travail. Ils ont trouvé naturellement dans le ministère libéral Gladstone
des serviteurs de bonne volonté.
364 « La conduite
de chacune de ces classes (capitalistes et ouvriers) a été le résultat de la
situation relative dans laquelle elles ont été placées. » (Reports,
etc., for 31 st. oct. 1848, p.112.) Retour au texte (364)
365 « Deux
conditions sont requises pour qu'une industrie soit sujette à être inspectée et
que le travail puisse y être restreint; il faut qu'on y fasse usage de la force
d'eau ou de vapeur et qu'on y fabrique certains tissus spéciaux. » (Reports,
etc., for 31 oct. 1864, p.8.)
366 On trouve sur la
situation de ce genre d'industrie de très nombreux renseignements dans les
derniers rapports de la « Children's employment commission ». Retour au texte (366)
367 « Les lois de
la dernière session (1864) embrassent une foule d'industries dont les procédés
sont très différents, et l'usage de la vapeur pour mettre en mouvement les
machines n'est plus comme précédemment un des éléments nécessaires pour
constituer ce que légalement on nomme une fabrique. » (Reports, etc., for
31 oct. 1864, p.8.) Retour
au texte (367)
368 La Belgique,
ce paradis du libéralisme continental, ne laisse voir aucune trace de ce
mouvement. Même dans ses houillères et ses mines de métal, des travailleurs des
deux sexes et de tout âge sont consommés avec une « liberté » complète, sans
aucune limite de temps. Sur mille personnes employées il y a sept cent
trente-trois hommes, quatre-vingt-huit femmes, cent trente-cinq garçons et
quarante-quatre jeunes filles au-dessous de seize ans. Dans les hauts fourneaux
sur mille également, il y a six cent quatre-vingt-huit hommes, cent
quarante-neuf femmes, quatre- vingt-dix-huit garçons et quatre-vingt-cinq
jeunes filles au-dessous de seize ans. Ajoutons à cela que le salaire est peu
élevé en comparaison de l'exploitation énorme des forces de travail parvenues
ou non à maturité; il est par jour en moyenne de deux shillings huit pence pour
hommes, un shilling huit pence pour femmes et deux shillings six pence pour les
garçons. Aussi la Belgique a-t-elle en 1863, comparativement avec 1850, à peu
près doublé la quantité et la valeur de son exportation de charbon, de fer,
etc. Retour au texte (368)
369 Quand Robert Owen, immédiatement après
les dix premières années de ce siècle, soutint théoriquement non seulement la
nécessité d'une limitation de la journée de travail, mais encore établit réellement
la journée de dix-heures dans sa fabrique de New-Lamark, on se moqua de cette
innovation comme d'une utopie communiste. On persifla son « union du travail
productif avec l'éducation des enfants », et les coopérations ouvrières qu'il
appela le premier à la vie. Aujourd'hui la première de ces utopies est une loi
de l'Etat, la seconde figure comme phrase officielle dans tous les Factory
Acts, et la troisième va jusqu'à servir de manteau pour couvrir des
manœuvres réactionnaires. Retour
au texte (369)
370 Ure, trad. franc., Philosophie des manufactures. Paris,
1836, t. II, p.39, 40, 67, etc. Retour
au texte (370)
371 Dans le compte
rendu du congrès international de statistique tenu à Paris en 1855, il est dit
entre autres que la loi française, qui restreint à douze heures la durée du
travail quotidien dans les fabriques et les ateliers, n'établit pas d'heures
fixes entre lesquelles ce travail doit s'accomplir. Ce n'est que pour le
travail des enfants que la période entre 5 heures du matin et 9 heures du soir
est prescrite. Aussi des fabricants usent-ils du droit que leur accorde ce
fatal silence pour faire travailler sans interruption tous les jours, excepté
peut-être le dimanche. Ils emploient pour cela deux séries différentes de
travailleurs, dont aucune ne passe plus de douze heures à l'atelier; mais
