Karl Marx
Le Capital
Livre premier
Le développement de la production capitaliste
TABLE DES MATIERES
Quatrième section : la
production de la plus-value relative
XIII.Coopération
XIV. Division du travail et manufacture
1.Double origine de la manufacture
2.Le travailleur parcellaire et
son outil
4.Division du travail dans la
manufacture et dans la société
5.Caractère capitaliste de la
manufacture
XV. Machinisme et grande industrie
1. Développement des machines et de la production
mécanique
2. Valeur transmise par la machine
au produit
3. Réaction immédiate de l’industrie
mécanique sur le travailleur
4. La fabrique
5. Lutte entre travailleur et
machine
7. Répulsion et attraction des
ouvriers par la fabrique. Crises de l’industrie cotonnière.
8. Révolution opérée dans la
manufacture, le métier et le travail à
domicile par la grande industrie
10. Grande industrie et agriculture
IV° section : la production de la
plus-value relative
Chapitre XII : La plus-value relative
Jusqu'ici, nous avons considéré la partie de la
journée de travail où l'ouvrier ne fait que compenser la valeur que le
capitaliste lui paie, comme une grandeur constante, ce qu'elle est réalité dans
des conditions de production invariables. Au-delà de ce temps nécessaire, le
travail pouvait être prolongé de deux, trois, quatre, cinq, six, etc., heures.
D'après la grandeur de cette prolongation, le taux de la plus-value et la
longueur de la journée variaient. Si le temps de travail nécessaire était
constant, la journée entière était au contraire variable.
Supposons maintenant une journée de travail dont les
limites et la division en travail nécessaire et surtravail soient données. Que
la ligne a c
a--------------------b----c
représente par exemple une journée de douze heures,
la partie ab x heures de travail nécessaire, et la partie bc deux
heures de surtravail. Comment la production de plus-value peut-elle être
augmentée, sans prolonger ac ?
Bien que la grandeur ac soit fixe, bc semble
pouvoir être prolongé, sinon par son extension au-delà du point fixe c
qui en même temps le point final de la journée, du moins en reculant son point
initial b dans la direction de a. Supposons que dans la ligne
a------------------b’--b----c
bb’ soit égale à la moitié de bc, c'est-à-dire à une heure de
travail. Si maintenant dans ac le point b est reculé vers b', le
surtravail dévient b'c, il augmente de moitié, de deux à trois
heures, bien que la journée entière ne compte toujours que douze heures. Cette
extension du surtravail de bc à b'c, de deux à trois heures, est
cependant impossible sans une contraction de ab à ab', du travail
nécessaire de neuf à dix heures. Le raccourcissement du travail nécessaire
correspondrait ainsi à la prolongation du surtravail, ou bien une partie du
temps que jusqu'ici l'ouvrier consomme en réalité pour lui-même, se
transformerait en temps de travail pour le capitaliste. Les limites de la
journée ne seraient pas changées, mais sa division en travail nécessaire et
surtravail.
D'autre part, la durée du surtravail est fixée dès
que sont données les limites de la journée et la valeur journalière de la force
de travail. Si celle-ci s'élève à cinq shillings - somme d'or où sont
incorporées dix heures de travail - alors l'ouvrier doit travailler dix heures
par jour pour compenser la valeur de sa force payée quotidiennement par le
capitaliste, ou pour produire un équivalent des subsistances qu'il lui faut
pour son entretien quotidien. La valeur de ces subsistances détermine la valeur
journalière de sa force (390),
et la valeur de celle-ci détermine la durée quotidienne de son travail
nécessaire. En soustrayant de la journée entière le temps de travail
nécessaire, on obtient la grandeur du surtravail. Dix heures soustraites de douze,
il en reste deux, et, dans les conditions données, il est difficile de voir
comment le surtravail pourrait être prolongé au-delà de deux heures.
Assurément, au lieu de cinq shillings, le capitaliste peut ne payer à l'ouvrier
que quatre shillings six pence ou moins encore. Neuf heures de travail
suffiraient pour reproduire cette valeur de quatre shillings six pence; le
surtravail s'élèverait alors de un sixième à un quatrième de la journée, et la
plus-value de un shilling à un shilling six pence. Ce résultat ne serait
cependant obtenu qu'en abaissant le salaire de l'ouvrier au-dessous de la
valeur de sa force de travail. Avec les quatre shillings six pence qu'il
produit en neuf heures, il disposerait de un dixième de moins qu'auparavant
pour ses moyens de subsistance, et, par conséquent, ne reproduirait sa propre
force que d'une manière défectueuse. Le surtravail serait prolongé, grâce à une
transgression de sa limite normale bc, par un vol commis sur le temps de
travail nécessaire.
Or, quoique cette pratique joue un rôle des plus
importants dans le mouvement réel du salaire, elle n'a aucune place ici où l'on
suppose que toutes les marchandises, et par conséquent aussi la force de
travail, sont achetées et vendues à leur juste valeur. Ceci une fois admis, le
temps de travail nécessaire à l'entretien de l'ouvrier ne peut pas être abrégé
en abaissant son salaire au-dessous de la valeur de sa force mais seulement en
réduisant cette valeur même. Les limites à la journée étant données, la
prolongation du surtravail doit résulter de la contraction du temps de travail
nécessaire et non la contraction du travail nécessaire de l'expansion du
surtravail. Dans notre exemple, pour que le travail nécessaire diminue de un
dixième, descende de dix à neuf heures, et que par cela même le surtravail
monte de deux à trois heures, il faut que la valeur de la force de travail
tombe réellement de un dixième.
Une baisse de un dixième suppose que la même masse de
subsistances produite d'abord en dix heures, n'en nécessite plus que neuf -,
chose impossible sans que le travail ne gagne en force productive. - Un
cordonnier peut, par exemple, avec des moyens donnés faire en douze heures une
paire de bottes. Pour qu'il en fasse dans le même temps deux paires, il faut
doubler la force productive de son travail, ce qui n'arrive pas sans un
changement dans ses instruments ou dans sa méthode de travail ou dans les deux
à la fois. Il faut donc qu'une révolution s'accomplisse dans les conditions de
production.
Par augmentation de la force productive ou de la
productivité du travail, nous entendons en général un changement dans ses
procédés, abrégeant le temps socialement nécessaire à la production d'une
marchandise, de telle sorte qu'une quantité moindre de travail acquiert la
force de produire plus de valeurs d'usage (391). Le mode de production était censé donné quand nous
examinions la plus-value provenant de la durée prolongée du travail. Mais dès
qu'il s'agit de gagner de la plus-value par la transformation du travail
nécessaire en surtravail, il ne suffit plus que le capital, tout en laissant
intacts les procédés traditionnels du travail, se contente d'en prolonger
simplement la durée. Alors il lui faut au contraire transformer les conditions
techniques et sociales c'est-à-dire le mode de la production. Alors seulement
il pourra augmenter la productivité du travail, abaisser ainsi la valeur de la
force de travail et abréger par cela même le temps exigé pour la reproduire.
Je nomme plus-value absolue la plus-value produite
par la simple prolongation de la journée de travail, et plus-value relative la
plus-value qui provient au contraire de l'abréviation du temps de travail
nécessaire et du changement correspondant dans la grandeur relative des deux
parties dont se compose la journée.
Pour qu'il fasse baisser la valeur de la force de
travail, l'accroissement de productivité doit affecter des branches d'industrie
dont les produits déterminent la valeur de cette force, c'est-à-dire des
industries qui fournissent ou les marchandises nécessaires à l'entretien de
l'ouvrier ou les moyens de production de ces marchandises. En faisant diminuer
leur prix, l'augmentation de la productivité fait en même temps tomber la
valeur de la force de travail. Au contraire, dans les branches d'industrie qui
ne fournissent ni les moyens de subsistance ni leurs éléments matériels, un
accroissement de productivité n'affecte point la valeur de la force de travail.
Le meilleur marché d'un article ne fait déprécier la
force de travail que dans la proportion suivant laquelle il entre dans sa
reproduction. Des chemises, par exemple, sont un objet de première nécessité,
mais il y en a bien d'autres. La baisse de leur prix diminue seulement la
dépense de l'ouvrier pour cet objet particulier. La somme totale des choses
nécessaires à la vie ne se compose cependant que de tels articles provenant
d'industries distinctes. La valeur de chaque article de ce genre entre comme
quote-part dans la valeur de la force de travail dont la diminution totale est
mesurée par la somme des raccourcissements du travail nécessaire dans toutes
ces branches de production spéciales. Ce résultat final, nous le traitons ici
comme s'il était résultat immédiat et but direct. Quand un capitaliste, en
accroissant la force productive du travail, fait baisser le prix des chemises,
par exemple, il n'a pas nécessairement l'intention de faire diminuer par là la
valeur de la force de travail et d'abréger ainsi la partie la journée où
l'ouvrier travaille pour lui-même; mais au bout du compte, ce n'est qu'en
contribuant à ce résultat qu'il contribue à l'élévation du taux général de la
plus-value (392). Les tendances générales et
nécessaires du capital sont à distinguer des formes sous lesquelles elles
apparaissent.
Nous n'avons pas à examiner ici comment les tendances
immanentes de la production capitaliste se réfléchissent dans le mouvement des
capitaux individuels, se font valoir comme lois coercitives de la concurrence
et par cela même s'imposent aux capitalistes comme mobiles de leurs opérations.
L'analyse scientifique de la concurrence présuppose
en effet l'analyse de la nature intime du capital. C'est ainsi que le mouvement
apparent des corps célestes n'est intelligible que pour celui qui connaît leur mouvement
réel. Cependant, pour mieux faire comprendre la production de la plus-value
relative, nous ajouterons quelques considérations fondées sur les résultats
déjà acquis dans le cours de nos recherches.
Mettons que dans les conditions ordinaires du travail
on fabrique, en une journée de douze heures, douze pièces (d'un article
quelconque) valant douze shillings. Mettons encore qu'une moitié de cette
valeur de douze shillings provienne du travail de douze heures, l'autre moitié
des moyens de production consommés par lui. Chaque pièce coûtera alors un
shilling ou douze pence, soit six pence pour matière première, et six pence
pour la valeur ajoutée par le travail. Qu'un capitaliste réussisse grâce à un
nouveau procédé à doubler la productivité du travail et à faire ainsi fabriquer
en douze heures vingt-quatre pièces. La valeur des moyens de production restant
la même, le prix de chaque pièce tombera à neuf pence, soit six pence pour la
matière première, et trois pence pour la façon ajoutée par le dernier travail.
Bien que la force productive soit doublée, la journée de travail ne crée
toujours qu'une valeur de six shillings, mais c'est sur un nombre de produits
double qu'elle se distribue maintenant. Il n'en échoit donc plus à chaque pièce
que un vingt-quatrième au lieu de un douzième, trois pence au lieu de six
pence. Au lieu d'une heure, il n'est plus ajouté qu'une demi-heure de travail
aux moyens de production pendant leur métamorphose en produit. La valeur
individuelle de chaque pièce, produite dans ces conditions exceptionnelles, va
donc tomber au-dessous de sa valeur sociale, ce qui revient à dire qu'elle
coûte moins de travail que la masse des mêmes articles produits dans les
conditions sociales moyennes. La pièce coûte en moyenne un shilling ou représente
deux heures de travail social; grâce au nouveau procédé, elle ne coûte que neuf
pence ou ne contient qu'une heure et demie de travail.
Or, valeur d'un article veut dire, non sa valeur
individuelle, mais sa valeur sociale, et celle-ci est déterminée par le temps
de travail qu'il coûte, non dans un cas particulier, mais en moyenne. Si le
capitaliste qui emploie la nouvelle méthode, vend la pièce à sa valeur sociale
de un shilling, il la vend trois pence au-dessus de sa valeur individuelle, et
réalise ainsi une plus-value extra de trois pence. D'autre part, la journée de
douze heures lui rend deux fois plus de produits qu'auparavant. Pour les
vendre, il a donc besoin d'un double débit ou d'un marché deux fois plus
étendu. Toutes circonstances restant les mêmes, ses marchandises ne peuvent
conquérir une plus large place dans le marché qu'en contractant leurs prix.
Aussi les vendra-t-il au-dessus de leur valeur individuelle, mais au-dessous de
leur valeur sociale, soit à dix pence la pièce. Il réalisera ainsi une
plus-value extra de un penny par pièce. Il attrape ce bénéfice, que sa
marchandise appartienne ou non au cercle des moyens de subsistance nécessaires
qui déterminent la valeur de la force de travail. On voit donc
qu'indépendamment de cette circonstance chaque capitaliste est poussé par son
intérêt à augmenter la productivité du travail pour faire baisser le prix des
marchandises.
Cependant, même dans ce cas, l'accroissement de la
plus-value provient de l'abréviation du temps de travail nécessaire et de la
prolongation correspondante du surtravail (393). Le temps de travail nécessaire s'élevait à dix
heures ou la valeur journalière de la force de travail à cinq shillings; le
surtravail était de deux heures, la plus-value produite chaque jour de un
shilling. Mais notre capitaliste produit maintenant vingt-quatre pièces qu'il
vend chacune dix pence, ou ensemble vingt shillings. Comme les moyens de
production lui coûtent douze shillings, quatorze deux cinquièmes pièces ne font
que compenser le capital constant avancé. Le travail de douze heures
s'incorpore donc dans les neuf trois cinquièmes pièces restantes, dont six
représentent le travail nécessaire et trois cinquièmes le surtravail. Le
rapport de travail nécessaire au surtravail qui, dans les conditions sociales
moyennes, était comme cinq est à un, n'est ici que comme cinq est à trois.
On arrive au même résultat de la manière suivante :
la valeur du produit de la journée de douze heures est pour notre capitaliste
de vingt shillings sur lesquels douze appartiennent aux moyens de production
dont la valeur ne fait que reparaître. Restent donc huit shillings comme
expression monétaire de la valeur nouvelle produite dans douze heures, tandis
qu'en moyenne cette somme de travail ne s'exprime que par six shillings. Le
travail d'une productivité exceptionnelle compte comme travail complexe, ou
crée dans un temps donné plus de valeur que le travail social moyen du même
genre. Mais notre capitaliste continue à payer cinq shillings pour la valeur
journalière de la force de travail dont la reproduction coûte maintenant à
l'ouvrier sept heures et demie au lieu de dix, de sorte que le surtravail
s'accroît de deux heures et demie, et que la plus-value monte de un à trois
shillings.
Le capitaliste qui emploie le mode de production
perfectionné s'approprie par conséquent sous forme de surtravail une plus
grande partie de la journée de l'ouvrier que ses concurrents. Il fait pour son
compte particulier ce que le capital fait en grand et en général dans la
production de la plus-value relative. Mais d'autre part, cette plus-value extra
disparaît dès que le nouveau mode de production se généralise et qu'en même
temps s'évanouit la différence entre la valeur individuelle et la valeur
sociale des marchandises produites à meilleur marché.
La détermination de la valeur par le temps de travail
s'impose comme loi au capitaliste employant des procédés perfectionnés, parce
qu'elle le force à vendre ses marchandises au-dessous de leur valeur sociale;
elle s'impose à ses rivaux, comme loi coercitive de la concurrence, en les
forçant à adopter le nouveau mode de production (394). Le taux général de la plus-value n'est donc affecté
en définitive que lorsque l'augmentation de la productivité du travail fait
baisser le prix des marchandises comprises dans le cercle des moyens de
subsistance qui forment des éléments de la valeur de la force de travail.
La valeur des marchandises est en raison inverse de
la productivité du travail d'où elles proviennent. Il en est de même de la
force de travail, puisque sa valeur est déterminée par la valeur des
marchandises. Par contre, la plus-value relative est en raison directe de la
productivité du travail. Celle-là monte et descend avec celle-ci. Une journée de
travail social moyenne dont les limites sont données, produit toujours la même
valeur, et celle-ci, si l'argent ne change pas de valeur, s'exprime toujours
dans le même prix, par exemple de six shillings, quelle que soit la proportion
dans laquelle cette somme se divise en salaire et plus-value. Mais les
subsistances nécessaires deviennent-elles à meilleur marché par suite d'une
augmentation de la productivité du travail, alors la valeur journalière de la
force de travail subit une baisse, par exemple, de cinq à trois shillings et la
plus-value s'accroît de deux shillings. Pour reproduire la force de travail, il
fallait d'abord dix heures par jour et maintenant six heures suffisent. Quatre
heures sont ainsi dégagées et peuvent être annexées au domaine du surtravail.
Le capital a donc un penchant incessant et une tendance constante à augmenter
la force productive du travail pour baisser le prix des marchandises, et par
suite - celui du travailleur (395).
Considérée en elle-même, la valeur absolue des
marchandises est indifférente au capitaliste. Ce qui l'intéresse, c'est
seulement la plus-value qu'elle renferme et qui est réalisable par la vente.
Réalisation de plus-value implique compensation faite de la valeur avancée. Or,
comme la plus-value relative croît en raison directe du développement de la
force productive du travail, tandis que la valeur des marchandises est en
raison inverse du même développement; puisque ainsi les mêmes procédés qui
abaissent le prix des marchandises élèvent la plus-value qu'elles contiennent,
on a la solution de la vieille énigme; on n'a plus à se demander pourquoi le
capitaliste qui n'a à cœur que la valeur d'échange s'efforce sans cesse de la
rabaisser.
C'est là une contradiction qu'un des fondateurs de
l'économie politique, le docteur Quesnay, jetait à la tête de ses
adversaires, qui ne trouvaient rien à répondre :
« Vous convenez, disait-il, que plus on peut, sans
préjudice, épargner de frais ou de travaux dispendieux dans la fabrication des
ouvrages des artisans, plus cette épargne est profitable par la diminution des
prix des ouvrages. Cependant, vous croyez que la production de richesse qui
résulte des travaux des artisans consiste dans l'augmentation de la valeur
vénale de leurs ouvrages (396).
»
Dans la production capitaliste, l'économie de travail
au moyen du développement de la force productive (397) ne vise nullement à abréger la journée de travail.
Là, il ne s'agit que de la diminution du travail qu'il faut pour produire une
masse déterminée de marchandises. Que l'ouvrier, grâce à la productivité
multipliée de son travail, produise dans une heure, par exemple, dix fois plus
qu'auparavant, en d'autres termes, qu'il dépense pour chaque pièce de marchandise
dix fois moins de travail, cela n'empêche point qu'on continue à le faire
travailler douze heures et à le faire produire dans ces douze heures mille deux
cents pièces au lieu de cent vingt, ou même qu'on prolonge sa journée à
dix-huit heures, pour le faire produire mille huit cents pièces. Chez des
économistes de la profondeur d'un Mac Culloch, d'un Senior et tutti quanti, on
peut donc lire à une page - que l'ouvrier doit des remerciements infinis au
capital, qui, par le développement des forces productives, abrège le temps de
travail nécessaire - et à la page suivante, qu'il faut prouver cette
reconnaissance en travaillant désormais quinze heures au lieu de dix heures.
Le développement de la force productive du travail,
dans la production capitaliste, a pour but de diminuer la partie de la journée
où l'ouvrier doit travailler pour lui-même, afin de prolonger ainsi l'autre
partie de la journée où il peut travailler gratis pour le capitaliste. Dans
certains cas, on arrive au même résultat sans aucune diminution du prix des
marchandises, comme nous le montrera l'examen que nous allons faire des
méthodes particulières de produire la plus-value relative.
La production capitaliste ne commence en fait à
s'établir que là où un seul maître exploite beaucoup de salariés à la fois, où
le procès de travail, exécuté sur une grande échelle, demande pour l'écoulement
de ses produits un marché étendu. Une multitude d'ouvriers fonctionnant en même
temps sous le commandement du même capital, dans le même espace (ou si l'on
veut sur le même champ de travail), en vue de produire le même genre de
marchandises, voilà le point de départ historique de la production capitaliste.
C'est ainsi qu'à son début, la manufacture proprement dite se distingue à peine
des métiers du moyen âge si ce n'est pas le plus grand nombre d'ouvriers
exploités simultanément. L'atelier du chef de corporation n'a fait qu'élargir
ses dimensions. La différence commence par être purement quantitative.
Le nombre des ouvriers exploités ne change en rien le
degré d'exploitation, c'est-à-dire le taux de la plus-value que rapporte un
capital donné. Et des changements ultérieurs qui affecteraient le mode de production,
ne semblent pas pouvoir affecter le travail en tant qu'il crée de la valeur. La
nature de la valeur le veut ainsi. Si une journée de douze heures se réalise en
six shillings, cent journées se réaliseront en 6 shillings x 100; douze heures
de travail étaient d'abord incorporées aux produits, maintenant mille deux
cents le seront. Cent ouvriers travaillant isolément, produiront donc autant de
valeur que s'ils étaient réunis sous la direction du même capital.
Néanmoins, en de certaines limites une modification a
lieu. Le travail réalisé en valeur est du travail de qualité sociale moyenne,
c'est-à-dire la manifestation d'une force moyenne. Une moyenne n'existe
qu'entre grandeurs de même dénomination. Dans chaque branche d'industrie
l'ouvrier isolé, Pierre ou Paul, s'écarte plus ou moins de l'ouvrier moyen. Ces
écarts individuels ou ce que mathématiquement on nomme erreurs se
compensent et s'éliminent dès que l'on opère sur un grand nombre d'ouvriers. Le
célèbre sophiste et sycophante Edmund Burke, se basant sur sa propre
expérience de fermier, assure que même « dans un peloton aussi réduit »
qu'un groupe de cinq garçons de ferme, toute différence individuelle dans le
travail disparaît, de telle sorte que cinq garçons de ferme anglais adultes
pris ensemble font, dans un temps donné, autant de besogne que n'importe quel
cinq autres (398). Que cette observation soit exacte
ou non, la journée d'un assez grand nombre d'ouvriers exploités simultanément
constitue une journée de travail social, c’est-à-dire moyen. Supposons que le
travail quotidien dure douze heures. Douze ouvriers travailleront alors cent
quarante-quatre heures par jour, et quoique chacun d'eux s'écarte plus ou moins
de la moyenne et exige par conséquent plus ou moins temps pour la même
opération, leur journée collective comptant cent quarante-quatre heures possède
la même qualité sociale moyenne. Pour le capitaliste qui exploite les douze
ouvriers la journée de travail est de cent quarante-quatre heures et la journée
individuelle de chaque ouvrier ne compte plus que comme quote-part de cette
journée collective; il importe peu que les douze coopèrent à un produit
d'ensemble, ou fassent simplement la même besogne côte à côte. Mais si au
contraire les douze ouvriers étaient répartis entre six petits patrons, ce
serait pur hasard si chaque patron tirait de sa paire la même valeur et
réalisait par conséquent le taux général de la plus-value. Il y aura des
divergences. Si un ouvrier dépense dans la fabrication d'un objet beaucoup plus
d'heures qu'il n'en faut socialement et qu'ainsi le temps de travail nécessaire
pour lui individuellement s'écarte d’une manière sensible de la moyenne, alors
son travail ne comptera plus comme travail moyen, ni sa force comme force
moyenne; elle se vendra au-dessous du prix courant ou pas du tout.
Un minimum d'habileté dans le travail est donc
toujours sous-entendu et nous verrons plus tard que la production capitaliste
sait le mesurer. Il n'en est pas moins vrai que ce minimum s’écarte de la
moyenne, et cependant la valeur moyenne de la force de travail doit être payée.
Sur les six petits patrons l'un retirera donc plus, l'autre moins que le taux
général de la plus-value. Les différences se compenseront pour la société, mais
non pour le petit patron. Les lois de la production de la valeur ne se
réalisent donc complètement que pour le capitaliste qui exploite collectivement
beaucoup d'ouvriers et met ainsi en mouvement du travail social moyen (399).
Même si les procédés d'exécution ne subissent pas de
changements, l'emploi d'un personnel nombreux amène une révolution dans les
conditions matérielles du travail. Les bâtiments, les entrepôts pour les
matières premières et marchandises en voie de préparation, les instruments, les
appareils de toute sorte, en un mot les moyens de production servent à
plusieurs ouvriers simultanément : leur usage devient commun. Leur valeur
échangeable ne s'élève pas parce qu'on en tire plus de services utiles mais
parce qu'ils deviennent plus considérables. Une chambre où vingt tisserands
travaillent avec vingt métiers doit être plus spacieuse que celle d'un
tisserand qui n'occupe que deux compagnons. Mais la construction de dix
ateliers pour vingt tisserands travaillant deux à deux coûte plus que celle
d'un seul où vingt travailleraient en commun. En général, la valeur de moyens
de production communs et concentrés ne croît pas proportionnellement à leurs
dimensions et à leur effet utile. Elle est plus petite que la valeur de moyens
de production disséminés qu'ils remplacent et de plus se répartit sur une masse
relativement plus forte de produits. C'est ainsi qu'un élément du capital
constant diminue et par cela même la portion de valeur qu'il transfère aux
marchandises. L'effet est le même que si l'on avait fabriqué par des procédés
moins coûteux les moyens de production. L'économie dans leur emploi ne provient
que de leur consommation en commun. Ils acquièrent ce caractère de conditions
sociales de travail, qui les distingue des moyens de production éparpillés et
relativement plus chers, lors même que les ouvriers rassemblés ne concourent
pas à un travail d'ensemble, mais opèrent tout simplement l'un à côté de
l'autre dans le même atelier. Donc, avant le travail lui-même, ses moyens
matériels prennent un caractère social.
L'économie des moyens de production se présente sous
un double point de vue. Premièrement elle diminue le prix de marchandises et
par cela même la valeur de la force de travail. Secondement, elle modifie le
rapport entre la plus-value et le capital avancé, c'est-à-dire la somme de
valeur de ses parties constantes et variables. Nous ne traiterons ce dernier
point que dans le troisième livre de cet ouvrage. La marche de l'analyse nous
commande ce morcellement de notre sujet; il est d'ailleurs conforme à l'esprit
de la production capitaliste. Là les conditions du travail apparaissent
indépendantes du travailleur; leur économie se présente donc comme quelque
chose qui lui est étranger et tout à fait distinct des méthodes qui servent à
augmenter sa productivité personnelle.
Quand plusieurs travailleurs fonctionnent ensemble en
vue d'un but commun dans le même procès de production ou dans des procès
différents mais connexes, leur travail prend la forme coopérative
(400).
De même que la force d'attaque d'un escadron de
cavalerie ou la force de résistance d'un régiment d'infanterie diffère
essentiellement de la somme des forces individuelles, déployées isolément par
chacun des cavaliers ou fantassins, de même la somme des forces mécaniques
d'ouvriers isolés diffère de la force mécanique qui se développe dès qu'ils
fonctionnent conjointement et simultanément dans une même opération indivise,
qu'il s'agisse par exemple de soulever un fardeau, de tourner une manivelle ou d'écarter
un obstacle (401). Dans de telles circonstances le
résultat du travail commun ne pourrait être obtenu par le travail individuel,
ou ne le serait qu'après un long laps de temps ou sur une échelle tout à fait
réduite. Il s'agit non seulement d'augmenter les forces productives
individuelles mais de créer par le moyen de la coopération une force nouvelle
ne fonctionnant que comme force collective (402).
A part la nouvelle puissance qui résulte de la fusion
de nombreuses forces en une force commune, le seul contact social produit une
émulation et une excitation des esprits animaux (animal spirits) qui élèvent la
capacité individuelle d'exécution assez pour qu'une douzaine de personnes
fournissent dans leur journée combinée de cent quarante-quatre heures un
produit beaucoup plus grand que douze ouvriers isolés dont chacun travaillerait
douze heures, ou qu'un seul ouvrier qui travaillerait douze jours de suite (403). Cela vient de ce que l'homme est
par nature, sinon un animal politique, suivant l'opinion d'Aristote, mais dans
tous les cas un animal social (404).
Quand même des ouvriers opérant ensemble feraient en
même temps la même besogne, le travail de chaque individu en tant que partie du
travail collectif, peut représenter une phase différente dont l'évolution est
accélérée par suite de la coopération. Quand douze maçons font la chaîne pour
faire passer des pierres de construction du pied d'un échafaudage à son sommet,
chacun d'eux exécute la même manœuvre et néanmoins toutes les manœuvres
individuelles, parties continues d'une opération d'ensemble, forment diverses
phases par lesquelles doit passer chaque pierre et les vingt-quatre mains du
travailleur collectif la font passer plus vite que ne le feraient les deux
mains de chaque ouvrier isolé montant et descendant l'échafaudage
(405). Le temps dans lequel l'objet de travail parcourt un
espace donné, est donc raccourci.
Une combinaison de travaux s'opère encore, bien que
les coopérants fassent la même besogne ou des besognes identiques, quand ils
attaquent l'objet de leur travail de différents côtés à la fois. Douze maçons,
dont la journée combinée compte cent quarante-quatre heures de travail,
simultanément occupés aux différents côtés d'une bâtisse, avancent l’œuvre
beaucoup plus rapidement que ne le ferait un seul maçon en douze jours ou en
cent quarante-quatre heures de travail. La raison est que le travailleur
collectif a des yeux et des mains par-devant et par derrière et se trouve
jusqu'à un certain point présent partout. C'est ainsi que des parties
différentes du produit, séparées par l'espace, viennent à maturité dans le même
temps.
Nous n'avons fait que mentionner les cas où les
ouvriers se complétant mutuellement, font la même besogne ou des besognes
semblables. C'est la plus simple forme de la coopération, mais elle se
retrouve, comme élément, dans la forme la plus développée.
Si le procès de travail est compliqué, le seul nombre
des coopérateurs permet de répartir les diverses opérations entre différentes
mains, de les faire exécuter simultanément et de raccourcir ainsi le temps
nécessaire à la confection du produit (406).
Dans beaucoup d'industries il y a des époques
déterminées, des moments critiques qu'il faut saisir pour obtenir le
résultat voulu. S'agit-il de tondre un troupeau de moutons ou d'engranger la
récolte, la qualité et la quantité du produit dépendent de ce que le travail
commence et finit à des termes fixes. Le laps de temps pendant lequel le
travail doit s'exécuter est déterminé ici par sa nature même comme dans le cas
de la pêche aux harengs.
Dans le jour naturel l'ouvrier isolé ne peut tailler
qu'une journée de travail, soit une de douze heures; mais la coopération de
cent ouvriers entassera dans un seul jour douze cents heures de travail. La
brièveté du temps disponible est ainsi compensée par la masse du travail jetée au
moment décisif sur le champ de production. L'effet produit à temps dépend ici
de l'emploi simultané d'un grand nombre de journées combinées et l'étendue de
l'effet utile du nombre des ouvriers employés (407). C'est faute d'une coopération de ce genre que dans
l'ouest des Etats-Unis des masses de blé, et dans certaines parties de l'Inde
où la domination anglaise a détruit les anciennes communautés, des masses de
coton sont presque tous les ans dilapidées (408).
La coopération permet d'agrandir l'espace sur lequel
le travail s'étend; certaines entreprises, comme le dessèchement, l'irrigation
du sol, la construction de canaux, de routes, de chemins de fer, etc., la
réclament à ce seul point de vue. D'autre part, tout en développant l'échelle
de la production, elle permet de rétrécir l'espace où le procès du travail
s'exécute. Ce double effet, levier si puissant dans l'économie de faux frais,
n'est dû qu'à l'agglomération des travailleurs, au rapprochement d'opérations
diverses, mais connexes, et à la concentration des moyens de production (409).
Comparée à une somme égale de journées de travail
individuelles et isolées, la journée de travail combinée rend plus de valeurs
d'usage et diminue ainsi le temps nécessaire pour obtenir l'effet voulu. Que la
journée de travail combinée acquière cette productivité supérieure en
multipliant la puissance mécanique du travail, en étendant son action dans
l'espace ou en resserrant le champ de production par rapport à son échelle, en
mobilisant aux moments critiques de grandes quantités de travail, en
développant l'émulation, en excitant les esprits animaux, en imprimant aux
efforts uniformes de plusieurs ouvriers soit le cachet de la multiformité, soit
celui de la continuité, en exécutant simultanément des opérations diverses, en
économisant des instruments par leur consommation en commun, ou en communiquant
aux travaux individuels le caractère de travail moyen; la force productive
spécifique de la journée combinée est une force sociale du travail ou une force
du travail social. Elle naît de la coopération elle-même. En agissant
conjointement avec d'autres dans un but commun et d'après un plan concerté, le
travailleur efface les bornes de son individualité et développe sa puissance
comme espèce (410).
En général, des hommes ne peuvent pas travailler en
commun sans être réunis. Leur rassemblement est la condition même de leur
coopération. Pour que des salariés puissent coopérer, il faut que le même
capital, le même capitaliste les emploie simultanément et achète par conséquent
à la fois leurs forces de travail. La valeur totale de ces forces ou une
certaine somme de salaires pour le jour, la semaine, etc., doit être amassée dans
la poche du capitaliste avant que les ouvriers soient réunis dans le procès de
production. Le payement de trois cents ouvriers à la fois, ne fût-ce que pour
un seul jour, exige une plus forte avance de capital que le payement d'un
nombre inférieur d'ouvriers, par semaine, pendant toute une année. Le nombre
des coopérants, ou l'échelle de la coopération, dépend donc en premier lieu de
la grandeur du capital qui peut être avancé pour l'achat de forces de travail,
c'est-à-dire de la proportion dans laquelle un seul capitaliste dispose des
moyens de subsistance de beaucoup d'ouvriers.
Et il en est du capital constant comme du capital
variable. Les matières premières, par exemple, coûtent trente fois plus au
capitaliste qui occupe trois cents ouvriers qu'à chacun des trente capitalistes
n'en employant que dix. Si la valeur et la quantité des instruments de travail
usés en commun ne croissent pas proportionnellement au nombre des ouvriers
exploités, elles croissent aussi cependant considérablement. La concentration
des moyens de production entre les mains de capitalistes individuels est donc
la condition matérielle de toute coopération entre des salariés.
Nous avons vu (ch. XI) qu'une somme de valeur ou
d'argent, pour se transformer en capital, devait atteindre une certaine
grandeur minima, permettant à son possesseur d'exploiter assez d'ouvriers pour
pouvoir se décharger sur eux du travail manuel. Sans cette condition, le maître
de corporation et le petit patron n'eussent pu être remplacés par le
capitaliste, et la production même n'eût pu revêtir le caractère formel de
production capitaliste. Une grandeur minima de capital entre les mains de
particuliers se présente maintenant à nous sous un tout autre aspect; elle est
la concentration de richesses nécessitée pour la transformation des travaux
individuels et isolés en travail social et combiné; elle devient la base
matérielle des changements que le mode de production va subir.
Aux débuts du capital, son commandement sur le
travail a un caractère purement formel et presque accidentel. L'ouvrier ne
travaille alors sous les ordres du capital que parce qu'il lui a vendu sa
force; il ne travaille pour lui que parce qu'il n'a pas les moyens matériels
pour travailler à son propre compte. Mais dès qu'il y a coopération entre des
ouvriers salariés, le commandement du capital se développe comme une nécessité
pour l'exécution du travail, comme une condition réelle de production. Sur le
champ de la production, les ordres du capital deviennent dès lors aussi
indispensables que le sont ceux du général sur le champ de bataille.
Tout le travail social ou commun, se déployant sur
une assez grande échelle, réclame une direction pour mettre en harmonie les
activités individuelles. Elle doit remplir les fonctions générales qui tirent
leur origine de la différence existante entre le mouvement d'ensemble du corps
productif et les mouvements individuels des membres indépendants dont il se
compose. Un musicien exécutant un solo se dirige lui-même, mais un orchestre a
besoin d'un chef.
Cette fonction de direction, de surveillance et de
médiation devient la fonction du capital dès que le travail qui lui est
subordonné devient coopératif, et comme fonction capitaliste elle acquiert des
caractères spéciaux.
L'aiguillon puissant, le grand ressort de la
production capitaliste, c'est la nécessité de faire valoir le capital; son but
déterminant, c'est la plus grande extraction possible de plus-value (411), ou ce qui revient au même, la
plus grande exploitation possible de la force de travail. A mesure que la masse
des ouvriers exploitée simultanément grandit, leur résistance contre le
capitaliste grandit, et par conséquent la pression qu'il faut exercer pour
vaincre cette résistance. Entre les mains du capitaliste la direction n'est pas
seulement cette fonction spéciale qui naît de la nature même du procès de
travail coopératif ou social, mais elle est encore, et éminemment, la fonction
d'exploiter le procès de travail social, fonction qui repose sur l'antagonisme
inévitable entre l'exploiteur et la matière qu'il exploite.
De plus, à mesure que s'accroît l'importance des
moyens de production qui font face au travailleur comme propriété étrangère, s'accroît
la nécessité d'un contrôle, d'une vérification de leur emploi d'une manière
convenable (412).
Enfin, la coopération d'ouvriers salariés n'est qu'un
simple effet du capital qui les occupe simultanément. Le lien entre leurs
fonctions individuelles et leur unité comme corps productif se trouve en dehors
d'eux dans le capital qui les réunit et les retient. L'enchaînement de leurs
travaux leur apparaît idéalement comme le plan du capitaliste et l'unité de
leur corps collectif leur apparaît pratiquement comme son autorité, la
puissance d'une volonté étrangère qui soumet leurs actes à son but.
Si donc la direction capitaliste, quant à son
contenu, a une double face, parce que l'objet même qu'il s'agit de diriger, est
d'un côté, procès de production coopératif, et d'autre côté, procès
d'extraction de plus-value, - la forme de cette direction devient
nécessairement despotique. - Les formes particulières de ce despotisme se
développent à mesure que se développe la coopération.
Le capitaliste commence par se dispenser du travail
manuel. Puis, quand son capital grandit et avec lui la force collective qu'il
exploite, il se démet de sa fonction de surveillance immédiate et assidue des
ouvriers et des groupes d'ouvriers et la transfère à une espèce particulière de
salariés. Dès qu'il se trouve à la tête d'une armée industrielle, il lui faut
des officiers supérieurs (directeurs, gérants) et des officiers inférieurs
(surveillants, inspecteurs, contremaîtres), qui, pendant le procès de travail,
commandent au nom du capital. Le travail de la surveillance devient leur
fonction exclusive. Quand l'économiste compare le mode de production des
cultivateurs ou des artisans indépendants avec l'exploitation fondée sur
l'esclavage, telle que la pratiquent les planteurs, il compte ce travail de
surveillance parmi les faux frais (413). Mais
s'il examine le mode de production capitaliste, il identifie la fonction de
direction et de surveillance, en tant qu'elle dérive de la nature du procès de
travail coopératif, avec cette fonction, en tant qu'elle a pour fondement le
caractère capitaliste et conséquemment antagonique de ce même procès (414). Le capitaliste n'est point
capitaliste parce qu'il est directeur industriel; il devient au contraire chef
d'industrie parce qu'il est capitaliste. Le commandement dans l'industrie
devient l'attribut du capital, de même qu'aux temps féodaux la direction de la
guerre et l'administration de la justice étaient les attributs de la propriété
foncière (415).
L'ouvrier est propriétaire de sa force de travail
tant qu'il en débat le prix de vente avec le capitaliste, et il ne peut vendre
que ce qu'il possède, sa force individuelle. Ce rapport ne se trouve en rien
modifié, parce que le capitaliste achète cent forces de travail au lieu d'une,
ou passe contrat non avec un, mais avec cent ouvriers
indépendants les uns des autres et qu'il pourrait employer sans les faire
coopérer. Le capitaliste paye donc à chacun des cent sa force de travail
indépendante, mais il ne paye pas la force combinée de la centaine. Comme
personnes indépendantes, les ouvriers sont des individus isolés qui entrent en
rapport avec le même capital mais non entre eux. Leur coopération ne commence
que dans le procès de travail; mais là ils ont déjà cessé de s'appartenir. Dès
qu'ils y entrent, ils sont incorporés au capital. En tant qu'ils coopèrent,
qu'ils forment les membres d'un organisme actif, ils ne sont même qu'un mode
particulier d'existence du capital. La force productive que des salariés
déploient en fonctionnant comme travailleur collectif, est par conséquent force
productive du capital. Les forces sociales du travail se développent sans être
payées dès que les ouvriers sont placés dans certaines conditions et le capital
les y place. Parce que la force sociale du travail ne coûte rien au capital, et
que, d'un autre côté, le salarié ne la développe que lorsque son travail
appartient au capital, elle semble être une force dont le capital est doué par
nature, une force productive qui lui est immanente.
L'effet de la coopération simple éclate d'une façon
merveilleuse dans les oeuvres gigantesques des anciens Asiatiques, des
Egyptiens, des Étrusques, etc.
« Il arrivait à des époques reculées que ces Etats de
l'Asie, leurs dépenses civiles et militaires une fois réglées, se trouvaient en
possession d'un excédent de subsistances qu'ils pouvaient consacrer à des
oeuvres de magnificence et d'utilité. Leur pouvoir de disposer du travail de presque
toute la population non agricole et le droit exclusif du monarque et du
sacerdoce sur l'emploi de cet excédent, leur fournissaient les moyens d'élever
ces immenses monuments dont ils couvraient tout le pays... Pour mettre en
mouvement les statues colossales et les masses énormes dont le transport excite
l'étonnement, on n'employait presque que du travail humain, mais avec la plus
excessive prodigalité. Le nombre des travailleurs et la concentration de leurs
efforts suffisaient. Ainsi voyons-nous des bancs énormes de corail surgir du
fond de l'Océan, former des îles et de la terre ferme, bien que chaque individu
qui contribue à les constituer soit faible, imperceptible et
méprisable. Les travailleurs non agricoles d'une monarchie asiatique avaient
peu de chose à fournir en dehors de leurs efforts corporels; mais leur nombre
était leur force, et la despotique puissance de direction sur ces masses donna
naissance à leurs oeuvres gigantesques. La concentration en une seule main ou
dans un petit nombre de mains des revenus dont vivaient les travailleurs,
rendit seule possible l'exécution de pareilles entreprises (416). »
Cette puissance des rois d'Asie et d'Egypte, des
théocrates étrusques, etc., est, dans la société moderne, échue au capitaliste
isolé ou associé par l'entremise des commandites, des sociétés par actions,
etc.
La coopération, telle que nous la trouvons à
l'origine de la civilisation humaine, chez les peuples chasseurs
(417), dans l'agriculture des communautés indiennes, etc.,
repose sur la propriété en commun des conditions de production et sur ce fait,
que chaque individu adhère encore à sa tribu ou à la communauté aussi fortement
qu'une abeille à son essaim. Ces deux caractères la distinguent de la
coopération capitaliste. L'emploi sporadique de la coopération sur une grande
échelle, dans l'antiquité, le moyen âge et les colonies modernes, se fonde sur
des rapports immédiats de domination et de servitude, généralement sur
l'esclavage. Sa forme capitaliste présuppose au contraire le travailleur libre,
vendeur de sa force. Dans l'histoire, elle se développe en opposition avec la
petite culture des paysans et l'exercice indépendant des métiers, que ceux-ci
possèdent ou non la forme corporative (418).
En face d'eux la coopération capitaliste n'apparaît point comme une forme
particulière de la coopération; mais au contraire la coopération elle-même
comme la forme particulière de la production capitaliste.
Si la puissance collective du travail, développée par
la coopération, apparaît comme force productive du capital, la coopération
apparaît comme mode spécifique de la production capitaliste. C'est là la
première phase de transformation que parcourt le procès de travail par suite de
sa subordination au capital. Cette transformation se développe spontanément. Sa
base, l'emploi simultané d'un certain nombre de salariés dans le même atelier,
est donnée avec l'existence même du capital, et se trouve là comme résultat
historique des circonstances et des mouvements qui ont concouru à décomposer
l'organisme de la production féodale.
Le mode de production capitaliste se présente donc
comme nécessité historique pour transformer le travail isolé en travail social;
mais, entre les mains du capital, cette socialisation du travail n'en augmente
les forces productives que pour l'exploiter avec plus de profit.
Dans sa forme élémentaire, la seule considérée
jusqu'ici, la coopération coïncide avec la production sur une grande échelle.
Sous cet aspect elle ne caractérise aucune époque particulière de la production
capitaliste, si ce n'est les commencements de la manufacture encore
professionnelle (419) et ce genre d'agriculture en grand
qui correspond à la période manufacturière et se distingue de la petite culture
moins par ses méthodes que par ses dimensions. La coopération simple prédomine
aujourd'hui encore dans les entreprises où le capital opère sur une grande
échelle, sans que la division du travail ou l'emploi des machines y jouent un
rôle important.
Le mode fondamental de la
production capitaliste, c'est la coopération dont la forme rudimentaire, tout
en contenant le germe de formes plus complexes, ne reparaît pas seulement dans
celles-ci comme un de leurs éléments, mais se maintient aussi à côté d'elles
comme mode particulier.
Chapitre XIV : Division du
travail et manufacture
I.
Double origine de la manufacture
Cette espèce de coopération qui a pour base la
division du travail revêt dans la manufacture sa forme classique et prédomine
pendant la période manufacturière proprement dite, qui dure environ depuis la
moitié du XVI° jusqu'au dernier tiers du XVIII° siècle.
La manufacture a une double origine.
Un seul atelier peut réunir sous les ordres du même
capitaliste des artisans de métiers différents, par les mains desquels un
produit doit passer pour parvenir à sa parfaite maturité. Un carrosse fut le
produit collectif des travaux d'un grand nombre d'artisans indépendants les uns
des autres tels que charrons, selliers, tailleurs, serruriers, ceinturiers,
tourneurs, passementiers, vitriers, peintres, vernisseurs, doreurs, etc. La
manufacture carrossière les a réunis tous dans un même local où ils travaillent
en même temps et de la main à la main. On ne peut pas, il est vrai, dorer un
carrosse avant qu'il soit fait; mais si l'on fait beaucoup de carrosses à la
fois, les uns fournissent constamment du travail aux doreurs tandis que les
autres passent par d'autres procédés de fabrication. Jusqu'ici nous sommes
encore sur le terrain de la coopération simple qui trouve tout préparé son
matériel en hommes et en choses. Mais bientôt il s'y introduit une modification
essentielle. Le tailleur, le ceinturier, le serrurier, etc., qui ne sont
occupés qu'à la fabrication de carrosses, perdent peu à peu l'habitude et avec
elle la capacité d'exercer leur métier dans toute son étendue. D'autre part,
leur savoir faire borné maintenant à une spécialité acquiert la forme la
plus propre à cette sphère d'action rétrécie. A l'origine la manufacture de
carrosses se présentait comme une combinaison de métiers indépendants. Elle
devient peu à peu une division de la production carrossière en ses divers
procédés spéciaux dont chacun se cristallise comme besogne particulière d'un
travailleur et dont l'ensemble est exécuté par la réunion de ces travailleurs
parcellaires. C'est ainsi que les manufactures de drap et un grand nombre
d'autres sont sorties de l'agglomération de métiers différents sous le
commandement d'un même capital (420).