l'ouvrage, dans l'établissement, dure jour et nuit. « La loi est satisfaite,
mais l'humanité l'est-elle également ? » Outre l'influence destructrive du
travail de nuit sur l'organisme humain, on y fait ressortir encore la fatale
influence de la confusion pendant la nuit des deux sexes dans les mêmes
ateliers très mal éclairés. Retour
au texte (371)
372 « Dans mon
district, par exemple, un même fabricant est, dans les mêmes établissements,
blanchisseur et teinturier, et comme tel soumis à l'acte qui règle les
blanchisseries et les teintureries de plus imprimeur, et comme tel soumis au «
Printwork's Act »; enfin finisseur (finisher), et comme tel soumis au « Factory
Act... » (Reports of M. Redgrave, dans Reports, etc., for 31
oct. 1861, p.20.) Après avoir énuméré les divers articles de ces lois et
fait ressortir la complication qui en résulte, M. Redgrave ajoute : « On voit
combien il doit être difficile d'assurer l'exécution de ces trois règlements
parlementaires, s’il plait au fabricant d'éluder la loi. » Mais ce qui est
assuré par là à MM. les juristes, ce sont les procès. Retour au texte (372)
373 Enfin les
inspecteurs de fabrique se sentent le courage de dire : « Ces objections (du
capital contre la limitation légale du temps de travail) doivent succomber
devant le grand principe des droits du travail... Il y a un temps où le droit
du patron sur le travail de son ouvrier cesse, et où celui-ci reprend
possession de lui-même. » (Reports, etc., for 31 oct. 1862, p.54.)
Retour au texte (373)
374 « Nous, les travailleurs
de Dunkirk, déclarons que la longueur du temps de travail requise sous le
système actuel est trop grande, et que, loin de laisser à l'ouvrier du temps
pour se reposer et s'instruire, elle le plonge dans un état de servitude qui ne
vaut guère mieux que l'esclavage (a condition of servitude but little better
than slavery). C'est pourquoi nous décidons que huit heures suffisent pour une
journée de travail et doivent être reconnues légalement comme suffisantes; que
nous appelons à notre secours la presse, ce puissant levier... et que nous
considérons tous ceux qui nous refuseront cet appui comme ennemis de la réforme
du travail et des droits du travailleur. » (Décisions des travailleurs de
Dunkirk, Etat de New York, 1866). Retour
au texte (374)
375 Reports, etc., for 31 oct. 1848, p.112. Retour au texte (375)
376 « Ces procédés
(les manœuvres du capital, par exemple, de 1848 à 1850) ont fourni des preuves
incontestables de la fausseté de l'assertion si souvent mise en avant, d'après
laquelle les ouvriers n'ont pas besoin de protection, mais peuvent être
considérés comme des agents libres dans la disposition de la seule propriété
qu'ils possèdent, le travail de leurs mains et la sueur de leurs fronts. » (Reports,
etc., for 30 th. april 1851, p.45.) (Le travail libre, si on peut
l'appeler ainsi, même dans un pays libre, requiert le bras puissant de la loi
pour le protéger. » (Reports, etc., for 31 oct. 1864, p.34.) «
Permettre, est la même chose que forcer... de travailler quatorze heures par
jour, avec ou sans repos. » (Reports, etc., for 30 th. april 1863,
p.40.) Retour au texte (376)
377 Friedrich
Engels, l.c., p.5. Retour au texte (377)
378 Paroles de
Henri Heine. Retour au texte (378)
379 « Dans les
branches d'industrie qui lui sont soumises, le bill des dix heures a sauvé les
ouvriers d'une dégénérescence complète et a protégé tout ce qui regarde leur
condition physique. » (Reports, etc., for 31 oct. 1849, p.
47-52). « Le capital (dans les fabriques) ne peut jamais entretenir les
machines en mouvement au-delà d'une période de temps déterminée sans porter
atteinte à la santé et à la moralité des ouvriers, et ceux-ci ne sont point en
position de se protéger eux-mêmes. » (L c., p.8.)