Mais la manufacture peut se produire d'une manière
tout opposée. Un grand nombre d'ouvriers dont chacun fabrique le même objet,
soit du papier, des caractères d'imprimerie, des aiguilles, etc., peuvent être
occupés simultanément par le même capital dans le même atelier. C'est la
coopération dans sa forme la plus simple. Chacun de ces ouvriers (peut-être
avec un ou deux compagnons) fait la marchandise entière en exécutant l’une
après l'autre les diverses opérations nécessaires et en continuant à travailler
suivant son ancien mode. Cependant des circonstances extérieures donnent
bientôt lieu d'employer d'une autre façon la concentration des ouvriers dans le
même local et la simultanéité de leurs travaux. Une quantité supérieure de
marchandises doit par exemple être livrée dans un temps fixé. Le travail se
divise alors. Au lieu de faire exécuter les diverses opérations par le même
ouvrier les unes après les autres, on les sépare, on les isole, puis on confie
chacune d'elles à un ouvrier spécial, et toutes ensemble sont exécutées
simultanément et côte à côte par les coopérateurs. Cette division faite une
première fois accidentellement se renouvelle, montre ses avantages particuliers
et s'ossifie peu à peu en une division systématique du travail. De produit
individuel d'un ouvrier indépendant faisant une foule de choses, la marchandise
devient le produit social d’une réunion d'ouvriers dont chacun n'exécute
constamment que la même opération de détail. Les mêmes opérations qui, chez le
papetier d'un corps de métier allemand, s'engrenaient les unes dans les autres
comme travaux successifs, se changeaient dans la manufacture hollandaise de
papier en opérations de détail exécutées parallèlement par les divers membres
d'un groupe coopératif. Le faiseur d'épingles de Nuremberg est l’élément
fondamental de la manufacture d'épingles anglaise; mais tandis que le premier
parcourait une série de vingt opérations successives peut-être, vingt ouvriers
dans celle-ci n'exécutèrent bientôt chacun qu'une seule de ces opérations qui,
par suite d'expériences ultérieures, ont été subdivisées et isolées encore
davantage.
L'origine de la manufacture, sa provenance du métier,
présente donc une double face. D'un côté elle a pour point de départ la
combinaison de métiers divers et indépendants que l'on désagrège et simplifie
jusqu'au point où ils ne sont plus que des opérations partielles et
complémentaires les unes des autres dans la production d'une seule et même
marchandise; d'un autre côté elle s'empare de la coopération d'artisans de même
genre, décompose le même métier en ses opérations diverses, les isole et les
rend indépendantes jusqu'au point où chacune d’elles devient la fonction
exclusive d'un travailleur parcellaire. La manufacture introduit donc tantôt la
division du travail dans un métier ou bien la développe; tantôt elle combine
des métiers distincts et séparés. Mais quel que soit son point de départ, sa
forme définitive est la même un organisme de production dont les membres
sont des hommes.
Pour bien apprécier la division du travail dans la
manufacture, il est essentiel de ne point perdre de vue les deux points
suivants : premièrement, l'analyse du procès de production dans ses phases
particulières se confond ici tout à fait avec la décomposition du métier de
l'artisan dans ses diverses opérations manuelles. Composée ou simple,
l'exécution ne cesse de dépendre de la force, de l'habileté, de la promptitude
et de la sûreté de main de l'ouvrier dans le maniement de son outil. Le métier
reste toujours la base. Cette base technique n'admet l'analyse de la besogne à
faire que dans des limites très étroites. Il faut que chaque procédé partiel
par lequel l'objet de travail passe, soit exécutable comme main-d’œuvre qu'il
forme, pour ainsi dire, à lui seul un métier à part.
Précisément parce que l'habileté de métier reste le
fondement de la manufacture, chaque ouvrier y est approprié à une fonction
parcellaire pour toute sa vie.
Deuxièmement, la division
manufacturière du travail est une coopération d'un genre particulier, et ses
avantages proviennent en grande partie non de cette f
orme particulière, mais de la
nature générale de la coopération.
II. Le travailleur parcellaire et son outil
Entrons dans quelques détails. Il est d'abord évident
que l'ouvrier parcellaire transforme son corps tout entier en organe exclusif
et automatique de la seule et même opération simple, exécutée par lui sa vie
durant, en sorte qu'il y emploie moins de temps que l'artisan qui exécute toute
une série d'opérations. Or le mécanisme vivant de la manufacture, le
travailleur collectif, n'est composé que de pareils travailleurs parcellaires.
Comparée au métier indépendant, la manufacture fournit donc plus de produits en
moins de temps, ou, ce qui revient au même, elle multiplie la force productive
du travail (421). Ce n'est pas tout; dès que le
travail parcelle devient fonction exclusive, sa méthode se perfectionne. Quand
on répète constamment un acte simple et concentre l'attention sur lui, on
arrive peu à peu par l'expérience à atteindre l'effet utile voulu avec la plus
petite dépense de force. Et comme toujours diverses générations d'ouvriers
vivent et travaillent ensemble dans les mêmes ateliers, les procédés techniques
acquis, ce qu'on appelle les ficelles du métier, s'accumulent et se
transmettent (422). La manufacture produit la
virtuosité du travailleur de détail, en reproduisant et poussant jusqu'à
l’extrême la séparation des métiers, telle qu'elle l'a trouvée dans les villes
du moyen âge. D'autre part, sa tendance à transformer le travail parcelle en
vocation exclusive d'un homme sa vie durant, répond à la propension des
sociétés anciennes, à rendre les métiers héréditaires, à les pétrifier en
castes, ou bien, lorsque des circonstances historiques particulières
occasionnèrent une variabilité de l'individu, incompatible avec le régime des
castes, à ossifier du moins en corporations les diverses branches d'industries.
Ces castes et ces corporations se forment d'après la même loi naturelle qui
règle la division des plantes et des animaux en espèces et en variétés, avec
cette différence cependant, qu’un certain degré de développement une fois atteint,
l'hérédité des castes et l'exclusivisme des corporations sont décrétés lois
sociales (423).
« Les mousselines de Dakka, pour la finesse, les
cotons et autres tissus de Coromandel pour la magnificence et la durée de leurs
couleurs, n'ont jamais été dépassés. Et cependant ils sont produits sans
capital, sans machines, sans division du travail, sans aucun de ces moyens qui
constituent tant d'avantages en faveur de la fabrication européenne. Le
tisserand est un individu isolé qui fait le tissu sur la commande d'une
pratique, avec un métier de la construction la plus simple, composé parfois
uniquement de perches de bois grossièrement ajustées. Il ne possède même aucun
appareil pour tendre la chaîne, si bien que le métier doit rester constamment
étendu dans toute sa longueur, ce qui le tellement ample et difforme qu'il ne
peut trouver place dans la hutte du producteur. Celui-ci est donc obligé de
faire son travail en plein air, où il est interrompu par chaque changement de
température (424). »
Ce n'est que l'aptitude spéciale, accumulée de
génération en génération et transmise par héritage de père en fils qui prête à
l'Indien comme à l'araignée cette virtuosité. Le travail d'un tisserand indien,
comparé à celui des ouvriers de manufacture, est cependant très compliqué.
Un artisan qui exécute les uns après les autres les
différents procès partiels qui concourent à la production d'une œuvre doit
changer tantôt de place, tantôt d'instruments. La transition d'une opération à
l'autre interrompt le cours de son travail forme pour ainsi dire des pores
dans sa journée. Ces pores se resserrent dès qu'il emploie la journée entière à
une seule opération continue, ou bien ils disparaissent à mesure que le nombre
de ces changements d'opération diminue. L'accroissemennt de productivité
provient ici soit d'une dépense de plus de force dans un espace de temps donné,
c'est à dire de l'intensité accrue du travail, soit d'une diminution
dans la dépense improductive de la force. L'excédent de dépense en force
qu'exige chaque transition du repos au mouvement se trouve compensé si l'on
prolonge la durée de la vitesse normale une fois acquise. D’autre part, un
travail continu et uniforme finit par affaiblir l’essor et la tension des
esprits animaux qui trouvent délassement et charme au changement d'activité.
La productivité du travail ne dépend pas seulement de
la virtuosité de l'ouvrier, mais encore de la perfection de ses instruments.
Les outils de même espèce, tels que ceux qui servent à forer, trancher, percer,
frapper, etc., sont employés dans différents procès de travail, et de même un
seul outil peut servir dans le même procès à diverses opérations. Mais dès que
les différentes opérations d'un procès de travail sont détachées les unes des
autres et que chaque opération partielle acquiert dans la main de l'ouvrier
parcellaire la forme la plus adéquate, et par cela même exclusive, il devient
nécessaire de transformer les instruments qui servaient auparavant à différents
buts. L'expérience des difficultés que leur ancienne forme oppose au travail
parcellé indique la direction des changements à faire. Les instruments de même
espèce perdent alors leur forme commune. Ils se subdivisent de plus en plus en
différentes espèces dont chacune possède une forme fixe pour un seul usage et
ne prête tout le service dont elle est capable que dans la main d'un ouvrier
spécial. Cette différenciation et spécialisation des instruments
de travail caractérisent la manufacture. A Birmingham, on produit environ cinq
cents variétés de marteaux, dont chacune ne sert qu'à un seul procès
particulier de production, et grand nombre de ces variétés ne servent qu'à des
opérations diverses du même procès. La période manufacturière simplifie,
perfectionne et multiplie les instruments de travail en les accommodant aux
fonctions séparées et exclusives d'ouvriers parcellaires (425). Elle crée par cela même une des conditions
matérielles de l'emploi des machines, lesquelles consistent en une combinaison
d'instruments simples.
Le travailleur parcellaire et son
outil, voilà les éléments simples de la manufacture dont nous examinerons
maintenant le mécanisme général.
III. Mécanisme général de la manufacture. Ses deux formes fondamentales.
Manufacture hétérogène et manufacture sérielle.
La manufacture présente deux formes fondamentales
qui, malgré leur entrelacement accidentel, constituent deux espèces
essentiellement distinctes, jouant des rôles très différents lors de la
transformation ultérieure de la manufacture en grande industrie. Ce double
caractère provient de la nature du produit qui doit sa forme définitive ou à un
simple ajustement mécanique de produits partiels indépendants, ou bien à une
série de procédés et de manipulations connexes.
Une locomotive, par exemple, contient plus de cinq
mille pièces complètement distinctes. Néanmoins elle ne peut pas servir de
produit échantillon de la première espèce de manufacture proprement dite,
parce qu'elle provient de la grande industrie. Il en est autrement de la montre
que déjà William Petty a choisie pour décrire la division manufacturière du
travail. Primitivement œuvre individuelle d'un artisan de Nuremberg, la montre
est devenue le produit social d'un nombre immense de travailleurs tels que faiseurs
de ressorts, de cadrans, de pitons de spirale, de trous et leviers à rubis,
d'aiguilles, de boîtes, de vis, doreurs, etc. Les sous divisions
foisonnent. Il y a, par exemple, le fabricant de roues (roues de laiton et
roues d'acier séparément), les faiseurs de pignons, de mouvements, l'acheveur
de pignon (qui assujettit les roues et polit les facettes), le faiseur de
pivots, le planteur de finissage, le finisseur de barillet (qui dente les
roues, donne aux trous la grandeur voulue, affermit l'arrêt), les faiseurs
d'échappement, de roues de rencontre, de balancier, le planteur d'échappement,
le repasseur de barillet (qui achève l'étui du ressort) , le polisseur d'acier,
le polisseur de roues, le polisseur de vis, le peintre de chiffres, le fondeur
d'émail sur cuivre, le fabricant de pendants, le finisseur de charnière, le
faiseur de secret, le graveur, le ciliceur, le polisseur de boîte, etc., enfin
le repasseur qui assemble la montre entière et la livre toute prête au marché.
Un petit nombre seulement des parties de la montre passe par diverses mains et
tous ces membres disjoints, membra disjecta, se rassemblent pour la
première fois dans la main qui en fera définitivement un tout mécanique. Ce
rapport purement extérieur du produit achevé avec ses divers éléments rend ici,
comme dans tout ouvrage semblable, la combinaison des ouvriers parcellaires
dans un même atelier tout à fait accidentelle. Les travaux partiels peuvent
même être exécutés comme métiers indépendants les uns des autres; il en est
ainsi dans les cantons de Waadt et de Neufchâtel, tandis qu'à Genève, par
exemple, il y a pour la fabrication des montres de grandes manufactures,
c'est à dire coopération immédiate d'ouvriers parcellaires sous le
commandement d'un seul capital. Même dans ce cas, le cadran le ressort et la
boîte sont rarement fabriqués dans la manufacture. L'exploitation
manufacturière ne donne ici de bénéfices que dans des circonstances
exceptionnelles, parce que les ouvriers en chambre se font la plus terrible
concurrence, parce que le démembrement de la production en une foule de procès
hétérogènes n'admet guère de moyens de travail d'un emploi commun, et parce que
le capitaliste économise les frais d'atelier, quand la fabrication est
disséminée (426). Il faut remarquer que la
condition de ces ouvriers de détail qui travaillent chez eux, mais pour un
capitaliste (fabricant, établisseur), diffère du tout au tout de celle de
l'artisan indépendant qui travaille pour ses propres pratiques
(427).
La seconde espèce de manufacture,
c'est à dire sa forme parfaite, fournit des produits qui parcourent
des phases de développement connexes, toute une série de procès gradués, comme,
par exemple, dans la manufacture d'épingles, le fil de laiton passe par les
mains de soixante douze et même de quatre-vingt douze ouvriers dont
pas deux n'exécutent la même opération.
Une manufacture de ce genre, en tant qu'elle combine
des métiers primitivement indépendants, diminue l'espace entre les phases diverses
de la production. Le temps exigé pour la transition du produit d'un stade à
l'autre est ainsi raccourci, de même que le travail de transport
(428). Comparativement au métier, il y a donc gain de
force productive, et ce gain provient du caractère coopératif de la
manufacture. D'autre part, la division du travail qui lui est propre réclame
l'isolement des différentes opérations, et leur indépendance les unes vis-à-vis
des autres. L'établissement et le maintien du rapport d'ensemble entre les
fonctions isolées nécessite des transports incessants de l'objet de travail
d'un ouvrier à l'autre, et d'un procès à l'autre. Cette source de faux frais
constitue un des côtés inférieurs de la manufacture comparée à l'industrie
mécanique (429).
Avant de parvenir à sa forme définitive, l'objet de
travail, des chiffons, par exemple, dans la manufacture de papier, ou du laiton
dans celle d'épingles, parcourt toute une série d'opérations successives. Mais,
comme mécanisme d'ensemble, l'atelier offre à l’œil l'objet de travail dans
toutes ses phases d'évolution à la fois. Le travailleur collectif, Briarée,
dont les mille mains sont armées d'outils divers, exécute en même temps la
coupe des fils de laiton, la façon des têtes d'épingles, l'aiguisement de leurs
pointes, leur attache, etc. Les diverses opérations connexes, successives dans
le temps, deviennent simultanées dans l'espace, combinaison qui permet
d'augmenter considérablement la masse de marchandises fournies dans un temps
donné (430).
Cette simultanéité provient de la forme coopérative
du travail; mais la manufacture ne s'arrête pas aux conditions préexistantes de
la coopération : elle en crée de nouvelles par la décomposition qu'elle opère
dans les métiers. Elle n'atteint son but qu'en rivant pour toujours l'ouvrier à
une opération de détail.
Comme le produit partiel de chaque travailleur
parcellaire n'est en même temps qu'un degré particulier de développement de
l'ouvrage achevé, chaque ouvrier ou chaque groupe d'ouvriers fournit à l'autre
sa matière première. Le résultat du travail de l'un forme le point de départ du
travail de l'autre. Le temps de travail nécessaire pour obtenir dans chaque
procès partiel l'effet utile voulu est établi expérimentalement, et le
mécanisme total de la manufacture ne fonctionne qu'à cette condition, que dans
un temps donné un résultat donné est obtenu. Ce n'est que de cette manière que
les travaux divers et complémentaires les uns des autres peuvent marcher côte à
côte, simultanément et sans interruption. Il est clair que cette dépendance
immédiate des travaux et des travailleurs force chacun à n'employer que le
temps nécessaire à sa fonction, et que l'on obtient ainsi une continuité, une
régularité, une uniformité et surtout une intensité du travail qui ne se
rencontrent ni dans le métier indépendant ni même dans la coopération simple (431). Qu'une marchandise ne doive
coûter que le temps du travail socialement nécessaire à sa fabrication, cela
apparaît dans la production marchande en général l'effet de la concurrence,
parce que, à parler superficiellement, chaque producteur particulier est forcé
de vendre la marchandise à son prix de marché. Dans la manufacture, au
contraire, la livraison d'un quantum de produit donné dans un temps de travail
donné devient une loi technique du procès de production lui-même
(432).
Des opérations différentes exigent cependant des
longueurs de temps inégales et fournissent, par conséquent, dans des espaces de
temps égaux, des quantités inégales de produits partiels. Si donc le même
ouvrier doit, jour par jour, exécuter toujours une seule et même opération, il
faut, pour des opérations diverses, employer des ouvriers en proportion diverse
: quatre fondeurs, par exemple, pour deux casseurs et un frotteur dans une
manufacture de caractères d'imprimerie; le fondeur fond par heure deux mille
caractères, tandis que le casseur en détache quatre mille et que le frotteur en
polit huit mille. Le principe de la coopération dans sa forme la plus simple
reparaît : occupation simultanée d'un certain nombre d'ouvriers à des
opérations de même espèce; mais il est maintenant l'expression d'un rapport
organique. La division manufacturière du travail simplifie donc et multiplie en
même temps non seulement les organes qualitativement différents du travailleur
collectif; elle crée, de plus, un rapport mathématique fixe qui règle leur
quantité, c'est à dire le nombre relatif d'ouvriers ou la grandeur
relative du groupe d'ouvriers dans chaque fonction particulière.
Le nombre proportionnel le plus convenable des
différents groupes de travailleurs parcellaires est il une fois établi
expérimentalement pour une échelle donnée de la production, on ne peut étendre
cette échelle qu'en employant un multiple de chaque groupe spécial
(433). Ajoutons à cela que le même individu accomplit
certains travaux tout aussi bien en grand qu'en petit, le travail de
surveillance, par exemple, le transport des produits partiels d’une phase de la
production dans une autre, etc. Il ne devient donc avantageux d'isoler ces
fonctions ou de les confier à des ouvriers spéciaux, qu'après avoir augmenté le
personnel de l’atelier; mais alors cette augmentation affecte
proportionnellement tous les groupes.
Quand le groupe isolé se compose d'éléments
hétérogènes, d'ouvriers employés à la même fonction parcellaire, il forme un
organe particulier du mécanisme total. Dans diverses manufactures, cependant,
le groupe est un travailleur collectif parfaitement organisé, tandis que le
mécanisme total n'est formé que par la répétition ou la multiplication de ces
organismes producteurs élémentaires. Prenons, par exemple, la manufacture de
bouteilles. Elle se décompose en trois phases essentiellement différentes :
premièrement, la phase préparatoire où se fait la composition du verre, le
mélange de chaux, de sable, etc., et la fusion de cette composition en une
masse fluide (434). Dans cette première phase, des
ouvriers parcellaires de divers genres sont occupés ainsi que dans la phase
définitive, qui consiste dans l’enlèvement des bouteilles hors des fours à
sécher, dans leur triage, leur mise en paquets, etc. Entre les deux phases a
lieu la fabrication du verre proprement dite, ou la manipulation de la masse
fluide. A l'embouchure d'un même fourneau travaille un groupe qui porte, en
Angleterre, le nom de hole (trou), et qui se compose d'un bottle maker,
faiseur de bouteilles ou finisseur, d'un blower, souffleur, d'un gatherer,
d'un putter up ou whetter of et d'un taker in.
Ces cinq ouvriers forment autant d'organes différents d'une force
collective de travail, qui ne fonctionne que comme unité,
c'est à dire par coopération immédiate des cinq. Cet organisme se
trouve paralysé dès qu'il lui manque un seul de ses membres. Le même fourneau a
diverses ouvertures, en Angleterre de quatre à six, dont chacune donne accès à
un creuset d'argile rempli de verre fondu, et occupe son groupe propre de cinq
ouvriers. L'organisme de chaque groupe repose ici sur la division du travail,
tandis que le lien entre les divers groupes analogues consiste en une simple
coopération qui permet d'économiser un des moyens de production, le fourneau,
en le faisant servir en commun. Un fourneau de ce genre, avec ses quatre à six
groupes, forme un petit atelier, et une manufacture de verre comprend un
certain nombre de ces ateliers avec les ouvriers et les matériaux dont ils ont
besoin pour les phases de production préparatoires et définitives.
Enfin la manufacture, de même qu'elle provient en
partie d'une combinaison de différents métiers, peut à son tour se développer
en combinant ensemble des manufactures différentes. C'est ainsi que les
verreries anglaises d'une certaine importance fabriquent elles mêmes leurs
creusets d'argile, parce que la réussite du produit dépend en grande partie de
leur qualité. La manufacture d'un moyen de production est ici unie à la manufacture
du produit. Inversement, la manufacture du produit peut être unie à des
manufactures où il entre comme matière première, ou au produit desquelles il se
joint plus tard. C'est ainsi qu'on trouve des manufactures de flintglass
combinées avec le polissage des glaces et la fonte du cuivre, cette dernière
opération ayant pour but l'enchâssure ou la monture d'articles de verres
variés. Les diverses manufactures combinées forment alors des départements plus
ou moins séparés de la manufacture totale, et en même temps des procès de
production indépendants, chacun avec sa division propre du travail. Malgré les
avantages que présente la manufacture combinée, elle n'acquiert néanmoins une
véritable unité technique, tant qu'elle repose sur sa propre base. Cette unité
ne surgit qu'après la transformation de l'industrie manufacturière en industrie
mécanique.
Dans la période manufacturière on ne tarda guère à
reconnaître que son principe n'était que la diminution du temps de travail
nécessaire à la production des marchandises, et on s'exprima sur ce point très
clairement (435). Avec la manufacture se développa
aussi çà et là l'usage des machines, surtout pour certains travaux
préliminaires simples qui ne peuvent être exécutés qu'en grand et avec une
dépense de force considérable. Ainsi, par exemple, dans la manufacture de
papier, la trituration des chiffons se fit bientôt au moyen de moulins ad
hoc, de même que dans les établissements métallurgiques l'écrasement du
minerai au moyen de moulins dits brocards (436). L'empire romain avait transmis avec le moulin à eau
la forme élémentaire de toute espèce de machine productive
(437). La période des métiers avait légué les grandes
inventions de la boussole, de la poudre à canon, de l'imprimerie et de
l'horloge automatique. En général, cependant, les machines ne jouèrent dans la
période manufacturière que ce rôle secondaire qu'Adam Smith leur assigne à côté
de la division du travail (438).
Leur emploi sporadique devint très important au XVII° siècle, parce qu'il
fournit aux grands mathématiciens de cette époque un point d'appui et un
stimulant pour la création de la mécanique moderne.
C'est le travailleur collectif
formé par la combinaison d'un grand nombre d'ouvriers parcellaires qui
constitue le mécanisme spécifique de la période manufacturière. Les diverses
opérations que le producteur d'une marchandise exécute tour à tour et qui se
confondent dans l'ensemble de son travail, exigent, pour ainsi dire, qu'il ait
plus d'une corde à son arc. Dans l'une, il doit déployer plus d'habileté, dans
l'autre plus de force, dans une troisième plus d'attention, etc., et le même
individu ne possède pas toutes ces facultés à un degré égal. Quand les
différentes opérations sont une fois séparées, isolées et rendues
indépendantes, les ouvriers sont divisés, classés et groupés d'après les
facultés qui prédominent chez chacun d'eux. Si leurs particularités naturelles
constituent le sol sur lequel croit la division du travail, la manufacture une
fois introduite, développe des forces de travail qui ne sont aptes qu'à des
fonctions spéciales. Le travailleur collectif possède maintenant toutes les
facultés productives au même degré de virtuosité et les dépense le plus
économiquement possible, en n'employant ses organes, individualisés dans des
travailleurs ou des groupes de travailleurs spéciaux, qu'à des fonctions
appropriées à leur qualité (439).
En tant que membre du travailleur collectif, le travailleur parcellaire devient
même d'autant plus parfait qu'il est plus borné et plus incomplet
(440). L'habitude d'une fonction unique le transforme en
organe infaillible et spontané de cette fonction, tandis que l'ensemble du
mécanisme le contraint d'agir avec la régularité d'une pièce de machine (441). Les fonctions diverses du
travailleur collectif étant plus ou moins simples ou complexes, inférieures ou
élevées; ses organes, c'est à dire les forces de travail
individuelles, doivent aussi être plus ou moins simples ou complexes; elles
possèdent par conséquent des valeurs différentes. La manufacture crée ainsi une
hiérarchie des forces de travail à laquelle correspond une échelle graduée des
salaires. Si le travailleur individuel est approprié et annexé sa vie durant à
une seule et unique fonction, les opérations diverses sont accommodées à cette
hiérarchie d'habiletés et de spécialités naturelles et acquises
(442). Chaque procès de production exige certaines
manipulations dont le premier venu est capable. Elles aussi sont détachées de
leur rapport mobile avec les moments plus importants de l'activité générale et
ossifiées en fonctions exclusives. La manufacture produit ainsi dans chaque
métier dont elle s'empare une classe de simples manouvriers que le
métier du moyen âge écartait impitoyablement. Si elle développe la spécialité
isolée au point d'en faire une virtuosité aux dépens de la puissance de travail
intégrale, elle commence aussi à faire une spécialité du défaut de tout
développement. A côté de la gradation hiérarchique prend place une division
simple des travailleurs en habiles et inhabiles. Pour ces
derniers les frais d'apprentissage disparaissent; pour les premiers ils
diminuent comparativement à ceux qu'exige le métier; dans les deux cas la force
de travail perd de sa valeur (443);
cependant la décomposition du procès de travail donne parfois naissance à des
fonctions générales qui, dans l'exercice du métier, ne jouaient aucun rôle ou
un rôle inférieur. La perte de valeur relative de la force de travail provenant
de la diminution ou de la disparition des frais d'apprentissage entraîne
immédiatement pour le capital accroissement de plus value, car tout ce qui
raccourcit le temps nécessaire à la production de la force de travail agrandit ipso
facto le domaine du surtravail.
IV. Division du travail dans la manufacture et dans la société
Nous avons vu comment la manufacture est sortie de la
coopération; nous avons étudié ensuite ses éléments simples, l'ouvrier
parcellaire et son outil, et en dernier lieu son mécanisme d'ensemble.
Examinons maintenant le rapport entre la division manufacturière du
travail et sa division sociale, laquelle forme la base générale de toute
production marchande.
Si l'on se borne à considérer le travail lui-même, on
peut désigner la séparation de la production sociale en ses grandes branches,
industrie, agriculture, etc., sous le nom de division du travail en général, la
séparation de ces genres de production en espèces et variétés sous celui de
division du travail en particulier, et enfin la division dans l'atelier sous le
nom du travail en détail (444).
La division du travail dans la société et la
limitation correspondante des individus à une sphère ou à une vocation
particulière, se développent, comme la division du travail dans la manufacture,
en partant de points opposés. Dans une famille, et dans la famille élargie, la
tribu, une division spontanée de travail s'ente sur les différences d'âge et de
sexe, c'est à dire sur une base purement physiologique. Elle gagne
plus de terrain avec l'extension de la communauté, l'accroissement de la
population et surtout le conflit entre les diverses tribus et la soumission de
l'une par l'autre. D'autre part, ainsi que nous l'avons déjà remarqué,
l'échange des marchandises prend d'abord naissance sur les points où diverses
familles, tribus, communautés entrent en contact; car ce sont des collectivités
et non des individus qui, à l'origine de la civilisation, s'abordent et
traitent les uns avec les autres en pleine indépendance. Diverses communautés
trouvent dans leur entourage naturel des moyens de production et des
moyens de subsistance différents. De là une différence dans leur mode de
production, leur genre de vie et leurs produits. Des relations entre des
communautés diverses une fois établies, l'échange de leurs produits réciproques
se développe bientôt et les convertit peu à peu en marchandises. L'échange ne
crée pas la différence des sphères de production; il ne fait que les mettre en
rapport entre elles et les transforme ainsi en branches plus ou moins dépendantes
de l'ensemble de la production sociale. Ici la division sociale du travail
provient de l'échange entre sphères de production différentes et indépendantes
les unes des autres. Là où la division physiologique du travail forme le
point de départ, ce sont au contraire les organes particuliers d'un tout
compact qui se détachent les uns des autres, se décomposent, principalement en
vertu de l'impulsion donnée par l'échange avec des communautés étrangères, et
s'isolent jusqu'au point où le lien entre les différents travaux n'est plus
maintenu que par l'échange de leurs produits.
Toute division du travail développée qui s'entretient
par l'intermédiaire de l'échange des marchandises a pour base fondamentale la
séparation de la ville et de la campagne (445). On peut dire que l'histoire économique de la
société roule sur le mouvement de cette antithèse, à laquelle cependant nous ne
nous arrêterons pas ici.
De même que la division du travail dans la
manufacture suppose comme base matérielle un certain nombre d'ouvriers occupés
en même temps, de même la division du travail dans la société suppose une
certaine grandeur de la population, accompagnée d'une certaine densité,
laquelle remplace l'agglomération dans l'atelier (446). Cette densité cependant est quelque chose de
relatif. Un pays dont la population est proportionnellement clairsemée, possède
néanmoins, si ses voies de communication sont développées, une population plus
dense qu'un pays plus peuplé, dont les moyens de communication sont moins
faciles. Dans ce sens, les États du nord de l'Union américaine possèdent une
population bien plus dense que les Indes (447).
La division manufacturière du travail ne prend racine
que là où sa division sociale est déjà parvenue à un certain degré de
développement, division que par contrecoup elle développe et multiplie. A
mesure que se différencient les instruments de travail, leur fabrication va se
divisant en différents métiers (448).
L'industrie manufacturière prend elle possession
d'un métier qui jusque là était connexe avec d'autres comme occupation
principale ou accessoire, tous étant exercés par le même artisan, immédiatement
ces métiers se séparent et deviennent indépendants; s'introduit elle dans
une phase particulière de la production d'une marchandise, aussitôt les autres
phases constituent autant d'industries différentes. Nous avons déjà remarqué
que là où le produit final n'est qu'une simple composition de produits partiels
et hétérogènes, les différents travaux parcellés dont ils proviennent peuvent
se désagréger et se transformer en métiers indépendants. Pour perfectionner la
division du travail dans une manufacture on est bientôt amené à subdiviser une branche
de production suivant la variété de ses matières premières, ou suivant les
diverses formes que la même matière première peut obtenir, en manufactures
différentes et pour une bonne part entièrement nouvelles. C'est ainsi que déjà
dans la première moitié du XVIII° siècle on tissait en France plus de cent
espèces d'étoffes de soie, et qu'à Avignon par exemple une loi ordonna que «
chaque apprenti ne devait se consacrer qu'à un seul genre de fabrication et
n'apprendre jamais à tisser qu'un seul genre d'étoffes ». La division
territoriale du travail qui assigne certaines branches de production à certains
districts d'un pays reçoit également une nouvelle impulsion de l'industrie
manufacturière qui exploite partout les spécialités (449). Enfin l'expansion du marché universel et le système
colonial qui font partie des conditions d'existence générales de la période
manufacturière lui fournissent de riches matériaux pour la division du travail
dans la société. Ce n'est pas ici le lieu de montrer comment cette division
infesta non seulement la sphère économique mais encore toutes les autres
sphères sociales, introduisant partout ce développement des spécialités, ce
morcellement de l'homme qui arracha au maître d'Adam Smith, à A. Ferguson, ce
cri : « Nous sommes des nations entières d'ilotes et nous n'avons plus de
citoyens libres (450). »
Malgré les nombreuses analogies et les rapports qui
existent entre la division du travail dans la société et la division du travail
dans l'atelier, il y a cependant entre elles une différence non pas de degré
mais d'essence. L'analogie apparaît incontestablement de la manière la plus
frappante là où un lien intime entrelace diverses branches d'industrie.
L'éleveur de bétail par exemple produit des peaux; le tanneur les transforme en
cuir; le cordonnier du cuir fait des bottes. Chacun fournit ici un produit
gradué et la forme dernière et définitive est le produit collectif de leurs
travaux spéciaux. Joignons à cela les diverses branches de travail qui
fournissent des instruments, etc., à l'éleveur de bétail, au tanneur et au
cordonnier. On peut facilement se figurer avec Adam Smith que cette division
sociale du travail ne se distingue de la division manufacturière que subjectivement,
c'est à dire que l'observateur voit ici d'un coup d’œil les
différents travaux partiels à la fois, tandis que là leur dispersion sur un
vaste espace et le grand nombre des ouvriers occupés à chaque travail
particulier ne lui permettent pas de saisir leurs rapports d'ensemble (451). Mais qu'est ce qui constitue
le rapport entre les travaux indépendants de l'éleveur de bétail, du tanneur et
du cordonnier ? C'est que leurs produits respectifs sont des marchandises. Et
qu'est ce qui caractérise au contraire la division manufacturière du
travail ? C'est que les travailleurs parcellaires ne produisent pas de
marchandises (452). Ce n'est que leur produit
collectif qui devient marchandise (453)
. L'intermédiaire des travaux indépendants dans la société c'est l'achat et la
vente de leurs produits; le rapport d'ensemble des travaux partiels de la
manufacture a pour condition la vente de différentes forces de travail à un même
capitaliste qui les emploie comme force de travail collective. La division
manufacturière du travail suppose une concentration de moyens de production
dans la main d'un capitaliste; la division sociale du travail suppose leur
dissémination entre un grand nombre de producteurs marchands indépendants les
uns des autres. Tandis que dans la manufacture la loi de fer de la
proportionnalité soumet des nombres déterminés d'ouvriers à des fonctions
déterminées, le hasard et l'arbitraire jouent leur jeu déréglé dans la
distribution des producteurs et de leurs moyens de production entre les
diverses branches du travail social.
Les différentes sphères de production tendent, il est
vrai, à se mettre constamment en équilibre. D'une part, chaque producteur
marchand doit produire une valeur d'usage, c'est à dire satisfaire un
besoin social déterminé; or, l'étendue de ces besoins diffère quantitativement
et un lien intime les enchaîne tous en un système qui développe spontanément
leurs proportions réciproques; d'autre part la loi de la valeur détermine
combien de son temps disponible la société peut dépenser à la production de
chaque espèce de marchandise. Mais cette tendance constante des diverses
sphères de la production à s'équilibrer n'est qu'une réaction contre la destruction
continuelle de cet équilibre. Dans la division manufacturière de l'atelier le
nombre proportionnel donné d'abord par la pratique, puis par la réflexion,
gouverne a priori à titre de règle la masse d'ouvriers attachée à
chaque fonction particulière; dans la division sociale du travail il n'agit qu'a
posteriori, comme nécessité fatale, cachée, muette, saisissable
seulement dans les variations barométriques des prix du marché, s'imposant et
dominant par des catastrophes l'arbitraire déréglé des producteurs marchands.
La division manufacturière du travail suppose
l'autorité absolue du capitaliste sur des hommes transformés en simples membres
d'un mécanisme qui lui appartient. La division sociale du travail met en face
les uns des autres des producteurs indépendants qui ne reconnaissent en fait
d'autorité que celle de la concurrence, d'autre force que la pression exercée
sur eux par leurs intérêts réciproques, de même que dans le règne animal la
guerre de tous contre tous, bellum omnium contra omnes, entretient plus
ou moins les conditions d'existence de toutes les espèces. Et cette conscience
bourgeoise qui exalte la division manufacturière du travail, la condamnation à
perpétuité du travailleur à une opération de détail et sa subordination passive
au capitaliste, elle pousse des hauts cris et se pâme quand on parle de
contrôle, de réglementation sociale du procès de production ! Elle dénonce
toute tentative de ce genre comme une attaque contre les droits de la
Propriété, de la Liberté, du Génie du capitaliste. « Voulez vous donc
transformer la société en une fabrique ? » glapissent alors ces enthousiastes
apologistes du système de fabrique. Le régime des fabriques n'est bon que pour
les prolétaires !
Si l'anarchie dans la division sociale et le
despotisme dans la division manufacturière du travail caractérisent la société
bourgeoise, des sociétés plus anciennes où la séparation des métiers s'est
développée spontanément, puis s'est cristallisée et enfin a été sanctionnée
légalement, nous offrent par contre l'image d'une organisation sociale du
travail régulière et autoritaire tandis que la division manufacturière y est
complètement exclue, ou ne se présente que sur une échelle minime, ou ne se
développe que sporadiquement et accidentellement (454).
Ces petites communautés indiennes, dont on peut
suivre les traces jusqu'aux temps les plus reculés, et qui existent encore en
partie, sont fondées sur la possession commune du sol, sur l'union immédiate de
l'agriculture et du métier et sur une division du travail invariable, laquelle
sert de plan et de modèle toutes les fois qu'il se forme des communautés
nouvelles. Etablies sur un terrain qui comprend de cent à quelques milles acres,
elles constituent des organismes de production complets se suffisant à
elles-mêmes. La plus grande masse du produit est destinée à la consommation
immédiate de la communauté; elle ne devient point marchandise, de manière que
la production est indépendante de la division du travail occasionnée par
l'échange dans l'ensemble de la société indienne. L'excédant seul des produits
se transforme en marchandise, et va tout d'abord entre les mains de l'État
auquel, depuis les temps les plus reculés, en revient une certaine partie à
titre de rente en nature. Ces communautés revêtent diverses formes dans
différentes parties de l'Inde. Sous sa forme la plus simple, la communauté
cultive le sol en commun et partage les produits entre ses membres, tandis que
chaque famille s'occupe chez elle de travaux domestiques, tels que filage,
tissage, etc. A côté de cette masse occupée d'une manière uniforme nous
trouvons « l'habitant principal » juge, chef de police et receveur d'impôts, le
tout en une seule personne; le teneur de livres qui règle les comptes de
l'agriculture et du cadastre et enregistre tout ce qui s'y rapporte; un
troisième employé qui poursuit les criminels et protège les voyageurs étrangers
qu'il accompagne d'un village à l'autre, l'homme frontière qui empêche les
empiètements des communautés voisines; l'inspecteur des eaux qui fait
distribuer pour les besoins de l'agriculture l'eau dérivée des réservoirs
communs; le bramine qui remplit les fonctions du culte; le maître d'école qui
enseigne aux enfants de la communauté à lire et à écrire sur le sable; le
bramine calendrier qui en qualité d'astrologue indique les époques des
semailles et de la moisson ainsi que les heures favorables ou funestes aux
divers travaux agricoles; un forgeron et un charpentier qui fabriquent et
réparent tous les instruments d'agriculture; le potier qui fait toute la
vaisselle du village; le barbier, le blanchisseur, l'orfèvre et çà et là le
poète qui dans quelques communautés remplace l'orfèvre et dans d'autres, le
maître d'école. Cette douzaine de personnages est entretenue aux frais de la
communauté entière. Quand la population augmente, une communauté nouvelle est
fondée sur le modèle des anciennes et s'établit dans un terrain non cultivé.
L'ensemble de la communauté repose donc sur une division du travail régulière,
mais la division dans le sens manufacturier est impossible puisque le marché
reste immuable pour le forgeron, le charpentier, etc., et que tout au plus,
selon l'importance des villages, il s'y trouve deux forgerons ou deux potiers
au lieu d'un (455). La loi qui règle la division du
travail de la communauté agit ici avec l'autorité inviolable d'une loi
physique, tandis que chaque artisan exécute chez lui, dans son atelier, d'après
le mode traditionnel, mais avec indépendance et sans reconnaître aucune
autorité, toutes les opérations qui sont de son ressort. La simplicité de
l'organisme productif de ces communautés qui se suffisent à elles mêmes,
se reproduisent constamment sous la même forme, et une fois détruites
accidentellement se reconstituent au même lieu et avec le même nom
(456), nous fournit la clef l'immutabilité des sociétés
asiatiques, immutabilité qui contraste d'une manière si étrange avec la
dissolution et reconstruction incessantes des Etats asiatiques, les changements
violents de leurs dynasties. La structure des éléments économiques fondamentaux
de la société, reste hors des atteintes de toutes les tourmentes de la région
politique.
Les lois des corporations du moyen âge empêchaient
méthodiquement la transformation du maître en capitaliste, en limitant par des
édits rigoureux le nombre maximum des compagnons qu'il avait le droit
d'employer, et encore on lui interdisait l'emploi de compagnons dans tout genre
de métier autre que le sien. La corporation se gardait également avec un zèle
jaloux contre tout empiétement du capital marchand, la seule forme libre du
capital qui lui faisait vis-à-vis. Le marchand pouvait acheter toute sorte de
marchandises, le travail excepté. Il n'était souffert qu'à titre de débitant de
produits. Quand des circonstances extérieures nécessitaient une division du
travail progressive, les corporations existantes se subdivisaient en
sous genres, ou bien il se formait des corporations nouvelles à côté des
anciennes, sans que des métiers différents fussent réunis dans un même atelier.
L'organisation corporative excluait donc la division manufacturière du travail,
bien qu'elle en développât les conditions d'existence en isolant et
perfectionnant les métiers. En général le travailleur et ses moyens de
production restaient soudés ensemble comme l'escargot et sa coquille. Ainsi la
base première de la manufacture, c'est à dire la forme capital des
moyens de production, faisait défaut.
Tandis que la division sociale du
travail, avec ou sans échange de marchandises, appartient aux formations
économiques des sociétés les plus diverses, la division manufacturière est une
création spéciale du mode de production capitaliste.
V. Caractère capitaliste de la manufacture
Un nombre assez considérable d'ouvriers sous les
ordres du même capital, tel est le point de départ naturel de la manufacture,
ainsi que de la coopération simple. Mais la division du travail, tel que
l'exige la manufacture, fait de l'accroissement incessant des ouvriers employés
une nécessité technique. Le nombre minimum qu'un capitaliste doit employer, lui
est maintenant prescrit par la division du travail établie.
Pour obtenir les avantages d'une division ultérieure,
il faut non seulement augmenter le nombre des ouvriers, mais l'augmenter par
multiple, c'est à dire d'un seul coup, selon des proportions fixes,
dans tous les divers groupes de l'atelier. De plus, l'agrandissement de la
partie variable du capital nécessite celui de sa partie constante, des avances
en outils, instruments, bâtiments, etc., et surtout en matières premières dont
la quantité requise croît bien plus vite que le nombre des ouvriers employés.
Plus se développent les forces productives du travail par suite de sa division,
plus il consomme de matières premières dans un temps donné. L'accroissement
progressif du capital minimum nécessaire au capitaliste, ou la transformation
progressive des moyens sociaux de subsistance et de production en capital, est
donc une loi imposée par le caractère technique de la manufacture
(457).
Le corps de travail fonctionnant dans la manufacture
et dont les membres sont des ouvriers de détail, appartient au capitaliste; il
n'est qu'une forme d'existence du capital. La force productive, issue de la
combinaison des travaux, semble donc naître du capital.
La manufacture proprement dite ne soumet pas
seulement le travailleur aux ordres et à la discipline du capital, mais établit
encore une gradation hiérarchique parmi les ouvriers eux-mêmes. Si, en général,
la coopération simple n'affecte guère le mode de travail individuel, la
manufacture le révolutionne de fond en comble et attaque à sa racine la force
de travail. Elle estropie le travailleur, elle fait de lui quelque chose de monstrueux
en activant le développement factice de sa dextérité de détail, en sacrifiant
tout un monde de dispositions et d'instincts producteurs, de même que dans les
Etats de la Plata, on immole un taureau pour sa peau et son suif.
Ce n'est pas seulement le travail qui est divisé,
subdivisé et réparti entre divers individus, c'est l'individu lui-même qui est
morcelé et métamorphosé en ressort automatique d'une opération exclusive (458), de sorte que l'on trouve réalisée
la fable absurde de Menennius Agrippa, représentant un homme comme fragment de
son propre corps (459).
Originairement l'ouvrier vend au capital sa force de
travail, parce que les moyens matériels de la production lui manquent. Maintenant
sa force de travail refuse tout service sérieux si elle n'est pas vendue. Pour
pouvoir fonctionner, il lui faut ce milieu social qui n'existe que dans
l'atelier du capitaliste (460).
De même que le peuple élu portait écrit sur son front qu'il était la propriété
de Jéhovah, de même l'ouvrier de manufacture est marqué comme au fer rouge du
sceau de la division du travail qui le revendique comme propriété du capital.
Les connaissances, l'intelligence et la volonté que
le paysan et l'artisan indépendants déploient, sur une petite échelle, à peu
près comme le sauvage pratique tout l'art de la guerre sous forme de ruse
personnelle, ne sont désormais requises que pour l'ensemble de l'atelier. Les
puissances intellectuelles de la production se développent d'un seul côté parce
qu'elles disparaissent sur tous les autres. Ce que les ouvriers parcellaires
perdent, se concentre en face d'eux dans le capital (461). La division manufacturière leur oppose les puissances
intellectuelles de la production comme la propriété d'autrui et comme pouvoir
qui les domine. Cette scission commence à poindre dans la coopération simple où
le capitaliste représente vis-à-vis du travailleur isolé l'unité et la volonté
du travailleur collectif; elle se développe dans la manufacture qui mutile le
travailleur au point de le réduire à une parcelle de lui-même; elle s'achève
enfin dans la grande industrie qui fait de la science une force productive
indépendante du travail et l'enrôle au service du capital (462).
Dans la manufacture l'enrichissement du travailleur
collectif, et par suite du capital, en forces productives sociales a pour
condition l'appauvrissement du travailleur en forces productives individuelles.
« L'ignorance est la mère de l'industrie aussi bien
que de la superstition. La réflexion et l'imagination sont sujettes à s'égarer;
mais l'habitude de mouvoir le pied ou la main ne dépend ni de l'une, ni de
l'autre. Aussi pourrait on dire, que la perfection, à l'égard des
manufactures, consiste à pouvoir se passer de l'esprit, de manière que, sans
effort de tête, l'atelier puisse être considéré comme une machine dont les
parties sont des hommes (463). »
Aussi un certain nombre de manufactures, vers le
milieu du XVIII° siècle, employaient de préférence pour certaines opérations
formant des secrets de fabrique, des ouvriers à moitié idiots (464).
« L'intelligence de la plupart des hommes », dit A.
Smith, « se forme nécessairement par leurs occupations ordinaires. Un homme
dont toute la vie se passe à exécuter un petit nombre d'opérations simples...
n'a aucune occasion de développer son intelligence ni d'exercer son
imagination... Il devient en général aussi ignorant et aussi stupide qu'il soit
possible à une créature humaine de le devenir. »
Après avoir dépeint l'engourdissement de l'ouvrier
parcellaire, A. Smith continue ainsi :
« L'uniformité de sa vie stationnaire corrompt
naturellement la vaillance de son esprit... elle dégrade même l'activité de son
corps et le rend incapable de déployer sa force avec quelque vigueur et quelque
persévérance, dans tout autre emploi que celui auquel il a été élevé. Ainsi sa
dextérité dans son métier est une qualité qu'il semble avoir acquise aux dépens
de ses vertus intellectuelles, sociales et guerrières. Or, dans toute société
industrielle et civilisée tel est l'état où doit tomber nécessairement
l'ouvrier pauvre (the labouring poor), c'est à dire la grande masse
du peuple (465).»
Pour porter remède à cette détérioration complète,
qui résulte de la division du travail, A. Smith recommande l'instruction
populaire obligatoire, tout en conseillant de l'administrer avec prudence et à
doses homoeopathiques. Son traducteur et commentateur français, G. Garnier, ce
sénateur prédestiné du premier Empire, a fait preuve de logique en combattant
cette idée. L'instruction du peuple, selon lui, est en contradiction avec les
lois de la division du travail, et l'adopter « serait proscrire tout notre
système social... Comme toutes les autres divisions du travail, celle qui
existe entre le travail mécanique et le travail intellectuel (466) se prononce d'une manière plus forte et plus tranchante
à mesure que la société avance vers un état plus opulent. (Garnier applique ce
mot société d'une manière très correcte au capital, à la propriété foncière et
à l'Etat qui est leur.) Cette division comme toutes les autres, est un effet
des progrès passés et une cause des progrès à venir. ... Le gouvernement
doit il donc travailler à contrarier cette division de travail, et à la
retarder dans sa marche naturelle ? Doit il employer une portion du revenu
public pour tâcher de confondre et de mêler deux classes de travail qui tendent
d'elles-mêmes à se diviser (467)
? »
Un certain rabougrissement de corps et d'esprit est
inséparable de la division du travail dans la société. Mais comme la période manufacturière
pousse beaucoup plus loin cette division sociale en même temps que par la
division qui lui est propre elle attaque l'individu à la racine même de sa vie,
c'est elle qui la première fournit l'idée et la matière d'une pathologie
industrielle (468).
« Subdiviser un homme, c'est l'exécuter, s'il a
mérité une sentence de mort; c'est l'assassiner s'il ne la mérite pas. La
subdivision du travail est l'assassinat d'un peuple (469).»
La coopération fondée sur la division du travail,
c'est à dire la manufacture, est à ses débuts une création spontanée
et inconsciente. Dès qu'elle a acquis une certaine consistance et une base
suffisamment large, elle devient la forme reconnue et méthodique de la production
capitaliste. L'histoire de la manufacture proprement dite montre comment la
division du travail qui lui est particulière acquiert expérimentalement, pour
ainsi dire à l'insu des acteurs, ses formes les plus avantageuses, et comment
ensuite, à la manière des corps de métier, elle s'efforce de maintenir ces
formes traditionnellement, et réussit quelquefois à les maintenir pendant plus
d'un siècle. Cette forme ne change presque jamais, excepté dans les
accessoires, que par suite d'une révolution survenue dans les instruments de
travail. La manufacture moderne (je ne parle pas de la grande industrie fondée
sur l'emploi des machines) ou bien trouve, dans les grandes villes où elle
s'établit, ses matériaux tout prêts quoique disséminés et n'a plus qu'à les rassembler,
la manufacture des vêtements par exemple; ou bien le principe de la division du
travail est d'une application si facile qu'on n'a qu'à approprier chaque
ouvrier exclusivement à une des diverses opérations d'un métier, par exemple de
la reliure des livres. L'expérience d'une semaine suffit amplement dans de tels
cas pour trouver le nombre proportionnel d'ouvriers qu'exige chaque fonction (470).
Par l'analyse et la décomposition du métier manuel,
la spécialisation des instruments, la formation d'ouvriers parcellaires et leur
groupement dans un mécanisme d'ensemble, la division manufacturière crée la
différenciation qualitative et la proportionnalité quantitative des procès
sociaux de production. Cette organisation particulière du travail en augmente
les forces productives.
La division du travail dans sa forme capitaliste
et sur les bases historiques données, elle ne pouvait revêtir aucune
autre forme n'est qu'une méthode particulière de produire de la
plus-value relative, ou d'accroître aux dépens du travailleur le rendement du
capital, ce qu'on appelle Richesse nationale (Wealth of Nations). Aux
dépens du travailleur elle développe la force collective du travail pour le
capitaliste. Elle crée des circonstances nouvelles qui assurent la domination
du capital sur le travail. Elle se présente donc et comme un progrès
historique, une phase nécessaire dans la formation économique de la société, et
comme un moyen civilisé et raffiné d'exploitation.
L'économie politique, qui ne date comme science
spéciale que de l'époque des manufactures, considère la division sociale du
travail en général du point de vue de la division manufacturière
(471); elle n'y voit qu'un moyen de produire plus avec
moins de travail, de faire baisser par conséquent le prix des marchandises et
d'activer l'accumulation du capital. Les écrivains de l'antiquité classique, au
lieu de donner tant d'importance à la quantité et la valeur d'échange, s'en
tiennent exclusivement à la qualité et à la valeur d'usage (472). Pour eux, la séparation des branches sociales de la
production n'a qu'un résultat : c'est que les produits sont mieux faits et que
les penchants et les talents divers des hommes peuvent se choisir les sphères
d'action qui leur conviennent le mieux (473), car si l'on ne sait pas se limiter, il est
impossible de rien produire d'important (474). La division du travail perfectionne donc le produit
et le producteur. Si, à l'occasion, ils mentionnent aussi l'accroissement de la
masse des produits, ils n'ont en vue que l'abondance de valeurs d'usage,
d'objets utiles, et non la valeur d'échange ou la baisse dans le prix des
marchandises. Platon (475)
, qui fait de la division du travail la base de la séparation sociale des
classes, est là-dessus d'accord avec Xénophon (476), qui avec son instinct bourgeois caractéristique, touche
déjà de plus près la division du travail dans l'atelier. La république de
Platon, en tant du moins que la division du travail y figure comme principe
constitutif de l'État, n'est qu'une idéalisation athénienne du régime des
castes égyptiennes. L'Égypte, d'ailleurs, passait pour le pays industriel
modèle aux yeux d'un grand nombre de ses contemporains, d'Isocrate, par exemple (477), et elle resta telle pour les
Grecs de l'empire romain (478).
Pendant la période manufacturière proprement dite,
c'est à-dire pendant la période où la manufacture resta la forme dominante
du mode de production capitaliste, des obstacles de plus d'une sorte s’opposent
à la réalisation de ses tendances. Elle a beau créer, comme nous l'avons déjà
vu, à côté de la division hiérarchique des travailleurs, une séparation simple
entre ouvriers habiles et inhabiles, le nombre de ces derniers reste très
circonscrit, grâce à l'influence prédominante des premiers. Elle a beau adapter
les opérations parcellaires aux divers degrés de maturité, de force et de
développement de ses organes vivants de travail et pousser ainsi à
l'exploitation productive des enfants et des femmes, cette tendance échoue
généralement contre les habitudes et la résistance des travailleurs mâles.
C'est en vain qu'en décomposant les métiers, elle diminue les frais
d'éducation, et par conséquent la valeur de l'ouvrier; les travaux de détail
difficiles exigent toujours un temps assez considérable pour l'apprentissage;
et lors même que celui-ci devient superflu, les travailleurs savent le
maintenir avec un zèle jaloux. L'habileté de métier restant la base de la
manufacture, tandis que son mécanisme collectif ne possède point un squelette
matériel indépendant des ouvriers eux-mêmes, le capital doit lutter sans cesse
contre leur insubordination. « La faiblesse de la nature humaine est telle,
s'écrie l'ami Ure, que plus un ouvrier est habile, plus il devient opiniâtre et
intraitable, et par conséquent moins il est propre à un mécanisme, à l'ensemble
duquel ses boutades capricieuses peuvent faire un tort considérable (479). » Pendant toute la période
manufacturière, on n'entend que plaintes sur plaintes à propos de
l'indiscipline des travailleurs (480).
Et n'eussions nous pas les témoignages des écrivains de cette époque, le
simple fait que, depuis le XVI° siècle jusqu'au moment de la grande industrie,
le capital ne réussit jamais à s'emparer de tout le temps disponible des
ouvriers manufacturiers, que les manufactures n'ont pas la vie dure, mais sont
obligées de se déplacer d'un pays à l'autre suivant les émigrations ouvrières,
ces faits, dis je, nous tiendraient lieu de toute une bibliothèque. « Il
faut que l'ordre soit établi d'une manière ou d'une autre », s'écrie, en 1770,
l'auteur souvent cité de l'Essay on Trade and Commerce. L'ordre, répète
soixante six ans plus tard le docteur Andrew Ure, « l'ordre faisait défaut
dans la manufacture basée sur le dogme scolastique de la division du travail,
et Arkwright a créé l'ordre. »
Il faut ajouter que la manufacture ne pouvait ni
s'emparer de la production sociale dans toute son étendue, ni la bouleverser
dans sa profondeur. Comme œuvre d'art économique, elle s'élevait sur la large
base des corps de métiers des villes et de leur corollaire, l'industrie
domestique des campagnes. Mais dès qu'elle eut atteint un certain degré de
développement, sa base technique étroite entra en conflit avec les besoins de
production qu'elle avait elle-même créés.
Une de ses œuvres les plus parfaites fut l'atelier de
construction où se fabriquaient les instruments de travail et les appareils
mécaniques plus compliqués, déjà employés dans quelques manufactures. « Dans
l'enfance de la mécanique », dit Ure, « un atelier de construction offrait à
l’œil la division des travaux dans leurs nombreuses gradations : la lime, le
foret, le tour, avaient chacun leurs ouvriers par ordre d'habileté. »
Cet atelier, ce produit de la
division manufacturière du travail, enfanta à son tour les machines. Leur
intervention supprima la main-d’œuvre comme principe régulateur de la
production sociale. D'une part, il n'y eut plus nécessité technique
d'approprier le travailleur pendant toute sa vie à une fonction parcellaire;
d'autre part, les barrières que ce même principe opposait encore à la
domination du capital, tombèrent.
Chapitre XV : Machinisme et grande
industrie
I.
- Développement des machines et de la production mécanique
« Il reste encore à savoir », dit John Stuart Mill,
dans ses Principes d'économie politique, « si les inventions mécaniques
faites jusqu'à ce jour ont allégé le labeur quotidien d'un être humain quelconque (481). » Ce n'était pas là leur but.
Comme tout autre développement de la force productive du travail, l'emploi
capitaliste des machines ne tend qu'à diminuer le prix des marchandises, à
raccourcir la partie de la journée où l'ouvrier travaille pour lui-même, afin
d'allonger l'autre où il ne travaille que pour le capitaliste. C'est une
méthode particulière pour fabriquer de la plus-value relative.
La force de travail dans la manufacture et le moyen de
travail dans la production mécanique sont les points de départ de la révolution
industrielle. Il faut donc étudier comment le moyen de travail s'est transformé
d'outil en machine et par cela même définir la différence qui existe entre la
machine et l'instrument manuel. Nous ne mettrons en relief que les traits
caractéristiques : pour les époques historiques, comme pour les époques
géologiques, il n'y a pas de ligne de démarcation rigoureuse.
Des mathématiciens et des mécaniciens, dont l'opinion
est reproduite par quelques économistes anglais, définissent l'outil une
machine simple, et la machine un outil composé. Pour eux, il n'y a pas de
différence essentielle et ils donnent même le nom de machines aux puissances
mécaniques élémentaires telles que le levier, le plan incliné, la vis, le coin,
etc (482). En fait, toute machine se compose
de ces puissances simples, de quelque manière qu'on déguise et combine. Mais
cette définition ne vaut rien au point de vue social, parce que l'élément
historique y fait défaut.
Pour d'autres, la machine diffère de l'outil en ce
que la force motrice de celui-ci est l'homme et celle de l'autre l'animal,
l'eau, le vent, etc (483).
A ce compte, une charrue attelée de bœufs, instrument commun aux époques de
production les plus différentes, serait une machine, tandis que le Circular
Loom de Claussen, qui, sous la main d'un seul ouvrier, exécute
quatre-vingt-seize mille mailles par minute, serait un simple outil. Mieux
encore, ce même loom serait outil, si mû par la main; machine, si mû par
la vapeur. L'emploi de la force animale étant une des premières inventions de
l'homme, la production mécanique précéderait donc le métier. Quand John
Wyalt, en 1735, annonça sa machine à filer, et, avec elle, la révolution
industrielle du XVIII° siècle, il ne dit mot de ce que l'homme serait remplacé
comme moteur par l'âne, et cependant c'est à l'âne que ce rôle échut. Une
machine pour « filer sans doigts », tel fut son prospectus (484).
Tout mécanisme développé se compose de trois parties
essentiellement différentes : moteur, transmission et machine d'opération. Le
moteur donne l'impulsion à tout le mécanisme. Il enfante sa propre force de
mouvement comme la machine à vapeur, la machine électro-magnétique, la machine
calorique, etc., ou bien reçoit l'impulsion d'une force naturelle externe,
comme la roue hydraulique d'une chute d'eau, l'aile d'un moulin à vent des
courants d'air.
La transmission, composée de balanciers, de roues
circulaires, de roues d'engrenage, de volants, d'arbres moteurs, d'une variété
infinie de cordes, de courroies, de poulies, de leviers, de plans inclinés, de
vis, etc., règle le mouvement, le distribue, en change la forme, s'il le faut,
de rectangulaire en rotatoire et vice versa, et le transmet à la machine-outil.
Les deux premières parties du mécanisme n'existent,
en effet, que pour communiquer à cette dernière le mouvement qui lui fait
attaquer l'objet de travail et en modifier la forme. C'est la machine-outil
qui inaugure au XVIII° siècle la révolution industrielle; elle sert encore de
point de départ toutes les fois qu'il s'agit de transformer le métier ou la
manufacture en exploitation mécanique.
En examinant la machine-outil, nous retrouvons en
grand, quoique sous des formes modifiées, les appareils et les instruments
qu'emploie l'artisan ou l'ouvrier manufacturier, mais d'instruments manuels de
l'homme ils sont devenus instruments mécaniques d'une machine. Tantôt la
machine entière n'est qu'une édition plus ou moins revue et corrigée du vieil
instrument manuel, - c'est le cas pour le métier à tisser mécanique (485), - tantôt les organes d'opération,
ajustés à la charpente de la machine-outil, sont d'anciennes connaissances,
comme les fuseaux de la Mule-Jenny, les aiguilles du métier à tricoter des bas,
les feuilles de scie de la machine à scier, le couteau de la machine à hacher,
etc. La plupart de ces outils se distinguent par leur origine même de la
machine dont ils forment les organes d'opération. En général on les produit
aujourd'hui encore par le métier ou la manufacture, tandis que la machine, à
laquelle ils sont ensuite incorporés, provient de la fabrique mécanique (486).
La machine-outil est donc un mécanisme qui, ayant
reçu le mouvement convenable, exécute avec ses instruments les mêmes opérations
que le travailleur exécutait auparavant avec des instruments pareils. Dès que
l'instrument, sorti de la main de l'homme, est manié par un mécanisme, la
machine-outil a pris la place du simple outil. Une révolution s'est accomplie
alors même que l'homme reste le moteur. Le nombre d'outils avec lesquels
l'homme peut opérer en même temps est limité par le nombre de ses propres
organes. On essaya, au XVII° siècle, en Allemagne de faire manœuvrer
simultanément deux rouets par un fileur. Mais cette besogne a été trouvée trop
pénible. Plus tard on inventa un rouet à pied avec deux fuseaux; mais les
virtuoses capables de filer deux fils à la fois étaient presque aussi rares que
des veaux à deux têtes. La Jenny, au contraire, même dans sa
première ébauche, file avec douze et dix-huit fuseaux; le métier à bas tricote
avec plusieurs milliers d'aiguilles. Le nombre d'outils qu’une même machine d'opération
met en jeu simultanément est donc de prime abord émancipé de la limite
organique que ne pouvait dépasser l'outil manuel.
Il y a bien des instruments dont la construction même
met en relief le double rôle de l'ouvrier comme simple force motrice comme
exécuteur de la main-d’œuvre proprement dite. Prenons, par exemple, le rouet.
Sur sa marchette, le pied agit simplement comme moteur, tandis que les doigts
filent en travaillant au fuseau. C'est précisément cette dernière partie de
l'instrument, l'organe de l'opération manuelle, que la révolution industrielle
saisit tout d'abord, laissant à l'homme, à côté de nouvelle besogne de
surveiller la machine et d'en corriger les erreurs de sa main, le rôle purement
mécanique de moteur.
Il y a une autre classe d'instruments sur lesquels
l'homme agit toujours comme simple force motrice, en tournant, par exemple, la
manivelle d'un moulin (487),
en manœuvrant une pompe, en écart et rapprochant les bras d'un soufflet, en
broyant des substances dans un mortier, etc. Là aussi l'ouvrier commence à être
remplacé comme force motrice par des animaux, le vent, l’eau (488). Beaucoup de ces instruments se transforment en
machines longtemps avant et pendant la période manufacturière sans cependant
révolutionner le mode de production. Dans l'époque de la grande industrie, il
devient évident qu'ils sont des machines en germe, même sous leur forme
primitive d'outils manuels.
Les pompes, par exemple, avec lesquelles les Hollandais
mirent à sec le lac de Harlem en 1836-37, étaient construites sur le principe
des pompes ordinaires, sauf que leurs pistons étaient soulevés par d'énormes
machines à vapeur au lieu de l'être à force de bras. En Angleterre, le soufflet
ordinaire et très imparfait du forgeron est assez souvent transformé en pompe à
air; il suffit pour cela de mettre son bras en communication avec une machine à
vapeur. La machine à vapeur elle-même, telle qu'elle exista, pendant la période
manufacturière, à partir de son invention vers la fin du XVII° siècle (489) jusqu'au commencement de 1780,
n'amena aucune révolution dans l'industrie. Ce fut au contraire la création des
machines-outils qui rendit nécessaire la machine à vapeur révolutionnée. Dès
que l'homme, au lieu d’agir avec l'outil sur l'objet de travail, n'agit plus
que comme moteur d'une machine-outil, l'eau, le vent, la vapeur peuvent le
remplacer, et le déguisement de la force motrice sous des muscles humains
devient purement accidentel. Il va sans dire qu'un changement de ce genre exige
souvent de grandes modifications techniques dans le mécanisme construit
primitivement pour la force humaine. De nos jours toutes les machines qui
doivent faire leur chemin, telles que machines à coudre, machines à pétrir,
etc., et dont le but n'exige pas de grandes dimensions, sont construites de
double façon, selon que l'homme ou une force mécanique est destiné à les
mouvoir.
La machine, point de départ de la révolution
industrielle, remplace donc le travailleur qui manie un outil par un mécanisme
qui opère à la fois avec plusieurs outils semblables, et reçoit son impulsion
d'une force unique, quelle qu'en soit la forme (490). Une telle machine-outil n'est cependant que
l'élément simple de la production mécanique.
Pour développer les dimensions de la machine
d'opération et le nombre de ses outils, il faut un moteur plus puissant, et
pour vaincre la force d'inertie du moteur, il faut une force d'impulsion
supérieure à celle de l'homme, sans compter que l'homme est un agent très
imparfait dans la production d'un mouvement continu et uniforme. Dès que
l'outil est remplacé par une machine mue par l'homme, il devient bientôt
nécessaire de remplacer l'homme dans le rôle de moteur par d'autres forces
naturelles.
De toutes les forces motrices qu'avait léguées la
période manufacturière, le cheval était la pire; le cheval a, comme on dit, sa
tête, son usage est dispendieux et ne peut trouver place dans les fabriques que
d'une manière restreinte (491).
Néanmoins, la force-cheval fut employée fréquemment dans les débuts de la
grande industrie, ainsi qu'en témoignent les lamentations des agronomes de
cette époque et l'expression « force de cheval » usitée encore aujourd'hui pour
désigner la force mécanique. Le vent était trop inconstant et trop difficile à
contrôler; d'ailleurs l'emploi de l'eau comme force motrice, même pendant la
période manufacturière, prédominait en Angleterre, ce pays natal de la grande
industrie. On avait essayé au XVII° siècle de mettre en mouvement, au moyen
d'une seule roue hydraulique, deux meules et deux tournants. Mais le mécanisme
de transmission devenu trop pesant rendit la force motrice de l'eau
insuffisante, et ce fut là une des circonstances qui conduisirent à l'étude
plus approfondie des lois du frottement. L'action inégale de la force motrice
dans les moulins mus par percussion et traction conduisit d'autre part à la
théorie (492) et à l'emploi du volant qui joue
plus tard un rôle si important dans la grande industrie dont les premiers
éléments scientifiques et techniques furent ainsi peu à peu développés pendant
l'époque des manufactures. Les filatures par métiers continus (throstle
mills) d'Arkwright furent, dès leur origine, mus par l'eau. Mais l'emploi
presque exclusif de cette force offrit des difficultés de plus en plus grandes.
Il était impossible de l'augmenter à volonté ou de suppléer à son insuffisance.
Elle se refusait parfois et était de nature purement locale (493). Ce n'est qu'avec la machine à vapeur à double effet
de Watt que fut découvert un premier moteur capable d'enfanter lui-même sa
propre force motrice en consommant de l'eau et du charbon et dont le degré de
puissance est entièrement réglé par l’homme. Mobile et moyen de locomotion,
citadin et non campagnard comme la roue hydraulique, il permet de concentrer la
production dans les villes au lieu de la disséminer dans les campagnes (494). Enfin, il est universel dans son
application technique, et son usage dépend relativement peu des circonstances
locales. Le grand génie de Watt se montre dans les considérants du brevet qu'il
prit en 1784. Il n'y dépeint pas sa machine comme une invention destinée à des
fins particulières, mais comme l'agent général de la grande industrie. Il en
fait pressentir des applications, dont quelques-unes, le marteau à vapeur par
exemple, ne furent introduites qu'un demi-siècle plus tard. Il doute cependant
que la machine à vapeur puisse être appliquée à la navigation. Ses successeurs,
Boulton et Watt, exposèrent au palais de l'industrie de Londres, en 1851, une
machine à vapeur des plus colossales pour la navigation maritime.
Une fois les outils transformés d'instruments manuels
de l'homme en instruments de l'appareil mécanique, le moteur acquiert de son
côté une forme indépendante, complètement émancipée des bornes de la force
humaine. La machine-outil isolée, telle que nous l'avons étudiée jusqu'ici,
tombe par cela même au rang d'un simple organe du mécanisme d'opération. Un
seul moteur peut désormais mettre en mouvement plusieurs machines-outils. Avec
le nombre croissant des machines-outils auxquelles il doit simultanément donner
la propulsion, le moteur grandit tandis que la transmission se métamorphose en
un corps aussi vaste que compliqué.
L'ensemble du mécanisme productif nous présente alors
deux formes distinctes : ou la coopération de plusieurs machines homogènes ou
un système de machines. Dans le premier cas, la fabrication entière d'un
produit se fait par la même machine-outil qui exécute toutes les opérations
accomplies auparavant par un artisan travaillant avec un seul instrument, comme
le tisserand avec son métier, ou par plusieurs ouvriers, avec différents
outils, soit indépendants, soit réunis dans une manufacture (495). Dans la manufacture d'enveloppes, par exemple, un
ouvrier doublait le papier avec le plioir., un autre appliquait la gomme, un
troisième renversait la lèvre qui porte la devise, un quatrième bosselait les
devises, etc.; à chaque opération partielle, chaque enveloppe devait changer de
mains. Une seule machine exécute aujourd'hui, du même coup, toutes ces
opérations, et fait en une heure trois mille enveloppes et même davantage. Une
machine américaine pour fabriquer des cornets, exposée à Londres en 1862,
coupait le papier, collait, pliait et finissait dix-huit mille cornets par
heure. Le procès de travail qui, dans la manufacture, était divisé et exécuté
successivement, est ici accompli par une seule machine agissant au moyen de
divers outils combinés.
Dans la fabrique (factory) - et c'est là la
forme propre de l'atelier fondé sur l'emploi des machines - nous voyons
toujours reparaître la coopération simple. Abstraction faite de l'ouvrier, elle
se présente d'abord comme agglomération de machines outils de même espèce
fonctionnant dans le même local et simultanément. C'est sa forme exclusive là
où le produit sort tout achevé de chaque machine-outil, que celle-ci soit la
simple reproduction d'un outil manuel complexe ou la combinaison de divers
instruments ayant chacun sa fonction particulière.
Ainsi une fabrique de tissage est formée par la
réunion d'une foule de métiers à tisser mécaniques, etc. Mais il existe ici une
véritable unité technique, en ce sens que les nombreuses machines-outils
reçoivent uniformément et simultanément leur impulsion du moteur commun,
impulsion transmise par un mécanisme qui leur est également commun en partie
puisqu'il n'est relié à chacune que par des embranchements particuliers. De
même que de nombreux outils forment les organes d'une machine-outil, de même de
nombreuses machines-outils forment autant d'organes homogènes d'un même
mécanisme moteur.
Le système de machines proprement dit ne remplace la
machine indépendante que lorsque l'objet de travail parcourt successivement une
série de divers procès gradués exécutés par une chaîne de machines-outils
différentes mais combinées les unes avec les autres. La coopération par
division du travail qui caractérise la manufacture, reparaît ici comme
combinaison de machines d'opération parcellaires. Les outils spéciaux des
différents ouvriers dans une manufacture de laine par exemple, ceux du batteur,
du cardeur, du tordeur, du fileur, etc., se transforment en autant de
machines-outils spéciales dont chacune forme un organe particulier dans le
système du mécanisme combiné. La manufacture elle-même fournit au système
mécanique, dans les branches où il est d'abord introduit, l'ébauche de la
division et, par conséquent, de l'organisation du procès productif
(496). Cependant une différence essentielle se manifeste
immédiatement. Dans la manufacture, chaque procès partiel doit pouvoir être exécuté
comme opération manuelle par des ouvriers travaillant isolément ou en groupes
avec leurs outils. Si l'ouvrier est ici approprié à une opération, l'opération
est déjà d'avance accommodée à l'ouvrier. Ce principe subjectif de la division
n'existe plus dans la production mécanique. Il devient objectif, c'est-à-dire
émancipé des facultés individuelles de l'ouvrier; le procès total est considéré
en lui-même, analysé dans ses principes constituants et ses différentes phases,
et le problème qui consiste à exécuter chaque procès partiel et à relier les
divers procès partiels entre eux, est résolu au moyen de la mécanique, de la
chimie, etc (497)., ce qui n'empêche pas
naturellement que la conception théorique ne doive être perfectionnée par une
expérience pratique accumulée sur une grande échelle. Chaque machine partielle
fournit à celle qui la suit sa matière première, et, comme toutes fonctionnent
en même temps et de concert, le produit se trouve ainsi constamment aux divers
degrés de sa fabrication et dans la transition d'une phase à l'autre. De même
que dans la manufacture, la coopération immédiate des ouvriers parcellaires
crée certains nombres proportionnels déterminés entre les différents groupes,
de même dans le système de machines l'occupation continuelle des machines
partielles les unes par les autres crée un rapport déterminé entre leur nombre,
leur dimension et leur célérité. La machine d'opération combinée, qui forme
maintenant un système articulé de différentes machines-outils et de leurs
groupes, est d'autant plus parfaite que son mouvement d'ensemble est plus
continu, c'est-à-dire que la matière première passe avec moins d'interruption
de sa première phase à sa dernière, d'autant plus donc que le mécanisme et non
la main de l'homme lui fait parcourir ce chemin. Donc si le principe de la
manufacture est l'isolement des procès particuliers par la division du travail,
celui de la fabrique est au contraire la continuité non interrompue de ces
mêmes procès.
Qu'il se fonde sur la simple coopération de
machines-outils homogènes, comme dans le tissage, ou sur une combinaison de
machines différentes, comme dans la filature, un système de machinisme forme
par lui-même un grand automate, dès qu'il est mis en mouvement par un premier
moteur qui se meut lui-même. Le système entier peut cependant recevoir son
impulsion d'une machine à vapeur, quoique certaines machines-outils aient
encore besoin de l'ouvrier pour mainte opération. C'est ce qui avait lieu dans
la filature pour certains mouvements exécutés aujourd'hui par la mule
automatique, et dans les ateliers de construction où certaines parties des
machines-outils avaient besoin d'être dirigées comme de simples outils par
l'ouvrier, avant la transformation du slide rest en facteur-automate.
Dès que la machine-outil exécute tous les mouvements nécessaires au façonnement
de la matière première sans le secours de l'homme et ne le réclame qu'après
coup, dès lors il y a un véritable système automatique, susceptible cependant
de constantes améliorations de détail. C'est ainsi que l'appareil qui fait
arrêter le laminoir (drawing frame) de lui-même, dès qu'un fil se casse,
et le self-acting stop qui arrête le métier à tisser à vapeur dès que la
duite s'échappe de la bobine de la navette, sont des inventions tout à fait
modernes. La fabrique de papier moderne peut servir d'exemple aussi bien pour
la continuité de la production que pour la mise en oeuvre du principe
automatique. En général, la production du papier permet d'étudier
avantageusement et en détail la différence des modes productifs basée sur la
différence des moyens de produire, de même que le rapport entre les conditions
sociales de la production et ses procédés techniques. En effet, la vieille
fabrication allemande du papier nous fournit un modèle de la production de
métier, la Hollande, au XVII° siècle, et la France au XVIII° nous mettent sous
les yeux la manufacture proprement dite, et l'Angleterre d'aujourd'hui la
fabrication automatique; on trouve encore dans l'Inde et dans la Chine
différentes formes primitives de cette industrie.
Le système des machines-outils automatiques recevant
leur mouvement par transmission d'un automate central, est la forme la plus
développée du machinisme productif. La machine isolée a été remplacée par un
monstre mécanique qui, de sa gigantesque membrure, emplit des bâtiments
entiers; sa force démoniaque, dissimulée d'abord par le mouvement cadencé et
presque solennel de ses énormes membres, éclate dans la danse fiévreuse et
vertigineuse de ses innombrables organes d'opération.
Il y avait des métiers mécaniques, des machines à
vapeur, etc., avant qu'il y eût des ouvriers occupés exclusivement à leur
fabrication. Les grandes inventions de Vaucanson, d'Arkwright, de Watt, etc.,
ne pouvaient être appliquées que parce que la période manufacturière avait
légué un nombre considérable d'ouvriers mécaniciens habiles. Ces ouvriers
étaient des artisans indépendants et de diverses professions, ou se trouvaient
réunis dans des manufactures rigoureusement organisées d'après le principe de
la division du travail. A mesure que les inventions et la demande de machines
s'accrurent, leur construction se subdivisa de plus en plus en branches variées
et indépendantes, et la division du travail se développa proportionnellement dans
chacune de ces branches. La manufacture forme donc historiquement la base
technique de la grande industrie.
Dans les sphères de production où l'on introduit les
machines fournies par la manufacture, celle-ci, à l'aide de ses propres
machines, est supplantée par la grande industrie. L'industrie mécanique s'élève
sur une base matérielle inadéquate qu'elle élabore d'abord sous sa forme
traditionnelle, mais qu'elle est forcée de révolutionner et de conformer à son
propre principe dès qu'elle a atteint un certain degré de maturité.
De même que la machine-outil reste chétive tant que
l'homme reste son moteur, et que le système mécanique progresse lentement tant
que les forces motrices traditionnelles, l'animal, le vent, et même l'eau ne
sont pas remplacés par la vapeur, de même la grande industrie est retardée dans
sa marche tant que son moyen de production caractéristique, la machine
elle-même, doit son existence à la force et l'habileté humaines, et dépend
ainsi du développement musculaire, du coup d’œil et de la dextérité manuelle de
l'artisan indépendant du métier et de l'ouvrier parcellaire de la manufacture,
maniant leurs instruments nains.
A part la cherté des machines fabriquées de cette
façon et cela est affaire du capitaliste industriel - le progrès d'industries
déjà fondées sur le mode de production mécanique et son introduction dans des
branches nouvelles, restèrent tout à fait soumis à une seule condition,
l'accroissement d'ouvriers spécialistes dont le nombre, grâce à la nature
presque artistique de travail, ne pouvait s'augmenter que lentement.
Ce n'est pas tout : à un certain degré de son
développement, la grande industrie entra en conflit, même au point de vue
technologique, avec sa base donnée par le métier et la manufacture.
Les dimensions croissantes du moteur et de la
transmission, la variété des machines-outils, leur construction de plus en plus
compliquée, la régularité mathématique qu'exigeaient le nombre, la multiformité
et la délicatesse de leurs éléments constituants à mesure qu'elles s'écartèrent
du modèle fourni par le métier et devenu incompatible avec les formes
prescrites par leurs fonctions purement mécaniques (498), le progrès du système automatique et l'emploi d'un
matériel difficile à manier, du fer, par exemple, à la place du bois - la
solution de tous ces problèmes, que les circonstances faisaient éclore
successivement, se heurta sans cesse contre les bornes personnelles dont même
le travailleur collectif de la manufacture ne sait se débarrasser. En effet,
des machines, telles que la presse d'impression moderne, le métier à vapeur et
la machine à carder, n'auraient pu être fournies par la manufacture.
Le bouleversement du mode de production dans une sphère
industrielle entraîne un bouleversement analogue dans une autre. On s'en
aperçoit d'abord dans les branches d'industrie, qui s'entrelacent comme phases
d'un procès d'ensemble, quoique la division sociale du travail les ait
séparées, et métamorphosé leurs produits en autant de marchandises
indépendantes. C'est ainsi que la filature mécanique a rendu nécessaire le
tissage mécanique, et que tous deux ont amené la révolution mécanico-chimique
de la blanchisserie, de l'imprimerie et de la teinturerie. De même encore la
révolution dans le filage du coton a provoqué l'invention du gin pour séparer
les fibres de cette plante de sa graine, invention qui a rendu possible la
production du coton sur l'immense échelle qui est aujourd'hui devenue
indispensable (499). La révolution dans l'industrie et
l'agriculture a nécessité une révolution dans les conditions générales du
procès de production social, c'est-à-dire dans les moyens de communication et
de transport. Les moyens de communication et de transport d'une société qui
avait pour pivot, suivant l'expression de Fourier, la petite agriculture, et
comme corollaire, l'économie domestique et les métiers des villes, étaient
complètement insuffisants pour subvenir aux besoins de la production
manufacturière, avec sa division élargie du travail social, sa concentration
d'ouvriers et de moyens de travail, ses marchés coloniaux, si bien qu'il a
fallu les transformer. De même les moyens de communication et de transport
légués par la période manufacturière devinrent bientôt des obstacles
insupportables pour la grande industrie avec la vitesse fiévreuse de sa
production centuplée, son lancement continuel de capitaux et de travailleurs
d'une sphère de production dans une autre et les conditions nouvelles du marché
universel qu'elle avait créé. A part les changements radicaux introduits dans
la construction des navires à voiles, le service de communication et de
transport fut peu à peu approprié aux exigences de la grande industrie, au
moyen d'un système de bateaux à vapeur, de chemins de fer et de télégraphes.
Les masses énormes de fer qu'il fallut dès lors forger, braser, trancher, forer
et modeler exigèrent des machines monstres dont la création était interdite au
travail manufacturier.
La grande industrie fut donc obligée de s'adapter son
moyen caractéristique de production, la machine elle-même, pour produire
d'autres machines. Elle se créa ainsi une base technique adéquate et put alors
marcher sans lisières. A mesure que dans le premier tiers du XIX° siècle elle
s'accrut, le machinisme s'empara peu à peu de la fabrication des
machines-outils, et dans le second tiers seulement l'immense construction des
voies ferrées et la navigation à vapeur océanique firent naître les machines
cyclopéennes consacrées à la construction des premiers moteurs.
La condition sine qua non de la fabrication
des machines par des machines, était un moteur susceptible de tout degré de
puissance et en même temps facile à contrôler. Il existait déjà dans la machine
à vapeur. Mais il s'agissait en même temps de produire mécaniquement ces formes
strictement géométriques telles que la ligne, le plan, le cercle, le cône et la
sphère qu'exigeaient certaines parties des machines. Au commencement de ce
siècle, Henry Maudsley résolut ce problème par l'invention du slide rest,
qui fut bientôt rendu automatique; du banc du tourneur pour lequel il était
d'abord destiné, il passa ensuite à d'autres machines de construction. Cet
engin ne remplace pas seulement un outil particulier, mais encore la main de
l'homme qui ne parvient à produire des formes déterminées qu'en dirigeant et en
ajustant le tranchant de son outil contre l'objet de travail. On réussit ainsi
« à produire les formes géométriques voulues avec un degré d'exactitude, de
facilité et de vitesse qu'aucune expérience accumulée ne pourrait prêter à la
main de l'ouvrier le plus habile (500)
».
Si nous considérons maintenant dans le mécanisme
employé à la construction, la partie qui constitue ses organes d'opération
proprement dits, nous retrouvons l'instrument manuel, mais dans des proportions
gigantesques. L'opérateur de la machine à forer, par exemple, est un foret de
dimension énorme mis en mouvement par une machine à vapeur, et sans lequel les
cylindres des grandes machines à vapeur et des presses hydrauliques ne
pourraient être percés. Le tour à support mécanique n'est que la reproduction
colossale du tour ordinaire; la machine à raboter représente, pour ainsi dire,
un charpentier de fer qui travaille dans le fer avec les mêmes outils que le
charpentier dans le bois; l'outil qui, dans les chantiers de Londres, tranche
les plaques qui blindent la carcasse des navires est une espèce de rasoir
cyclopéen, et le marteau à vapeur opère avec une tête de marteau ordinaire,
mais d'un poids tel que le dieu Thor lui-même ne pourrait le soulever (501). Un de ces marteaux à vapeur, de
l'invention de Nasmyth, pèse au-delà de six tonnes et tombe sur une enclume d'un
poids de trente-six tonnes avec une chute verticale de sept pieds. Il pulvérise
d'un seul coup un bloc de granit et enfonce un clou dans du bois tendre au
moyen d'une série de petits coups légèrement appliqués (502).
Le moyen de travail acquiert dans
le machinisme une existence matérielle qui exige le remplacement de la force de
l'homme par des forces naturelles et celui de la routine par la science. Dans
la manufacture, la division du procès de travail est purement subjective; c'est
une combinaison d'ouvriers parcellaires. Dans le système de machines, la grande
industrie crée un organisme de production complètement objectif ou impersonnel,
que l'ouvrier trouve là, dans l'atelier, comme la condition matérielle toute
prête de son travail. Dans la coopération simple et même dans celle fondée sur
la division du travail, la suppression du travail isolé par le travailleur
collectif semble encore plus ou moins accidentelle. Le machinisme, à quelques
exceptions près que nous mentionnerons plus tard, ne fonctionne qu'au moyen
d'un travail socialisé ou commun. Le caractère coopératif du travail y devient
une nécessité technique dictée par la nature même de son moyen.
II. - Valeur transmise par la machine au produit
On a vu que les forces productives résultant de la
coopération et de la division du travail ne coûtent rien au capital. Ce sont
les forces naturelles du travail social. Les forces physiques appropriées à la
production telles que l'eau, la vapeur, etc., ne coûtent rien non plus. Mais de
même que l'homme a besoin d'un poumon pour respirer, de même il a besoin
d'organes façonnés par son industrie pour consommer productivement les forces
physiques. Il faut une roue hydraulique pour exploiter la force motrice de
l'eau, une machine à vapeur pour exploiter l'élasticité de la vapeur. Et il en
est de la science comme des forces naturelles. Les lois des déviations de
l'aiguille aimantée dans le cercle d’action d'un courant électrique, et de la
production du magnétisme dans le fer autour duquel un courant électrique
circule, une fois découvertes, ne coûtent pas un liard (503). Mais leur application à la télégraphie, etc., exige
des appareils très coûteux et de dimension considérable. L'outil, comme on l'a
vu, n’est point supprimé par la machine; instrument nain dans les mains de
l’homme, il croît et se multiplie en devenant l'instrument d’un mécanisme créé
par l'homme. Dès lors le capital fait travailler l'ouvrier, non avec un outil à
lui, mais avec une machine maniant ses propres outils.
Il est évident au premier coup d’œil que l'industrie
mécanique, en s'incorporant la science et des forces naturelles augmente d'une
manière merveilleuse la productivité du travail, on peut cependant demander si
ce qui est gagné d'un côté n’est pas perdu de l'autre, si l'emploi de machines
économise plus de travail que n'en coûtent leur construction et leur entretien.
Comme tout autre élément du capital constant, la machine ne produit pas de
valeur, mais transmet simplement la sienne à l’article qu’elle sert à
fabriquer. C'est ainsi que sa propre valeur entre dans celle du produit. Au
lieu de le rendre meilleur marché, elle l’enchérit en proportion de ce qu'elle
vaut. Et il est facile de voir que ce moyen de travail caractéristique de la
grande industrie est très coûteux, comparé aux moyens de travail employés par
le métier et la manufacture.
Remarquons d'abord que la machine entre toujours tout
entière dans le procès qui crée le produit, et par fractions seulement dans le
procès qui en crée la valeur. Elle ne transfère jamais plus de valeur que son
usure ne lui en fait perdre en moyenne. Il y a donc une grande différence entre
la valeur de la machine et la portion de valeur qu'elle transmet périodiquement
à son produit, entre la machine comme élément de valeur et la machine comme
élément de production. Plus grande est la période pendant laquelle la même
machine fonctionne, plus grande est cette différence. Tout cela, il est vrai,
s'applique également à n'importe quel autre moyen de travail. Mais la
différence entre l'usage et l'usure est bien plus importante par rapport à la
machine que par rapport à l'outil. La raison en est que la machine, construite
avec des matériaux plus durables, vit par cela même plus longtemps, que son
emploi est réglé par des lois scientifiques précises, et qu'enfin son champ de
production est incomparablement plus large que celui de l'outil.
Déduction faite des frais quotidiens de la machine et
de l'outil, c'est-à-dire de la valeur que leur usure et leur dépense en
matières auxiliaires telles que charbon, huile, etc., transmettent en moyenne
au produit journalier, leur aide ne coûte rien. Mais ce service gratuit de
l'une et de l'autre est proportionné à leur importance respective. Ce n'est que
dans l'industrie mécanique que l'homme arrive à faire fonctionner sur une
grande échelle les produits de son travail passé comme forces naturelles,
c'est-à-dire gratuitement (504).
L'étude de la coopération et de la manufacture nous a
montré que des moyens de production tels que bâtisses, etc., deviennent moins
dispendieux par leur usage en commun et font ainsi diminuer le prix du produit.
Or, dans l'industrie mécanique, ce n'est pas seulement la charpente d'une
machine d'opération qui est usée en commun par ses nombreux outils, mais le
moteur et une partie de la transmission sont usés en commun par de nombreuses
machines d'opération.
Etant donné la différence entre la valeur d'une
machine et la quote-part de valeur que son usure quotidienne lui fait perdre et
transférer au produit, celui-ci sera enchéri par ce transfert en raison inverse
de sa propre quantité. Dans un compte rendu publié en 1858, M. Baynes de
Blackburn estime que chaque force de cheval mécanique met en mouvement quatre
cent cinquante broches de la mule automatique ou deux cents broches du throstle,
ou bien encore quinze métiers pour quarante inch cloth avec
l'appareil qui tend la chaîne, etc. Dans le premier cas, les frais journaliers
d'un cheval-vapeur et l'usure de la machine qu'il met en mouvement se
distribuent sur le produit de quatre cent cinquante broches de la mule; dans le
second, sur le produit de deux cents broches du throstle, et dans le
troisième, sur celui de quinze métiers mécaniques, de telle sorte qu'il n'est
transmis à une once de filés ou à un mètre de tissu qu'une portion de valeur
imperceptible. Il en est de même pour le marteau à vapeur cité plus haut. Comme
son usure de chaque jour, sa consommation de charbon, etc., se distribuent sur
d'énormes masses de fer martelées, chaque quintal de fer n'absorbe qu'une
portion minime de valeur; cette portion serait évidemment considérable, si
l’instrument-cyclope ne faisait qu'enfoncer de petits clous.
Etant donné le nombre d'outils, ou quand il s'agit de
force, la masse d'une machine, la grandeur de son produit dépendra de la
vitesse de ses opérations, de la vitesse par exemple avec laquelle tourne la
broche, ou du nombre de coups que le marteau frappe une minute. Quelques-uns de
ces marteaux colosses donnent soixante-dix coups par minute; la machine de
Ryder, qui emploie des marteaux à vapeur de moindre dimension pour forger des
broches assène jusqu'à sept cents coups par minute.
Etant donné la proportion suivant laquelle la machine
transmet de la valeur au produit, la grandeur de cette quote-part dépendra de
la valeur originaire de la machine (505).
Moins elle contient de travail, moins elle ajoute de valeur au produit. Moins
elle transmet de valeur, plus elle est productive et plus le service qu'elle
rend se rapproche de celui des forces naturelles. Or la production de machines
au moyen de machines diminue évidemment leur valeur, proportionnellement à leur
extension à leur efficacité.
Une analyse comparée du prix des marchandises
produites mécaniquement et de celles produites par le métier ou la manufacture,
démontre qu'en général cette portion de valeur que le produit dérive du moyen
de travail, croît dans l'industrie mécanique relativement, tout en décroissant
absolument.
En d'autres termes, sa grandeur diminue absolument,
mais elle augmente par rapport à la valeur du produit total, d'une livre de
filés, par exemple (506).
Il est clair qu'un simple déplacement de travail a
lieu, c'est-à-dire que la somme totale de travail qu'exige la production d'une
marchandise n'est pas diminuée, ou que la force productive du travail n'est pas
augmentée, si la production d'une machine coûte autant de travail que son
emploi en économise. La différence cependant entre le travail qu'elle coûte et
celui qu'elle économise ne dépend pas du rapport de sa propre valeur à celle de
l'outil qu'elle remplace. Cette différence se maintient tant que le travail
réalisé dans la machine et la portion de valeur, elle ajoute par conséquent au
produit, restent inférieurs à la valeur que l'ouvrier avec son outil,
ajouterait à l'objet de travail. La productivité de la machine a donc pour
mesure la proportion suivant laquelle elle remplace l'homme. D'après M. Baynes,
il y a deux ouvriers et demi par quatre cent cinquante broches, y compris
l'attirail mécanique, le tout mû par un cheval-vapeur (507), et chaque broche de la mule automatique fournit
dans une journée de dix heures treize onces de filés (numéro moyen), de sorte
que deux ouvriers et demi fournissent par semaine trois cent soixante-cinq
livres cinq huitièmes de filés. Dans leur transformation en filés, trois cent
soixante-six livres de coton (pour plus de simplicité, nous ne parlons pas du
déchet) n'absorbent donc que cent cinquante heures de travail ou quinze
journées de dix heures.