380 « Un bienfait
encore plus grand, c'est la distinction enfin clairement établie entre le temps
propre de l'ouvrier et celui de son maître. L'ouvrier sait maintenant quand le
temps qu'il a vendu finit, et quand commence celui qui lui appartient; et cette
connaissance le met à même de disposer d'avance de ses propres minutes suivant
ses vues et projets. » (L.c., p.52.) « En constituant les ouvriers maîtres de
leur propre temps, la législation manufacturière leur a donne une énergie
morale qui les conduira un jour à la possession du pouvoir politique.»(L.c.,
p.47). Avec une ironie contenue et en termes très circonspects, les inspecteurs
de fabrique donnent à entendre que la loi actuelle des dix heures n'a pas été
sans avantages pour le capitaliste. Elle l'a délivré, jusqu'à un certain point,
de cette brutalité naturelle qui lui venait de ce qu'il n'était qu'une simple
personnification du capital et lui a octroyé quelque loisir pour sa propre
éducation. Auparavant « le maître n'avait de temps que pour l'argent; le
serviteur que pour le travail ». (L.c., p 48.)
381 Dans le texte,
il est toujours supposé, non seulement que la valeur d'une force de travail
moyenne est constante, mais encore que tous les ouvriers employés par un
capitaliste ne sont que des forces moyennes. Il y a des cas exceptionnels où la
plus-value produite n'augmente pas proportionnellement au nombre des ouvriers
exploités, mais alors la valeur de la force de travail ne reste pas constante.
382 Cette loi élémentaire semble inconnue
à messieurs les économistes vulgaires, qui, nouveaux Archimèdes mais à rebours,
croient avoir trouvé dans la détermination des prix du marché du travail par
I'offre et la demande le point d'appui au moyen duquel ils ne soulèveront pas
le monde, mais le maintiendront en repos. Retour au texte (382)
383 Dans le livre
quatrième. Retour au texte (383)
384 « Le travail,
qui est le temps économique de la société, est une quantité donnée, soit dix heures
par jour d'un million d'hommes, ou dix millions d'heures... Le capital a sa
limite d'accroissement. Cette limite peut, à toute période de l'année, être
atteinte dans l'extension actuelle du temps économique employé. » An Essay
on the political Economy of nations. London, 1821, p.48, 49. Retour au texte (384)
385 « Le fermier
ne peut pas compter sur son propre travail; et s'il le fait, je maintiens qu'il
y perdra. Sa fonction est de tout surveiller. Il faut qu'il ait l’œil sur son
batteur en grange, ses faucheurs, ses moissonneurs, etc. Il doit constamment
faire le tour de ses clôtures et voir si rien n'est négligé, ce qui aurait lieu
certainement s'il se confinait en une place quelconque. » (An Enquiry into
the Connection between, the Price of Provisions, and the Size of Farms, etc.,
by a Farmer. London, 1773, p. 12) . Cet écrit est très intéressant. On
peut y étudier la genèse du « capitalist farmer » ou « merchant farmer
», comme il est appelé en toutes lettres et y lire sa glorification
vis-à-vis du « petit fermier » qui n'a qu'un souci, celui de sa
subsistance. -« La classe des capitalistes est d'abord en partie et finalement
tout à fait délivrée de la nécessité du travail manuel. » Textbook of
Lectures on rite Polit. Economy of Nations by the Rev. Richard Jones.
Hertford, 1852, lecture III. Retour
au texte (385)
386 La théorie
moléculairede la chimie moderne, développée pour la première fois
scientifiquement par Laurent et Gerhardt, a pour base cette loi. Retour au texte (386)
387 « Compagnie
monopolia ». Tel est le nom que donne
Martin Luther à ce genre d'institutions. Retour au texte (387)
388 Reports of
Insp. of Fact. for 30th. april 1849, p.59.
389 L.c., p.60.
L'inspecteur de fabrique Stuart, écossais lui-même, et contrairement aux
inspecteurs anglais, tout à fait imbu de la manière de voir capitaliste,
affirme expressément que cette lettre, qu'il annexe à son rapport, est « la
communication la plus utile qui lui ait été faite par les fabricants qui
emploient le système des relais, et qu'elle a principalement pour but d'écarter
les préjugés et de lever les scrupules que sou lève ce système ». Retour au texte (389)