Avec le rouet, au contraire, si le fileur livre en
soixante heures treize onces de filés, la même quantité de coton absorberait
deux mille sept cents journées de dix heures ou vingt-sept mille heures de
travail (508). Là où la vieille méthode du block-printing
ou de l'impression à la main sur toiles de coton a été remplacée par
l'impression mécanique, une seule machine imprime avec l'aide d'un homme autant
de toiles de coton à quatre couleurs en une heure qu'en imprimaient auparavant
deux cents hommes (509).
Avant qu'Eli Whitney inventât le cottongin en 1793, il fallait, en moyenne,
une journée de travail pour détacher une livre de coton de sa graine. Grâce à
cette découverte, une négresse peut en détacher cent livres par jour, et
l'efficacité du gin a été depuis considérablement accrue. On emploie
dans l'Inde, pour la même opération, un instrument moitié machine, la churka,
avec lequel un homme et une femme nettoient vingt-huit livres de coton par
jour. Le Dr Forbes a, depuis quelques années, inventé une churka qui permet à
un homme et à une femme d'en nettoyer sept cent cinquante livres par jour. Si
l'on emploie des bœufs, l'eau ou la vapeur comme force motrice, il suffit de
quelques jeunes garçons ou jeunes filles pour alimenter la machine. Seize
machines de ce genre, mues par des bœufs exécutent chaque jour un ouvrage qui exigeait
auparavant une journée moyenne de sept cent cinquante hommes (510).
Nous avons vu qu'une charrue à vapeur, dont les
dépenses s'élèvent à trois pence ou un quart de shilling par heure, fait autant
de besogne que soixante-six laboureurs coûtant quinze shillings par heure. Il
est important ici de faire disparaître un malentendu assez commun. Ces quinze
shillings ne sont pas l'expression monétaire de tout le travail dépensé dans
une heure par les soixante-six hommes. Si le rapport de leur surtravail à leur
travail nécessaire est de cent pour cent, les soixante-six laboureurs ajoutent
au produit par leur heure collective soixante-six heures de travail ou une
valeur de trente shillings dont leur salaire ne forme que la moitié. Or, ce
n'est pas leur salaire que la machine remplace, mais leur travail.
En supposant donc que trois mille livres sterling
soient le prix ou de cent soixante ouvriers ou de la machine qui les déplace,
cette somme d'argent, par rapport à la machine, exprime tout le travail -
travail nécessaire et surtravail - réalisé en elle, tandis que par rapport aux
ouvriers elle n'exprime que la partie payée de leur travail. Une machine aussi
chère que la force du travail qu'elle remplace, coûte donc toujours moins de travail
qu'elle n'en remplacé (511).
Considéré exclusivement comme moyen de rendre le
produit meilleur marché, l'emploi des machines rencontre une limite. Le travail
dépensé dans leur production doit être moindre que le travail supplanté par
leur usage. Pour le capitaliste cependant cette limite est plus étroite. Comme
il ne paye pas le travail mais la force de travail qu'il emploie; il est dirigé
dans ses calculs par la différence de valeur entre les machines et les forces
de travail qu'elles peuvent déplacer. La division de la journée en travail
nécessaire et surtravail diffère, non seulement en divers pays, mais aussi dans
le même pays à diverses périodes, et dans la même période en diverses branches
d'industrie. En outre, le salaire réel du travailleur monte tantôt au-dessus,
et descend tanntôt au-dessous de la valeur de sa force. De toutes ces
circonstances, il résulte que la différence entre le prix d'une machine et
celui de la force de travail peut varier beaucoup, lors même que la différence
entre le travail nécessaire à la production de la machine, et la somme de
travail qu'elle remplace reste constante. Mais c'est la première différence
seule qui détermine le prix de revient pour le capitaliste, et dont la
concurrence le force à tenir compte. Aussi voit-on aujourd'hui des machines
inventées en Angleterre qui ne trouvent leur emploi que dans l'Amérique du
Nord. Pour la même raison, l'Allemagne aux XVI° et XVII° siècles, inventait des
machines dont la Hollande seule se servait; et mainte invention française du
XVIII° siècle n'était exploitée que par l'Angleterre.
En tout pays d'ancienne civilisation, l'emploi des
machines dans quelques branches d'industrie produit dans d'autres une teIle
surabondance de travail (redundancy of labour, dit Ricardo), que la
baisse du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail, met ici
obstacle à leur usage et le rend superflu, souvent même impossible au point de
vue du capital, dont le gain provient en effet de la diminution, non du travail
qu'il emploie, mais du travail qu'il paye.
Pendant les dernières années, le travail des enfants
a été considérablement diminué, et même çà et là presque supprimé, dans
quelques branches de la manufacture de laine anglaise. Pourquoi ?
L'acte de fabrique forçait
d'employer une double série d'enfants dont l'une travaillait six heures,
l'autre quatre, ou chacune cinq heures seulement. Or, les parents ne voulurent
point vendre les demi-temps (half times) meilleur marché que les temps
entiers (full times). Dès lors les demi-temps furent remplacés par une
machine (512). Avant l'interdiction du travail
des femmes et des enfants (au-dessous de dix ans) dans les mines, le capital
trouvait la méthode de descendre dans les puits des femmes, des jeunes filles
et des hommes nus liés ensemble, tellement d'accord avec son code de morale et
surtout avec son grand-livre que ce n'est qu'après l'interdiction qu'il eut
recours à la machine et supprima ces mariages capitalistes. Les Yankees
ont inventé des machines pour casser et broyer les pierres. Les Anglais ne les
emploient pas parce que le « misérable » (« wretch », tel est le nom que
donne l'économie politique anglaise à l'ouvrier agricole) qui exécute ce
travail reçoit une si faible partie de ce qui lui est dû, que l'emploi de la
machine enchérirait le produit pour le capitaliste (513). En Angleterre, on se sert encore, le long des
canaux, de femmes au lieu de chevaux pour le halage (514), parce que les frais des chevaux et des machines
sont des quantités données mathématiquement, tandis que ceux des femmes
rejetées dans la lie de la population, échappent à tout calcul. Aussi c'est en
Angleterre, le pays des machines, que la force humaine est prodiguée pour des
bagatelles avec le plus de cynisme.
III. - Réaction immédiate de l’industrie mécanique sur le travailleur
Il a été démontré que le point de départ de la grande
industrie est le moyen de travail qui une fois révolutionné revêt sa forme la
plus développée dans le système mécanique de la fabrique. Avant d'examiner de
quelle façon le matériel humain y est incorporé, il convient d'étudier les
effets rétroactifs les plus immédiats de cette révolution sur l'ouvrier.
A. Appropriation des forces de travail supplémentaires. Travail des
femmes et des enfants.
En rendant superflue la force musculaire, la machine
permet d'employer des ouvriers sans grande force musculaire, mais dont les membres
sont d'autant plus souples qu'ils sont moins développés. Quand le capital
s'empara de la machine, son cri fut : du travail de femmes, du travail
d'enfants ! Ce moyen puissant de diminuer les labeurs de l'homme, se changea
aussitôt en moyen d'augmenter le nombre des salariés; il courba tous les
membres de la famille, sans distinction d'âge et de sexe, sous le bâton du
capital. Le travail forcé pour le capital usurpa la place des jeux de l'enfance
et du travail libre pour l'entretien de la famille; et le support économique
des mœurs de famille était ce travail domestique (515).
La valeur de la force de travail était déterminée par
les frais d'entretien de l'ouvrier et de sa famille. En jetant la famille sur
le marché, en distribuant ainsi sur plusieurs forces la valeur d'une seule, la
machine la déprécie. Il se peut que les quatre forces, par exemple, qu'une
famille ouvrière vend maintenant, lui rapportent plus que jadis la seule force
de son chef; mais aussi quatre journées de travail en ont remplacé une seule,
et leur prix a baissé en proportion de l'excès du surtravail de quatre sur le
surtravail d'un seul. Il faut maintenant que quatre personnes fournissent non
seulement du travail, mais encore du travail extra au capital, afin qu'une
seule famille vive. C'est ainsi que la machine, en augmentant la matière
humaine exploitable, élève en même temps le degré d'exploitation
(516).
L'emploi capitaliste du machinisme altère
foncièrement le contrat, dont la première condition était que capitaliste et
ouvrier devaient se présenter en face l'un de l'autre comme personnes libres,
marchands tous deux, l'un possesseur d'argent ou de moyens de production,
l'autre possesseur de force de travail. Tout cela est renversé dès que le
capital achète des mineurs. Jadis, l'ouvrier vendait sa propre force de travail
dont il pouvait librement disposer, maintenant il vend femme et enfants; il
devient marchand d'esclaves (517).
Et en fait, la demande du travail des enfants ressemble souvent, même pour la
forme, à la demande d'esclaves nègres telle qu'on la rencontra dans les
journaux américains. « Mon attention, dit un inspecteur de fabrique anglais,
fut attirée par une annonce de la feuille locale d'une des plus importantes
villes manufacturières de mon district, annonce dont voici le texte : « On
demande de douze à vingt jeunes garçons, pas plus jeunes que ce qui peut
passer pour treize ans. Salaire, quatre shillings par semaine. S'adresser,
etc. (518) » Le passage souligné se rapporte
à un article du Factory Act, déclarant que les enfants au-dessous de
treize ans ne doivent travailler que six heures. Un médecin ad hoc (certifying
surgeon) est chargé de vérifier l'âge. Le fabricant demande donc des jeunes
garçons qui aient l'air d'avoir déjà treize ans. La statistique anglaise des
vingt dernières années a témoigné parfois d'une diminution subite dans le
nombre des enfants au-dessous de cet âge employés dans les fabriques. D'après
les dépositions des inspecteurs, cette diminution était en grande partie
l’œuvre du trafic sordide des parents protégés par les médecins vérificateurs (certifying
surgeons) qui exagéraient l'âge des enfants pour satisfaire l'avidité
d'exploitation des capitalistes. Dans le district de Bethnal Green, le plus
malfamé de Londres, se tient tous les lundis et mardis matin un marché public
où des enfants des deux sexes, à partir de neuf ans, se vendent eux-mêmes aux
fabricants de soie. « Les conditions ordinaires sont de un shilling huit pence
par semaine (qui appartiennent aux parents), plus deux pence pour moi, avec le
thé », dit un enfant dans sa disposition. Les contrats ne sont valables que
pour la semaine. Pendant toute la durée du marché, on assiste à des scènes et
on entend un langage qui révolte (519).
Il arrive encore en Angleterre que des grippe-sous femelles prennent des
enfants dans les workhouses et les louent à n'importe quel acheteur pour deux
shillings six pence par semaine (520).
Malgré la législation, le nombre des petits garçons vendus par leurs propres
parents pour servir de machines à ramoner les cheminées (bien qu'il existe des
machines pour les remplacer) atteint le chiffre d'au moins deux mille (521).
Le machinisme bouleversa tellement le rapport
juridique entre l'acheteur et le vendeur de la force de travail, que la
transaction entière perdit même l'apparence d'un contrat entre personnes
libres. C'est ce qui fournit plus tard au Parlement anglais le prétexte
juridique pour l'intervention de l'Etat dans le régime des fabriques. Toutes
les fois que la loi impose la limite de dix heures pour le travail des enfants
dans les branches d'industrie non réglementées, on entend retentir de nouveau
les plaintes des fabricants. Nombre de parents, disent-ils, retirent leurs
enfants des industries dès qu'elles sont soumises à la loi, pour les vendre à
celles où règne encore « la Liberté du travail », c'est-à-dire où les enfants
au-dessous de treize ans sont forcés de travailler comme des adultes et se
vendent plus cher. Mais comme le capital est de sa nature niveleur, il exige,
au nom de son Droit inné, que dans toutes les sphères de production les
conditions de l'exploitation du travail soient égales pour tous. La limitation
légale du travail des enfants dans une branche d'industrie entraîne donc sa
limitation dans une autre.
Nous avons déjà signalé la détérioration physique des
enfants et des jeunes personnes, ainsi que des femmes d'ouvriers que la machine
soumet d'abord directement à l'exploitation du capital dans les fabriques dont
elle est la base, et ensuite indirectement dans toutes les autres branches
d'industrie. Nous nous contenterons ici d'insister sur un seul point, l'énorme
mortalité des enfants des travailleurs dans les premières années de leur vie.
Il y a en Angleterre seize districts d'enregistrement ou sur cent mille enfants
vivants, il n'y a en moyenne que neuf mille cas de mort par année (dans un
district sept mille quarante-sept seulement); dans vingt-quatre districts on
constate dix à onze mille cas de mort, dans trente-neuf districts onze à douze
mille, dans quarante-huit districts douze à treize mille, dans vingt-deux
districts plus de vingt mille, dans vingt-cinq districts plus de vingt et un
mille, dans dix-sept plus de vingt-deux mille, dans onze plus de vingt-trois
mille, dans ceux de Hoo, Wolverhampton, Ashton-under-Lyne et Preston plus de
vingt-quatre mille, dans ceux de Nottingham, Stockport et Bradford plus de
vingt-cinq mille, dans celui de Wisbeach vingt-six mille, et à Manchester
vingt-six mille cent vingt-cinq (522).
Une enquête médicale officielle de 1861 a démontré qu'abstraction faite de circonstances
locales, les chiffres les plus élevés de mortalité sont dus principalement à
l'occupation des mères hors de chez elles. Il en résulte, en effet, que les
enfants sont négligés, maltraités, mal nourris ou insuffisamment, parfois
alimentés avec des opiats, délaissés par leurs mères qui en arrivent à éprouver
pour eux une aversion contre nature. Trop souvent ils sont les victimes de la
faim ou du poison (523).
Dans les districts agricoles, « où le nombre des femmes ainsi occupées est à
son minimum, le chiffre de la mortalité est aussi le plus bas (524) ». La commission d'enquête de 1861 fournit cependant
ce résultat inattendu que dans quelques districts purement agricoles des bords
de la mer du Nord le chiffre de mortalité des enfants au-dessous d'un an,
atteint presque celui des districts de fabrique les plus malfamés. Le docteur
Julian Hunter fut chargé d'étudier ce phénomène sur les lieux. Ses conclusions
sont enregistrées dans le VI° Rapport sur la Santé publique (525). On avait supposé jusqu'alors que
la malaria et d'autres fièvres particulières à ces contrées basses et
marécageuses décimaient les enfants. L'enquête démontra le contraire, à savoir
« que la même cause qui avait chassé la malaria, c'est-à-dire la transformation
de ce sol, marais en hiver et lande stérile en été, en féconde terre à froment,
était précisément la cause de cette mortalité extraordinaire (526) ». Les soixante-dix médecins de ces districts, dont
le docteur Hunter recueillit les dépositions, furent « merveilleusement
d'accord sur ce point ». La révolution dans la culture du sol y avait en effet
introduit le système industriel.
« Des femmes mariées travaillant par bandes avec des
jeunes filles et des jeunes garçons sont mises à la disposition d'un fermier
pour une certaine somme par un homme qui porte le nom chef de bande
(gangmaster) et qui ne vend les bandes qu'entières. Le champ de travail de ces
bandes ambulantes est souvent situé à plusieurs lieues de leurs villages. On
les trouve matin et soir sur les routes publiques, les femmes vêtues de
cotillons courts et de jupes à l'avenant, avec des bottes et parfois des
pantalons, fortes et saines, mais corrompues par leur libertinage habituel, et
n'ayant nul souci des suites funestes que leur goût pour ce genre de vie actif
et nomade entraîne pour leur progéniture qui reste seule à la maison et y
dépérit (527). »
Tous les phénomènes observés dans les districts de
fabrique, entre autres l’'infanticide dissimulé et le traitement des enfants
avec des opiats, se reproduisent ici à un degré bien supérieur
(528).
« Ce que je sais là-dessus, dit le docteur Simon,
fonctionnaire du Privy Council et rédacteur en chef des rapports sur la Santé
publique, doit excuser l'horreur profonde que j'éprouve toutes les fois qu'il
est question d'occupation industrielle, dans le sens emphatique du mot, des
femmes adultes (529).
»
« Ce sera, s'écrie l’inspecteur R. Baker dans un
rapport officiel, ce sera un grand bonheur pour les districts manufacturiers de
l'Angleterre, quand il sera interdit à toute femme mariée et chargée de famille
de travailler dans n'importe quelle fabrique (530). »
Fr. Engels, dans son ouvrage sur la Situation des
classes ouvrières en Angleterre, et d'autres écrivains ont dépeint si
complètement la détérioration morale qu'amène l'exploitation capitaliste du
travail des femmes et des enfants, qu'il me suffit ici d'en faire mention. Mais
le vide intellectuel produit artificiellement par la métamorphose
d'adolescents en voie de formation en simples machines à fabriquer de la
plus-value, et qu'il faut bien distinguer de cette ignorance naïve qui laisse
l'esprit en friche sans attaquer sa faculté de développement, sa fertilité
naturelle, ce vide fatal, le Parlement anglais se crut enfin forcé d'y remédier
en faisant de l'instruction élémentaire la condition légale de la consommation
productive des enfants au-dessous de quatorze ans dans toutes les industries
soumises aux lois de fabrique. L'esprit de la production capitaliste éclate
dans la rédaction frivole des articles de ces lois concernant cette soi-disant
instruction, dans le défaut de toute inspection administrative qui rend
illusoire en grande partie l'enseignement forcé, l'opposition des fabricants à
cette loi, et dans leurs subterfuges et faux-fuyants pour l'éluder dans la
pratique.
« La législation seule est à blâmer, parce qu'elle a
promulgué une loi menteuse qui, sous l'apparence de prendre soin de l'éducation
des enfants, ne contient en réalité aucun article de nature à assurer la
réalisation de ce prétendu but. Elle ne détermine rien, sinon que les enfants
devront être renfermés un certain nombre d’heures (trois heures) par jour entre
les quatre murs d'un local appelé école, et que ceux qui les emploient auront à
en obtenir le certificat chaque semaine d'une personne qui le signera à titre
de maître ou de maîtresse d'école (531). »
Avant la promulgation de la loi de fabrique révisée
de 1844, une foule de ces certificats d'école signés d'une croix prouvaient que
les instituteurs ou institutrices ne savaient pas écrire.
« Dans une visite que je fis à une école semblable,
je fus tellement choqué de l'ignorance du maître que je lui dis : « Pardon,
Monsieur, mais savez-vous lire? - lh jeh summat. » telle fut sa réponse; mais
pour se justifier, il ajouta : « Dans tous les cas, je surveille les écoliers.
»
Pendant la préparation de la loi de 1844, les
inspecteurs de fabrique dénoncèrent l'état piteux des prétendues écoles dont
ils devaient déclarer les certificats irréprochables au point de vue légal.
Tout ce qu'ils obtinrent, c'est qu'à partir de 1844, les chiffres inscrits sur
les certificats, ainsi que les noms et prénoms des instituteurs, devaient être
écrits de la propre main de ces derniers (532). Sir John Kincaid, inspecteur de fabrique de
l'Écosse, cite maints faits du même genre.
« La première école que nous visitâmes était tenue
par une certaine Mrs. Ann Killin. Invitée par moi à épeler son nom, elle commit
tout d'abord une bévue en commençant par la lettre C; mais elle se corrigea
aussitôt, et dit que son nom commençait par un K. En examinant sa signature
dans les livres de certificats, je remarquai cependant qu'elle l'épelait de
diverses manières et que son écriture ne laissait aucun doute sur son
incapacité. Elle avoua elle-même qu'elle ne savait pas tenir son registre...
Dans une seconde école je trouvai une salle longue de quinze pieds et large de
dix, où je comptai soixante-quinze écoliers qui piaillaient un baragouin
inintelligible (533).
»
Et ce n'est pas seulement dans ces taudis piteux que
les enfants obtiennent des certificats mais non de l'instruction; il y a
beaucoup d'écoles où le maître est compétent; mais ses efforts échouent presque
complètement contre le fouillis inextricable d'enfants de tout âge au-dessus de
trois ans.
« Ses appointements, dans le meilleur cas,
misérables, dépendent du nombre de pence qu'il reçoit, de la quantité d'enfants
qu'il lui est possible de fourrer dans une chambre. Et pour comble, un
misérable ameublement, un manque de livres et de tout autre matériel
d'enseignement, et l'influence pernicieuse d'un air humide et vicié sur les
pauvres enfants. Je me suis trouvé dans beaucoup d'écoles semblables où je
voyais des rangées d'enfants qui ne faisaient absolument rien; et c'est là ce
qu'on appelle fréquenter l'école, et ce sont de tels enfants qui figurent comme
éduqués (educated) dans la statistique officielle (534). »
En Ecosse, les fabricants cherchent à se passer le
plus possible des enfants qui sont obligés de fréquenter l'école.
« Cela suffit pour démontrer la grande aversion que
leur inspirent les articles de la loi à ce sujet (535).»
Tout cela devient d'un grotesque effroyable dans les imprimeries
sur coton, laine, etc., qui sont réglées par une loi spéciale. D'après les
arrêtés de la loi, chaque enfant avant d'entrer dans une fabrique de ce genre
doit avoir fréquenté l'école au moins trente jours et pas moins de cent
cinquante heures pendant les six mois qui précèdent le premier jour de son
emploi. Une fois au travail, il doit également fréquenter l'école trente jours
et cent cinquante heures dans le courant d'un des deux semestres de l'année.
Son séjour à l'école doit avoir lieu entre 8 heures
du matin et 6 heures du soir. Aucune leçon de moins de deux heures et demie ou
de plus de cinq heures dans le même jour ne doit être comptée comme faisant
partie des cent cinquante heures.
« Dans les circonstances ordinaires les enfants vont
à l'école avant et après midi pendant trente jours, cinq heures par jour, et
après ces trente jours quand la somme des cent cinquante heures est atteinte,
quand, pour parler leur propre langue, ils ont fini leur livre, ils retournent
à la fabrique où ils restent six mois jusqu'à l'échéance d'un nouveau terme, et
alors ils retournent à l'école jusqu'à ce que leur livre soit de nouveau fini,
et ainsi de suite... Beaucoup de garçons qui ont fréquenté l'école pendant les
cent cinquante heures prescrites ne sont pas plus avancés au bout des six mois
de leur séjour dans la fabrique qu'auparavant; ils ont naturellement oublié
tout ce qu'ils avaient appris. Dans d'autres imprimeries sur coton, la
fréquentation de l'école dépend absolument des exigences du travail dans la fabrique.
Le nombre d'heures de rigueur y est acquitté dans chaque période de six mois
par des acomptes de trois à quatre heures à la fois disséminées sur tout le
semestre. L'enfant par exemple se rend à l'école un jour de 8 à 11 heures du
matin, un autre jour de 1 à 4 heures de l'après-midi, puis il s'en absente
pendant toute une série de jours pour y revenir ensuite de 3 à 6 heures de
l'après-midi pendant trois ou quatre jours de suite ou pendant une semaine. Il
disparaît de nouveau trois semaines ou un mois, puis revient pour quelques
heures, dans certains jours de chômage, quand par hasard ceux qui l'emploient
n'ont pas besoin de lui. L'enfant est ainsi ballotté (buffeted) de l'école à la
fabrique et de la fabrique à l'école, jusqu'à ce que la somme des cent
cinquante heures soit acquittée (536). »
Par l'annexion au personnel de travail combiné d'une
masse prépondérante d'enfants et de femmes, la machine réussit enfin à briser
la résistance que le travailleur mâle opposait encore dans la manufacture au
despotisme du capital (537).
B. Prolongation de la journée de travail.
Si la machine est le moyen le plus puissant
d'accroître la productivité du travail, c'est-à-dire de raccourcir le temps
nécessaire à la production des marchandises, elle devient comme support du
capital, dans les branches d'industrie dont elle s'empare d'abord, le moyen le
plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite
naturelle. Elle crée et des conditions nouvelles qui permettent au capital de
lâcher bride à cette tendance constante qui le caractérise, et des motifs
nouveaux qui intensifient sa soif du travail d'autrui.
Et tout d'abord le mouvement et l'activité du moyen
de travail devenu machine se dressent indépendants devant le travailleur. Le
moyen de travail est dès lors un perpetuum mobile industriel qui
produirait indéfiniment, s'il ne rencontrait une barrière naturelle dans ses
auxiliaires humains, dans la faiblesse de leur corps et la force de leur volonté.
L'automate, en sa qualité de capital, est fait homme dans la personne du
capitaliste. Une passion l'anime : il veut tendre l'élasticité humaine et
broyer toutes ses résistances (538).
La facilité apparente du travail à la machine et
l'élément plus maniable et plus docile des femmes et des enfants l'aident dans
cette œuvre d'asservissement (539).
La productivité de la machine est, comme nous l'avons
vu, en raison inverse de la part de valeur qu'elle transmet au produit. Plus
est longue la période pendant laquelle elle fonctionne, plus grande est la
masse de produits sur laquelle se distribue la valeur qu'elle ajoute et moindre
est la part qui en revient à chaque marchandise. Or la période de vie active de
la machine est évidemment déterminée par la longueur de la journée de travail
ou par la durée du procès de travail journalier multipliée par le nombre de
jours pendant lesquels ce procès se répète.
L'usure des machines ne correspond pas avec une exactitude
mathématique au temps pendant lequel elles servent. Et cela même supposé, une
machine qui sert seize heures par jour pendant sept ans et demi embrasse une
période de production aussi grande et n'ajoute pas plus de valeur au produit
total que la même machine qui pendant quinze ans ne sert que huit heures par
jour. Mais dans le premier cas la valeur de la machine se serait reproduite
deux fois plus vite que dans le dernier, et le capitaliste aurait absorbé par
son entremise autant de surtravail en sept ans et demi qu'autrement en quinze.
L'usure matérielle des machines se présente sous un
double aspect. Elles s'usent d'une part en raison de leur emploi, comme les
pièces de monnaie par la circulation, d'autre pari par leur inaction, comme une
épée se rouille dans le fourreau. Dans ce dernier cas elles deviennent la proie
des éléments. Le premier genre d'usure est plus ou moins en raison directe, le
dernier est jusqu'à un certain point en raison inverse de leur usage (540).
La machine est en outre sujette à ce qu'on pourrait
appeler son usure morale. Elle perd de sa valeur d'échange à mesure que des
machines de la même construction sont reproduites à meilleur marché, ou à
mesure que des machines perfectionnées viennent lui faire concurrence (541). Dans les deux cas, si jeune et si
vivace qu'elle puisse être, sa valeur n'est plus déterminée par le temps de
travail réalisé en elle, mais par celui qu'exige sa reproduction ou la
reproduction des machines perfectionnées. Elle se trouve en conséquence plus ou
moins dépréciée. Le danger de son usure morale est d'autant moindre que la
période où sa valeur totale se reproduit est plus courte, et cette période est
d'autant plus courte que la journée de travail est plus longue. Dès la première
introduction d'une machine dans une branche de production quelconque, on voit
se succéder coup sur coup des méthodes nouvelles pour la reproduire à meilleur
marché (542), puis viennent des améliorations
qui n'atteignent pas seulement des parties ou des appareils isolés, mais sa
construction entière. Aussi bien est-ce là le motif qui fait de sa première
période de vie, période aiguë de la prolongation du travail (543).
La journée de travail étant donnée et toutes
circonstances restant les mêmes, l'exploitation d'un nombre double d'ouvriers
exige une avance double de capital constant en bâtiments, machines, matières
premières, matières auxiliaires, etc. Mais la prolongation de la journée permet
d'agrandir l'échelle de la production sans augmenter la portion de capital
fixée en bâtiments et en machine (544).
Non seulement donc la plus-value augmente, mais les dépenses nécessaires pour
l'obtenir diminuent. Il est vrai que cela a lieu plus ou moins toutes les fois
qu'il y a prolongation de la journée; mais c'est ici d'une tout autre
Importance, parce que la partie du capital avancé en moyens de travail pèse
davantage dans la balance (545).
Le développement de la production mécanique fixe en effet une partie toujours
croissante du capital sous une forme où il peut d'une part être constamment mis
en valeur, et perd d'autre part valeur d'usage et valeur d'échange dès que son
contact avec le travail vivant est interrompu. « Si un laboureur », dit M.
Ashworth, un des cotton lords d'Angleterre, faisant la leçon au professeur
Nassau W. Senior, « si un laboureur dépose sa pioche, il rend inutile pour tout
ce temps un capital de douze pence (1 franc 25 centimes). Quand un de nos
hommes abandonne la fabrique, il rend inutile un capital qui a coûté cent mille
livres sterling (2 500 000 francs) (546).
» Il suffit d'y penser ! rendre inutile, ne fût-ce que pour une seconde, un
capital de cent mille livres sterling ! C'est à demander vengeance au ciel
quand un de nos hommes se permet de quitter la fabrique ! Et le susdit Senior
renseigné par Ashworth finit par reconnaître que la proportion toujours
croissante du capital fixé en machines rend une prolongation croissante de la
journée de travail tout à fait « désirable (547) ».
La machine produit une plus-value relative, non
seulement en dépréciant directement la force de travail et en la rendant
indirectement meilleur marché par la baisse de prix qu'elle occasionne dans les
marchandises d'usage commun, mais en ce sens que pendant la période de sa
première introduction sporadique, elle transforme le travail employé par le
possesseur de machines en travail puissancié dont le produit, doué d'une valeur
sociale supérieure à sa valeur individuelle, permet au capitaliste de remplacer
la valeur journalière de la force de travail par une moindre portion du
rendement journalier. Pendant cette période de transition où l'industrie
mécanique reste une espèce de monopole, les bénéfices sont par conséquent
extraordinaires et le capitaliste cherche à exploiter à fond cette lune de miel
au moyen de la plus grande prolongation possible de la journée. La grandeur du
gain aiguise l'appétit.
A mesure que les machines se généralisent dans une
même branche de production, la valeur sociale du produit mécanique descend à sa
valeur individuelle. Ainsi se vérifie la loi d'après laquelle la plus-value
provient non des forces de travail que le capitaliste remplace par la machine,
mais au contraire de celles qu'il y occupe. La plus-value ne provient que de la
partie variable du capital, et la somme de la plus-value est déterminée par
deux facteurs : son taux et le nombre des ouvriers occupés simultanément. Si la
longueur de la journée est donnée, sa division proportionnelle en surtravail et
travail nécessaire détermine le taux de la plus-value, mais le nombre des
ouvriers occupés dépend du rapport du capital variable au capital constant.
Quelle que soit la proportion suivant laquelle, par l'accroissement des forces
productives, l'industrie mécanique augmente le surtravail aux dépens du travail
nécessaire, il est clair qu'elle n'obtient cependant ce résultat qu'en
diminuant le nombre des ouvriers occupés, par un capital donné. Elle transforme
en machines, en élément constant qui ne rend point de plus-value, une partie du
capital qui était variable auparavant, c'est-à-dire se convertissait en force de
travail vivante. Il est impossible par exemple d'obtenir de deux ouvriers
autant de plus-value que de vingt-quatre. Si chacun des vingt-quatre ouvriers
ne fournit sur douze heures qu’une heure de surtravail, ils fourniront tous
ensemble vingt-quatre heures de surtravail, tandis que le travail total des
deux ouvriers n'est jamais que de vingt-quatre heures, les limites de la
journée étant fixées à douze heures. L'emploi des machines dans le but
d'accroître la plus-value recèle donc une contradiction, puisque des deux
facteurs de la plus-value produite par un capital de grandeur donnée, il
n'augmente l'un, le taux de la plus-value, qu'en diminuant l'autre, le nombre
des ouvriers. Cette contradiction intime éclate, dès qu'avec la généralisation
des machines dans une branche d'industrie la valeur du produit mécanique règle
la valeur sociale de toutes les marchandises de même espèce, et c'est cette
contradiction qui entraîne instinctivement (548) le capitaliste à prolonger la journée de travail
avec la plus extrême violence, pour compenser le décroissement du nombre
proportionnel des ouvriers exploités par l'accroissement non seulement du
surtravail relatif, mais encore du surtravail absolu.
La machine entre les mains du capital crée donc des
motifs nouveaux et puissants pour prolonger sans mesure la journée de travail;
elle transforme le mode de travail et le caractère social du travailleur
collectif, de manière à briser tout obstacle qui s'oppose à cette tendance;
enfin, en enrôlant sous le capital des couches de la classe ouvrière
jusqu'alors inaccessibles, et en mettant en disponibilité les ouvriers déplacés
par la machine, elle produit une population ouvrière surabondante
(549) qui est forcée de se laisser dicter la loi. De là ce
phénomène merveilleux dans l'histoire de l'industrie moderne, que la machine
renverse toutes les limites morales et naturelles de la journée de travail. De
là ce paradoxe économique, que le moyen le plus puissant de raccourcir le temps
de travail devient par un revirement étrange le moyen le plus infaillible de
transformer la vie entière du travailleur et de sa famille en temps disponible
pour la mise en valeur du capital. « Si chaque outil », tel était le rêve
d'Aristote, le plus grand penseur de l'antiquité, « si chaque outil pouvait
exécuter sur sommation, ou bien de lui-même, sa fonction propre, comme les
chefs-d’œuvre de Dédale se mouvaient d'eux-mêmes, ou comme les trépieds de
Vulcain se mettaient spontanément à leur travail sacré; si, par exemple, les
navettes des tisserands tissaient d'elles-mêmes, le chef d'atelier n'aurait
plus besoin d'aides, ni le maître d'esclaves (550). » Et Antiparos, un poète grec du temps de Cicéron,
saluait l'invention du moulin à eau pour la mouture des grains, cette forme
élémentaire de tout machinisme productif, comme l'aurore de l'émancipation des
femmes esclaves et le retour de l'âge d'or (551) ! Ah ces païens ! Maître Bastiat, après son
maître Mac Culloch, a découvert qu'ils n'avaient aucune idée de l'économie
politique ni du christianisme. Ils ne comprenaient point, par exemple, qu'il
n'y a rien comme la machine pour faire prolonger la journée de travail. Ils
excusaient l'esclavage des uns parce qu'elle était la condition du
développement intégral des autres; mais pour prêcher l'esclavage des 'masses
afin d'élever au rang d' « éminents filateurs », de « grands banquiers » et d'
« influents marchands de cirage perfectionné », quelques parvenus grossiers ou
à demi décrottés, la bosse de la charité chrétienne leur manquait.
C. Intensification du travail (552).
La prolongation démesurée du travail quotidien
produite par la machine entre des mains capitalistes finit par amener une
réaction de la société qui, se sentant menacée jusque dans la racine de sa vie,
décrète des limites légales à la journée : dès lors l'intensification du
travail, phénomène que nous avons déjà rencontré, devient prépondérante.
L'analyse de la plus-value absolue avait trait à la
durée du travail, tandis qu'un degré moyen de son intensité était sous-entendu.
Nous allons maintenant examiner la conversion d'un genre de grandeur dans
l'autre, de l'extension en intensité.
Il est évident qu'avec le progrès mécanique et
l'expérience accumulée d'une classe spéciale d'ouvriers consacrée à la machine,
la rapidité et par cela même l'intensité du travail s'augmentent naturellement.
C'est ainsi que dans les fabriques anglaises la prolongation de la journée et
l'accroissement dans l'intensité du travail marchent de front pendant un
demi-siècle.
On comprend cependant que là où il ne s'agit pas
d'une activité spasmodique, mais uniforme, régulière et quotidienne, on arrive
fatalement à un point où l'extension et l'intensité du travail s'excluent l'une
l'autre, si bien qu'une prolongation de la journée n'est plus compatible
qu'avec un degré d'intensité moindre, et inversement un degré d'intensité
supérieure qu'avec une journée raccourcie.
Dès que la révolte grandissante de la classe ouvrière
força l'État à imposer une journée normale, en premier lieu à la fabrique
proprement dite, c'est-à-dire à partir du moment où il interdit la méthode
d'accroître la production de plus-value par la multiplication progressive des
heures de travail, le capital se jeta avec toute son énergie et en pleine
conscience sur la production de la plus-value relative au moyen du
développement accéléré du système mécanique.
En même temps ce genre de plus-value subit un
changement de caractère. En général la plus-value relative est gagnée par une
augmentation de la fertilité du travail qui permet à l'ouvrier de produire
davantage dans le même temps avec la même dépense de force. Le même temps de
travail continue alors à rendre la même valeur d'échange, bien que celle-ci se
réalise en plus de produits dont chacun, pris séparément, est par conséquent
d'un prix moindre.
Mais cela change avec le raccourcissement légal de la
journée. L'énorme impulsion qu'il donne au développement du système mécanique
et à l'économie des frais contraint l'ouvrier aussi à dépenser, au moyen d'une
tension supérieure, plus d'activité dans le même temps, à resserrer les pores
de sa journée, et à condenser ainsi le travail à un degré qu'il ne saurait
atteindre sans ce raccourcissement.
Dès lors on commence à évaluer la grandeur du travail
doublement, d'après sa durée ou son extension, et d'après son degré
d'intensité, c'est-à-dire la masse qui en est comprimée dans un espace de temps
donné, une heure par exemple (553).
L'heure plus dense de la journée de dix heures contient autant ou plus de
travail, plus de dépense en force vitale, que l'heure plus poreuse de la
journée de douze heures. Une heure de celle-là produit par conséquent autant ou
plus de valeur qu'une heure et un cinquième de celle-ci. Trois heures et un
tiers de surtravail sur six heures et deux tiers de travail nécessaire
fournissent donc au capitaliste au moins la même masse de plus-value relative
qu'auparavant quatre heures de surtravail sur huit heures de travail
nécessaire.
Comment le travail est-il rendu plus intense ?
Le premier effet du raccourcissement de la journée
procède de cette loi évidente que la capacité d'action de toute force animale
est en raison inverse du temps pendant lequel elle agit. Dans certaines
limites, on gagne en efficacité ce qu'on perd en durée.
Dans les manufactures, telles que la poterie par
exemple, où le machinisme ne joue aucun rôle ou un rôle insignifiant,
l'introduction des lois de fabrique a démontré d'une manière frappante qu'il
suffit de raccourcir la journée pour augmenter merveilleusement la régularité,
l'uniformité, l'ordre, la continuité et l'énergie du travail (554). Ce résultat paraissait cependant douteux dans la
fabrique proprement dite, parce que la subordination de l'ouvrier au mouvement
continu et uniforme de la machine y avait créé depuis longtemps la discipline
la plus sévère. Lors donc qu'il fut question en 1844 de réduire la journée
au-dessous de douze heures, les fabricants déclarèrent presque unanimement «
que leurs contremaîtres veillaient dans les diverses salles à ce que leurs bras
ne perdissent pas de temps », « que le degré de vigilance et d'assiduité déjà
obtenu était à peine susceptible d'élévation », et que toutes les autres
circonstances, telles que marche des machines, etc., restant les mêmes, «
c'était une absurdité d'attendre dans des fabriques bien dirigées le moindre
résultat d'une augmentation de la vigilance, etc., des ouvriers
(555) ». Cette assertion réfutée par les faits. M. R. Gardner
fit travailler dans ses deux grandes fabriques à Preston, à partir du 20
avril 1844, onze heures au lieu de douze par jour. L'expérience d'un an
environ, démontra que
« le même quantum de produit était obtenu aux mêmes
frais et qu'en onze heures les ouvriers ne gagnaient pas un salaire moindre
qu'auparavant en douze heures (556) ».
Je ne mentionne pas les expériences faites dans les
salles de filage et de cardage, attendu que la vitesse des machines y avait été
augmentée de deux pour cent. Dans le département du tissage au contraire, où
l'on fabriquait diverses sortes d'articles de fantaisie et à ramage, les
conditions matérielles de la production n'avaient subi aucun changement. Le
résultat fut celui-ci :
« Du 6 janvier au 20 avril 1844, la journée de
travail étant de douze heures, chaque ouvrier reçut par semaine un salaire
moyen dix shillings un penny et demi, et du 20 avril au 29 juin, la journée de
travail étant de onze heures, un salaire moyen dix shillings trois pence et
demi par semaine (557).
»
En onze heures il fut donc produit plus qu'auparavant
en douze, et cela était dû exclusivement à l'activité plus soutenue et plus
uniforme des ouvriers ainsi qu'à l'économie de leur temps. Tandis qu'ils
obtenaient le même salaire et gagnaient une heure de liberté, le capitaliste de
son côté obtenait la même masse de produits et une économie d'une heure sur sa
consommation de gaz, de charbon, etc. Des expériences semblables furent faites
avec le même succès dans les fabriques de MM. Horrocks et Jacson
(558).
Dès que la loi abrège la journée de travail, la machine
se transforme aussitôt entre les mains du capitaliste en moyen systématique
d'extorquer à chaque moment plus de labeur. Mais pour que le machinisme exerce
cette pression supérieure sur ses servants humains, il faut le perfectionner,
sans compter que le raccourcissement de la journée force le capitaliste à
tendre tous les ressorts de la production et à en économiser les frais.
En perfectionnant l'engin à vapeur on réussit à
augmenter le nombre de ses coups de piston par minute et, grâce à une savante
économie de force, à chasser par un moteur du même volume un mécanisme plus
considérable sans augmenter cependant la consommation du charbon. En diminuant
le frottement des organes de transmission, en réduisant le diamètre et le poids
des grands et petits arbres moteurs, des roues, des tambours, etc., à un
minimum toujours décroissant, on arrive à faire transmettre avec plus de
rapidité la force d'impulsion accrue du moteur à toutes les branches du
mécanisme d'opération. Ce mécanisme lui-même est amélioré. Les dimensions des
machines-outils sont réduites tandis que leur mobilité et leur efficacité sont
augmentées, comme dans le métier à tisser moderne; ou bien leurs charpentes
sont agrandies avec la dimension et le nombre des outils qu'elles mènent, comme
dans la machine à filer. Enfin ces outils subissent d'incessantes modifications
de détail comme celles qui, il y a environ quinze ans, accrurent d'un cinquième
la vélocité des broches de la mule automatique.
La réduction de la journée de travail à douze heures date
en Angleterre de 1833. Or, un fabricant anglais déclarait déjà en 1836 :
« Comparé à celui d'autrefois le travail à exécuter
dans les fabriques est aujourd'hui considérablement accru, par suite de
l'attention et de l'activité supérieures que la vitesse très augmentée des
machines exige du travailleur (559). »
En 1844 Lord Ashley, aujourd'hui comte
Shaftesbury, dans son discours sur le bill de dix heures, communiqua a la
Chambre des communes les faits suivants :
« Le travail des ouvriers employés dans les
opérations de fabrique est aujourd'hui trois fois aussi grand qu'il l'était au
moment où ce genre d'opérations a été établi. Le système mécanique a sans aucun
doute accompli une œuvre qui demanderait les tendons et les muscles de
plusieurs millions d'hommes; mais il a aussi prodigieusement (prodigiously)
augmenté le travail de ceux qui sont soumis à son mouvement terrible. Le
travail qui consiste à suivre une paire de mules, aller et retour, pendant
douze heures, pour filer des filés n° 40, exigeait en 1815 un parcours de huit
milles; en 1832 la distance à parcourir était de vingt milles et souvent plus
considérable (560).
En 1825 le fileur avait à faire dans l'espace de douze heures huit cent vingt
stretches pour chaque mule ce qui pour la paire donnait une somme de 1640. En
1832 il en faisait deux mille deux cents pour chaque mule ou quatre mille
quatre cents par jour; en 1844, deux mille quatre cents pour chaque mule,
ensemble quatre mille huit cents; et dans quelques cas la somme de travail
(amount of labour) exigé est encore plus considérable. En estimant les fatigues
d'une journée de travail il faut encore prendre en considération la nécessité
de retourner quatre ou cinq mille fois le corps dans une direction opposée (561) aussi bien que les efforts
continuels d'inclinaison et d'érection... J'ai ici dans les mains un autre
document daté de 1842, qui prouve que le travail augmente progressivement, non
seulement parce que la distance à parcourir est plus grande, mais parce que la
quantité des marchandises produites s'accroît tandis qu'on diminue en
proportion le nombre des bras, et que le coton filé est de qualité inférieure,
ce qui rend le travail plus pénible... Dans le cardage le travail a subi
également un grand surcroît. Une personne fait aujourd'hui la besogne que deux
se partageaient... Dans le tissage où un grand nombre de personnes, pour la
plupart du sexe féminin, sont occupées, le travail s'est accru de dix pour cent
pendant les dernières années par suite de la vitesse accélérée des machines. En
1838 le nombre des écheveaux filés par semaine était de dix-huit mille; en 1843
il atteignit le chiffre de vingt et un mille. Le nombre des picks au métier à
tisser était en 1819 de soixante par minute, il s'élevait à cent quarante en
1842, ce qui indique un grand surcroît de travail (562). »
Cette intensité remarquable que le travail avait déjà
atteinte en 1844 sous le régime de la loi de douze heures, parut justifier les
fabricants anglais déclarant que toute diminution ultérieure de la journée
entraînerait nécessairement une diminution proportionnelle dans la production.
La justesse apparente de leur point vue est prouvée par le témoignage de leur
impitoyable censeur, l'inspecteur Leonhard Horner qui à la même époque
s'exprima ainsi sur ce sujet :
« La quantité des produits étant réglée par la
vitesse de la machine, l'intérêt des fabricants doit être d'activer cette
vitesse jusqu'au degré extrême qui peut s'allier avec les conditions suivantes
: préservation des machines d'une détérioration trop rapide, maintien de la
qualité des articles fabriqués et possibilité pour l'ouvrier de suivre le mouvement
sans plus de fatigue qu'il n’en peut supporter d'une manière continue. Il
arrive souvent que le fabricant exagère le mouvement. La vitesse est alors plus
que balancée par les pertes que causent la casse et la mauvaise besogne et il
est bien vite forcé de modérer la marche des machines. Or, comme un fabricant
actif et intelligent sait trouver le maximum normal, j'en ai conclu qu'il est
impossible de produire autant en onze heures qu'en douze. De plus, j'ai reconnu
que l'ouvrier payé à la pièce s'astreint aux plus pénibles efforts pour endurer
d'une manière continue le même degré de travail (563). »
Horner conclut donc malgré les expériences de
Gardner, etc., qu'une réduction de la journée de travail au-dessous de douze
heures diminuerait nécessairement la quantité du produit (564). Dix ans après il cite lui-même ses scrupules de
1845 pour démontrer combien il soupçonnait peu encore à cette époque
l'élasticité du système mécanique et de la force humaine susceptibles d'être
tous deux tendus à l'extrême par la réduction forcée de la journée de travail.
Arrivons maintenant à la période qui suit 1847,
depuis l'établissement de la loi des dix heures dans les fabriques anglaises de
laine, de lin, de soie et de coton.
« Les broches des métiers continus (Throstles) font
cinq cents, celles des mules mille révolutions de plus par minute, c'est-à-dire
que la vélocité des premières étant de quatre mille cinq cents révolutions par
minute en 1839 est maintenant (1862) de cinq mille, et celle des secondes qui
était de cinq mille révolutions est maintenant de six mille; dans le premier
cas c'est un surcroît de vitesse de un dixième et dans le second de un
cinquième (565). »
J. Nasmyth, le célèbre ingénieur civil de Patricroft
près de Manchester détailla dans une lettre adressée en 1862 à Leonhard Horner
les perfectionnements apportés à la machine à vapeur. Après avoir fait
remarquer que dans la statistique officielle des fabriques la force de cheval-vapeur
est toujours estimée d'après son ancien effet de l'an 1828 (566), qu'elle n'est plus que nominale ,et sert tout
simplement d'indice de la force réelle, il ajoute entre autres :
« Il est hors de doute qu'une machine à vapeur du
même poids qu'autrefois et souvent même des engins identiques auxquels on s'est
contenté d'adapter les améliorations modernes, exécutent en moyenne cinquante
pour cent plus d'ouvrage qu'auparavant et que, dans beaucoup de cas, les mêmes
engins à vapeur qui, lorsque leur vitesse se bornait à deux cent vingt pieds
par minute, fournissaient cinquante chevaux-vapeur, en fournissent aujourd'hui
plus de cent avec une moindre consommation de charbon... L'engin à vapeur
moderne de même force nominale qu'autrefois reçoit une impulsion bien
supérieure grâce aux perfectionnements apportés à sa construction, aux
dimensions amoindries et à la construction améliorée de sa chaudière, etc.
C'est pourquoi, bien que l'on occupe le même nombre de bras qu'autrefois proportionnellement
à la force nominale, il y a cependant moins de bras employés
proportionnellement aux machines-outils (567). »
En 1850 les fabriques du Royaume-uni employèrent une
force nominale de cent trente quatre mille deux cent dix-sept chevaux pour
mettre en mouvement vingt-cinq millions six cent trente-huit mille sept cent
seize broches et trois cent un mille quatre cent quatre-vingt-quinze métiers à
tisser. En 1856 le nombre des broches atteignait trente-trois millions cinq
cent trois mille cinq cent quatre-vingt et celui des métiers trois cent
soixante-neuf mille deux cent cinq. Il aurait donc fallu une force de cent
soixante-quinze mille chevaux en calculant d'après la base de 1850; mais les
documents officiels n'en accusent que cent soixante et un mille quatre cent
trente-cinq, c'est-à-dire plus de dix mille de moins (568).
« Il résulte des faits établis par le dernier return
(statistique officielle) de 1856, que le système de fabrique s'étendit
rapidement, que le nombre des bras a diminué proportionnellement aux machines,
que l'engin à vapeur par suite d'économie de force et d'autres moyens meut un
poids mécanique supérieur et que l'on obtient un quantum de produit plus
considérable grâce au perfectionnement des machines-outils, au changement de
méthodes de fabrication, à l'augmentation de vitesse et à bien d'autres causes (569). »
« Les grandes améliorations introduites dans les
machines de toute espèce ont augmenté de beaucoup leur force productive. Il est
hors de doute que c'est le raccourcissement de la journée de travail qui a
stimulé ces améliorations. Unies aux efforts plus intenses de l'ouvrier, elles
ont amené ce résultat que dans une journée réduite de deux heures ou d'un
sixième, il se fait pour le moins autant de besogne qu'autrefois
(570). »
Un seul fait suffit pour démontrer combien les
fabricants se sont enrichis à mesure que l'exploitation de la force de travail
est devenue plus intense : c'est que le nombre des fabriques anglaises de coton
s'est accru en moyenne de trente-deux pour cent de 1838 à 1850, et de
quatre-vingt-six pour cent de 1850 à 1856.
Si grand qu'ait été le progrès de l'industrie
anglaise dans les huit années comprises entre 1848 et 1856, sous le règne des
dix heures, il a été de beaucoup dépassé dans la période des six années
suivantes de 1856 à 1862. Dans la fabrique de soie par exemple on comptait en
1856, un million quatre-vingt-treize mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf
broches et neuf mille deux cent soixante métiers; en 1862, un million trois
cent quatre-vingt-huit mille cinq cent quarante-quatre broches et dix mille
sept cent neuf métiers. Mais en 1862 on n'y comptait que cinquante deux mille
quatre cent vingt-neuf ouvriers au lieu de cinquante-six mille cent trente et
un occupés en 1856. Le nombre broches s'est donc accru de vingt-six neuf pour
cent et celui des métiers de quinze six pour cent; tandis que le nombre
travailleurs a décru de sept pour cent dans le même temps. En 1858 ; il
fut employé dans les fabriques de worsted (longue laine) huit cent
soixante-quinze mille huit cent trente broches, en 1856, un million trois cent
vingt-quatre mille cinq cent quarante-neuf (augmentation de 51,2 %) et en 1862,
un million deux cent quatre-vingt-neuf mille cent soixante-douze (diminution de
2,7 %,). Mais si l'on compte les broches à tordre qui dans le dernier chiffre
ne figurent pas comme dans le premier, le nombre des broches est resté à peu
près stationnaire depuis 1856. Par contre leur vitesse ainsi que celle des
métiers a en beaucoup de cas doublé depuis 1850. Le nombre des métiers à vapeur
dans la fabrique de worsted était en 1850 de : trente-deux mille six cent
dix-sept, en 1856 de : trente-huit mille neuf cent cinquante-six et en 1862 de
: quarante-trois mille quarante-huit. Ils occupaient en 1850, soixante-dix-neuf
mille sept cent trente-sept personnes; en 1856, quatre-vingt-sept mille sept
cent quatre-vingt-quatorze et en 1862, quatre-vingt-six mille soixante-trois,
sur lesquelles il y avait en 1850, neuf mille neuf cent cinquante-six, en 1856,
onze mille deux cent vingt-huit et 1862, treize mille cent soixante-dix-huit
enfants au-dessous de quatorze ans. Malgré la grande augmentation du nombre des
métiers, on voit en comparant 1862 à 1856, que le nombre total des ouvriers a
diminué considérablement quoique celui des enfants exploités se soit accru (571).
Le 27 avril 1863 un membre du Parlement, M. Ferrand,
fit la déclaration suivante dans la Chambre des communes :
« Une délégation d'ouvriers de seize districts de
Lancashire et Cheshire, au nom de laquelle je parle, m'a certifié que le travail
augmente constamment dans les fabriques, par suite du perfectionnement des
machines. Tandis qu'autrefois une seule personne avec deux aides faisait
marcher deux métiers, elle en fait marcher trois maintenant sans aucun aide, et
il n'est pas rare qu'une seule personne suffise pour quatre, etc. Il résulte
des faits qui me sont communiqués que douze heures de travail sont maintenant
condensées en moins de dix heures. Il est donc facile de comprendre dans quelle
énorme proportion le labeur des ouvriers de fabrique s'est accru depuis les
dernières années (572).
»
Bien que les inspecteurs de fabrique ne se lassent
pas, et avec grande raison, de faire ressortir les résultats favorables de la
législation de 1844 et de 1850, ils sont néanmoins forcés d'avouer que le
raccourcissement de la journée a déjà provoqué une condensation de travail qui
attaque la santé de l'ouvrier et par conséquent sa force productive elle-même.
« Dans la plupart des fabriques de coton, de soie,
etc., l'état de surexcitation qu'exige le travail aux machines, dont le
mouvement a été extraordinairement accéléré dans les dernières années, parait
être une des causes de la mortalité excessive par suite d'affection,
pulmonaires que le docteur Greenhow a signalée dans son dernier et admirable
rapport (573). »
Il n'y a pas le moindre doute que
la tendance du capital à se rattraper sur l'intensification systématique du
travail (dès que la prolongation de la journée lui est définitivement interdite
par la loi), et à transformer chaque perfectionnement du système mécanique en
un nouveau moyen d'exploitation, doit conduire à un point où une nouvelle
diminution des heures de travail deviendra inévitable (574). D'un autre côté, la période de dix heures de
travail qui date de 1848, dépasse, par le mouvement ascendant de l'industrie
anglaise, bien plus la période de douze heures, qui commence en 1833 et finit
en 1847, que celle-ci ne dépasse le demi-siècle écoulé depuis l'établissement
du système de fabrique, c'est-à-dire la période de la journée illimitée (575).
Au commencement de ce chapitre nous avons étudié le
corps de la fabrique, le machinisme; nous avons montré ensuite comment entre
les mains capitalistes il augmente et le matériel humain exploitable et le
degré de son exploitation en s'emparant des femmes et des enfants, en
confisquant la vie entière de l'ouvrier par la prolongation outre mesure de sa
journée et en rendant son travail de plus en plus intense, afin de produire en
un temps toujours décroissant une quantité toujours croissante de valeurs. Nous
jetterons maintenant un coup d’œil sur l'ensemble de la fabrique dans sa forme
la plus élaborée.
Le Dr Ure, le Pindare de la fabrique en donne deux
définitions. Il la dépeint d'une part « comme une coopération de plusieurs
classes d'ouvriers, adultes et non-adultes, surveillant avec adresse et
assiduité un système de mécaniques productives mises continuellement en action
par une force centrale, le premier moteur ». Il la dépeint d'autre part comme «
un vaste automate composé de nombreux organes mécaniques et intellectuels, qui
opèrent de concert et sans interruption, pour produire un même objet, tous ces
organes étant subordonnés à une puissance motrice qui se meut d'elle-même ».
Ces deux définitions ne sont pas le moins du monde identiques. Dans l'une le
travailleur collectif ou le corps de travail social apparaît comme le sujet dominant
et l'automate mécanique comme son objet. Dans l'autre, c'est l'automate
même qui est le sujet et les travailleurs sont tout simplement adjoints comme
organes conscients à ses organes inconscients et avec eux subordonnés à la
force motrice centrale. La première définition s'applique à tout emploi
possible d'un système de mécaniques; l'autre caractérise son emploi capitaliste
et par conséquent la fabrique moderne. Aussi maître Ure se plaît-il à
représenter le moteur central, non seulement comme automate, mais encore
comme autocrate. « Dans ces vastes ateliers, dit-il, le pouvoir
bienfaisant de la peur appelle autour de lui ses myriades de sujets, et
assigne à chacun sa tâche obligée (576).
»
Avec l'outil, la virtuosité dans son maniement passe
de l'ouvrier à la machine. Le fonctionnement des outils étant désormais
émancipé des bornes personnelles de la force humaine, la base technique sur
laquelle repose la division manufacturière du travail se trouve supprimée. La
gradation hiérarchique d'ouvriers spécialisés qui la caractérise est remplacée
dans la fabrique automatique par la tendance à égaliser ou à niveler les
travaux incombant aux aides du machinisme (577). A la place des différences artificiellement produites
entre les ouvriers parcellaires, les différences naturelles de l'âge et du sexe
deviennent prédominantes.
Dans la fabrique automatique la division du travail
reparaît tout d'abord comme distribution d'ouvriers entre les machines
spécialisées, et de masses d'ouvriers, ne formant pas cependant des groupes
organisés, entre les divers départements de la fabrique, où ils travaillent à
des machines-outils homogènes et rangées les unes à côté des autres. Il
n'existe donc entre eux qu'une coopération simple. Le groupe organisé de la
manufacture est remplacé par le lien entre l'ouvrier principal et ses aides,
par exemple le fileur et les rattacheurs.
La classification fondamentale devient celle de
travailleurs aux machines-outils (y compris quelques ouvriers chargés de
chauffer la chaudière à vapeur) et de manœuvres, presque tous enfants,
subordonnés aux premiers. Parmi ces manœuvres se rangent plus ou moins tous les
« feeders » (alimenteurs) qui fournissent aux machines leur matière première. A
côté de ces classes principales prend place un personnel numériquement
insignifiant d'ingénieurs, de mécaniciens, de menuisiers, etc., qui surveillent
le mécanisme général et pourvoient aux réparations nécessaires. C'est une
classe supérieure de travailleurs, les uns formés scientifiquement, les autres
ayant un métier placé en dehors du cercle des ouvriers de fabrique auxquels ils
ne sont qu'agrégés (578).
Cette division du travail est purement technologique.
Tout enfant apprend très facilement à adapter ses
mouvements au mouvement continu et uniforme de l'automate. Là, où le mécanisme
constitue un système gradué de machines parcellaires, combinées entre elles et
fonctionnant de concert, la coopération, fondée sur ce système, exige une distribution
des ouvriers entre les machines ou groupes de machines parcellaires. Mais il
n'y a plus nécessité de consolider cette distribution en enchaînant, comme dans
les manufactures, pour toujours le même ouvrier à la même besogne
(579). Puisque le mouvement d'ensemble de la fabrique
procède de la machine et non de l'ouvrier, un changement continuel du personnel
n'amènerait aucune interruption dans le procès de travail. La preuve
incontestable en a été donnée par le système de relais dont se servirent les
fabricants anglais pendant leur révolte de 1848-50. Enfin la rapidité avec
laquelle les enfants apprennent le travail à la machine, supprime radicalement
la nécessité de le convertir en vocation exclusive d'une classe particulière de
travailleurs (580). Quant aux services rendus dans la
fabrique par les simples manœuvres, la machine peut les suppléer en grande
partie, et en raison de leur simplicité, ces services permettent le changement
périodique et rapide des personnes chargées de leur exécution (581).
Bien qu'au point de vue technique le système
mécanique mette fin à l'ancien système de la division du travail, celui-ci se
maintient néanmoins dans la fabrique, et tout d'abord comme tradition léguée
par la manufacture; puis le capital s'en empare pour le consolider et le
reproduire sous une forme encore plus repoussante, comme moyen systématique
d'exploitation. La spécialité qui consistait à manier pendant toute sa vie un
outil parcellaire devient la spécialité de servir sa vie durant une machine
parcellaire. On abuse du mécanisme pour transformer l'ouvrier dès sa plus
tendre enfance en parcelle d'une machine qui fait elle-même partie d'une autre (582). Non seulement les frais qu'exige
sa reproduction se trouvent ainsi considérablement diminués, mais sa dépendance
absolue de la fabrique et par cela même du capital est consommée. Ici comme
partout il faut distinguer entre le surcroît de productivité dû au développement
du procès de travail social et celui qui provient de son exploitation
capitaliste.
Dans la manufacture et le métier, l'ouvrier se sert
de son outil; dans la fabrique il sert la machine. Là le mouvement de
l'instrument de travail part de lui; ici il ne fait que le suivre. Dans la
manufacture les ouvriers forment autant de membres d'un mécanisme vivant. Dans
la fabrique ils sont incorporés à un mécanisme mort qui existe indépendamment
d'eux.
« La fastidieuse uniformité d'un labeur sans fin
occasionnée par un travail mécanique, toujours le même, ressemble au supplice
de Sisyphe; comme le rocher le poids du travail retombe toujours et sans pitié
sur le travailleur épuisé (583). »
En même temps que le travail mécanique surexcite au
dernier point le système nerveux, il empêche le jeu varié des muscles et
comprime toute activité libre du corps et de l'esprit (584). La facilité même du travail devient une torture en
ce sens que la machine ne délivre pas l'ouvrier du travail mais dépouille le
travail de son intérêt. Dans toute production capitaliste en tant qu'elle ne
crée pas seulement des choses utiles mais encore de la plus-value, les
conditions du travail maîtrisent l'ouvrier, bien loin de lui être soumises,
mais c'est le machinisme qui le premier donne à ce renversement une réalité
technique. Le moyen de travail converti en automate se dresse devant l'ouvrier
pendant le procès de travail même sous forme de capital, de travail mort qui
domine et pompe sa force vivante.
La grande industrie mécanique achève enfin, comme
nous l'avons déjà indiqué, la séparation entre le travail manuel et les
puissances intellectuelles de la production qu'elle transforme en pouvoirs du
capital sur le travail. L'habileté de l'ouvrier apparaît chétive devant la
science prodigieuse, les énormes forces naturelles, la grandeur du travail
social incorporées au système mécanique, qui constituent la puissance du Maître.
Dans le cerveau de ce maître, son monopole sur les machines se confond avec
l’existence des machines. En cas de conflit avec ses bras il leur jette à la
face ces paroles dédaigneuses :
« Les ouvriers de fabrique feraient très bien de
se souvenir que leur travail est des plus inférieurs; qu'il n'en est pas de
plus facile à apprendre et de mieux payé, vu sa qualité, car il suffit du
moindre temps et du moindre apprentissage pour y acquérir toute l'adresse
voulue. Les machines du maître jouent en fait un rôle bien plus important dans
la production que le travail et l'habileté de l'ouvrier qui ne réclament qu'une
éducation de six mois, et qu'un simple laboureur peut apprendre
(585). »
La subordination technique de l'ouvrier à la marche
uniforme du moyen de travail et la composition particulière du travailleur
collectif d'individus des deux sexes et de tout âge créent une discipline de
caserne, parfaitement élaborée dans le régime de fabrique. Là, le soi-disant
travail de surveillance et la division des ouvriers en simples soldats et
sous-officiers industriels, sont poussés à leur dernier degré de développement.
« La principale difficulté ne consistait pas autant
dans l'invention d'un mécanisme automatique... la difficulté consistait surtout
dans la discipline nécessaire, pour faire renoncer les hommes à leurs habitudes
irrégulières dans le travail et les identifier avec la régularité invariable du
grand automate. Mais inventer et mettre en vigueur avec succès un code de
discipline manufacturière convenable aux besoins et à la célérité du système automatique,
voilà une entreprise digne d'Hercule, voilà le noble ouvrage d’Arkwright ! Même
aujourd'hui que ce système est organisé dans toute sa perfection, il est
presque impossible, parmi les ouvriers qui ont passé l'âge de puberté, de lui
trouver d'utiles auxiliaires (586). »
Jetant aux orties la division des pouvoirs d'ailleurs
si prônée par la bourgeoisie et le système représentatif dont elle raffole, le capitaliste
formule en législateur privé et d'après son bon plaisir son pouvoir
autocratique sur ses bras dans son code de fabrique. Ce code n'est du reste
qu'une caricature de la régulation sociale, telle que l'exigent la coopération
en grand, et l’emploi de moyens de travail communs, surtout des machines. Ici,
le fouet du conducteur d'esclaves est remplacé par le livre de punitions du
contremaître. Toutes ces punitions se résolvent naturellement en amendes et en
retenues sur le salaire, et l'esprit retors des Lycurgues de fabrique fait en
sorte qu'ils profitent encore plus de la violation que de l'observation de
leurs lois (587).
Nous ne nous arrêterons pas ici aux
conditions matérielles dans lesquelles le travail de fabrique s'accomplit. Tous
les sens sont affectés à la fois par l'élévation artificielle de la
température, par une atmosphère imprégnée de particules de matières premières,
par le bruit assourdissant des machines, sans parler des dangers encourus au
milieu d'un mécanisme terrible vous enveloppant de tous côtés et fournissant,
avec la régularité des saisons, son bulletin de mutilations et d'homicides
industriels (588). L'économie des moyens collectifs
de travail, activée et mûrie comme en serre chaude par le système de fabrique,
devient entre les mains du capital un système de vols commis sur les conditions
vitales de l'ouvrier pendant son travail, sur l'espace, l'air, la lumière et
les mesures de protection personnelle contre les circonstances dangereuses et
insalubres du procès de production, pour ne pas mentionner les arrangements que
le confort et la commodité de l'ouvrier réclamaient (589). Fourier a-t-il donc tort de nommer les fabriques
des bagnes modérés (590) ?
V. Lutte entre travailleur et machine
La lutte entre le capitaliste et le salarié date des
origines mêmes du capital industriel et se déchaîne pendant la période
manufacturière (591) mais le travailleur n'attaque le
moyen de travail que lors de l'introduction de la machine. Il se révolte
contre cette forme particulière de l'instrument où il voit l'incarnation
technique du capital.
Au XVII° siècle, dans presque toute l'Europe des
soulèvements ouvriers éclatèrent contre une machine à tisser des rubans et des
galons appelée Bandmühle ou Mühlenstuhl. Elle fut inventée en Allemagne.
L'abbé italien Lancelotti raconte dans un livre, écrit en 1579 et publié
à Venise en 1636 que :
« Anton Müller de Dantzig a vu dans cette ville, il y
a à peu près cinquante ans, une machine très ingénieuse qui exécutait quatre à
six tissus à la fois. Mais le magistrat craignant que cette invention ne
convertît nombre d'ouvriers en mendiants, la supprima et fit étouffer ou noyer
l'inventeur. »
En 1629, cette même machine fut pour la première fois,
employée à Leyde où les émeutes des passementiers forcèrent les magistrats
de la proscrire. « Dans cette ville », dit à ce propos Boxhorn, «quelques
individus inventèrent il y a une vingtaine d'années un métier à tisser, au
moyen duquel un seul ouvrier peut exécuter plus de tissus et plus facilement
que nombre d'autres dans le même temps. De là des troubles et des querelles de
la part des tisserands qui firent proscrire par les magistrats l'usage de cet
instrument (592). » Après avoir lancé contre ce
métier à tisser des ordonnances plus ou moins prohibitives en 1632, 1639, etc.,
les Etats généraux de la Hollande en permirent enfin l'emploi, sous certaines
conditions, par l'ordonnance du 15 décembre 1661.
Le Bandstuhl fut proscrit à Cologne en 1676
tandis que son introduction en Angleterre vers la même époque y provoqua des
troubles parmi les tisserands. Un édit impérial du 19 février 1865 interdit
son usage dans toute l'Allemagne. A Hambourg il fut brûlé
publiquement par ordre du magistrat. L'empereur Charles VI renouvela en février
1719 l'édit de 1685 et ce n'est qu'en 1765 que l'usage public en fut permis
dans la Saxe électorale.
Cette machine qui ébranla l'Europe fut le précurseur
des machines à filer et à tisser et préluda à la révolution industrielle du
XVIII° siècle. Elle permettait au garçon le plus inexpérimenté de faire
travailler tout un métier avec ses navettes en avançant et en retirant une
perche et fournissait, dans sa forme perfectionnée, de quarante à cinquante
pièces à la fois.
Vers la fin du premier tiers du XVII° siècle une
scierie à vent, établie par un Hollandais dans le voisinage de Londres, fut
détruite par le peuple. Au commencement du XVIII° siècle les scieries à eau ne
triomphèrent que difficilement de la résistance populaire soutenue par le
Parlement. Lorsque Everet en 1758 construisit la première machine à eau pour
tondre la laine, cent mille hommes mis par elle hors de travail la réduisirent
en cendres. Cinquante mille ouvriers gagnant leur vie par le cardage de la
laine accablèrent le Parlement de pétitions contre les machines à carder et les
scribblings mills, inventés par Arkwright. La destruction de
nombreuses machines dans les districts manufacturiers anglais pendant les
quinze premières années du XIX° siècle, connue sous le nom du mouvement des
Luddites, fourrnit au gouvernement antijacobin d'un Sidmouth, d'un Castlereagh
et de leurs pareils, le prétexte de violences ultra-réactionnaires.
Il faut du temps et de l'expérience avant que les
ouvriers, ayant appris à distinguer entre la machine et son emploi capitaliste,
dirigent leurs attaques non contre le moyen matériel de production, mais contre
son mode social d'exploitation (593).
Les ouvriers manufacturiers luttèrent pour hausser
leurs salaires et non pour détruire les manufactures; ce furent les chefs des
corporations et les villes privilégiées (corporate towns) et non les salariés
qui mirent des entraves à leur établissement.
Dans la division du travail les écrivains de la
période manufacturière voient un moyen virtuel de suppléer au manque
d'ouvriers, mais non de déplacer des ouvriers occupés. Cette distinction saute
aux yeux. Si l'on dit qu'avec l'ancien rouet il faudrait en Angleterre deux
cents millions d'hommes pour filer le coton que filent aujourd'hui cinquante
mille, cela ne signifie point que les machines à filer ont déplacé ces millions
d'Anglais qui n'ont jamais existé, mais tout simplement qu'il faudrait un
immense surcroît de population ouvrière pour remplacer ces machines. Si l'on
dit au contraire qu'en Angleterre le métier à vapeur a jeté huit cent mille
tisserands sur le payé, alors on ne parle pas de machines existantes dont le remplacement
par le travail manuel réclamerait tant d'ouvriers, mais d'une multitude
d'ouvriers, autrefois occupés, qui ont été réellement déplacés ou supprimés par
les machines.
Le métier, comme nous l'avons vu, reste pendant la
période manufacturière la base de l'industrie.
Les ouvriers des villes, légués par le moyen âge,
n'étaient pas assez nombreux pour suppléer la demande des nouveaux marchés
coloniaux, et les manufactures naissantes se peuplèrent en grande partie de
cultivateurs expropriés et expulsés du sol durant la décadence du régime
féodal. Dans ces temps-là ce qui frappa surtout les yeux, c'était donc le côté
positif de la coopération et de la division du travail dans les ateliers, leur
propriété de rendre plus productifs les labeurs des ouvriers occupés (594).
Sans doute, longtemps avant la période de la grande
industrie, la coopération et la concentration des moyens de travail, appliquées
à l'agriculture, occasionnèrent des changements grands, soudains et violents
dans le mode de produire et, par conséquent, dans les conditions de vie et les
moyens d'occupation de la population rurale. Mais la lutte que ces changements
provoquèrent, se passe entre les grands et les petits propriétaires du sol
plutôt qu'entre le capitaliste et le salarié. D'autre part, quand des
laboureurs furent jetés hors d'emploi par des moyens de production agricoles,
par des chevaux, des moutons, etc., c'étaient des actes de violence immédiate
qui dans ces cas-là rendirent possible la révolution économique. On chassa les
laboureurs des champs pour leur substituer des moutons. C'est l'usurpation
violente du sol, telle qu'en Angleterre elle se pratiquait sur une large
échelle, qui prépara en premier lieu le terrain de la grande agriculture. Dans
ses débuts ce bouleversement agricole a donc l'apparence d'une révolution
politique plutôt qu'économique.
Sous sa forme-machine au contraire le moyen de
travail devient immédiatement le concurrent du travailleur (595). Le rendement du capital est dès lors en raison
directe du nombre d'ouvriers dont la machine anéantit les conditions
d'existence. Le système de la production capitaliste repose en général sur ce
que le travailleur vend sa force comme marchandise. La division du travail réduit
cette force à l'aptitude de détail à manier un outil fragmentaire. Donc, dès
que le maniement de l'outil échoit à la machine, la valeur d'échange de la
force de travail s'évanouit en même temps que sa valeur d'usage. L'ouvrier
comme un assignat démonétisé n'a plus de cours. Cette partie de la classe
ouvrière que la machine convertit ainsi en population superflue, c'est-à-dire
inutile pour les besoins momentanés de l'exploitation capitaliste, succombe
dans la lutte inégale de l'industrie mécanique contre le vieux métier et la
manufacture, ou encombre toutes les professions plus facilement accessibles où
elle déprécie la force de travail.
Pour consoler les ouvriers tombés dans la misère, on
lent assure que leurs souffrances ne sont que des « inconvénient, temporaires »
(a temporary inconvenience) et que la machine en n'envahissant
que par degrés un champ de production, diiiii nue l'étendue et l'intensité de
ses effets destructeurs. Mais et-, deux fiches de consolation se neutralisent. Là
où la marche conquérante de la machine progresse lentement, elle afflige de la
misère chronique les rangs ouvriers forcés de lui faire concurrence; là où elle
est rapide, la misère devient aigüe et fait des ravages terribles.
L'histoire ne présente pas de spectacle plus
attristant que celui de la décadence des tisserands anglais qui, après s’être
traînée en longueur pendant quarante ans, s'est enfin consommée en 1838.
Beaucoup de ces malheureux moururent de faim; beaucoup végétèrent longtemps
avec leur famille n'ayant que vingt-cinq centimes par jour (596). Dans l'Inde au contraire l'importation des calicots
anglais fabriqués mécaniquement amena une crise des plus spasmodiques. « Il n'y
a pas d'exemple d'une misère pareille dans l'histoire du commerce » dit, dans
son rapport de 1834-35, le gouverneur général; « les os des tisserands
blanchissent plaines de l'Inde. » En lançant ces tisserands dans l'éternité (597), la machine à tisser ne leur avait
évidemment causé que des « inconvénients temporaires ». D'ailleurs les
effets passagers des machines sont permanents en ce qu'elles envahissent sans
cesse de nouveaux champs de production.
Le caractère d'indépendance que la production
capitaliste imprime en général aux conditions et au produit du travail
vis-à-vis de l'ouvrier, se développe donc avec la machine jusqu'à l’antagonisme
le plus prononcé (598).
C'est pour cela que, la première, elle donne lieu à la révolte brutale de
l'ouvrier contre le moyen de travail.
Le moyen de travail accable le travailleur. Cet
antagonisme direct éclate surtout lorsque des machines nouvellement introduites viennent
faire la guerre aux procédés traditionnels du métier et de la
manufacture. Mais dans la grande industrie elle-même, le perfectionnement du
machinisme et le développement du système automatique ont des effets analogues.
« Le but constant du machinisme perfectionné est de
diminuer le travail manuel, ou d'ajouter un anneau de plus à l'enchainure
productive de la fabrique en substituant des appareils de fer à des appareils
humains (599). »
« L'application de la vapeur ou de la force de l'eau
à des machines qui jusqu'ici n'étaient mues qu’avec la main, est l'événement de
chaque jour... Les améliorations de détail ayant pour but l'économie de la
force motrice, le perfectionnement de l'ouvrage, l'accroissement du produit
dans le même temps, ou la suppression d'un enfant, d'une femme ou d'un homme
sont constantes, et bien que peu apparentes, elles ont néanmoins des résultats
importants (600). »
« Partout où un procédé exige beaucoup de dextérité
et une main sûre, on le retire au plus tôt des mains de l'ouvrier trop adroit,
et souvent enclin à des irrégularités de plusieurs genres pour en charger un
mécanisme particulier, dont l'opération automatique est si bien réglée qu'un
enfant peut la surveiller (601). »
« D'après le système automatique le talent de
l'artisan se trouve progressivement remplacé par de simples surveillants de
mécaniques (602). »
« Non seulement les machines perfectionnées
n'exigent pas l’emploi d’un aussi grand nombre d'adultes, pour arriver à un
résultat donné, mais elles substituent une classe d'individus à une autre, le moins adroit au plus habile, les enfants aux adultes, les femmes aux
hommes. Tous ces changements occasionnent des fluctuations constantes dans le
taux du salaire (603).
»
« La machine rejette sans cesse des adultes (604). »
La marche rapide imprimée au machinisme par la
réduction de la journée de travail nous a montré l'élasticité extraordinaire
dont il est susceptible, grâce à une expérience pratique accumulée, à l'étendue
des moyens mécaniques déjà acquis et aux progrès de la technologie. En 1860,
alors que l'industrie cotonnière anglaise était à son zénith, qui aurait
soupçonné les perfectionnements mécaniques et le déplacement correspondant du travail
manuel qui, sous l'aiguillon de la guerre civile américaine, révolutionnèrent
cette industrie ? Contentons-nous d'en citer un ou deux exemples empruntés aux
rapports officiels des inspecteurs de fabrique.
« Au lieu de soixante-quinze machines à carder, dit
un fabricant de Manchester, nous n'en employons plus que douze, et nous
obtenons la même quantité de produit en qualité égale sinon meilleure...
L'économie en salaires se monte à dix livres sterling par semaine et le déchet
du coton a diminué de dix pour cent. »
Dans une filature de la même ville le mouvement
accéléré des machines et l'introduction de divers procédés automatiques ont
permis de réduire dans un département le nombre des ouvriers employés d'un
quart et dans un autre de plus de la moitié. Un autre filateur estime qu'il a
réduit de dix pour cent le nombre de ses « bras ».
Les MM. Gilmore, filateurs à Manchester, déclarent de
leur côté :
« Nous estimons que dans le nettoyage du coton l'économie
de bras et de salaires résultant des machines nouvelles se monte à un bon
tiers... Dans deux autres procédés préliminaires la dépense a diminué d'un
tiers environ en salaires et autres frais, dans la salle à filer d'un tiers.
Mais ce n'est pas tout; quand nos filés passent maintenant aux tisserands, ils
sont tellement améliorés qu'ils fournissent plus de tissus de meilleure qualité
que les anciens filés mécaniques (605). »
L'inspecteur A. Redgrave, remarque à ce propos :
« La diminution dans le nombre d'ouvriers, en même
temps que la production s'augmente, progresse rapidement. Dans les fabriques de
laine on a depuis peu commencé à réduire le nombre des bras et cette réduction
continue. Un maître d'école qui habite Rochdale me disait, il y a quelques
jours, que la grande diminution dans les écoles de filles n'était pas due
seulement à la pression de la crise mais aux changements introduits dans les
mécaniques des fabriques de laine, par suite desquels une réduction moyenne de
soixante-dix-neuf demi-temps avait eu lieu (606). »
Le résultat général des perfectionnements mécaniques
amenés dans les fabriques anglaises de coton par la guerre civile américaine,
est résumé dans la table suivante :
Statistique des fabriques de coton du Royaume-Uni en
1858, 861 et 1868.
NOMBRE DES FABRIQUES |
|||
1858 |
1861 |
1868 |
|
Angleterre et pays de Galles |
2046 |
2715 |
2405 |
Ecosse |
152 |
163 |
131 |
Irlande |
12 |
9 |
13 |
Royaume-Uni |
2210 |
2887 |
2549 |
NOMBRE DES MÉTIERS A TISSER A VAPEUR |
|||
1858 |
1861 |
1868 |
|
Angleterre et pays de Galles |
275 590 |
368 125 |
344 719 |
Ecosse |
21 624 |
30 110 |
31 864 |
Irlande |
1633 |
1 757 |
2 746 |
Royaume-Uni |
298 847 |
399 992 |
379 329 |
NOMBRE DES BROCHES A FILER |
|||
1858 |
1861 |
1868 |
|
Angleterre et pays de Galles |
25 818 576 |
28 352 152 |
30 478 228 |
Ecosse |
2 041 129 |
1 915 398 |
1 397 546 |
Irlande |
150 512 3 |
119 944 |
124 240 |
Royaume-Uni |
28 010 217 |
30 387 467 |
32 000 014 |
NOMBRE DE PERSONNES EMPLOYEES |
|||
1858 |
1861 |
1868 |
|
Angleterre et pays de Galles |
341 170 |
407 598 |
357 052 |
Ecosse |
34 698 |
41 237 |
39 809 |
Irlande |
3 345 |
2 734 |
4 203 |
Royaume-Uni |
379 213 |
451 569 |
401 064 |
En 1861-1868 disparurent donc trois cent trente-huit
fabriques de coton, c'est-à-dire qu'un machinisme plus productif et plus large
se concentra dans les mains d'un nombre réduit de capitalistes; les métiers à
tisser mécaniques décrûrent de vingt mille six cent soixante-trois, et comme en
même temps leur produit alla augmentant, il est clair qu'un métier amélioré
suffit pour faire la besogne de plus d'un vieux métier à vapeur; enfin, les
broches augmentèrent de un million six cent douze mille cinq cent quarante et
un, tandis que le nombre d'ouvriers employés diminua de cinquante mille cinq
cent cinq. Les misères « temporaires » dont la crise cotonnière accabla les
ouvriers, furent ainsi rendues plus intenses et consolidées par le progrès
rapide et continu du système mécanique.
Et la machine n'agit pas seulement comme un
concurrent dont la force supérieure est toujours sur le point de rendre le
salarié superflu.
C’est comme puissance ennemie de l'ouvrier que le
capital l’emploie, et il le proclame hautement. Elle devient l'arme de guerre
la plus irrésistible pour réprimer les grèves, ces révoltes périodiques du
travail contre l'autocratie du capital (607). D'après Gaskell, la machine à vapeur fut dès
le début un antagoniste de la « force de l'homme » et permit au capitaliste
d'écraser les prétentions croissantes des ouvriers qui menaçaient d'une crise
le système de fabrique à peine naissant (608). On pourrait écrire toute une histoire au sujet des
inventions faites depuis 1830 pour défendre le capital contre les émeutes
ouvrières.
Dans son interrogatoire devant la commission chargée
de l'enquête sur les Trades Unions, M. Nasmyth, l'inventeur du
marteau à vapeur, énumère les perfectionnements du machinisme auxquels il a eu
recours par suite de la longue grève des mécaniciens en 1851.
« Le trait caractéristique, dit-il, de nos
perfectionnements mécaniques modernes, c'est l'introduction d'outils
automatiques Tout ce qu'un ouvrier mécanicien doit faire, et que chaque garçon
peut faire, ce n'est pas travailler, mais surveiller le beau fonctionnement de
la machine. Toute cette classe d'hommes dépendant exclusivement de leur
dextérité a été écartée. J'employais quatre garçons sur un mécanicien. Grâce à
ces nouvelles combinaisons mécaniques, j'ai réduit le nombre des hommes adultes
de mille cinq cents à sept cent cinquante. Le résultat fut un grand
accroissement dans mon profit (609). »
Enfin, s'écrie Ure, à propos d'une machine pour
l'impression des indiennes,
« enfin les capitalistes cherchèrent à s'affranchir
de cet esclavage insupportable (c'est-à-dire des conditions gênantes du contrat
de travail), en s'aidant des ressources de la science, et ils furent réintégrés
dans leurs droits légitimes, ceux de la tête sur les autres parties du corps.
Dans tous les grands établissements, aujourd'hui, il y a des machines à quatre
et a cinq couleurs, qui rendent l'impression en calicot un procédé, expéditif
et infaillible ».
Il dit d'une machine pour parer la chaîne des tissus,
qu'une grève avait fait inventer :
« La horde des mécontents, qui se croyaient
retranchés d'une manière invincible derrière les anciennes lignes de la
division du travail, s'est vue prise en flanc, et ses moyens de défense ayant
été annulés par la tactique moderne des machinistes, elle a été forcée de se
rendre à discrétion. »
Il dit encore à propos de la mule automatique qui
marque une nouvelle époque dans le système mécanique :
« Cette création, l'homme de fer, comme
l'appellent avec raison les ouvriers, était destinée à rétablir l'ordre parmi
les classes industrielles. La nouvelle de la naissance de cet Hercule-fileur
répandit la consternation parmi les sociétés de résistance; et longtemps avant d'être
sorti de son berceau, il avait déjà étouffé l'hydre de la sédition... Cette
invention vient à l'appui de la doctrine déjà développée par nous; c'est que
lorsque le capital enrôle la science, la main rebelle du travail apprend
toujours à être docile (610) ».
Bien que le livre de Ure date de
trente-sept ans, c'est-à-dire d’une époque où le système de fabrique n'était
encore que faiblement développé, il n'en reste pas moins l'expression classique
de l'esprit de ce système, grâce à son franc cynisme et à la naïveté avec
laquelle il divulgue les absurdes contradictions qui hantent les caboches des
MM. du capital. Après avoir développé par exemple la doctrine citée plus haut,
que le capital, avec l’aide de la science prise à sa solde parvient toujours à
enchaîner la main rebelle du travail, il s'étonne de ce que quelques
raisonneurs « ont accusé la science physico-mécanique de se prêter à l’ambition
de riches capitalistes et de servir d'instrument pour opprimer la classe
indigente (611) ». Après avoir prêché et démontré
à qui veut l'entendre que le développement rapide du machinisme est on ne peut
plus avantageux aux ouvriers, il avertit ceux-ci comminatoirement, que par leur
résistance, leurs grèves, etc., ils ne font qu'activer ce développement. « De
semblables révoltes, dit-il, montrent l'aveuglement humain sous aspect le plus
méprisable, celui d'un homme qui se fait son propre bourreau. » Quelques pages
auparavant il a dit au contraire : « Sans les collisions et les interruptions
violentes causées par les vues erronées des ouvriers, le système de fabrique se
serait développé encore plus rapidement et plus avantageusement qu'il ne l'a
fait jusqu'à ce jour pour toutes les parties intéressées. » Dix lignes après il
s'écrie de nouveau : « Heureusement pour la population des villes de la
Grande-Bretagne, les perfectionnements en mécanique sont gradués, ou du moins
ce n’est que successivement qu'on arrive à en rendre l'usage général. » C'est à
tort, dit-il encore, que l'on accuse les machines de réduire le salaire des
adultes parce qu'elles les déplacent et créent par conséquent une demande de
travail qui surpasse l’offre. « Certainement il y a augmentation d'emploi pour
les enfants, et le gain des adultes n'en est que plus considérable. » De
l'autre côté ce consolateur universel défend le taux infime du salaire des
enfants, sous prétexte que « les parents sont ainsi empêchés de les envoyer
trop tôt dans les fabriques ». Tout son livre n'est qu'une apologie de la journée
de travail illimitée et son âme libérale se sentit refoulée dans « les ténèbres
des siècles passés » lorsqu'il vit la législation défendre le travail forcé des
enfants de treize ans, pendant plus de douze heures par jour. Cela ne l'empêche
point d'inviter les ouvriers de fabrique à adresser des actions de grâces à la
providence, et pourquoi ? parce qu'au moyen des machines elle leur a procuré
des « loisirs pour méditer sur leurs intérêts éternels (612) ».
VI. - Théorie de la compensation
Une phalange d’économistes bourgeois, James Mill, Mac
Culloch, Torrens, Senior, J.-St. Mill, etc., soutiennent qu’en déplaçant des
ouvriers engagés, la machine dégage par ce fait même un capital destiné à les
employer de nouveau à une autre occupation quelconque (613).
Mettons (614)
que dans une fabrique de tapis on emploie un capital de six mille livres
sterling dont une moitié est avancée en matières premières (il est fait
abstraction des bâtiments, etc.) et l'autre moitié consacrée au payement de
cent ouvriers, chacun recevant un salaire annuel de trente livres sterling. A
un moment donné le capitaliste congédie cinquante ouvriers et les remplace par
une machine de la valeur de mille cinq cents livres sterling.
Dégage-t-on un capital par cette opération ?
Originairement la somme totale de six mille livres sterling se divisait en un
capital constant de trois mille livres sterling et un capital variable de trois
mille livres sterling. Maintenant elle consiste en un capital constant de
quatre mille cinq cents livres sterling trois mille livres sterling pour
matières premières et mille cinq cents livres sterling pour la machine - et un
capital variable de mille cinq cents livres sterling pour la paye de cinquante
ouvriers. L'élément variable est tombé de la moitié à un quart du capital
total. Au lieu d'être dégagé, un capital de mille cinq cents livres sterling se
trouve engagé sous une forme où il cesse d'être échangeable contre la force de
travail, c'est-à-dire que de variable il est devenu constant. A l'avenir le
capital total de six mille livres sterling n'occupera jamais plus de cinquante
ouvriers et il en occupera moins à chaque perfectionnement de la machine.
Pour faire plaisir aux théoriciens de la
compensation, nous admettrons que le prix de la machine est moindre que la
somme des salaires supprimés, qu'elle ne coûte que mille livres sterling au
lieu de mille cinq cents livres sterling.
Dans nos nouvelles données le capital de mille cinq
cents livres sterling, autrefois avancé en salaires, se divise maintenant comme
suit : mille livres sterling engagées sous forme de machines et cinq cents
livres sterling dégagées de leur emploi dans la fabrique de tapis et pouvant
fonctionner comme nouveau capital. Si le salaire reste le même, voilà un fonds
qui suffirait pour occuper environ seize ouvriers, tandis qu'il y en a
cinquante de congédiés, mais il en occupera beaucoup moins de seize, car, pour
se transformer en capital, les cinq cents livres sterling doivent en partie
être dépensées en instruments, matières, etc., en un mot renfermer un élément
constant, inconvertible en salaires.
Si la construction de la machine donne du travail à
un nombre additionnel d'ouvriers mécaniciens, serait-ce là la compensation des
tapissiers jetés sur le pavé ? Dans tous les cas sa construction occupe moins
d'ouvriers que son emploi n'en déplace. La somme de mille cinq cents livres sterling
qui, par rapport aux tapissiers renvoyés, ne représentait que leur salaire,
représente, par rapport à la machine, et la valeur des moyens de production
nécessaires pour sa construction, et le salaire des mécaniciens, et la
plus-value dévolue à leur maître. Encore, une fois faite, la machine n'est à
refaire qu'après sa mort, et pour occuper d'une manière permanente le nombre
additionnel de mécaniciens, il faut que les manufactures de tapis l'une après
l'autre déplacent des ouvriers par des machines.
Aussi ce n'est pas ce dada qu'enfourchent les
doctrinaires la compensation. Pour eux, la grande affaire, c'est les
subsistances des ouvriers congédiés. En dégageant nos cinquante ouvriers de
leur salaire de mille cinq cents livres sterling, la machine dégage de leur
consommation mille cinq cents livres sterling de subsistances. Voilà le fait
dans sa triste réalité ! Couper les vivres à l'ouvrier, messieurs les ventrus
appellent cela rendre des vivres disponibles pour l'ouvrier comme
nouveau fonds d'emploi dans une autre industrie. On le voit, tout dépend de la
manière de s'exprimer. Nominibus mollire licet mala (615).
D'après cette doctrine, les mille cinq cents livres
sterling de subsistances étaient un capital mis en valeur par le travail des
cinquante ouvriers tapissiers congédiés, et qui perd par conséquent son emploi
dès que ceux-ci chôment, et n'a ni trêve ni repos tant qu'il n'a pas rattrapé «
un nouveau placement » où les mêmes travailleurs pourront de nouveau le
consommer productivement. Un peu plus tôt, un peu plus tard ils doivent donc se
retrouver; et alors il y aura compensation. Les souffrances des ouvriers mis
hors d'emploi par la machine sont donc passagères comme les biens de cette
terre.
Les mille cinq cents livres sterling qui
fonctionnaient comme capital, vis-à-vis des tapissiers déplacés, ne
représentaient pas en réalité le prix des subsistances qu'ils avaient coutume
de consommer, mais le salaire qu'ils recevaient avant la conversion de ces
mille cinq cents livres sterling en machine. Cette somme eIle-même ne
représentait que la quote-part des tapis fabriqués annuellement par eux qui
leur était échue à titre de salaires, non en nature, mais en argent. Avec cet
argent - forme-monnaie d’une portion de leur propre produit - ils achetaient
des subsistances. Celles-ci existaient pour eux non comme capital, mais comme
marchandises, et eux-mêmes existaient pour ces marchandises non comme salariés,
mais comme acheteurs. En les dégageant de leurs moyens d'achat, la machine les
a convertis d'acheteurs en non-acheteurs. Et par ce fait leur demande comme
consommateurs cesse.
Si cette baisse dans la demande des subsistances
nécessaires n’est pas compensée par une hausse d'un autre côté, leur prix va
diminuer. Est-ce là par hasard une raison pour induire le capital employé dans
la production de ces subsistances, à engager comme ouvriers additionnels nos
tapissiers désœuvrés ? Bien au contraire, on commencera à réduire le salaire
des ouvriers de cette partie, si la baisse des prix se maintient quelque temps.
Si le déficit dans le débit des subsistances nécessaires se consolide, une
partie du capital consacré à leur production s'en retirera et cherchera à se
placer ailleurs. Durant ce déplacement et la baisse des prix qui l'a produite
les producteurs des vivres passeront à leur tour par des « inconvénients
temporaires ». Donc, au lieu de prouver qu'en privant des ouvriers de leurs
subsistances, la machine convertit en même temps celles-ci en nouveau fonds
d’emploi pour ceux-là, l'apologiste prouve au contraire, d'après sa loi de
l'offre et de la demande, qu'elle frappe non seulement les ouvriers qu'elle
remplace, mais aussi ceux dont ils consommaient les produits.
Les faits réels, travestis par l'optimisme
économiste, les voici :
Les ouvriers que la machine remplace sont rejetés de
l'atelier sur le marché de travail où ils viennent augmenter les forces déjà
disponibles pour l'exploitation capitaliste. Nous verrons plus tard, dans la
section VII, que cet effet des machines, présenté comme une compensation pour
la classe ouvrière en est au contraire le plus horrible fléau. Mais pour le
moment passons outre.
Les ouvriers rejetés d'un genre d'industrie peuvent
certainement chercher de l'emploi dans un autre, mais s'ils le trouvent, si le
lien entre eux et les vivres rendus disponibles avec eux est ainsi renoué,
c'est grâce à un nouveau capital qui s'est présenté sur le marché de travail,
et non grâce au capital déjà fonctionnant qui s'est converti en machine. Encore
leurs chances sont des plus précaires.
En dehors de leur ancienne occupation, ces hommes,
rabougris par la division du travail, ne sont bons qu'à peu de chose et ne
trouvent accès que dans des emplois inférieurs, mal payés, et à cause de leur
simplicité même toujours surchargés de candidats (616).
De plus, chaque industrie, la tapisserie par exemple,
attire annuellement un nouveau courant d'hommes qui lui apporte le contingent
nécessaire à suppléer les forces usées et à fournir l'excédant de forces que son
développement régulier réclame. Du moment où la machine rejette du métier ou de
la manufacture une partie des ouvriers jusque-là occupés, ce nouveau flot de
conscrits industriels est détourné de sa destination et va peu à peu se
décharger dans d'autres industries, mais les premières victimes pâtissent et
périssent pendant la période de transition.
La machine est innocente des misères qu'elle
entraîne; ce n'est pas sa faute si, dans notre milieu social, elle sépare
l'ouvrier de ses vivres. Là où elle est introduite elle rend le produit
meilleur marché et plus abondant. Après comme avant son introduction, la
société possède donc toujours au moins la même somme de vivres pour les
travailleurs déplacés, abstraction faite de l'énorme portion de son produit annuel
gaspillé par les oisifs.
C'est surtout dans l'interprétation de ce fait que
brille l'esprit courtisanesque des économistes.
D'après ces messieurs-là, les contradictions et les
antagonismes inséparables de l'emploi des machines dans le milieu bourgeois, n'existent
pas parce qu'ils proviennent non de la machine, mais de son exploitation
capitaliste !
Donc, parce que la machine, triomphe de l'homme sur
les forces naturelles, devient entre les mains capitalistes l'instrument de
l'asservissement de l'homme à ces mêmes forces; parce que, moyen infaillible
pour raccourcir le travail quotidien, elle le prolonge entre les mains
capitalistes; parce que, baguette magique pour augmenter la richesse du
producteur, elle l'appauvrit entre les mains capitalistes, parce que...
l'économiste bourgeois déclare imperturbablement que toutes ces contradictions
criantes ne sont que fausses apparences et vaines chimères et que dans la
réalité, et pour cette raison dans la théorie, elles n'existent pas.
Certes, ils ne nient pas les inconvénients
temporaires, mais quelle médaille n'a pas son revers ! Et pour eux l'emploi
capitaliste des machines en est le seul emploi possible. L'exploitation du
travailleur par la machine c'est la même chose que l'exploitation des machines
par le travailleur. Qui expose les réalités de l'emploi capitaliste des
machines, s'oppose donc à leur emploi et au progrès social (617). Ce raisonnement ne rappelle-t-il pas le plaidoyer
de Bill Sykes, l'illustre coupe-jarret ?
« Messieurs les jurés, dit-il, la gorge d'un
commis-voyageur a sans doute été coupée. Le fait existe, mais ce n'est pas ma
faute, c'est celle du couteau. Et voulez-vous supprimer le couteau à cause de
ces inconvénients temporaires ? Réfléchissez-y. Le couteau est un des
instruments les plus utiles dans les métiers et l'agriculture, aussi salutaire
en chirurgie que savant en anatomie et joyeux compagnon dans les soupers. En
condamnant le couteau vous allez nous replonger en pleine sauvagerie (618) ! »
Quoiqu'elle supprime plus ou moins d'ouvriers dans
les métiers et les manufactures où elle vient d'être introduite, la machine
peut néanmoins occasionner un surcroît d'emploi dans d'autres branches de
production, mais cet effet n'a rien de commun avec la soi-disant théorie de
compensation.
Tout produit mécanique, un mètre de tissu exécuté au
métier à vapeur, par exemple, étant meilleur marché que le produit manuel
auquel il fait concurrence, nous obtenons évidemment cette loi :
Si la quantité totale d'un article, produit
mécaniquement, reste égale à celle de l'article manuel qu'il remplace, alors la
somme totale du travail employé diminue. Si non, l'ouvrage mécanique coûterait
autant, si ce n'est davantage, que l'ouvrage manuel.
Mais, en fait, la somme des articles fabriqués, au
moyen des machines, par un nombre d'ouvriers réduit, dépasse de beaucoup la
somme des articles du même genre fournis auparavant par le métier ou la
manufacture. Mettons qu'un million de mètres de tissu à la main soient
remplacés par quatre millions de mètres de tissu à la mécanique. Ceux-ci
contiennent quatre fois plus de matière première, de laine par exemple, que
ceux-là. Il faut donc quadrupler la production de la laine. Quant aux moyens de
travail proprement dits que le tissage mécanique consomme, tels que machines,
bâtisses, charbon, etc., le travail employé dans leur production va s'accroître
suivant que s'accroît la différence entre la masse du tissu mécanique et celle
du tissu manuel qu'un ouvrier peut livrer en moyenne dans le même temps.
Néanmoins, quel que soit ce surcroît de travail, il doit toujours rester
moindre que le décroissement de travail effectué par l'usage de la machine.
A mesure donc que l'emploi de machines s'étend dans
une industrie, il faut que d'autres industries d'où elle tire ses matières
premières, etc., augmentent leurs produits. Dans quelle proportion vont-elles
alors augmenter le nombre de leurs ouvriers ? Au lieu de l'augmenter, elles
n'augmentent peut-être que l'intensité et la durée du travail. Mais celles-ci
étant données, tout dépendra de la composition du capital employé, c'est-à-dire
de la proportion de sa partie variable avec sa partie constante. Sa partie
variable sera relativement d'autant plus petite, que le machinisme s'est emparé
davantage des industries qui produisent les matières premières, etc.
Avec le progrès de la production mécanique en
Angleterre, le nombre de gens condamnés aux mines de houille et de métal
s'élève énormément. D'après le recensement de 1861, il y avait : quarante-six
mille six cent treize mineurs, dont soixante-treize mille cinq cent
quarante-cinq au-dessous et cent soixante-treize mille soixante-sept au-dessus
de vingt ans. Parmi les premiers étaient huit cent trente-cinq de cinq à dix,
trente mille sept cent un de dix à quinze, quarante-deux mille dix de quinze à
dix-neuf ans. Le nombre des ouvriers employés dans les mines de fer, de cuivre,
de plomb, de zinc et autres métaux s'élevait à trois cent dix-neuf mille deux
cent vingt-deux (619).
Les machines font éclore une nouvelle espèce
d'ouvriers exclusivement vouée à leur construction. En Angleterre elle comptait
en 1861 à peu près soixante-dix mille personnes (620). Nous savons déjà que le machinisme s'empare de
cette branche d'industrie sur une échelle de plus en plus étendue. Quant aux
matières premières (621),
il n'y a pas le moindre doute que la marche triomphante des filatures de coton
a donné une impulsion immense à la culture du coton dans les Etats-Unis,
stimulant à la fois la traite des nègres en Afrique et leur élève dans les Border
Slaves States (622).
En 1790, lorsque l'on fit aux Etats-Unis le premier recensement des esclaves,
leur nombre atteignit le chiffre de six cent quatre-vingt-dix-sept mille; en
1861 il s'était élevé à quatre millions. D'un autre côté il n'est pas moins
certain que la prospérité croissante de la filature mécanique de la laine
provoqua en Angleterre la conversion progressive des terres de labour en pacage
qui amena l'expulsion en masse des laboureurs agricoles rendus surnuméraires.
L'Irlande subit encore dans ce moment cette opération douloureuse qui déprime
sa population déjà réduite de moitié depuis vingt ans au bas niveau
correspondant aux besoins de ses propriétaires fonciers et de messieurs les
Anglais fabricants de laine.
Si le machinisme s'empare de procédés préliminaires
ou intermédiaires par lesquels doit passer un objet de travail avant d'arriver
à sa forme finale, les métiers ou les manufactures où le produit mécanique
entre comme élément, vont être plus abondamment pourvus de matériel et
absorberont plus de travail. Avant l'invention des machines à filer, les
tisserands anglais chômaient souvent à cause de l'insuffisance de leur matière
première, mais le filage mécanique du coton leur fournit les filés en telle
abondance et à si bon marché, que vers la fin du dernier siècle et au
commencement du nôtre une famille de quatre adultes avec deux enfants pour
dévider, en travaillant dix heures par jour, gagnait quatre livres sterling en
une semaine. Quand le travail pressait, elle pouvait gagner davantage (623).
Les ouvriers affluaient alors dans le tissage du
coton à la main jusqu'au moment où les huit cent mille tisserands créés par la Jenny,
la Mule et le Throstle furent écrasés par le métier à vapeur.
De même le nombre des tailleurs, des modistes, des couturières, etc., alla en
augmentant avec l'abondance des étoffes fournies par les machines, jusqu'à ce
que la machine à coudre fit son apparition.
A mesure que les machines, avec un nombre d'ouvriers
relativement faible, font grossir la masse de matières premières, de produits à
demi façonnés, d'instruments de travail, etc., les industries qui usent ces
matières premières, etc., se subdivisent de plus en plus en différentes et
nombreuses branches. La division sociale du travail reçoit ainsi une impulsion
plus puissante que par la manufacture proprement dite.
Le système mécanique augmente en premier lieu la
plus-value et la masse des produits dans lesquels elle se réalise. A mesure que
croît la substance matérielle dont la classe capitaliste et ses parasites
s'engraissent, ces espèces sociales croissent et multiplient. L'augmentation de
leur richesse, accompagnée comme elle l'est d'une diminution relative des
travailleurs engagés dans la production des marchandises de première nécessité,
fait naître avec les nouveaux besoins de luxe de nouveaux moyens de les
satisfaire. Une partie plus considérable du produit social se transforme en
produit net et une plus grande part de celui-ci est livrée à la consommation
sous des formes plus variées et plus raffinées. En d'autres termes, la
production de luxe s'accroît (624).
Le raffinement et la multiplicité variée des produits
proviennent également des nouveaux rapports du marché des deux mondes créés par
la grande industrie. On n'échange pas seulement plus de produits de luxe
étrangers contre les produits indigènes, mais plus de matières premières,
d'ingrédients, de produits à demi fabriqués provenant de toutes les parties du
monde, etc., entrent comme moyens de production dans l'industrie nationale. La
demande de travail augmente ainsi dans l'industrie des transports qui se
subdivise en branches nouvelles et nombreuses (625).
L'augmentation des moyens de travail et de
subsistance et la diminution progressive dans le nombre relatif des ouvriers
que leur production réclame poussent au développement d'entreprises de longue
haleine et dont les produits tels que canaux, docks, tunnels, ponts, etc., ne
portent de fruits que dans un avenir plus ou moins lointain.
Soit directement sur la base du système mécanique,
soit par suite des changements généraux qu'il entraîne dans la vie économique,
des industries tout à fait nouvelles surgissent, autant de nouveaux champs de
travail. La place qu'ils prennent dans la production totale n'est pas cependant
très large, même dans les pays les plus développés, et le nombre d'ouvriers
qu'ils occupent est en raison directe du travail manuel le plus grossier dont
ils font renaître le besoin.
Les principales industries de ce genre sont
aujourd'hui les fabriques de gaz, la télégraphie, la photographie, la navigation
à vapeur et les chemins de fer. Le recensement de 1861 (pour l'Angleterre et la
principauté de Galles) accuse dans l'industrie du gaz (usines, production
d'appareils mécaniques, agents des compagnies) quinze mille deux cent onze
personnes; dans la télégraphie deux mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf;
dans la photographie deux mille trois cent soixante-six, dans le service des
bateaux à vapeur trois mille cinq cent soixante-dix et dans les chemins de fer
soixante-dix mille cinq cent quatre-vingt-dix-neuf. Ce dernier nombre renferme
environ vingt-huit mille terrassiers employés d'une manière plus ou moins
permanente et tout le personnel commercial et administratif. Le chiffre total
des individus occupés dans ces cinq industries nouvelles était donc de
quatre-vingt-quatorze mille cent quarante-cinq.
Enfin l'accroissement extraordinaire de la
productivité dans les sphères de la grande industrie, accompagné comme il l'est
d'une exploitation plus intense et plus extensive de la force de travail dans
toutes les autres sphères de la production, permet d'employer progressivement
une partie plus considérable de la classe ouvrière à des services improductifs
et de reproduire notamment en proportion toujours plus grande sous le nom de
classe domestique, composée de laquais, cochers, cuisinières, bonnes, etc., les
anciens esclaves domestiques. D'après le recensement de 1861, la population de
l'Angleterre et du pays de Galles comprenait vingt millions soixante-six mille
deux cent quarante-quatre personnes dont neuf millions sept cent soixante-seize
mille deux cent cinquante-neuf du sexe masculin et dix millions deux cent
quatre-vingt-neuf mille neuf cent soixante-cinq du sexe féminin. Si l'on en
déduit ce qui est trop vieux ou trop jeune pour travailler, les femmes, les
adolescents et enfants improductifs, puis les professions « idéologiques »
telles que gouvernement, police, clergé, magistrature, armée, savants,
artistes, etc., ensuite les gens exclusivement occupés à manger le travail
d'autrui sous forme de rente foncière, d'intérêt, de dividendes, etc., et enfin
les pauvres, les vagabonds, les criminels, etc., il reste en gros huit millions
d'individus des deux sexes et de tout âge, y compris les capitalistes
fonctionnant dans la production, le commerce, la finance, etc. Sur ces huit
millions on compte :
Travailleurs agricoles (y compris les bergers, les valets et les filles de ferme, habitant chez les fermiers) |
1 098 261 |
Ouvriers des fabriques de coton, de laine, de worsted, de lin, de chanvre, de soie, de dentelle, et ceux des métiers à bas |
642 607 (626) |
Ouvriers des mines de charbon et de métal |
565 835 |
Ouvriers employés dans les usines métalliques (hauts fourneaux, laminoirs, etc.) et dans les manufactures de métal de toute espèce. |
396 998 (627) |
Classe servante |
1 208 648 (628) |
Si nous additionnons les
travailleurs employés dans les fabriques textiles et le personnel des mines de
charbon et de métal, nous obtenons le chiffre d'un million deux cent huit mille
quatre cent quarante-deux; si nous additionnons les premiers et le personnel de
toutes les usines et de toutes les manufactures de métal, nous avons un
total d'un million trente-neuf mille six cent cinq personnes, c'est-à-dire
chaque fois un nombre plus petit que celui des esclaves domestiques modernes.
Voilà le magnifique résultat de l'exploitation capitaliste des machines (629).
VII. - Répulsion et attraction des ouvriers par la fabrique. Crises de
l’industrie cotonnière.
Tous les représentants sérieux de l'économie
politique conviennent que l'introduction des machines est une calamité pour les
ouvriers manufacturiers et les artisans avec lesquels elles entrent en
concurrence; presque tous déplorent l'esclavage des ouvriers de fabrique.
Et pourtant, quel est leur grand argument ? C'est que
les désastres qui accompagnent la période d'inauguration et de développement
une fois consommés, les machines augmentent en dernier lieu le nombre des
esclaves du travail, au lieu de le diminuer ! Oui, le nectar dont l'économie
politique s'enivre est ce théorème philanthropique :
Qu'après une période de transition et d'accroissement
plus ou moins rapide, le régime de fabrique courbe sous son joug de fer plus de
travailleurs qu'à son début il n'en avait affamés par le chômage forcé.
M. Ganilh fait exception. D'après lui, les machines
ont pour résultat définitif de réduire le nombre des salariés, aux frais
,desquels va dès lors augmenter le nombre des « gens honnêtes », développant à
leur aise cette « perfectibilité perfectible » raillée avec tant de verve par
Fourier. Si peu initié qu'il soit dans les mystères de la production
capitaliste, M. Ganilh sent néanmoins le machinisme serait une chose des plus
fatales si, tout en écrasant par son introduction des ouvriers occupés, il
multipliait les esclaves du travail par son développement. Du reste, le
crétinisme de son point de vue ne peut être exprimé que par es propres paroles.
« Les classes condamnées à produire et à consommer diminuent, et les classes qui
dirigent le travail, qui soulagent, consolent et éclairent toute la population,
se multiplient... et s'approprient
tous les bienfaits
qui résultent de la diminution des frais du travail, de l'abondance des
productions et du bon marché des consommations. Dans cette direction, l'espèce
humaine s'élève aux plus hautes conceptions du génie, pénètre dans les profondeurs mystérieuses de la
religion, établit
les principes salutaires de la morale (qui consiste à s'approprier tous les
bienfaits, etc.), les lois salutaires de la liberté
(sans doute pour les classes
condamnées à produire)
et du pouvoir, de l'obéissance et de la justice, du devoir et de l'humanité (630). »
Nous avons déjà démontré, par l'exemple des fabriques
anglaises de worsted, de soie, etc., qu'à un certain degré de
développement un progrès extraordinaire dans la production peut être accompagné
d'une diminution non seulement relative mais absolue du nombre des ouvriers
employés.
D'après un recensement spécial de toutes les
fabriques du Royaume-Uni, fait en 1860 sur l'ordre du Parlement, la
circonscription échue à l'inspecteur R. Baker, celle des districts de
Lancashire, Cheshire et Yorkshire, comptait six cent cinquante-deux fabriques.
Sur ce nombre, cinq cent soixante-dix fabriques contenaient quatre-vingt-cinq
mille six cent vingt-deux métiers à vapeur et six millions huit cent dix-neuf
mille cent quarante-six broches (non compris les broches à tordre); les engins
à vapeur représentaient une force de vingt-sept mille quatre cent trente-neuf
chevaux, les roues hydrauliques une force de mille trois cent quatre-vingt-dix,
et le personnel comprenait quatre-vingt-quatorze mille cent dix-neuf ouvriers.
En 1865, au contraire, ces mêmes fabriques contenant quatre-vingt-quinze mille
cent soixante-trois métiers, sept millions vingt-cinq mille trente et une
broches et trente mille trois cent soixante-dix forces-cheval, dont vingt-huit
mille sept cent vingt-cinq pour les engins à vapeur et mille quatre cent
quarante-cinq pour les roues hydrauliques, n'occupaient que quatre-vingt-huit
mille neuf cent treize ouvriers.
De 1860 à 1865, il y avait donc une augmentation de
onze pour cent en métiers à vapeur, de trois pour cent en broches, de cinq pour
cent en force de vapeur, en même temps que le nombre des ouvriers avait diminué
de cinq pour cent (631).
De 1852 à 1862, l'industrie lainière s'accrut
considérablement en Angleterre, tandis que le nombre des ouvriers qu'elle
occupait resta presque stationnaire.
« Ceci fait voir dans quelle large mesure les
machines nouvellement introduites avaient déplacé le travail des périodes précédentes (632). »
Dans certains cas, le surcroît des ouvriers employés
n'est qu'apparent, c'est-à-dire qu'il provient, non pas de l'extension des
fabriques déjà établies, mais de l'annexion graduelle de branches non encore
soumises au régime mécanique.
« Pendant la période de 1838-58, l'augmentation des
métiers à tisser mécaniques et du nombre des ouvriers occupés par eux n'était
due qu'au progrès des fabriques anglaises de coton; dans d'autres fabriques, au
contraire, elle provenait de l'application récente de la vapeur aux métiers à
tisser la toile, les rubans, les tapis, etc., mus auparavant par la force
musculaire de l'homme (633). »
Dans ces derniers cas, l'augmentation des ouvriers de
fabrique n'exprima donc qu'une diminution du nombre total des ouvriers occupés.
Enfin, il n'est ici nullement fait mention que partout, sauf dans l'industrie
métallurgique, le personnel de fabrique est composé, pour la plus grande
partie, d'adolescents, d'enfants et de femmes.
Quelle que soit d'ailleurs la masse des travailleurs
que les machines déplacent violemment ou remplacent virtuellement, en comprend
cependant qu'avec l'établissement progressif de nouvelles fabriques et
l'agrandissement continu des anciennes, le nombre des ouvriers de fabrique
puisse finalement dans telle ou telle branche d'industrie, dépasser celui des
ouvriers manufacturiers ou des artisans qu'ils ont supplantés.
Mettons qu'avec l'ancien mode de production on
emploie hebdomadairement un capital de cinq cents livres sterling, dont deux
cinquièmes ou deux cents livres sterling forment la partie constante, avancée
en matières premières, instruments, etc., et trois cinquièmes ou trois cents
livres sterling, la partie variable, avancée en salaires, soit une livre
sterling par ouvrier. Dès que le système mécanique est introduit, la
composition de ce capital change : sur quatre cinquièmes ou quatre cents livres
sterling de capital constant, par exemple, il ne contient plus que cent livres
sterling de capital variable, convertible en force de travail. Deux tiers des
ouvriers jusque-là occupés sont donc congédiés. Si la nouvelle fabrique fait de
bonnes affaires, s'étend et parvient à élever son capital de cinq cents à mille
cinq cents livres sterling, et que les autres conditions de la production
restent les mêmes, elle occupera alors autant d'ouvriers qu'avant la révolution
industrielle, c'est-à-dire trois cents. Le capital employé s'élève-t-il encore
jusqu'à deux mille livres sterling, c'est quatre cents ouvriers qui se trouvent
dès lors occupés, un tiers de plus qu'avec l'ancien mode d'exploitation. Le
nombre des ouvriers s'est ainsi accru de cent; mais relativement, c'est-à-dire
proportionnellement au capital avancé, il s'est abaissé de huit cents, car, avec
l'ancien mode de production, le capital de deux mille livres sterling aurait
enrôlé mille deux cents ouvriers au lieu de quatre cents. Une diminution
relative des ouvriers employés est donc compatible avec leur augmentation
absolue, et dans le système mécanique, leur nombre ne croit jamais absolument
sans diminuer relativement à la grandeur du capital employé et à la masse des
marchandises produites.
Nous venons de supposer que l'accroissement du
capital total n'amène pas de changement dans sa composition, parce qu'il ne
modifie pas les conditions de la production. Mais on sait déjà qu'avec chaque
progrès du machinisme, la partie constante du capital, avancée en machines,
matières premières, etc., s'accroît, tandis que la partie variable dépensée en
force de travail diminue; et l'on sait en même temps que dans aucun autre mode
de production les perfectionnements ne sont si continuels, et par conséquent,
la composition du capital si sujette à changer. Ces changements sont cependant
toujours plus ou moins interrompus par des points d'arrêt et par une extension
purement quantitative sur la base technique donnée, et c'est ce qui fait
augmenter le nombre des ouvriers occupés. C'est ainsi que, dans les fabriques
de coton, de laine, de worsted, de lin et de soie du Royaume-Uni, le
nombre total des ouvriers employés n'atteignait en 1835 que le chiffre de trois
cent cinquante-quatre mille six cent quatre vingt-quatre, tandis qu'en 1861, le
nombre seul des tisseurs à la mécanique (des deux sexes et de tout âge à partir
de huit ans) s'élevait à deux cent trente mille six cent cinquante-quatre. Cet
accroissement, il est vrai, était acheté en Angleterre par la suppression de
huit cent mille tisserands à la main, pour ne pas parler des déplacés de l'Asie
et du continent européen (634).
Tant que l'exploitation mécanique s'étend dans une
branche d'industrie aux dépens du métier ou de la manufacture, ses succès sont
aussi certains que le seraient ceux d'une armée pourvue de fusils à aiguille
contre une armée d'arbalétriers. Cette première période pendant laquelle la
machine doit conquérir son champ d'action est d'une importance décisive, à
cause des profits extraordinaires qu'elle aide à produire. Ils ne constituent
pas seulement par eux-mêmes un fonds d'accumulation accélérée; ils attirent, en
outre, une grande partie du capital social additionnel, partout en voie de
formation, et à la recherche de nouveaux placements dans les sphères de
production privilégiées. Les avantages particuliers de la première période
d'activité fiévreuse se renouvellent partout où les machines viennent d'être
introduites. Mais dès que la fabrique a acquis une certaine assiette et un
certain degré de maturité; dès que sa base technique, c'est-à-dire la machine,
est reproduite au moyen de machines; dès que le mode d'extraction du charbon et
du fer, ainsi que la manipulation des métaux et les voies de transport, ont été
révolutionnés; en un mot, dès que les conditions générales de production sont
adaptées aux exigences de la grande industrie, dès lors ce genre d'exploitation
acquiert une élasticité et une faculté de s'étendre soudainement et par bonds
qui ne rencontrent d'autres limites que celles de la matière première et du
débouché.
D'une part, les machines effectuent directement
l'augmentation de matières premières, comme, par exemple, le cotton-gin a
augmenté la production du coton (635),
d'autre part, le bas prix des produits de fabrique et le perfectionnement des
voies de communication et de transport fournissent des armes pour la conquête
des marchés étrangers. En ruinant par la concurrence leur main-d'oeuvre
indigène, l'industrie mécanique les transforme forcément en champs de
production des matières premières dont elle a besoin. C'est ainsi que l'Inde a
été contrainte de produire du coton, de la laine, du chanvre, de l'indigo,
etc., pour la Grande-Bretagne (636).
En rendant surnuméraire là où elle réside une partie
de la classe productive, la grande industrie nécessite l'émigration, et par
conséquent, la colonisation de contrées étrangères qui se transforment en
greniers de matières premières pour la mèrepatrie; c'est ainsi que l'Australie
est devenue un immense magasin de laine pour l'Angleterre (637).
Une nouvelle division internationale du travail,
imposée par les sièges principaux de la grande industrie, convertit de cette
façon une partie du globe en champ de production agricole pour l'autre partie,
qui devient par excellence le champ de production industriel (638).
Cette révolution va de pair avec des bouleversements
dans l'agriculture, sur lesquels nous ne nous arrêterons pas en ce moment (639).
L'expansibilité immense et intermittente du système
de fabrique jointe à sa dépendance du marché universel, enfante nécessairement
une production fiévreuse suivie d'un encombrement des marchés dont la
contraction amène la paralysie. La vie de l'industrie se transforme ainsi en série
de périodes d'activité moyenne, de prospérité, de surproduction, de crise et de
stagnation. L'incertitude et l'instabilité auxquelles l'exploitation mécanique
soumet le travail finissent par se consolider et par devenir l'état normal de
l'ouvrier, grâce à ces variations périodiques du cycle industriel. A part les
époques de prospérité, la lutte la plus acharnée s'engage entre les
capitalistes pour leur place au marché et leurs profits personnels, qui sont en
raison directe du bas prix de leurs produits. C'est donc à qui emploiera les
machines les plus perfectionnées pour supplanter l'ouvrier, et les méthodes de
production les plus savantes. Mais cela même ne suffit pas, et il arrive
toujours un moment où ils s'efforcent d'abaisser le prix des marchandises en
déprimant le salaire au-dessous de la valeur de la force de travail (640).
L'accroissement dans le nombre des ouvriers de la
fabrique a pour condition un accroissement proportionnellement beaucoup plus
rapide du capital qui s'y trouve engagé. Mais ce mouvement ne s'accomplit que
dans les périodes de flux et de reflux du cycle industriel. Il est, en outre,
toujours interrompu par le progrès technique qui tantôt remplace des ouvriers
virtuellement, et tantôt les supprime actuellement. Ce changement qualitatif
dans l'industrie mécanique, éloigne sans cesse des ouvriers de la fabrique ou
en ferme la porte aux nouvelles recrues qui se présentent, tandis que
l'extension quantitative des fabriques engloutit, avec les ouvriers jetés
dehors, les nouveaux contingents. Les ouvriers sont ainsi alternativement
attirés et repoussés, ballottés de côté et d'autre, et ce mouvement de
répulsion et d'attraction est accompagné de changements continuels dans l'âge,
le sexe et l'habileté des enrôlés.
Pour apprécier les vicissitudes de l'ouvrier de
fabrique, rien ne vaut comme un coup d’œil rapide jeté sur les vicissitudes de
l'industrie cotonnière anglaise.
De 1770 à 1815 l'industrie cotonnière subit cinq
années de malaise ou de stagnation. Pendant cette première période de
quarante-cinq ans, les fabricants anglais possédaient le monopole des machines
et du marché universel. De 1815 à 1821, malaise; 1822 à 1823, prospérité; 1824,
les lois de coalition sont abolies; les fabriques prennent de tous côtés une
grande extension; 1825, crise; 1826, grande misère et révoltes parmi les
ouvriers; 1827, légère amélioration; 1828, grand accroissement dans le nombre
des métiers à vapeur et dans l'exportation; 1829, l'exportation, pour l'Inde
particulièrement, dépasse celle de toutes les années précédentes; 1830,
encombrement des marchés, grande détresse; de 1831 à 1833, malaise persistant;
le commerce de l’Asie orientale (Inde et Chine) est arraché au monopole de la
Compagnie des Indes; 1834, grand accroissement des fabriques et des machines,
manque de bras; la nouvelle loi des pauvres active la migration des ouvriers
agricoles dans les districts manufacturiers; rafle d'enfants dans les comtés
ruraux, commerce d'esclaves blancs; 1835, grande prospérité, mais en même temps
les tisseurs à la main meurent de faim; 1836, point culminant; 1837 et 1838,
décadence, malaise, crise; 1839, reprise; 1840, grande dépression, révoltes,
intervention de la force armée; 1841 et 1842, souffrances terribles des
ouvriers de fabrique; 1842, les fabricants de Manchester chassent les ouvriers
des fabriques pour obtenir le rappel des lois sur les céréales. Les ouvriers
refoulés par les soldats se jettent par milliers dans le Yorkshire, et leurs
chefs comparaissent devant le tribunal de Lancaster; 1843, grande misère;
11844, amélioration; 1845, grande prospérité; 1846, le mouvement ascendant
continue d'abord, symptômes de réaction à la fin; abrogation des lois sur les
céréales; 1847, crise; réduction générale des salaires de dix pour cent et
davantage pour fêter le « big loaf ». (Le pain d'une grosseur immense que
messieurs les libre-échangistes avaient promis pendant leur agitation contre
les lois céréales.) 1848, gêne persistante; Manchester protégé par les soldats;
1849, reprise; 1850, prospérité; 1851, baisse de prix des marchandises,
salaires réduits, grèves fréquentes; 1852, commencement d'amélioration, les
grèves continuent, les fabricants menacent de faire venir des ouvriers
étrangers; 1853, exportation croissante; grève de huit mois et grande misère à
Preston; 1854, prospérité; 1855, encombrement des marchés; des banqueroutes
nombreuses sont annoncées des Etats-Unis, du Canada et de l'Asie orientale;
1856, grande prospérité; 1857, crise; 1858, amélioration; 1859, grande
prospérité, augmentation du nombre des fabriques; 1860, zénith de l'industrie
cotonnière anglaise : les marchés de l'Inde, de l'Australie et d'autres
contrées sont tellement encombrés que c'est à peine si, en 1863, ils ont
absorbé toute cette pacotille; traité de commerce anglo-français, énorme
développement des fabriques et du machinisme; 1861, prospérité momentanée;
réaction; guerre civile américaine, crise cotonnière; de 1862 à 1863,
écroulement complet.
L'histoire de la disette de coton (coton famine)
est trop caractéristique pour que nous ne nous y arrêtions pas un instant.
La statistique des marchés de 1860 à 1861 montre que la crise cotonnière arriva
fort à propos pour les fabricants et leur fut très avantageuse. Le fait a été
reconnu dans les rapports de la Chambre de commerce de Manchester, proclamé
dans le Parlement par Lord Palmerston et Lord Derby, confirmé enfin par les
événements (641). En 1861, parmi les deux mille
huit cent quatre-vingt-sept fabriques de coton du Royaume-Uni, il y en avait
assurément beaucoup de petites. D'après le rapport de l'inspecteur A.
Redgrave, dont la circonscription administrative comprenait deux mille cent
neuf fabriques, trois cent quatre-vingt-douze ou dix-neuf pour cent de
celles-ci employaient une force de moins de dix chevaux-vapeur, trois cent
quarante-cinq ou seize pour cent une force entre dix et vingt chevaux, et mille
trois cent soixante-douze au contraire une force de vingt chevaux et davantage (642). La plus grande partie des petites
fabriques avait été établie pendant la période de prospérité depuis 1858, en
général par des spéculateurs dont l'un fournissait les filés, l'autre les
machines, un troisième les bâtiments, et elles étaient dirigées par d'anciens
contremaîtres ou par d'autres gens sans moyens. Presque tous ces petits patrons
furent ruinés. Bien qu'ils formassent un tiers du nombre des fabricants, leurs
ateliers n'absorbaient qu'une part comparativement très faible du capital
engagé dans l'industrie cotonnière.
En ce qui regarde l'étendue de la crise, il est
établi, par des évaluations authentiques, qu'en octobre 1862, soixante pour
cent des broches, et cinquante-huit pour cent des métiers ne marchaient plus.
Ceci n'a trait qu'à l'ensemble de cette branche d'industrie, et se trouvait
naturellement modifié dans les districts pris isolément. Un petit nombre de
fabriques seulement travaillaient le temps entier, soixante heures par semaine;
le reste ne fonctionnait que de temps à autre.
Même les quelques ouvriers qui travaillaient tout le
temps et pour le salaire aux pièces ordinaire, voyaient leur revenu
hebdomadaire se réduire infailliblement par suite du remplacement d'une qualité
supérieure de coton par une qualité inférieure, du Sea Island par celui
d'Égypte, de ce dernier et de celui d'Amérique par le Surate, et du coton pur
par un mélange de Surate et de déchet. La fibre plus courte du Surate, sa
nature crasseuse, la plus grande fragilité de ses filés, l'emploi de toute
espèce d'ingrédients excessivement lourds à la place de la farine pour
l'encollage du fil de la chaîne, etc., diminuaient la rapidité de la machine ou
le nombre des métiers qu'un tisseur pouvait surveiller, augmentaient le travail
en raison des difficultés mécaniques et réduisaient le salaire en même temps
que la masse des produits. La perte des ouvriers. causée par l'emploi du
Surate, se montait à vingt ou trente pour cent et même davantage, bien qu'ils
fussent occupés tout leur temps. Or la plupart des fabricants abaissaient alors
aussi le taux du salaire de cinq, sept et demi et dix pour cent.
On pourra donc se représenter la situation des
ouvriers qui n'étaient occupés que trois, trois et demi, quatre jours par
semaine ou six heures par jour. En 1863, alors que l'état des choses s'était
déjà relativement amélioré, les salaires hebdomadaires des tisseurs, fileurs,
etc., étaient de trois shillings quatre pence, trois shillings dix pence,
quatre shillings six pence, cinq shillings un penny, etc. (643). Au milieu de ces circonstances malheureuses, le
génie inventeur des fabricants abondait en prétextes pour imaginer des retenues
sur ces maigres salaires. C'étaient parfois des amendes que l'ouvrier avait à
payer pour les défauts de la marchandise dus à la mauvaise qualité du coton, à
l'imperfection des machines, etc. Mais lorsque le fabricant était propriétaire
des cottages des ouvriers, il commençait par se payer le prix du loyer sur le
salaire nominal. L'inspecteur Redgrave parle de self-acting minders (ouvriers
qui surveillent une paire de mules automatiques), lesquels gagnaient huit
shilling onze pence après quinze jours pleins de travail. Sur cette somme était
d'abord déduit le loyer, dont le fabricant rendait cependant la moitié à titre
de don gratuit, de sorte que les ouvriers rentraient chez eux avec six
shillings onze pence pour tout potage. Le salaire hebdomadaire des tisseurs
n'était souvent que de deux shillings six pence pendant les derniers mois de
1862 (644). Alors même que les bras ne
travaillaient que peu de temps, le loyer n'en était pas moins fort souvent
retenu sur le salaire (645).
Rien d'étonnant si, dans quelques parties du Lancashire, une sorte de peste de
famine venait à se déclarer. Mais quelque chose d'encore plus affreux, c'est la
manière dont les changements dans les procédés de production s'effectuaient aux
dépens de l'ouvrier. C'étaient de véritables expériences in corpore vili, comme
celles des vivisecteurs sur les grenouilles et autres animaux à expériences.
« Bien que j'aie fait connaître les recettes réelles
des ouvriers dans beaucoup de fabriques, dit l'inspecteur Redgrave, il ne faut
pas croire qu'ils perçoivent la même somme par semaine. Ils subissent les
fluctuations les plus considérables par suite des expérimentations
(expérimentalizing) continuelles des fabricants... leurs salaires s'élèvent et
s'abaissent suivant la qualité des mélanges faits avec le coton; tantôt ils ne
s'écartent que de quinze pour cent de leur taux normal, et une ou deux semaines
après, l'écart est de cinquante à soixante pour cent (646). »
Et ces essais ne coûtaient pas seulement à l'ouvrier
une bonne partie de ses vivres, il les lui fallait payer encore avec les
souffrances de ses cinq sens à la fois.
« Ceux qui sont chargés de nettoyer le coton
m'assurent que l'odeur insupportable qui s'en dégage les rend malades... Dans
la salle où l'on carde et où l'on fait les mélanges, la poussière et la saleté
causent des irritations dans toutes les ouvertures de la tête, excitent la toux
et rendent la respiration difficile... Pour l'encollage des filés dont les
fibres sont courtes, on emploie au lieu de la farine d'abord usitée une
multitude de matières différentes. C'est là une cause de nausée et de dyspepsie
chez les tisseurs. La poussière occasionne des bronchites, des inflammations de
la gorge, et les saletés contenues dans le Surate engendrent des maladies
cutanées par suite de l'irritation de la peau. »
D'autre part les matières substituées à la farine
étaient pour les fabricants, grâce au poids qu'elles ajoutaient aux filés, un
vrai sac de Fortunatus.
« Grâce à elles, quinze livres de matières premières
une fois tissées pesaient vingt livres (647). »
On lit dans les rapports des inspecteurs de fabrique
du 30 avril 1864.
« L'industrie exploite aujourd'hui cette source de
profits d'une manière vraiment indécente. Je sais de bonne source qu'un tissu
de huit livres est fait avec cinq livres de coton et deux livres trois quarts
de colle. Il entrait deux livres de colle dans un autre tissu de cinq livres un
quart. C'étaient des chemises ordinaires pour l'exportation. Dans d'autres
espèces de tissus la colle constituait parfois cinquante pour cent du tout, de
sorte que les fabricants pouvaient se vanter et se vantaient, en effet, de
devenir riches en vendant des tissus pour moins d'argent que n'en coûtaient
nominalement les filés qu'ils contenaient (648). »
Mais les ouvriers n'avaient pas seulement à souffrir
des expériences des fabricants et des municipalités, du manque de travail et de
la réduction des salaires, de la pénurie et de l'aumône, des éloges des lords
et des membres de la Chambre des communes.
« De malheureuses filles, sans occupation par suite
de la crise cotonnière, devinrent le rebut de la société et restèrent telles...
Le nombre des jeunes prostituées s'est plus accru que depuis les vingt-cinq
dernières années (649).
»
On ne trouve donc dans les
quarante-cinq premières années de l'industrie cotonnière anglaise, de 1770 à
1815, que cinq années de crise et de stagnation; mais c'était alors l'époque de
son monopole sur le monde entier. La seconde période de quarante-huit ans, de
1815 à 1863, ne compte que vingt années de reprise et de prospérité contre
vingt-huit de malaise et de stagnation. De 1815 à 1830, commence la concurrence
avec l'Europe continentale et les Etats-Unis. A partir de 1833 les marchés de
l'Asie sont conquis et développés au prix « de la destruction de la race
humaine ». Depuis l'abrogation de la loi des céréales, de 1846 à 1863, pour
huit années d'activité et de prospérité on en compte neuf de crise et de
stagnation. Quant à ce qui est de la situation des ouvriers adultes de
l'industrie cotonnière, même pendant les temps de prospérité, on peut en juger
par la note ci-dessous (650).
VIII. - Révolution opérée dans la manufacture, le métier et le travail à
domicile par la grande industrie
A. Suppression de la coopération fondée sur le métier et la division du
travail
Nous avons vu comment l'exploitation mécanique
supprime la coopération fondée sur le métier et la manufacture basée sur la
division du travail manuel. La machine à faucher nous fournit un exemple du
premier mode de suppression. Elle remplace la coopération d'un certain nombre
de faucheurs. La machine à fabriquer les épingles nous fournit un exemple
frappant du second. D'après Adam Smith, dix hommes fabriquaient de son temps, au
moyen de la division du travail, plus de quarante-huit mille épingles par jour.
Une seule machine en fournit aujourd'hui cent quarante-cinq mille dans une
journée de travail de onze heures. Il suffit d'une femme ou d'une jeune fille
pour surveiller quatre machines semblables et pour produire environ six cent
mille épingles par jour et plus de trois millions par semaine (651).
Quand une machine-outil isolée prend la place de la
coopération ou de la manufacture, elle peut elle-même devenir la base d'un
nouveau métier. Cependant cette reproduction du métier d'un artisan sur la base
de machines ne sert que de transition au régime de fabrique, qui apparaît
d'ordinaire dès que l'eau ou la vapeur remplacent les muscles humains comme force
motrice. Çà et là la petite industrie peut fonctionner transitoirement avec un
moteur mécanique, en louant la vapeur, comme dans quelques manufactures de
Birmingham, ou en se servant de petites machines caloriques, comme dans
certaines branches du tissage, etc (652).
A Coventry, l'essai des Cottage-Factories (fabriques
dans des cottages) se développa d'une manière spontanée pour le tissage de la
soie. Au milieu de rangées de cottages bâtis en carré, on construisit un local
dit Engine-House (maison-machine) pour l'engin à vapeur, mis en
communication par des arbres avec les métiers à tisser des cottages. Dans tous
les cas, la vapeur était louée, par exemple, à deux shillings et demi par
métier. Ce loyer était payable par semaine, que les métiers fonctionnassent ou
non. Chaque cottage contenait de deux à six métiers, appartenant aux
travailleurs, achetés à crédit ou loués. La lutte entre la fabrique de ce genre
et la fabrique proprement dite dura plus de douze ans; elle se termina par la
ruine complète des trois cents Cottage-Factories (653).
Quand le procès de travail n'exigeait pas par sa
nature même la production sur une grande échelle, les industries écloses dans
les trente dernières années, telles que, par exemple, celles des enveloppes,
des plumes d'acier, etc., passaient régulièrement, d'abord par l'état de
métier, puis par la manufacture, comme phases de transition rapide, pour
arriver finalement au régime de fabrique. Cette métamorphose rencontre les plus
grandes difficultés, lorsque le produit manufacturier, au lieu de parcourir une
série d'opérations graduées, résulte d'une multitude d'opérations disparates.
Tel est l'obstacle qu'eut à vaincre la fabrication des plumes d'acier. On a
inventé néanmoins, il y a environ une vingtaine d'années, un automate exécutant
d'un seul coup six de ces opérations.
En 1820, les premières douzaines de plumes d'acier
furent fournies par le métier au prix de sept livres sterling quatre shillings;
en 1830, la manufacture les livra pour huit shillings, et la fabrique les livre
aujourd'hui au commerce en gros au prix de deux à six pence (654).
B. Réaction de la fabrique sur la manufacture et le travail à domicile.
A mesure que la grande industrie se développe et
amène dans l'agriculture une révolution correspondante, on voit non seulement
l'échelle de la production s'étendre dans toutes les autres branches
d'industrie, mais encore leur caractère se transformer Le principe du système
mécanique qui consiste à analyser le procès de production dans ses phases
constituantes et à résoudre les problèmes ainsi éclos au moyen de la mécanique,
de la chimie, etc., en un mot, des sciences naturelles, finit par s'imposer
partout. Le machinisme s'empare donc tantôt de tel procédé, tantôt de tel autre
dans les anciennes manufactures où son intrusion entraîne des changements
continuels et agit comme un dissolvant de leur organisation due à une division
de travail presque cristallisée. La composition du travailleur collectif ou du
personnel de travail combiné est aussi bouleversée de fond en comble. En
contraste avec la période manufacturière, le plan de la division de travail se
base dès lors sur l'emploi du travail des femmes, des enfants de tout âge, des
ouvriers inhabiles, bref, du cheap labour ou du travail à bon marché,
comme disent les Anglais. Et ceci ne s'applique pas seulement à la production
combinée sur une grande échelle, qu'elle emploie ou non des machines, mais
encore à la soi-disant industrie à domicile, qu'elle se pratique dans la
demeure privée des ouvriers ou dans de petits ateliers. Cette prétendue
industrie domestique n'a rien de commun que le nom avec l'ancienne industrie
domestique qui suppose le métier indépendant dans les villes, la petite
agriculture indépendante dans les campagnes, et, par-dessus tout, un foyer
appartenant à la famille ouvrière. Elle s'est convertie maintenant en
département externe de la fabrique, de la manufacture ou du magasin de
marchandises. Outre les ouvriers de fabrique, les ouvriers manufacturiers et
les artisans qu'il concentre par grandes masses dans de vastes ateliers, où il
les commande directement, le capital possède une autre armée industrielle,
disséminée dans les grandes villes et dans les campagnes, qu'il dirige au moyen
de fils invisibles; exemple : la fabrique de chemises de MM. Tillie, à
Londonderry, en Irlande, laquelle occupe mille ouvriers de fabrique proprement
dits et neuf mille ouvriers à domicile disséminés dans la campagne
(655).
L'exploitation de travailleurs non parvenus à
maturité, ou simplement à bon marché, se pratique avec plus de cynisme dans
manufacture moderne que dans la fabrique proprement dite, parce que la base technique
de celle-ci, le remplacement de la force musculaire par des machines, fait en
grande partie défaut dans celle-là. Ajoutons que les organes de la femme ou de
l'enfant y sont exposés sans le moindre scrupule à l'action pernicieuse de
substances délétères, etc. Dans l'industrie à domicile, cette exploitation
devient plus scandaleuse encore que dans la manufacture, parce que la faculté
de résistance des travailleurs diminue raison de leur dispersion, et que toute
une bande de ces parasites se faufile entre l'entrepreneur et l'ouvrier.
Ce n’est pas tout : le travail à domicile lutte
partout dans sa propre branche d'industrie avec les machines ou du moins avec
la manufacture; l'ouvrier trop pauvre ne peut s'y procurer les conditions les
plus nécessaires de son travail, telles que l'espace, l’air, la lumière, etc.,
et, enfin, c'est là, dans ce dernier refuge des victimes de la grande industrie
et de la grande agriculture que la concurrence entre travailleurs atteint
nécessairement son maximum.
On a vu que l'industrie mécanique développe et
organise pour la première fois d'une manière systématique l'économie des moyens
de production, mais dans le régime capitaliste cette économie revêt un
caractère double et antagonique. Pour atteindre un effet utile avec le minimum
de dépense, on a recours au machinisme et aux combinaisons sociales de travail
qu'il fait éclore. De l'autre côté dès l'origine des fabriques, l'économie des
frais se fait simultanément par la dilapidation la plus effrénée de la force de
travail, et la lésinerie la plus éhontée sur les conditions normales de son
fonctionnement. Aujourd'hui, moins est développée la base technique de la
grande industrie dans une sphère d'exploitation capitaliste, plus y est
développé ce côté négatif et homicide de l'économie des frais.
C. La manufacture moderne.
Nous allons maintenant éclaircir par quelques
exemples les propositions qui précèdent, dont le lecteur a, du reste, déjà
trouvé de nombreuses preuves dans le chapitre sur la journée de travail.
Les manufactures de métal à Birmingham et aux
environs emploient, pour un travail presque toujours très rude, trente mille
enfants et adolescents, avec environ dix mille femmes. Ce personnel se trouve
dans des fonderies en cuivre, des manufactures de boutons, des ateliers de
vernissage, d'émaillure et autres tout aussi insalubres (656). L'excès de travail des adultes et des adolescents
dans quelques imprimeries de Londres pour livres et journaux a valu à ces
établissements le nom glorieux d'abattoirs (657). Dans les ateliers de reliure, on rencontre les
mêmes excès et les mêmes victimes, surtout parmi les jeunes filles et les
enfants. Le travail est également dur pour les adolescents dans les corderies;
les salines, les manufactures de bougies et d'autres produits chimiques font
travailler la nuit, et le tissage de la soie sans l'aide des machines est une
besogne meurtrière pour les jeunes garçons employés à tourner les métiers (658). Un des travaux les plus sales,
les plus infâmes et les moins payés, dont on charge de préférence des femmes et
des jeunes filles, c'est le délissage des chiffons. On sait que la
Grande-Bretagne, indépendamment de la masse innombrable de ses propres guenilles,
est l'entrepôt du commerce des haillons pour le monde entier. Ils y arrivent du
Japon, des États les plus éloignés de l'Amérique du Sud et des Canaries. Mais
les sources principales d'approvisionnement sont l'Allemagne, la France, la
Russie, l'Italie, l'Égypte, la Turquie, la Belgique et la Hollande. Ils servent
aux engrais, à la fabrication de bourre pour les matelas, et comme matière
première du papier. Les délisseuses de chiffons servent de mediums pour
colporter la petite vérole et d'autres pestes contagieuses dont elles sont les
premières victimes (659).
A côté de l'exploitation des mines et des houilles,
l'Angleterre fournit un autre exemple classique d'un travail excessif, pénible
et toujours accompagné de traitements brutaux à l'égard des ouvriers qui y sont
enrôlés dès leur plus tendre enfance, la fabrication des tuiles ou des briques,
où l'on n'emploie guère les machines nouvellement inventées. De mai à
septembre, le travail dure de 5 heures du matin à 8 heures du soir, et quand le
séchage a lieu en plein air, de 4 heures du matin à 9 heures du soir. La
journée de travail de 5 heures du matin à 7 heures du soir passe pour une
journée « réduite », « modérée ». Des enfants des deux sexes sont embauchés à
partir de l'âge de six et même de quatre ans. Ils travaillent le même nombre
d'heures que les adultes, et souvent davantage. La besogne est pénible et la
chaleur du soleil augmente encore leur épuisement. A Mosley, par exemple, dans
une tuilerie, une fille de vingt-quatre ans faisait deux mille tuiles par jour,
n'ayant pour l'aider que deux autres filles, à peine sorties de l'enfance, qui
portaient la terre glaise et empilaient les carreaux. Ces jeunes filles
traînaient par jour dix tonnes sur les parois glissantes de la fosse, d'une
profondeur de cinquante pieds à une distance de deux cent dix.
« Il est impossible, pour des enfants, de passer par
ce purgatoire sans tomber dans une grande dégradation morale... Le langage
ignoble qu'ils entendent dès l'âge le plus tendre, les habitudes dégoûtantes,
obscènes et dévergondées au milieu desquelles ils grandissent et s'abrutissent
sans le savoir, les rendent pour le reste de leur vie dissolus, abjects,
libertins... Une source terrible de démoralisation, c'est surtout le mode d'habitation.
Chaque moulder (c'est-à-dire l'ouvrier expérimenté et chef d'un groupe de
briquetiers) fournit à sa troupe de sept personnes le logement et la table dans
sa cabane. Qu'ils appartiennent ou non à sa famille, hommes, garçons, filles
dorment dans ce taudis, composé ordinairement de deux chambres, de trois au
plus, le tout au rez-de-chaussée et avec peu d'ouvertures. Les corps sont si
épuisés par leur grande transpiration pendant le jour, que toute précaution
pour la santé y est complètement négligée, aussi bien que la propreté et la
décence. Un grand nombre de ces bicoques sont de vrais modèles de désordre et
de saleté... Le pire côté de ce système, c'est que les jeunes filles qu'il
emploie à ce genre de travail sont dès leur enfance et pour toute leur vie
associées à la canaille la plus abjecte. Elles deviennent de vrais gamins
grossiers et mal embouchés (rough, foulmouthed boys), avant que la nature leur
ait appris qu'elles sont femmes. Vêtues de quelques sales haillons, les jambes
nues jusqu'au-dessus du genou, le visage et les cheveux couverts de boue, elles
en arrivent à rejeter avec dédain tout sentiment de modestie et de pudeur.
Pendant les repas, elles restent étendues de leur long sur le sol ou regardent
les garçons qui se baignent dans un canal voisin. Leur rude labeur de la
journée une fois terminé, elles s'habillent plus proprement et accompagnent les
hommes dans les cabarets. Quoi d’étonnant que l'ivrognerie règne au plus haut
degré dans ce milieu ? Le pis, c'est que les briquetiers désespèrent
d'eux-mêmes. Vous feriez tout aussi bien, disait un des meilleurs d’entre eux
au chapelain de Southallfields, de tenter de relever et d'améliorer le diable
qu'un briquetier (You might as well try raise and improve the devil as a
brickle, sir.) (660).
»
On trouve dans le « IV° Rapport sur la
santé publique » (1861) et dans le VI° (1864) les renseignements
officiels les plus détaillés, sur la manière dont le capital économise les
conditions du travail dans la manufacture moderne, laquelle comprend, excepté
les fabriques proprement dites, tous les ateliers établis sur une grande
échelle. La description des ateliers, surtout de ceux des imprimeurs et des
tailleurs de Londres, dépasse de beaucoup tout ce que les romanciers ont pu imaginer
de plus révoltant. Leur influence sur la santé des ouvriers se comprend
d'elle-même. Le docteur Simon, l'employé médical supérieur du Privy Council,
et l'éditeur officiel des « Rapports sur la santé publique », dit :
« J'ai montré dans mon quatrième rapport (1863)
comment il est pratiquement impossible aux travailleurs de faire valoir ce
qu'on peut appeler leur droit à la santé, c'est-à-dire d'obtenir que, quel que
soit l'ouvrage pour lequel on les rassemble, l'entrepreneur débarrasse leur
travail, autant que cela est en lui, de toutes les conditions insalubres qui
peuvent être évitées. J'ai démontré que les travailleurs, pratiquement
incapables de se procurer par eux-mêmes cette justice sanitaire, n'ont aucune
aide efficace à attendre des administrateurs de la police sanitaire... La vie
de myriades d'ouvriers et d'ouvrières est aujourd'hui inutilement torturée et
abrégée par les souffrances physiques interminables qu'engendre seul leur mode
d'occupation (661).
»
Pour démontrer ad oculos l'influence qu'exerce
l'atelier sur la santé des ouvriers, le docteur Simon présente la liste de
mortalité qui suit .
Nombre de personnes de tout âge employées dans les
industries ci-contre |
Industries comparées sous le rapport de la santé |
Chiffre de mortalité sur 100 000 hommes dans ces
industries |
||
de 25 à 35 ans |
de 35 à 45 ans |
de 45 à 55 ans |
||
958 265 |
Agriculture en
Angleterre et le comté de Galles |
743 |
805 |
1 145 |
22 301 hom.
12 379 fem. |
Tailleurs de Londres |
958 |
1262 |
2093 |
13 803 |
Imprimeurs de Londres |
894 |
1747 |
D. Le travail moderne à domicile
Examinons maintenant le prétendu travail à domicile. Pour
se faire une idée de cette sphère d'exploitation capitaliste qui forme
l'arrière-train de la grande industrie, il suffit de jeter un coup d'oeil sur
un genre de travail presque idyllique en apparence, celui de la clouterie, tel
qu'il se pratique en Angleterre, dans quelques villages reculés
(663). Les exemples que nous allons citer sont empruntés à
ces branches de la fabrication de la dentelle et de la paille tressée où l'on n'emploie
pas encore les machines, ou bien qui sont en concurrence avec des fabriques
mécaniques et des manufactures.
Des cent cinquante mille personnes qu'occupe en
Angleterre la production des dentelles, dix mille environ sont soumises à
l'acte de fabrique de 1861. L'immense majorité des cent quarante mille
qui restent se compose de femmes, d'adolescents et d'enfants des deux sexes,
bien que le sexe masculin n'y soit que faiblement représenté. L'état de santé
de ce matériel d'exploitation à bon marché est dépeint dans le tableau suivant
du docteur Trueman, médecin du dispensaire général de Nottingham. Sur six cent
quatre-vingt-six dentellières, âgées pour la plupart de dix-sept à vingt-quatre
ans, le nombre des phtisiques était :
1852 : 1 sur 45 |
1855 : 1 sur 18 |
1858 : 1 sur 15 |
1861 : 1 sur 8 (664) |
1853 : 1 sur 28 |
1856 : 1 sur 15 |
1859 : 1 sur 9 |
|
1854 : 1 sur 17 |
1857 : 1 sur 13 |
1860 : 1 sur 8 |
Ce progrès dans la marche de la phtisie doit
satisfaire le progressiste le plus optimiste et le plus effronté
commis-voyageur du libre-échange.
La loi de fabrique de 1861 règle la
fabrication des dentelles, en tant qu'elle s'effectue au moyen des machines. Les
branches de cette industrie que nous allons examiner brièvement, et seulement
par rapport aux soi-disant ouvriers à domicile, se réduisent à deux sections.
L'une comprend ce qu'on nomme le lace finishing (c'est-à-dire la
dernière manipulation des dentelles fabriquées à la mécanique, et cette
catégorie contient elle-même des sous-divisions nombreuses); l'autre le
tricotage des dentelles.
Le lace finishing est exécuté comme travail à
domicile, soit dans ce qu'on nomme des « mistresses houses »
(maisons de patronnes), soit par des femmes, seules ou aidées de leurs enfants,
dans leurs chambres. Les femmes qui tiennent les « mistresses houses » sont
pauvres. Le local de travail constitue une partie de leur habitation. Elles
reçoivent des commandes des fabricants, des propriétaires de magasins, etc., et
emploient des femmes, des enfants, des jeunes filles, suivant la dimension de
leurs logements et les fluctuations de la demande dans leur partie. Le nombre
des ouvrières occupées varie de vingt à quarante dans quelques-uns de ces
ateliers, de dix à vingt dans les autres. Les enfants commencent en moyenne
vers six ans, quelques-uns même au-dessous de cinq. Le temps de travail
ordinaire dure de 8 heures du matin à 8 heures du soir, avec une heure et demie
pour les repas qui sont pris irrégulièrement et souvent même dans le taudis
infect de l'atelier. Quand les affaires vont bien le travail dure souvent de 8
heures, quelquefois de 6 heures du matin jusqu'à 10, 11 heures du soir et
minuit.
Dans les casernes anglaises, l'espace prescrit pour
chaque soldat comporte de cinq cents à six cents pieds cubes, dans les lazarets
militaires : deux cents. Dans ces affreux taudis il revient à chaque personne
de soixante-sept à cent pieds cubes. L'oxygène de l'air y est en outre dévoré
par le gaz. Pour tenir les dentelles propres, les enfants doivent souvent ôter
leurs souliers, même en hiver, quoique le plancher soit carrelé de dalles ou de
briques.
« Il n'est pas rare de voir à Nottingham quinze ou
vingt enfants empilés comme des harengs dans une petite chambre qui n'a pas
plus de douze pieds carrés, occupés quinze heures sur vingt-quatre à un travail
d'une monotonie écrasante et au milieu de toutes les conditions funestes à la
santé... Même les plus jeunes d'entre eux travaillent avec une attention
soutenue et une célérité qui étonnent, ne permettant jamais à leurs doigts
d'aller moins vite ou de se reposer. Si on leur adresse des questions, ils ne
lèvent pas les yeux de leur travail, de crainte de perdre un seul instant. »
Les patronnes ne dédaignent pas d'employer « un grand
bâton » pour entretenir l'activité, suivant que le temps de travail est plus ou
moins prolongé.
« Les enfants se fatiguent peu à peu et deviennent
d'une agitation fébrile et perpétuelle vers la fin de leur long
assujettissement à une occupation toujours la même qui fatigue la vue et épuise
le corps par l'uniformité de position qu'elle exige. C'est en fait un travail
d'esclave (Their work like slavery) (665). »
Là où les femmes travaillent chez elles avec leurs
enfants, c'est-à-dire dans une chambre louée, fréquemment dans une mansarde, la
situation est encore pire, si c'est possible. Ce genre de travail se pratique
dans un cercle de quatre-vingts milles aux environs de Nottingham. Quand
l'enfant occupé dans un magasin le quitte vers 9 ou 10 heures du soir, on lui
donne souvent un trousseau à terminer chez lui. « C'est pour la maman », dit en
se servant de la phrase consacrée, le valet salarié qui représente le pharisien
capitaliste; mais il sait fort bien que le pauvre enfant devra veiller et faire
sa part de l'ouvrage (666).
Le tricotage des dentelles se pratique principalement
dans deux districts agricoles anglais, le district de Honiton, sur vingt à
trente milles le long de la côte sud du Devonshire, y compris quelques
localités du Nord Devon, et dans un autre district qui embrasse une grande
partie des comtés de Buckingham, Bedford, Northampton et les parties voisines
de Oxfordshire et Humingdonshire. Le travail se fait généralement dans les
cottages de journaliers agricoles. Quelques manufacturiers emploient plus de
trois mille de ces ouvriers à domicile, presque tous enfants ou adolescents, du
sexe féminin sans exception. L'état de choses décrit à propos du lace
finishing se reproduit ici, avec cette seule différence que les maisons des
patronnes sont remplacées par de soi-disant écoles de tricot (lace schools),
tenues par de pauvres femmes dans leurs chaumières. A partir de leur
cinquième année, quelquefois plus tôt, jusqu'à douze ou quinze ans, les enfants
travaillent dans ces écoles; les plus jeunes dans la première année triment de
4 à 8 heures, et plus tard de 6 heures du matin jusqu'à 8 et 10 heures du soir.
Les chambres sont en général telles qu'on les trouve ordinairement dans les
petits cottages; la cheminée est bouchée pour empêcher tout courant
d'air et ceux qui les occupent n'ont souvent pour se réchauffer, même en hiver,
que leur propre chaleur animale. Dans d'autres cas ces prétendues écoles ressemblent
à des offices, sans foyer ni poêle. L'encombrement de ces espèces de trous en
empeste l'air. Ajoutons à cela l'influence délétère de rigoles, de cloaques, de
matières en putréfaction et d'autres immondices qui se trouvent ordinairement
aux abords des petits Cottages.
« Pour ce qui est de l'espace, j'ai vu, dit un
inspecteur, dans une de ces écoles, dix-huit jeunes filles avec la maîtresse;
trente-cinq pieds cubes pour chaque personne; dans une autre où la puanteur
était insupportable, dix-huit personnes étaient rassemblées; vingt-quatre pieds
cubes et demi par tête. On trouve dans cette industrie des enfants employés à
partir de deux ans et deux ans et demi (667). »
Dans les comtés de Buckingham et de Bedford là où
cesse le tricotage des dentelles, commence le tressage de la paille. Cette
industrie s'étend sur une grande partie de Hertfordshire et sur les parties
ouest et nord de Essex. En 1861, avec la confection des chapeaux de paille,
elle occupait quarante mille quarante-trois personnes. Sur ce nombre il y en
avait trois mille huit cent quinze du sexe masculin à tout degré d'âge, et le
reste, tout du sexe féminin, comprenait quatorze mille neuf cent treize jeunes
filles au-dessous de vingt ans, dont sept mille enfants environ. Au lieu
d'écoles de tricot, nous avons affaire ici à des « straw plait schools »
ou écoles de tressage de la paille. Les enfants commencent leur apprentissage à
partir de leur quatrième année et quelquefois plus tôt. Ils ne reçoivent
naturellement aucune instruction. Ils appellent eux-mêmes les écoles
élémentaires « natural schools » (écoles naturelles), pour les
distinguer de ces institutions vampires où ils sont retenus au travail pour
exécuter tout simplement l'ouvrage, ordinairement de deux mille sept cent
quatre-vingt-deux mètres par jour, qui leur est prescrit par leurs mères
presque exténuées de faim. Ensuite ces mères les font souvent encore travailler
chez elles jusqu'à 10 et 11 heures du soir et même jusqu'à minuit. La paille
leur coupe les doigts et les lèvres avec lesquelles ils l'humectent
constamment. D'après l'opinion générale des médecins de Londres consultés à cet
effet, résumée par le docteur Ballard, il faut au moins trois cents pieds cubes
pour chaque personne dans une chambre à coucher ou dans une chambre de travail.
Dans ces écoles de tressage l'espace est mesuré plus parcimonieusement encore
que dans les écoles de tricot; il y revient par tête douze deux tiers,
dix-sept, dix-huit et demi et rarement vingt-deux pieds cubes. « Les plus
petits de ces nombres, dit le commissaire White, représentent moins
d'espace que la moitié de celui qu'occuperait un enfant empaqueté dans une
boîte de trois pieds sur toutes les dimensions. » Telle est la vie dont
jouissent les enfants jusqu'à leur douzième ou quatorzième année. Leurs parents
affamés et abrutis par la misère ne songent qu'à les pressurer. Aussi une fois
grands les enfants se moquent d'eux et les abandonnent.
« Rien d'étonnant que l'ignorance et le vice
surabondent dans une population élevée sous une telle discipline... La moralité
y est au plus bas... Un grand nombre de femmes ont des enfants illégitimes et
quelquefois si prématurément que même les familiers de la statistique
criminelle s'en épouvantent (668). »
Et la patrie de ces familles modèles, est
l'Angleterre, le pays chrétien modèle de l'Europe, comme dit le comte Montalembert,
grande autorité en pareille matière. Le salaire, généralement pitoyable
dans ces branches d'industrie (car les enfants qui tressent la paille
obtiennent au plus et exceptionnellement trois shillings par semaine), est
encore abaissé de beaucoup au-dessous de son montant nominal au moyen d'un
système répandu surtout dans les districts dentelliers, le système du troc ou
du payement en marchandises (669).
E. Passage de la manufacture moderne et du travail à domicile à la
grande industrie.
La dépréciation de la force de travail par le seul
emploi abusif de femmes et d'enfants, par la brutale spoliation des conditions
normales de vie et d'activité, par le simple effet de l'excès de travail et du
travail nocturne, se heurte à la fin contre des obstacles physiologiques
infranchissables. Là s'arrêtent aussi par conséquent la réduction du prix des
marchandises obtenue par ces procédés et l'exploitation capitaliste fondée sur
eux. Pour atteindre ce point il faut de longues années; alors sonne l'heure des
machines et de la transformation désormais rapide du travail domestique et de
la manufacture en fabrique.
La production des articles d'habillement (Wearing
Apparel), nous fournit l'exemple le plus étonnant de cette transformation.
D'après la classification de la Commission royale, chargée de l'enquête sur l'emploi
des femmes et des enfants, cette industrie comprend des faiseurs de chapeaux de
paille, de chapeaux de dames, de capuchons, de chemises, des tailleurs, des
modistes, des couturières, des gantiers, des corsetières, des cordonniers et
une foule de petites branches accessoires comme la fabrication des cravates,
des faux cols, etc. Le nombre de femmes employées dans cette industrie en
Angleterre et dans le comté de Galles, s'élevait en 1861 à cinq cent
quatre-vingt-six mille deux cent quatre-vingt-dix-huit, dont cent quinze mille
deux cent quarante deux au moins au-dessous de vingt ans et seize mille six
cent cinquante au-dessous de quinze. Dans la même année, ce genre d'ouvrières
formait dans le Royaume-Uni un total de sept cent cinquante mille trois cent
trente-quatre personnes. Le nombre des ouvriers mâles occupés en même temps en
Galles et en Angleterre à la fabrication des chapeaux, des gants, des
chaussures et à la confection des vêtements était de quatre cent trente-sept
mille neuf cent soixante-neuf, dont quatorze mille neuf cent soixante-quatre
au-dessous de quinze ans, quatre-vingt-neuf mille deux cent quatre-vingt-cinq
âgés de quinze à vingt ans et trois cent trente-trois mille cent dix-sept
au-dessus de vingt. Beaucoup de petites industries du même genre ne sont pas
comprises dans ces données. Mais en prenant les chiffres tels quels, on
obtient, d'après le recensement de 1861, pour l'Angleterre et le pays de Galles
seuls une somme de un million vingt-quatre mille deux cent soixante-dix-sept personnes,
c'est-à-dire environ autant qu'en absorbent l'agriculture et l'élève du bétail.
On commence à comprendre à quoi servent les énormes masses de produits fournis
par la magie des machines, et les énormes masses de travailleurs qu'elles
rendent disponibles.
La production des articles d'habillement est
exploitée par des manufactures, qui dans leur intérieur ne font que reproduire
la division du travail dont elles ont trouvé tout prêts les membres épars, par
des artisans petits patrons qui travaillent non plus comme auparavant pour des
consommateurs individuels, mais pour des manufactures et des magasins, si bien
que des villes entières et des arrondissements entiers exercent comme
spécialité certaines branches, telles que la cordonnerie, etc., et enfin sur la
plus grande échelle par des travailleurs dits à domicile, qui forment comme le
département externe des manufactures, des magasins et même des petits ateliers (670).
La masse des éléments de travail, des matières
premières, des produits à demi façonnés est fournie par la fabrique mécanique,
et ce sont les ouvriers déplacés par elle et par la grande agriculture qui
fournissent le matériel humain à bon marché, taillable à merci et miséricorde.
Les manufactures de ce genre durent leur origine principalement au besoin des
capitalistes, d'avoir sous la main une armée proportionnée à chaque fluctuation
de la demande et toujours mobilisée (671).
A côté d'elles se maintient cependant comme base le métier et le travail à
domicile.
La grande production de plus-value dans ces branches
d'industrie et le bon marché de leurs articles provenaient et proviennent
presque exclusivement du minimum de salaire qu'elles accordent, suffisant à
peine pour faire végéter, joint au maximum de temps de travail que l'homme
puisse endurer. C'est en effet précisément le bon marché de la sueur humaine et
du sang humain transformés en marchandises qui élargissait le débouché et
l'élargit chaque jour encore. C'est ce même avilissement de prix qui, pour
l'Angleterre surtout, étendit le marché colonial, où d'ailleurs les habitudes
et le goût anglais prédominent. Vint le moment fatal où la base fondamentale de
l'ancienne méthode, l'exploitation simpliste du matériel humain accompagnée d'une
division du travail plus ou moins développée, ne put suffire plus longtemps à
l'étendue du marché et à la concurrence des capitalistes grandissant plus
rapidement encore. L'heure des machines sonna, et la machine révolutionnaire
qui attaque à la fois les branches innombrables de cette sphère de production,
chapellerie, cordonnerie, couture, etc., c'est la machine à coudre.
Son effet immédiat sur les ouvriers est à peu de
chose près celui de tout machinisme qui dans la période de la grande industrie
s'empare de nouvelles branches. Les enfants du plus bas âge sont mis de côté.
Le salaire des travailleurs à la machine s'élève proportionnellement à celui
des ouvriers à domicile, dont beaucoup appartiennent aux « plus pauvres d'entre
les pauvres » (« the poorest of the poor »). Le salaire des artisans placés
dans de meilleures conditions et auxquels la machine fait concurrence, baisse.
Les travailleurs aux machines sont exclusivement des jeunes filles et des
jeunes femmes. A l'aide de la puissance mécanique elles anéantissent le
monopole des ouvriers mâles dans les ouvrages difficiles, et chassent des plus
faciles une masse de vieilles femmes et de jeunes enfants. Quant aux
manouvriers les plus faibles, la concurrence les écrase. Le nombre des victimes
de la mort de faim (death from starvation) s'accroît à Londres
pendant les seize dernières années en raison du développement de la couture à
la mécanique (672). Obligées, suivant le poids, les
dimensions et la spécialité de la machine à coudre, de la mouvoir avec la main
et le pied ou avec la main seule, assises ou debout, les nouvelles recrues font
une énorme dépense de force. En raison de la durée de leur besogne elle devient
nuisible à la santé, bien qu'elle soit ordinairement moins prolongée que dans
l'ancien système. Quand la machine à coudre est introduite dans des ateliers
étroits et gorgés de monde, comme cela a lieu pour la confection des chapeaux,
des corsets, des chaussures, etc., les conditions d'insalubrité sont
naturellement augmentées.
« L'impression que l'on ressent, dit le commissaire
Lord, en entrant dans un pareil local, où trente ou quarante ouvrières
travaillent ensemble, est réellement insupportable... La chaleur qui provient
des fourneaux où l'on chauffe les fers à repasser est à faire frémir... Même
dans les ateliers où règne un travail dit modéré, c'est-à-dire de 8 heures du
matin à 6 heures du soir, trois ou quatre personnes s'évanouissent chaque jour
régulièrement (673).
»
La machine à coudre s'adapte indifféremment à tous
les modes sociaux d'exploitation.
Dans l'atelier de modes, par exemple, où le travail
était déjà en grande partie organisé, surtout sous forme de coopération simple,
elle ne fit d'abord qu'apporter un facteur nouveau à l'exploitation
manufacturière. Chez les cordonniers, les tailleurs, les chemisiers et une
foule d'autres industriels concourant à la confection des articles
d'habillement, tantôt nous la rencontrons comme base technique de la fabrique
proprement dite; tantôt des marchandeurs auxquels le capitaliste entrepreneur
fournit les matières premières, entassent autour d'elle dans des chambres, des
mansardes, dix à cinquante salariés et même davantage; tantôt, comme cela
arrive en général quand le machinisme ne forme pas un système gradué et peut
fonctionner sous un petit format, des artisans ou des ouvriers à domicile
l'exploitent pour leur propre compte avec l'aide de leur famille ou de quelques
compagnons (674). En Angleterre le système le plus
en vogue aujourd'hui est celui-ci : le capitaliste fait exécuter le travail à
la machine dans son atelier et en distribue les produits, pour leur élaboration
ultérieure, parmi l'armée des travailleurs à domicile (675).
Or, si nous voyons la machine à coudre fonctionner au
milieu des combinaisons sociales les plus diverses, ce pêle-mêle de modes
d'exploitation n'appartient évidemment qu'à une période de transition qui
laisse de plus en plus entrevoir sa tendance fatale à transformer en fabrique
proprement dite les manufactures, les métiers et le travail à domicile où s'est
glissé le nouvel agent mécanique.
Ce dénouement est accéléré en premier lieu par le
caractère technique de la machine à coudre dont l'applicabilité variée pousse à
réunir dans le même atelier et sous les ordres du même capital des branches
d'industrie jusque-là séparées; de même quelques opérations préliminaires,
telles que des travaux d'aiguille, s'exécutent le plus convenablement au siège
de la machine.
Une autre circonstance décisive est l'expropriation
inévitable des artisans et des travailleurs à domicile employant des machines à
eux. C'est l'événement de chaque jour. La masse toujours croissante de capitaux
placés dans les machines à coudre, - en 1868, à Leicester, la cordonnerie seule
en employait déjà huit cents, - amène des excès de production; de là
encombrement des marchés, oscillations violentes dans les prix des articles,
chômage - autant de causes qui forcent les travailleurs à domicile à vendre leurs
machines. Les machines mêmes sont construites en telle abondance que leurs
fabricants, empressés à trouver un débouché, les louent à la semaine et créent
ainsi une concurrence terrible aux ouvriers possesseurs de machines (676). Ce n'est pas tout; les
perfectionnements continuels et la réduction progressive de prix déprécient
sans cesse les machines existantes et n'en permettent l'exploitation profitable
qu'entre les mains de capitalistes qui les achètent en masse et à des prix
dérisoires.
Enfin, comme dans toute révolution industrielle de ce
genre, le remplacement de l'homme par l'engin à vapeur donne le dernier coup.
Les obstacles que l'application de la vapeur rencontre à son début, tels que
l'ébranlement des machines, leur détérioration trop rapide, la difficulté de
régler leur vitesse, etc., sont purement techniques et l'expérience les a
bientôt écartés, comme l'on peut s'en convaincre dans le dépôt d'habillements
militaires à Pimlico, Londres, dans la fabrique de chemises de MM. Tillie et
Henderson à Londonderry, dans la fabrique de vêtements de la maison Tait, à
Limerick, où environ douze cents personnes sont employées.
Si la concentration de nombreuses machines-outils dans
de grandes manufactures pousse à l'emploi de la vapeur, la concurrence de
celle-ci avec la force musculaire de l'homme accélère de son côté le mouvement
de concentration des ouvriers et des machines-outils dans de grandes fabriques.
C'est ainsi que l’Angleterre subit à présent, dans la
vaste sphère des articles d'habillement et dans la plupart des autres
industries, la transformation de la manufacture, du métier et du travail à
domicile en régime de fabrique, après que ces vieux modes de production, altérés,
décomposés et défigurés sous l'influence de la grande industrie, ont depuis
longtemps reproduit et même exagéré ses énormités sans s'approprier ses
éléments positifs de développement (677).
La marche de cette révolution industrielle est forcée
par l'application des lois de fabrique à toutes les industries employant des
femmes, des adolescents et des enfants. La régularisation légale de la journée
de travail, le système des relais pour les enfants, leur exclusion au-dessous d'un
certain âge, etc., obligent l'entrepreneur à multiplier le nombre de ses
machines (678) et à substituer comme force
motrice la vapeur aux muscles (679).
D'autre part, afin de gagner dans l'espace ce qu'on perd dans le temps, on est
forcé de grossir les moyens de production collectifs tels que fourneaux,
bâtiments, etc., de manière que leur plus grande concentration devient le
corollaire obligé d'une agglomération croissante de salariés. En fait, toutes
les fois qu'une manufacture est menacée de la loi de fabrique, on s'égosille à
démontrer que, pour continuer l'entreprise sur le même pied, il faudrait avoir
recours à des avances plus considérables de capital. Quant au travail à
domicile et aux ateliers intermédiaires entre lui et la manufacture, leur seule
arme, offensive et défensive, dans la guerre de la concurrence, c'est
l'exploitation sans bornes des forces de travail à bon marché. Dès que la
journée est limitée et le travail des enfants restreint, ils sont donc
condamnés à mort.
Le régime de fabrique, surtout après qu'il est soumis
à la régularisation légale du travail, réclame comme première condition que le
résultat à obtenir se prête à un calcul rigoureux, de telle sorte qu'on puisse
compter sur la production d'un quantum donné de marchandises dans un temps
donné. Les intervalles de loisir prescrits par la loi supposent en outre que
l'intermittence périodique du travail ne porte pas préjudice à l'ouvrage
commencé. Cette certitude du résultat et cette faculté d'interruption sont
naturellement bien plus faciles à obtenir du travail dans des opérations
purement mécaniques que là où des procès chimiques et physiques interviennent,
comme dans les poteries, les blanchisseries, les boulangeries, etc., et la
plupart des manufactures métalliques.
La routine du travail illimité, du travail de nuit et
de la dilapidation sans limites et sans gêne de la vie humaine, a fait
considérer le premier obstacle venu comme une barrière éternelle imposée par la
nature des choses. Mais il n'y a pas d'insecticide aussi efficace contre la
vermine que l'est la législation de fabrique contre ces prétendues « barrières
naturelles ». Personne qui exagérât plus ces « impossibilités » que les patrons
potiers; or la loi de fabrique leur ayant été appliquée en 1864, seize mois
après, toutes les « impossibilités » avaient déjà disparu. Les améliorations
provoquées par cette loi
« telles que la méthode perfectionnée de substituer
la pression à l'évaporation, la construction de fourneaux nouveaux pour sécher
la marchandise humide, etc., sont autant d'événements d'une importance
exceptionnelle dans l'art de la poterie et y signalent un progrès supérieur à
tous ceux du siècle précédent... La température des fours est considérablement
diminuée et la consommation de charbon est moindre, en même temps que l'action
sur la pâte est plus rapide (680) ».
En dépit de toutes les prédictions de mauvais augure,
ce ne fut pas le prix, mais la quantité des articles qui augmenta, si bien que
l'exportation de l'année commençant en décembre 1864, fournit un excédent de
valeur de cent trente-huit mille six cent vingt-huit livres sterling sur la
moyenne des trois années précédentes.
Dans la fabrication des allumettes chimiques, il fut
tenu pour loi de la nature que les jeunes garçons, au moment même où ils
avalaient leur dîner, plongeassent des baguettes de bois dans une composition
de phosphore réchauffée dont les vapeurs empoisonnées leur montaient à la tête.
En obligeant à économiser le temps, la loi de
fabrique de 1864 amena l'invention d'une machine à immersion (dipping
machine) dont les vapeurs ne peuvent plus atteindre l'ouvrier
(681).
De même on entend encore affirmer dans ces branches
de la manufacture des dentelles, qui jusqu'ici n'ont pas encore perdu leur liberté,
« que les repas ne pourraient être réguliers à cause
des longueurs de temps différentes qu'exigent pour sécher les diverses
matières, différences qui varient de trois minutes à une heure et même
davantage ».
Mais, répondent les commissaires de l'enquête sur
l'emploi des enfants et des femmes dans l'industrie,
« les circonstances sont exactement les mêmes que
dans les fabriques de tapis où les principaux fabricants faisaient vivement valoir
qu'en raison de la nature des matériaux employés et de la variété des
opérations, il était impossible, sans un préjudice considérable, d'interrompre
le travail pour les repas... En vertu de la sixième clause de la sixième
section du Factory Acts extension Act de 1864, on leur accorda, à partir de la
promulgation de cette loi, un sursis de dix-huit mois, passé lequel ils
devaient se soumettre aux interruptions de travail qui s'y trouvaient
spécifiées (682)».
Qu'arriva-t-il ? La loi avait à peine obtenu la
sanction parlementaire que messieurs les fabricants reconnaissaient s'être
trompés :
« Les inconvénients que l'introduction de la loi de
fabrique nous faisait craindre ne se sont pas réalisés. Nous ne trouvons pas
que la production soit le moins du monde paralysée; en réalité nous produisons
davantage dans le même temps (683). »
On le voit, le Parlement anglais que, personne
n'osera taxer d'esprit aventureux, ni de génie transcendant, est arrivé par l'expérience
seule à cette conviction, qu'une simple loi coercitive suffit pour faire
disparaître tous les obstacles prétendus naturels qui s'opposent à la
régularisation et à la limitation de la journée de travail. Lorsqu'il soumet à
la loi de fabrique une nouvelle branche d'industrie, il se borne donc à
accorder un sursis de six à dix-huit mois pendant lequel c'est l'affaire des
fabricants de se débarrasser des difficultés techniques. Or, la technologie
moderne peut s'écrier avec Mirabeau : « Impossible ! ne me dites jamais cet
imbécile de mot ! »
Mais en activant ainsi le développement des éléments
matériels nécessaires à la transformation du régime manufacturier en régime de
fabrique, la loi, dont l'exécution entraîne des avances considérables, accélère
simultanément la ruine des petits chefs d'industrie et la concentration des
capitaux (684).
Outre les difficultés purement techniques qu'on peut
écarter par des moyens techniques, la réglementation de la journée de travail
en rencontre d'autres dans les habitudes d'irrégularité des ouvriers eux-mêmes,
surtout là où prédomine le salaire aux pièces et où le temps perdu une partie
du jour ou de la semaine peut être rattrapé plus tard par un travail extra ou
un travail de nuit. Cette méthode qui abrutit l'ouvrier adulte, ruine ses
compagnons d'un âge plus tendre et d'un sexe plus délicat (685).
Bien que cette irrégularité dans la dépense de la
force vitale soit une sorte de réaction naturelle et brutale contre l'ennui
d'un labeur fatigant par sa monotonie, elle provient à un bien plus haut degré
de l'anarchie de la production qui, de son côté, présuppose l'exploitation
effrénée du travailleur.
A côté des variations périodiques, générales, du
cycle industriel, et des fluctuations du marché particulières à chaque branche
d'industrie, il y a encore ce qu'on nomme la saison, qu'elle repose sur
la mode, sur la périodicité de la navigation ou sur la coutume des commandes
soudaines et imprévues qu'il faut exécuter dans le plus bref délai, coutume
qu'ont surtout développée les chemins de fer et la télégraphie.
« L'extension dans tout le pays du système des voies
ferrées, dit à ce sujet un fabricant de Londres, a mis en vogue les ordres à
courte échéance. Venant tous les quinze jours de Glasgow, de Manchester et
d'Édimbourg, les acheteurs en gros s'adressent aux grands magasins de la Cité,
auxquels nous fournissons des marchandises. Au lieu d'acheter au dépôt, comme
cela se faisait jadis, ils donnent des ordres qui doivent être immédiatement
exécutés. Dans les années précédentes nous étions toujours à même de travailler
d'avance pendant les moments de calme pour la saison la plus proche; mais
aujourd'hui personne ne peut prévoir quel article sera recherché pendant la
saison (686). »
Dans les fabriques et les manufactures non soumises à
la loi, il règne périodiquement pendant la saison, et irrégulièrement à
l'arrivée de commandes soudaines, un surcroît de travail réellement effroyable.
Dans la sphère du travail à domicile, où d'ailleurs
l'irrégularité forme la règle, l'ouvrier dépend entièrement pour ses matières
premières et son occupation des caprices du capitaliste, qui là n'a à faire valoir
aucun capital avancé en constructions, machines, etc., et ne risque, par
l'intermittence du travail, absolument rien que la peau de ses ouvriers. Là, il
peut donc recruter d'une manière systématique une armée industrielle de
réserve, toujours disponible, que décime l'exagération du travail forcé pendant
une partie de l'année et que, pendant l'autre, le chômage forcé réduit à la
misère.
« Les entrepreneurs, dit la Child. Employm.
Commission, exploitent l'irrégularité habituelle du travail à domicile, pour le
prolonger, aux moments de presse extraordinaire, jusqu'à 11, 12, 2 heures de la
nuit, en un mot à toute heure, comme disent les hommes d'affaires »,
et cela dans des locaux
« d'une puanteur à vous renverser (the stench is
enough to knock you down). Vous allez peut-être jusqu'à la porte, vous l'ouvrez
et vous reculez en frissonnant (687) ».
« Ce sont de drôles d'originaux que nos patrons »,
dit un des témoins entendus, un cordonnier; « ils se figurent que cela ne fait
aucun tort à un pauvre garçon de trimer à mort pendant une moitié de l'année et
d'être presque forcé de vagabonder pendant l'autre (688). »
De même que les obstacles techniques que nous avons mentionnés
plus haut, ces pratiques que la routine des affaires a implantées (usages
which have grown with the growth of trade) ont été et sont encore
présentées par les capitalistes intéressés comme des barrières naturelles de la
production. C'était là le refrain des doléances des lords du coton dès qu'ils
se voyaient menacés de la loi de fabrique; quoique leur industrie dépende plus
que toute autre du marché universel et, par conséquent, de la navigation,
l'expérience leur a donné un démenti. Depuis ce temps-là les inspecteurs des
fabriques anglaises traitent de fariboles toutes ces difficultés éternelles de
la routine (689).
Les enquêtes consciencieuses de la Child.
Empl. Comm., ont démontré par le fait que dans quelques industries la
réglementation de la journée de travail a distribué plus régulièrement sur
l'année entière la masse de travail déjà employée (690), qu'elle est le premier frein rationnel imposé aux
caprices frivoles et homicides de la mode, incompatibles avec le système de la
grande industrie (691),
que le développement de la navigation maritime et des moyens de communication
en général ont supprimé à proprement parler la raison technique du travail de
saison (692), et qu'enfin toutes les autres
circonstances qu'on prétend ne pouvoir maîtriser, peuvent être éliminées au
moyen de bâtisses plus vastes, de machines supplémentaires, d'une augmentation du
nombre des ouvriers employés simultanément (693), et du contrecoup de tous ces changements dans
l'industrie sur le système de commerce en gros (694). Néanmoins, comme il l'avoue lui-même par la bouche
de ses représentants, le capital ne se prêtera jamais à ces mesures si ce n'est
« sous la pression d'une loi générale du Parlement (695) », imposant une journée de travail normale à toutes
les branches de la production à la fois.
La législation de fabrique, cette première réaction
consciente et méthodique de la société contre son propre organisme tel que l'a
fait le mouvement spontané de la production capitaliste, est, comme nous
l'avons vu, un fruit aussi naturel de la grande industrie que les chemins de
fer, les machines automates et la télégraphie électrique. Avant d'examiner
comment elle va se généraliser en Angleterre, il convient de jeter un coup
d’œil sur celles de ses clauses qui n'ont pas trait à la durée du travail.
La réglementation sanitaire, rédigée d'ailleurs de
telle sorte que le capitaliste peut aisément l'éluder, se borne en fait à des
prescriptions pour le blanchiment des murs, et à quelques autres mesures de
propreté, de ventilation et de précaution contre les machines dangereuses.
Nous reviendrons dans le troisième livre sur la
résistance fanatique des fabricants contre les articles qui leur imposent
quelques déboursés pour la protection des membres de leurs ouvriers. Nouvelle
preuve incontestable du dogme libre-échangiste d'après lequel dans une société
fondée sur l'antagonisme des intérêts de classes, chacun travaille fatalement
pour l'intérêt général en ne cherchant que son intérêt personnel !
Pour le moment, un exemple nous suffira. Dans la
première période des trente dernières années l'industrie linière et avec elle
les scutching mills (fabriques où le lin est battu et brisé) ont pris un
grand essor en Irlande. Il y en avait déjà en 1864 plus de dix-huit cents.
Chaque printemps et chaque hiver on attire de la campagne des femmes et des
adolescents, fils, filles et femmes des petits fermiers du voisinage, gens
d'une ignorance grossière en tout ce qui regarde le machinisme, pour les
employer à fournir le lin aux laminoirs des scutching mills. Dans
l'histoire des fabriques il n'y a pas d'exemple d'accidents si nombreux et si
affreux. Un seul scutching mill à Kildinan (près de Cork) enregistra
pour son compte de 1852 à 1856 six cas de mort et soixante mutilations graves
qu'on aurait pu facilement éviter au moyen de quelques appareils très peu
coûteux. Le docteur M. White, chirurgien des fabriques de Downpatrick, déclare
dans un rapport officiel du 15 décembre 1865 :
« Les accidents dans les sculching mills sont du
genre le plus terrible. Dans beaucoup de cas c'est un quart du corps entier qui
est séparé du tronc. Les blessures ont pour conséquence ordinaire soit la mort,
soit un avenir d'infirmité et de misère. L'accroissement du nombre des
fabriques dans ce pays ne fera naturellement qu'étendre davantage d'aussi
affreux résultats. Je suis convaincu qu'avec une surveillance convenable de la
part de l'État ces sacrifices humains seraient en grande partie évités (696). »
Qu'est-ce qui pourrait mieux caractériser le mode de
production capitaliste que cette nécessité de lui imposer par des lois
coercitives et au nom de l'Etat les mesures sanitaires les plus simples ?
« La loi de fabrique de 1864 a déjà fait blanchir et
assainir plus de deux cents poteries où pendant vingt ans on s'était
consciencieusement abstenu de toute opération de ce genre ! (Voilà l'abstinence
du capital.) Ces établissements entassaient vingt-sept mille huit cents
ouvriers, exténués de travail la nuit et le jour, et condamnés à respirer une
atmosphère méphitique imprégnant de germes de maladie et de mort une besogne
d'ailleurs relativement inoffensive. Cette loi a multiplié également les moyens
de ventilation (697).
»
Cependant, elle a aussi prouvé qu'au-delà d'un certain
point le système capitaliste est incompatible avec toute amélioration
rationnelle. Par exemple, les médecins anglais déclarent d'un commun accord
que, dans le cas d'un travail continu, il faut au moins cinq cents pieds cubes
d'air pour chaque personne, et que même cela suffit à peine. Eh bien, si par
toutes ses mesures coercitives, la législation pousse d'une manière indirecte
au remplacement des petits ateliers par des fabriques, empiétant par là sur le
droit de propriété des petits capitalistes et constituant aux grands un
monopole assuré, il suffirait d'imposer à tout atelier l'obligation légale de
laisser à chaque travailleur une quantité d'air suffisante, pour exproprier
d'une manière directe et d'un seul coup des milliers de petits capitalistes ! Cela
serait attaquer la racine même de la production capitaliste, c'est-à-dire la
mise en valeur du capital, grand ou petit, au moyen du libre achat et de
la libre consommation de la force de travail. Aussi ces cinq cents pieds
d'air suffoquent la législation de fabrique. La police de l'hygiène publique,
les commissions d'enquêtes industrielles et les inspecteurs de fabrique en
reviennent toujours à la nécessité de ces cinq cents pieds cubes et à
l'impossibilité de les imposer au capital. Ils déclarent ainsi en fait que la
phtisie et les autres affections pulmonaires du travailleur sont des conditions
de vie pour le capitaliste (698).
Si minces que paraissent dans leur ensemble les
articles de la loi de fabrique sur l'éducation, ils proclament néanmoins
l'instruction primaire comme condition obligatoire du travail des enfants (699). Leur succès était la première
démonstration pratique de la possibilité d'unir l'enseignement et la gymnastique
avec le travail manuel et vice versa le travail manuel avec
l'enseignement et la gymnastique (700).
En consultant les maîtres d'école, les inspecteurs de fabrique reconnurent
bientôt que les enfants de fabrique qui fréquentent l'école seulement pendant
une moitié du jour, apprennent tout autant que les élèves réguliers et souvent
même davantage.
« Et la raison en est simple. Ceux qui ne sont
retenus qu'une demi-journée à l'école sont toujours frais, dispos et ont plus d'aptitude
et meilleure volonté pour profiter des leçons. Dans le système mi-travail et
mi-école, chacune des deux occupations repose et délasse de l'autre, et
l'enfant se trouve mieux que s'il était cloué constamment à l'une d'elles. Un
garçon qui est assis sur les bancs depuis le matin de bonne heure, et surtout
par un temps chaud, est incapable de rivaliser avec celui qui arrive tout
dispos et allègre de son travail (701). »
On trouve de plus amples renseignements sur ce sujet dans
le discours de Senior au Congrès sociologique d'Edimbourg en 1853. Il y
démontre combien la journée d'école longue, monotone et stérile des enfants des
classes supérieures augmente inutilement le travail des maîtres
« tout en faisant perdre aux enfants leur temps, leur
santé et leur énergie, non seulement sans fruit mais à leur absolu préjudice (702) ».
Il suffit de consulter les livres de Robert Owen,
pour être convaincu que le système de fabrique a le premier fait germer l'éducation
de l'avenir, éducation qui unira pour tous les enfants au-dessus d'un certain
âge le travail productif avec l'instruction et la gymnastique, et cela non
seulement comme méthode d'accroître la production sociale, mais comme la seule
et unique méthode de produire des hommes complets.
On a vu que tout en supprimant au point de vue
technique la division manufacturière du travail où un homme tout entier est sa
vie durant enchaîné à une opération de détail, la grande industrie, dans sa
forme capitaliste, reproduit néanmoins cette division plus monstrueusement
encore, et transforme l'ouvrier de fabrique en accessoire conscient d'une
machine partielle. En dehors de la fabrique, elle amène le même résultat en
introduisant dans presque tous les ateliers l'emploi sporadique de machines et
de travailleurs à la machine, et en donnant partout pour base nouvelle à la
division du travail l'exploitation des femmes, des enfants et des ouvriers à
bon marché (703).
La contradiction entre la division manufacturière du
travail et la nature de la grande industrie se manifeste par des phénomènes
subversifs, entre autres par le fait qu'une grande partie des enfants employés
dans les fabriques et les manufactures modernes reste attachée indissolublement,
dès l'âge le plus tendre et pendant des années entières, aux manipulations les
plus simples, sans apprendre le moindre travail qui permette de les employer
plus tard n'importe où, fût-ce dans ces mêmes fabriques et manufactures. Dans
les imprimeries anglaises, par exemple, les apprentis s'élevaient peu à peu,
conformément au système de l'ancienne manufacture et du métier, des travaux les
plus simples aux travaux les plus complexes. Ils parcouraient plusieurs stages
avant d'être des typographes achevés. On exigeait de tous qu'ils sussent lire
et écrire. La machine à imprimer a bouleversé tout cela. Elle emploie deux
sortes d'ouvriers : un adulte qui la surveille et deux jeunes garçons
âgés, pour la plupart, de onze à dix-sept ans, dont la besogne se borne à
étendre sous la machine une feuille de papier et à l'enlever dès qu'elle est
imprimée. Ils s'acquittent de cette opération fastidieuse, à Londres notamment,
quatorze, quinze et seize heures de suite, pendant quelques jours de la
semaine, et souvent trente-six heures consécutives avec deux heures seulement
de répit pour le repas et le sommeil (704).
La plupart ne savent pas lire. Ce sont, en général, des créatures informes et
tout à fait abruties.
« Il n'est besoin d'aucune espèce de culture
intellectuelle pour les rendre aptes à leur ouvrage; ils ont peu d'occasion
d'exercer leur habileté et encore moins leur jugement; leur salaire, quoique
assez élevé pour des garçons de leur âge, ne croît pas proportionnellement à
mesure qu'ils grandissent, et peu d'entre eux ont la perspective d'obtenir le
poste mieux rétribué et plus digne de surveillant, parce que la machine ne
réclame pour quatre aides qu'un surveillant (705). »
Dès qu'ils sont trop âgés pour leur besogne
enfantine, c'est-à-dire vers leur dix-septième année, on les congédie et ils
deviennent autant de recrues du crime. Leur ignorance, leur grossièreté et leur
détérioration physique et intellectuelle ont fait échouer les quelques essais
tentés pour les occuper ailleurs.
Ce qui est vrai de la division manufacturière du
travail à l'intérieur de l'atelier l'est également de la division du travail au
sein de la société. Tant que le métier et la manufacture forment la base
générale de la production sociale, la subordination du travailleur à une
profession exclusive, et la destruction de la variété originelle de ses
aptitudes et de ses occupations (706)
peuvent être considérées comme des nécessités du développement historique. Sur
cette base chaque industrie s'établit empiriquement, se perfectionne lentement
et devient vite stationnaire, après avoir atteint un certain degré de maturité.
Ce qui de temps en temps provoque des changements, c'est l'importation de
marchandises étrangères par le commerce et la transformation successive de
l'instrument de travail. Celui-ci aussi, dès qu'il a acquis une forme plus ou
moins convenable, se cristallise et se transmet souvent pendant des siècles
d'une génération à l'autre.
Un fait des plus caractéristiques, c'est que jusqu'au
XVIII° siècle les métiers portèrent le nom de mystères. Dans le célèbre Livre
des métiers d'Étienne Boileau, on trouve entre autres prescriptions
celle-ci :
« Tout compagnon lorsqu'il est reçu dans l'ordre des
maîtres, doit prêter serment d'aimer fraternellement ses frères, de les
soutenir, chacun dans l'ordre de son métier, c'est-à-dire de ne point divulguer
volontairement les secrets du métier (707). »
En fait, les différentes branches d'industrie, issues
spontanément de la division du travail social, formaient les unes vis-à-vis des
autres autant d'enclos qu'il était défendu au profane de franchir. Elles
gardaient avec une jalousie inquiète les secrets de leur routine
professionnelle dont la théorie restait une énigme même pour les initiés.
Ce voile, qui dérobait aux regards des hommes le
fondement matériel de leur vie, la production sociale, commença à être soulevé
durant l'époque manufacturière et fut entièrement déchiré à l'avènement de la
grande industrie. Son principe qui est de considérer chaque procédé en lui-même
et de l'analyser dans ses mouvements constituants, indépendamment de leur
exécution par la force musculaire ou l'aptitude manuelle de l'homme, créa la
science toute moderne de la technologie. Elle réduisit les configurations de la
vie industrielle, bigarrées, stéréotypées et sans lien apparent, à des
applications variées de la science naturelle, classifiées d'après leurs
différents buts d'utilité.
La technologie découvrit aussi le petit nombre de
formes fondamentales dans lesquelles, malgré la diversité des instruments
employés, tout mouvement productif du corps humain doit s'accomplir, de même
que le machinisme le plus compliqué ne cache que le jeu des puissances
mécaniques simples.
L'industrie moderne ne considère et ne traite jamais
comme définitif le mode actuel d'un procédé. Sa base est donc révolutionnaire,
tandis que celle de tous les modes de production antérieurs était essentiellement
conservatrice (708). Au moyen de machines, de procédés
chimiques et d'autres méthodes, elle bouleverse avec la base technique de la
production les fonctions des travailleurs et les combinaisons sociales du
travail, dont elle ne cesse de révolutionner la division établie en lançant
sans interruption des masses de capitaux et d'ouvriers d'une branche de
production dans une autre.
Si la nature même de la grande industrie nécessite le
changement dans le travail, la fluidité des fonctions, la mobilité universelle
du travailleur, elle reproduit d'autre part, sous sa forme capitaliste,
l'ancienne division du travail avec ses particularités ossifiées. Nous avons vu
que cette contradiction absolue entre les nécessités techniques de la grande
industrie et les caractères sociaux qu'elle revêt sous le régime capitaliste,
finit par détruire toutes les garanties de vie du travailleur, toujours menacé
de se voir retirer avec le moyen de travail les moyens d'existence
(709) et d'être rendu lui-même superflu par la suppression
de sa fonction parcellaire; nous savons aussi que cet antagonisme fait naître
la monstruosité d'une armée industrielle de réserve, tenue dans la misère afin
d'être toujours disponible pour la demande capitaliste; qu'il aboutit aux
hécatombes périodiques de la classe ouvrière, à la dilapidation la plus
effrénée des forces de travail et aux ravages de l'anarchie sociale, qui fait
de chaque progrès économique une calamité publique. C'est là le côté négatif.
Mais si la variation dans le travail ne s'impose
encore qu'à la façon d'une loi physique, dont l'action, en se heurtant partout
à des obstacles (710), les brise aveuglément, les
catastrophes mêmes que fait naître la grande industrie imposent la nécessité de
reconnaître le travail varié et, par conséquent, le plus grand développement
possible des diverses aptitudes du travailleur, comme une loi de la production
moderne, et il faut à tout prix que les circonstances s'adaptent au
fonctionnement normal de cette loi. C'est une question de vie ou de mort. Oui,
la grande industrie oblige la société sous peine de mort à remplacer l'individu
morcelé, porte-douleur d'une fonction productive de détail, par l'individu
intégral qui sache tenir tête aux exigences les plus diversifiées du travail et
ne donne, dans des fonctions alternées, qu'un libre essor à la diversité de ses
capacités naturelles ou acquises.
La bourgeoisie, qui en créant pour ses fils les
écoles polytechniques, agronomiques, etc., ne faisait pourtant qu'obéir aux
tendances intimes de la production moderne, n'a donné aux prolétaires que
l'ombre de l'Enseignement professionnel. Mais si la législation de
fabrique, première concession arrachée de haute lutte au capital, s'est vue
contrainte de combiner l'instruction élémentaire, si misérable qu'elle soit,
avec le travail industriel, la conquête inévitable du pouvoir politique par la
classe ouvrière va introduire l'enseignement de la technologie, pratique et
théorique, dans les écoles du peuple (711).
Il est hors de doute que de tels ferments de transformation, dont le terme
final est la suppression de l'ancienne division du travail, se trouvent en
contradiction flagrante avec le mode capitaliste de l'industrie et le milieu
économique où il place l'ouvrier. Mais la seule voie réelle, par laquelle un
mode de production et l'organisation sociale qui lui correspond, marchent à
leur dissolution et à leur métamorphose, est le développement historique de leurs
antagonismes immanents. C'est là le secret du mouvement historique que les
doctrinaires, optimistes ou socialistes, ne veulent pas comprendre.
Ne sutor ultra crepidam ! Savetier, reste à la savate ! Ce nec plus
ultra de la sagesse du métier et de la manufacture, devient démence et
malédiction le jour où l'horloger Watt découvre la machine à vapeur, le barbier
Arkwright le métier continu, et l'orfèvre Fulton le bateau à vapeur.
Par les règlements qu'elle impose aux fabriques, aux
manufactures, etc., la législation ne semble s'ingérer que dans les droits
seigneuriaux du capital, mais dès qu'elle touche au travail à domicile, il y a
empiètement direct, avoué, sur la patria potestas, en phrase
moderne, sur l'autorité des parents, et les pères conscrits du Parlement
anglais ont longtemps affecté de reculer avec horreur devant cet attentat
contre la sainte institution de la famille. Néanmoins, on ne se débarrasse pas
des faits par des déclamations. Il fallait enfin reconnaître qu'en sapant les
fondements économiques de la famille ouvrière, la grande industrie en a
bouleversé toutes les autres relations. Le droit des enfants dut être proclamé.
« C'est un malheur », est-il dit à ce sujet dans le
rapport final de la Child. Empl. Commission, publié en 1866, « c'est un malheur,
mais il résulte de l'ensemble des dispositions des témoins, que les enfants des
deux sexes n'ont contre personne autant besoin de protection que contre leurs
parents. » Le système de l'exploitation du travail des enfants en général et du
travail à domicile en particulier, se perpétue, par l'autorité arbitraire et
funeste, sans frein et sans contrôle, que les parents exercent sur leurs jeunes
et tendres rejetons... Il ne doit pas être permis aux parents de pouvoir, d'une
manière absolue, faire de leurs enfants de pures machines, à seule fin d'en
tirer par semaine tant et tant de salaire... Les enfants et les adolescents ont
le droit d'être protégés par la législation contre l'abus de l'autorité
paternelle qui ruine prématurément leur force physique et les fait descendre
bien bas sur l'échelle des êtres moraux et intellectuels (712). »
Ce n'est pas cependant l'abus de l'autorité
paternelle qui a créé l'exploitation de l'enfance, c'est tout au contraire
l'exploitation capitaliste qui a fait dégénérer cette autorité en abus. Du
reste, la législation de fabrique, n'est-elle pas l'aveu officiel que la grande
industrie a fait de l'exploitation des femmes et des enfants par le capital, de
ce dissolvant radical de la famille ouvrière d'autrefois, une nécessité
économique, l'aveu qu'elle a converti l'autorité paternelle en un appareil du
mécanisme social, destiné à fournir, directement ou indirectement, au
capitaliste les enfants du prolétaire lequel, sous peine de mort, doit jouer son
rôle d'entremetteur et de marchand d'esclaves ? Aussi tous les efforts de cette
législation ne prétendent-ils qu'à réprimer les excès de ce système
d'esclavage.
Si terrible et si dégoûtante que paraisse dans le
milieu actuel la dissolution des anciens liens de famille (713), la grande industrie, grâce au rôle décisif qu'elle
assigne aux femmes et aux enfants, en dehors du cercle domestique, dans des
procès de production socialement organisés, n'en crée pas moins la nouvelle
base économique sur laquelle s'élèvera une forme supérieure de la famille et
des relations entre les sexes. Il est aussi absurde de considérer comme absolu
et définitif le mode germano-chrétien de la famille que ses modes oriental,
grec et romain, lesquels forment d'ailleurs entre eux une série progressive.
Même la composition du travailleur collectif par individus de deux sexes et de
tout âge, cette source de corruption et d'esclavage sous le règne capitaliste,
porte en soi les germes d'une nouvelle évolution sociales (714). Dans l'histoire, comme dans la nature, la
pourriture est le laboratoire de la vie.
La nécessité de généraliser la loi de fabrique, de la
transformer d'une loi d'exception pour les filatures et les tissanderies mécaniques,
en loi de la production sociale, s'imposait à l'Angleterre, comme on l'a vu,
par la réaction que la grande industrie exerçait sur la manufacture, le métier
et le travail à domicile contemporains.
Les barrières mêmes que l'exploitation des femmes et
des enfants rencontra dans les industries réglementées, poussèrent a
l'exagérer d'autant plus dans les industries soi-disant libres (715).
Enfin, les « réglementés » réclament . hautement l'égalité
légale dans la concurrence, c'est-à-dire dans le droit d'exploiter le travail (716).
Ecoutons à ce sujet deux cris partis du cœur. MM. W.
Cooksley, fabricants de clous, de chaînes, etc., à Bristol, avaient adopté
volontairement les prescriptions de la loi de fabrique. « Mais comme l'ancien
système irrégulier se maintient dans les établissements voisins, ils sont
exposés au désagrément de voir les jeunes garçons qu'ils emploient attirés
(enticed) ailleurs à une nouvelle besogne après 6 heures du soir. C'est là,
s'écrient-ils naturellement, une injustice à notre égard et de plus une perte
pour nous, car cela épuise une partie des forces de notre jeunesse dont le
profit entier nous appartient (717).
» M. J. Simpson (fabricant de boîtes et de sacs de papier, à Londres) déclare
aux commissaires de la Child. Empl. Comm.
« qu'il veut bien signer toute pétition pour
l'introduction des lois de fabrique. Dans l'état actuel, après la fermeture de
son atelier, il sent du malaise et son sommeil est troublé par la pensée que
d'autres font travailler plus longtemps et lui enlèvent les commandes à sa
barbe (718). »
« Ce serait une injustice à l'égard des grands entre
preneurs », dit, en se résumant, la Commission d'enquête « que de soumettre
leurs fabriques au règlement, tandis que dans leur propre partie la petite
industrie n'aurait à subir aucune limitation légale du temps de travail. Les
grands fabricants n'auraient pas seulement à souffrir de cette inégalité dans
les conditions de la concurrence au sujet des heures de travail, leur personnel
de femmes et d'enfants serait en outre détourné à leur préjudice vers les
ateliers épargnés par la loi. Enfin cela pousserait à la multiplication des
petits ateliers qui, presque sans exception, sont les moins favorables à la
santé, au confort, à l'éducation et à l'amélioration générale du peuple (719). »
La Commission propose, dans son rapport final de
1866, de soumettre à la loi de fabrique plus de un million quatre cent mille
enfants, adolescents et femmes dont la moitié environ est exploitée par la
petite industrie et le travail à domicile.
« Si le Parlement, dit-elle, acceptait notre
proposition dans toute son étendue, il est hors de doute qu'une telle
législation exercerait l'influence la plus salutaire, non seulement sur les
jeunes et les faibles dont elle s'occupe en premier lieu, mais encore sur la
masse bien plus considérable des ouvriers adultes qui tombent directement (les
femmes) et indirectement (les hommes) dans son cercle d'action. Elle leur
imposerait des heures de travail régulières et modérées, les amenant ainsi à
économiser et accumuler cette réserve de force physique dont dépend leur
prospérité aussi bien que celle du pays; elle préserverait la génération
nouvelle des efforts excessifs dans un âge encore tendre, qui minent leur
constitution et entraînent une décadence prématurée; elle offrirait enfin aux
enfants, du moins jusqu'à leur treizième année, une instruction élémentaire qui
mettrait fin à cette ignorance incroyable dont les rapports de la Commission
présentent une si fidèle peinture et qu'on ne peut envisager sans une véritable
douleur et un profond sentiment d'humiliation nationale (720). »
Vingt-quatre années auparavant une autre Commission
d'enquête sur le travail des enfants avait déjà, comme le remarque Senior,
« déroulé dans son rapport de 1842, le tableau le
plus affreux de la cupidité, de l'égoïsme et de la cruauté des parents et des
capitalistes, de la misère, de la dégradation et de la destruction des enfants
et des adolescents... On croirait que le rapport décrit les horreurs d'une
époque reculée... Ces horreurs durent toujours, plus intenses que jamais... Les
abus dénoncés en 1842 sont aujourd'hui (octobre 1863) en pleine floraison... Le
rapport de 1842 fut empilé avec d'autres documents, sans qu'on en prît
autrement note, et il resta là vingt années entières pendant lesquelles ces
enfants écrasés physiquement, intellectuellement et moralement purent devenir
les pères de la génération actuelle (721) ».
Les conditions sociales ayant changé, on n'osait plus
débouter par une simple fin de non-recevoir les demandes de la Commission
d'enquête de 1862 comme on l'avait fait avec celles de la Commission de 1840.
Dès 1864, alors que la nouvelle Commission n'avait encore publié que ses
premiers rapports, les manufactures d'articles de terre (y inclus les
poteries), de tentures, d'allumettes chimiques, de cartouches, de capsules et
la coupure de la futaine (fustian cutting) furent soumis à la
législation en vigueur pour les fabriques textiles. Dans le discours de la
couronne du 5 février 1867, le ministère Tory d'alors annonça des bills puisés
dans les propositions ultérieures de la Commission qui avait fini ses travaux
en 1866.
Le 15 août 1867, fut promulgué le Factorv Acts
extension Act, loi pour l'extension des lois de fabrique, et le 21 août, le
Workshop Regulation Act, loi pour la régularisation des ateliers, l'une
ayant trait à la grande industrie, l'autre à la petite.
La première réglemente les hauts fourneaux, les
usines à fer et à cuivre, les ateliers de construction de machines à l'aide de
machines, les fabriques de métal, de gutta-percha et de papier, les verreries,
les manufactures de tabac, les imprimeries (y inclus celles des journaux), les
ateliers de relieurs, et enfin tous les établissements industriels sans
exception, où cinquante individus ou davantage sont simultanément occupés, au
moins pour une période de cent jours dans le cours de l'année.
Pour donner une idée de l'étendue de la sphère que la
« Loi sur la régularisation des ateliers » embrassait dans son action,
nous en citerons les articles suivants :
Art. 4. « Par métier on entend : Tout travail manuel
exercé comme profession ou dans un but de gain et qui concourt à faire un
article quelconque ou une partie d'un article, à le modifier, le réparer,
l'orner, lui donner le fini (finish), ou à l'adapter de toute autre manière
pour la vente. »
« Par atelier (workshop), on entend toute espèce de
place, soit couverte, soit en plein air, où un métier quelconque est exercé par
un enfant, un adolescent ou une femme, et où la personne par laquelle l'enfant,
l'adolescent ou la femme est employé, a le droit d'accès et de direction (the
right of access and control). »
« Par être employé, on entend être occupé dans un
métier quelconque, moyennant salaire ou non, sous un patron ou sous un parent.
»
« Par parent, on entend tout parent, tuteur ou autre
personne ayant sous sa garde ou sous sa direction un enfant ou adolescent. »
L'art. 7, contenant les clauses pénales pour
contravention à cette loi, soumet à des amendes non seulement le patron, parent
ou non, mais encore « le parent ou la personne qui tire un bénéfice
direct du travail de l'enfant, de l'adolescent ou de la femme, ou qui l'a sous
son contrôle ».
La loi affectant les grands établissements, le Factory
Acts extension Act, déroge à la loi de fabrique par une foule d'exceptions
vicieuses et de lâches compromis avec les entrepreneurs.
La « loi pour la régularisation des ateliers », misérable
dans tous ses détails, resta lettre morte entre les mains des autorités
municipales et locales, chargées de son exécution. Quand, en 1871, le Parlement
leur retira ce pouvoir pour le conférer aux inspecteurs de fabrique, au ressort
desquels il joignit ainsi d'un seul coup plus de cent mille ateliers et trois
cents briqueteries, on prit en même temps soin de n'ajouter que huit
subalternes à leur corps administratif déjà beaucoup trop faible (722).
Ce qui nous frappe donc dans la législation anglaise
de 1867, c'est d'un côté la nécessité imposée au Parlement des classes
dirigeantes d'adopter en principe des mesures si extraordinaires et sur une si
large échelle contre les excès de l'exploitation capitaliste, et de l'autre
côté l'hésitation, la répugnance et la mauvaise foi avec lesquelles il s'y
prêta dans la pratique.
La Commission d'enquête de 1862 proposa aussi une
nouvelle réglementation de l'industrie minière, laquelle se distingue des
autres industries par ce caractère exceptionnel que les intérêts du
propriétaire foncier (landlord) et de l'entrepreneurcapitaliste s'y
donnent la main. L'antagonisme de ces deux intérêts avait été favorable à la
législation de fabrique et, par contre, son absence suffit pour expliquer les
lenteurs et les faux-fuyants de la législation sur les mines.
La Commission d'enquête de 1840 avait fait des
révélations si terribles, si shocking, et provoquant un tel scandale en
Europe que, par acquit de conscience, le Parlement passa le Mining Act (loi
sur les mines) de 1842, où il se borna à interdire le travail sous terre, à
l'intérieur des mines, aux femmes et aux enfants au-dessous de dix ans.
Une nouvelle loi, « The Mines lnspecting Act »
(loi sur l'inspection des mines) de 1860, prescrit que les mines seront
inspectées par des fonctionnaires publics, spécialement nommés à cet effet, et
que de dix à douze ans, les jeunes garçons ne pourront être employés qu'à la
condition d'être munis d'un certificat d'instruction ou de fréquenter l'école
pendant un certain nombre d'heures. Cette loi resta sans effet à cause de
l'insuffisance dérisoire du personnel des inspecteurs, des limites étroites de
leurs pouvoirs et d'autres circonstances qu'on verra dans la suite.
Un des derniers livres bleus sur les mines : « Report
from the select committee on Mines, etc., together with evidence », 13 juillet
1866, est l’œuvre d'un comité parlementaire choisi dans 'le sein de la Chambre
des communes et autorisé à citer et à interroger des témoins. C'est un fort
in-folio où le rapport du comité ne remplit que cinq lignes, rien que cinq
lignes à cet effet qu'on n'a rien à dire et qu'il faut de plus amples
renseignements ! Le reste consiste en interrogatoires des témoins.
La manière d'interroger rappelle les cross
examinations (interrogatoires contradictoires) des témoins devant les
tribunaux anglais où l'avocat, par des questions impudentes, imprévues, équivoques,
embrouillées, faites à tort et à travers, cherche à intimider, à surprendre, à
confondre le témoin et à donner une entorse aux mots qu'il lui a arrachés. Dans
l'espèce les avocats, ce sont messieurs du Parlement, chargés de l'enquête, et
comptant parmi eux des propriétaires et des exploiteurs de mines; les témoins,
ce sont les ouvriers des houillères. La farce est trop caractéristique pour que
nous ne donnions pas quelques extraits de ce rapport. Pour abréger, nous les
avons rangés par catégorie. Bien entendu, la question et la réponse
correspondante sont numérotées dans les livres bleus anglais.
I.
Occupation des garçons à partir de dix ans dans les mines.
- Dans les mines, le travail, y compris l'aller et le
retour, dure ordinairement de quatorze à quinze heures, quelquefois même de 3,
4, 5 heures du matin jusqu'à 4 et 5 heures du soir (nos 6, 452, 83). Les
adultes travaillent en deux tournées, chacune de huit heures, mais il n'y a pas
d'alternance pour les enfants, affaire d'économie (nos 80, 203, 204). Les plus
jeunes sont principalement occupés à ouvrir et fermer les portes dans les
divers compartiments de la mine; les plus âgés sont chargés d'une besogne plus
rude, du transport du charbon, etc. (nos 122, 739, 1747). Les longues heures de
travail sous terre durent jusqu'à la dix-huitième ou vingt-deuxième année;
alors commence le travail des mines proprement dit (n° 161). Les enfants et les
adolescents sont aujourd'hui plus rudement traités et plus exploités qu'à
aucune autre période antérieure (nos 1663-67). Les ouvriers des mines sont
presque tous d'accord pour demander du Parlement une loi qui interdise leur
genre de travail jusqu'à l'âge de quatorze ans. Et voici Vivian Hussey (un
exploiteur de mines) qui interroge :
« Ce désir n'est-il pas subordonné à la plus ou moins
grande pauvreté des parents ? Ne serait-ce pas une cruauté, là où le père est
mort, estropié, etc., d'enlever cette ressource à la famille ? Il doit pourtant
y avoir une règle générale. Voulez-vous interdire le travail des enfants sous
terre jusqu'à quatorze ans dans tous les cas ? »
Réponse : « Dans tous les cas » (nos 107-110).
Hussey : « Si le travail avant quatorze ans était
interdit dans les mines, les parents n'enverraient-ils pas leurs enfants dans
les fabriques? - Dans la règle, non » (n° 174).
Un ouvrier : « L'ouverture et la fermeture des portes
semble chose facile. C'est en réalité une besogne des plus fatigantes. Sans
parler du courant d'air continuel, les garçons sont réellement comme des
prisonniers qui seraient condamnés à une prison cellulaire sans jour. »
Bourgeois Hussey : « Le garçon ne peut-il pas lire en
gardant la porte, s'il a une lumière ? » -
«D'abord il lui faudrait acheter des bougies et on ne
le lui permettrait pas. Il est là pour veiller à sa besogne, il a un devoir à
remplir; je n'en ai jamais vu lire un seul dans la mine » (nos 141-160).
II.
Éducation.
- Les ouvriers des mines désirent des lois pour
l'instruction obligatoire des enfants, comme dans les fabriques. Ils déclarent
que les clauses de la loi de 1860, qui exigent un certificat d'instruction pour
l'emploi de garçons de dix à douze ans, sont parfaitement illusoires. Mais
voilà où l'interrogatoire des juges d'instruction capitalistes devient
réellement drôle.
« Contre qui la loi est-elle le plus nécessaire ?
contre les entrepreneurs ou contre les parents ? - Contre les deux »(n° 116).
« Plus contre ceux-ci que contre ceux-là ? -
Comment répondre à cela ? » (n° 137).
« Les entrepreneurs montrent-ils le désir d'organiser
les heures de travail de manière à favoriser la fréquentation de l'école? -
Jamais » (n° 211).
« Les ouvriers des mines améliorent-ils après coup
leur instruction ? - Ils se dégradent généralement et prennent de mauvaises habitudes;
ils s'adonnent au jeu et à la boisson et se perdent complètement » (n° 109).
« Pourquoi ne pas envoyer les enfants aux écoles du
soir ? - Dans la plupart des districts houillers il n'en existe aucune; mais le
principal, c'est qu'ils sont tellement épuisés du long excès de travail, que
leurs yeux se ferment de lassitude... Donc, conclut le bourgeois, vous êtes
contre l'éducation ? - Pas le moins du monde, etc. » (n° 443).
« Les exploiteurs des mines, etc., ne sont-ils pas
forcés par la loi de 1860 de demander des certificats d'école, pour les enfants
entre dix et douze ans? La loi l'ordonne, c'est vrai; niais ils ne le font pas
» (n° 444).
« D'après vous, cette clause de la loi n'est donc pas
généralement exécutée? - Elle ne l'est pas du tout » (n° 717).
« Les ouvriers des mines s'intéressent-ils beaucoup à
cette question de l'éducation ? - La plus grande partie » (n° 718).
« Désirent-ils ardemment l'application forcée de la
loi ? - Presque tous » (n° 720).
« Pourquoi donc n'emportent-ils pas de haute lutte
cette application ? - Plus d'un ouvrier désirerait refuser un garçon sans
certificat d'école; niais alors c'est un homme signalé (a marked mari) » (n°
721).
« Signalé par qui ?- par son patron » (n° 722).
« Vous croyez donc que les patrons persécuteraient
quelqu'un parce qu'il aurait obéi à la loi ? - Je crois qu'ils le feraient »
(n° 723).
« Pourquoi les ouvriers ne se refusent-ils pas à
employer les garçons qui sont dans ce cas? - Cela n'est pas laissé à leur choix
» (n° 1634). « Vous désirez l'intervention du Parlement ? - On ne fera jamais
quelque chose d'efficace pour l’éducation des enfants des mineurs, qu'en vertu
d'un acte du Parlement et par voie coercitive » (n° 1636).
« Ceci se rapporte-t-il aux enfants de tous les
travailleurs de la Grande-Bretagne ou seulement à ceux des ouvriers des mines ?
- Je suis ici seulement pour parier au nom de ces derniers » (n° 1638).
« Pourquoi distinguer les enfants des mineurs des
autres ? - Parce qu'ils forment une exception à la règle » (no 1639).
« Sous quel rapport ? - Sous le rapport physique »
(n` 1640).
« Pourquoi l'instruction aurait-elle plus de valeur
pour eux que pour les enfants d'autres classes? - Je ne prétends pas cela; mais
à cause de leur excès de travail dans les mines, ils ont moins de chances de
pouvoir fréquenter les écoles de la semaine et du dimanche » (n° 1644).
« N'est-ce pas, il est impossible de traiter ces
questions d'une manière absolue ? » (n° 1646).
« Y a-t-il assez d'écoles dans les districts? –
Non » II (n° 1647).
« Si l'Etat exigeait que chaque enfant fût envoyé à
l'école, où pourrait-on trouver assez d'écoles pour tous les enfants ? - Je
crois que, dès que les circonstances l'exigeront, les écoles naîtront
d'elles-mêmes. La plus grande partie non seulement des enfants mais encore des
ouvriers adultes dans les mines ne sait ni lire ni écrire » (nos 705, 726).
III.
Travail des femmes.
- Depuis 1842, les ouvrières ne sont plus employées sous
terre, mais bien au-dessus, à charger et trier le charbon, à traîner
les cuves vers les canaux et les wagons de chemins de fer, etc. Leur nombre
s'est considérablement accru dans les trois ou quatre dernières années
(n°1727). Ce sont en général des femmes, des filles et des veuves de mineurs,
depuis douze jusqu'à cinquante et soixante ans (nos 645, 1779; n° 648).
« Que pensent les ouvriers mineurs du travail des
femmes dans les mines ? - Ils le condamnent généralement » (n° 649).
« Pourquoi ? - Ils le trouvent humiliant et dégradant
pour le sexe. Les femmes portent des vêtements d'hommes. Il y en a qui fument.
Dans beaucoup de cas, toute pudeur est mise de côté. Le travail est aussi sale
que dans les mines. Dans le nombre se trouvent beaucoup de femmes mariées oui
ne peuvent remplir leurs devoirs domestiques. » (nos 651 et nos 709)
« Les veuves pourraient-elles trouver ailleurs une
occupation aussi bien rétribuée (8 ou 10 shillings par semaine)? - Je ne puis
rien dire là-dessus. » (n° 710)
« Et pourtant vous seriez décidé à leur couper ce
moyen de vivre? (cœur de pierre !) - Assurément. » (n° 1715)
« D'où vous vient cette disposition ? - Nous,
mineurs, nous avons trop de respect pour le sexe pour le voir ainsi condamné à
la fosse à charbon... Ce travail est généralement très pénible. Beaucoup de ces
jeunes filles soulèvent dix tonnes par jour. » (n° 1732)
« Croyez-vous que les ouvrières occupées dans les
mines sont plus immorales que celles employées dans les fabriques ? - Le nombre
des mauvaises est plus grand chez nous qu'ailleurs. » (n° 1733)
« Mais n'êtes-vous pas non plus satisfait de l'état
de la moralité dans les fabriques ? - Non. » (n° 1734)
« Voulez-vous donc interdire aussi dans les fabriques
le travail des femmes ? - Non, je ne le veux pas. » (no 1735) « Pourquoi pas ? -
Le travail y est plus honorable et plus convenable pour le sexe féminin. » (n°
1736)
« Il est cependant funeste à leur moralité,
pensez-vous ? - Mais pas autant, il s'en faut de beaucoup, que le travail dans
les mines. Je ne parle pas d'ailleurs seulement au point de vue moral, mais
encore au point de vue physique et social. La dégradation sociale des jeunes
filles est extrême et lamentable. Quand ces jeunes filles deviennent les femmes
des ouvriers mineurs, les hommes souffrent profondément de leur dégradation, et
cela les entraîne à quitter leur foyer et à s'adonner à la boisson. » (n° 1737)
« Mais n'en est-il pas de même des femmes employées
dans les usines? - Je ne Puis rien dire des autres branches d'industrie. » (n°
1740)
« Mais quelle différence y a-t-il entre les femmes
occupées dans les mines et celles occupées dans les usines ? - Je ne me suis
pas occupé de cette question. » (n° 1741)
« Pouvez-vous découvrir une différence entre l'une et
l'autre classe ? - Je ne me suis assuré de rien à ce sujet, mais je connais par
des visites de maison en maison l'état ignominieux des choses dans notre
district. » (n° 1750)
« N'auriez-vous pas grande envie d'abolir le travail
des femmes partout où il est dégradant ? - Bien sûr... Les meilleurs sentiments
des enfants doivent avoir leur source dans l'éducation maternelle. » (n° 1751)
« Mais ceci s'applique également aux travaux
agricoles des femmes? - Ils ne durent que deux saisons; chez nous, les femmes
travaillent pendant les quatre saisons, quelquefois jour et nuit, mouillées
jusqu'à la peau; leur constitution s'affaiblit et leur santé se ruine. » (n
1753)
« Cette question (de l'occupation des femmes), vous
ne l'avez pas étudiée d'une manière générale ? - J'ai jeté les yeux autour de
moi, et tout ce que je puis dire, c'est que nulle part je n'ai rien trouvé qui
puisse entrer en parallèle avec le travail des femmes dans les mines de
charbon... C'est un travail d'homme et d'homme fort... La meilleure classe des
mineurs qui cherche à s'élever et às'humaniser, bien loin de trouver un appui
dans leurs femmes, se voit au contraire par elles toujours entraînée plus bas.
» Après une foule d'autres questions, à tort et à travers, de messieurs les
bourgeois, le secret de leur compassion pour les veuves, les familles pauvres,
etc., se révèle enfin : « Le patron charge certains gentlemen de la
surveillance, et ceux-ci, afin de gagner sa bonne grâce, suivent la politique
de tout mettre sur le pied le plus économique possible; les jeunes filles
occupées n'obtiennent que un shilling à un shilling six pence par jour, tandis
qu'il faudrait donner à un homme deux shillings six pence. » (no 1816)
IV. Jury
pour les morts occasionnées par les accidents clans les mines.
- « Pour ce qui est des enquêtes du coroner dans vos
districts, les ouvriers sont-ils satisfaits de la manière dont la justice
procède quand des accidents surviennent ? - Non, ils ne le sont point du tout.
» (no 361) « Pourquoi pas ? - Principalement parce qu'on fait entrer dans le
jury des gens qui n'ont pas la moindre notion des mines. On n'appelle jamais
les ouvriers, si ce n'est comme témoins. Nous demandons qu'une partie du jury
soit composée de mineurs. A présent, le verdict est presque toujours en
contradiction avec les dépositions des témoins. " (no 378) « Les jurys ne
doivent-ils pas être impartiaux ? - Mais pardon, ils devraient l'être. » (no
379) « Les travailleurs le seraient-ils ? - Je ne vois pas de motifs pour
qu'ils ne le fussent pas. Ils jugeraient en connaissance de cause. » (no 380) «
Mais n'auraient-ils pas une tendance à rendre des jugements injustes et trop
sévères en faveur des ouvriers et dans leur intérêt ? - Non, je ne le crois
pas. »
V. Faux
poids et fausse mesure, etc.
- Les ouvriers demandent à être payés toutes les
semaines et non tous les quinze jours; ils veulent que l'on mesure les cuves au
poids; ils réclament contre l'usage de faux poids, etc., (n° 1071).
« Quand la mesure des cuves est grossie
frauduleusement, l'ouvrier n'a-t-il pas le droit d'abandonner la mine, après en
avoir donné avis quinze jours d'avance ? - Oui, mais s'il va à un autre
endroit, il retrouve la même chose. » (n° 1072)
« Mais il peut bien quitter la place là où
l'injustice est commise? - Cette injustice règne partout. » (n° 1073)
« Mais l'homme peut toujours quitter chaque fois la
place après un avertissement de quinze jours ? - Oui. »
Après cela il faut tirer l'échelle !
VI. Inspection des mines.
- Les ouvriers n'ont pas seulement à souffrir des
accidents causés par l'explosion des gaz (nos 234 et suiv.).
« Nous avons égaiement à nous plaindre de la mauvaise
ventilation des houillères; on peut à peine y respirer et on devient incapable
de faire n'importe quoi. Maintenant, par exemple, dans la partie de la mine où
je travaille, l'air pestilentiel qui y règne a rendu malades beaucoup de
personnes qui garderont le lit plusieurs semaines. Les conduits principaux sont
assez aérés, mais non pas précisément les endroits où nous travaillons. Si un
homme se plaint de la ventilation à un inspecteur, il est congédié et, de plus,
« signalé » ce qui lui ôte tout espoir de trouver ailleurs de
l'occupation. Le « Mining Inspecting Act » de 1860 est un simple morceau de
papier. L'inspecteur, et le nombre de ces messieurs est beaucoup trop petit,
fait peut-être en sept ans une seule visite pour la forme. Notre inspecteur,
septuagénaire invalide, surveille plus de cent trente mines de charbon. Outre
les inspecteurs, il nous faudrait encore des sous-inspecteurs. » (n° 280)
« Le gouvernement doit-il donc entretenir une armée
d'inspecteurs suffisante à faire tout sans le secours, sans les informations
des ouvriers eux-mêmes ? - Cela est impossible, mais ils devraient venir
prendre leurs informations dans les mines mêmes. » (n° 285)
« Ne croyez-vous pas que le résultat de tout cela
serait de détourner la responsabilité des propriétaires et exploiteurs de mines
Sur les fonctionnaires du gouvernement ? - Pas du tout; leur affaire est
d'exiger l 'exécution des lois déjà existantes. »(n° 294)
« Quand vous parlez de sous-inspecteurs, avez-vous en
vue des gens moins bien rétribués que les inspecteurs actuels et d'un caractère
inférieur ? - Je ne les désire pas le moins du monde inférieurs, si vous pouvez
trouver mieux. » (n° 295)
« Voulez-vous plus d'inspecteurs ou une classe
inférieure de gens comme inspecteurs ? - Il nous faut des gens qui circulent
dans les mines, des gens qui ne tremblent pas pour leur peau. » (n° 296)
« Si l'on vous donnait, d'après votre désir, des
inspecteurs d'espèce différente, leur manque d'habileté n'engendrerait-il pas
quelques dangers? etc. - Non, c'est l'affaire du gouvernement de mettre en
place des sujets capables. »
Ce genre d'examen finit par paraître insensé au
président même du comité d'enquête.
« Vous voulez, dit-il en interrompant son compère,
des gens pratiques qui visitent les mines eux-mêmes et fassent ensuite un
rapport à l'inspecteur, afin que celui-ci puisse alors appliquer sa science
supérieure? » (n° 531)
« La ventilation de toutes ces vieilles galeries
n'occasionnera-t-elle pas beaucoup de frais ? - Les frais pourraient augmenter,
mais bien des vies d'hommes seraient sauvegardées. » (n° 581)
Un mineur proteste contre la dix-septième section de
l'acte de 1860 :
« A présent, quand l'inspecteur trouve une partie
quelconque de la mine dans un état tel qu'on ne peut travailler, il doit en
avertir le propriétaire et le ministre de l'Intérieur; après quoi le
propriétaire a vingt jours de réflexion; passé ce sursis de vingt jours, il
peut se refuser à toute espèce de changement. Mais s'il fait cela, il doit en
écrire au ministre de l'Intérieur et lui proposer cinq ingénieurs des mines
parmi lesquels le ministre a à choisir les arbitres. Nous soutenons que, dans
ce cas, le propriétaire nomme lui-même son juge. » (n° 586)
L'examinateur bourgeois, propriétaire de
machines lui-même:
« Ceci est une objection purement spéculative. » (no
588)
« Vous avez donc une bien faible idée de la loyauté
des ingénieurs des mines ? - Je dis que cela est peu équitable et même injuste.
» (n° 589)
« Les ingénieurs ne possèdent-ils pas une ,sorte de
caractère public qui élève leurs décisions au-dessus de la partialité que vous
craignez de leur part ? - Je refuse de répondre à toute question sur le
caractère personnel de ces gens-là. Je suis convaincu qu'ils agissent
partialement dans beaucoup de cas, et qu'on devrait leur ôter cette puissance,
là où la vie humaine est enjeu. »
Le même bourgeois a l'impudence de dire :
« Croyez-vous donc que les propriétaires de mines
n'éprouvent aucune perte dans les explosions ? - Enfin, ne pouvez-vous pas,
vous, ouvriers, prendre en main vos propres intérêts, sans faire appel au
secours du gouvernement ? - Non. » (n° 1042)
Il y avait, en 1865, dans la Grande-Bretagne, trois
mille deux cent dix-sept mines de charbon et douze inspecteurs. Un propriétaire
de mines du Yorkshire (Times, 26 janvier 1867), calcule lui-même qu'en laissant
de côté les travaux de bureau qui absorbent tout leur temps, ces inspecteurs ne
pourraient visiter chaque mine qu'une fois tous les dix ans. Rien d'étonnant
que dans ces dernières années les catastrophes aient augmenté progressivement
sous le rapport du nombre et de la gravité, parfois de deux à trois cents
victimes !
La loi très défectueuse passée par le Parlement en
1872 règle la première le temps de travail des enfants occupés dans les mines
et rend les exploiteurs et propriétaires dans une certaine mesure responsables
pour les prétendus accidents.
Une Commission royale, chargée en 1867 de l'enquête
sur l'emploi des enfants, des adolescents et des femmes dans l'agriculture, a
publié des rapports très importants. Plusieurs tentatives faites dans le but
d'appliquer aussi à l'agriculture, quoique sous une forme modifiée, les lois de
fabrique, n'ont jusqu'ici abouti à aucun résultat. Tout ce que nous avons à
signaler ici, c'est la tendance irrésistible qui doit en amener l'application
générale.
Cette généralisation, devenue
indispensable pour protéger la classe ouvrière physiquement et moralement, hâte
en même temps, comme nous l'avons déjà indiqué, la métamorphose du travail
isolé, disséminé et exécuté sur une petite échelle, en travail socialement
organisé et combiné en grand, et, par conséquent, aussi la concentration des
capitaux et le régime exclusif de fabrique. Elle détruit tous les modes
traditionnels et de transition, derrière lesquels se dissimule encore en partie
le pouvoir du capital, pour les remplacer par son autocratie immédiate. Elle
généralise en même temps la lutte directe engagée contre cette domination. Tout
en imposant à chaque établissement industriel, pris à part, l'uniformité, la
régularité, l'ordre et l'économie, elle multiplie, par l'énorme impulsion que
la limitation et la régularisation de la journée de travail donnent au
développement technique, l'anarchie et les crises de la production sociale,
exagère l'intensité du travail et augmente la concurrence entre l'ouvrier et la
machine. En écrasant la petite industrie et le travail à domicile, elle
supprime le dernier refuge d'une masse de travailleurs, rendus chaque jour surnuméraires,
et par cela même la soupape de sûreté de tout le mécanisme social. Avec les
conditions matérielles et les combinaisons sociales de la production, elle
développe en même temps les contradictions et les antagonismes de sa forme
capitaliste, avec les éléments de formation d'une société nouvelle, les forces
destructives de l'ancienne (723).
X. - Grande industrie et agriculture
Plus tard, nous rendrons compte de la révolution provoquée
par la grande industrie dans l'agriculture et dans les rapports sociaux de ses
agents de production. Il nous suffit d'indiquer ici brièvement et par
anticipation quelques résultats généraux. Si l'emploi des machines dans
l'agriculture est exempt en grande partie des inconvénients et des dangers
physiques auxquels il expose l'ouvrier de fabrique, sa tendance à supprimer, à
déplacer le travailleur, s'y réalise avec beaucoup plus d'intensité et sans
contrecoup (724). Dans les comtés de Suffolk et de
Cambridge, par exemple, la superficie des terres cultivées s'est
considérablement augmentée pendant les derniers vingt ans, tandis que la
population rurale a subi une diminution non seulement relative, mais absolue.
Dans les Etats-Unis du Nord de l'Amérique, les machines agricoles remplacent
l'homme virtuellement, en mettant un nombre égal de travailleurs à même de
cultiver une plus grande superficie, mais elles ne le chassent pas encore
actuellement. En Angleterre, elles dépeuplent les campagnes. C'est se tromper
étrangement que de croire que le nouveau travail agricole à la machine fait
compensation. En 1861, il n'y avait que mille deux cent cinq ouvriers ruraux
occupés aux machines agricoles, engins à vapeur et machines-outils, dont la
fabrication employait un nombre d'ouvriers industriels à peu près égal.
Dans la sphère de l'agriculture, la grande industrie
agit plus révolutionnairement que partout ailleurs en ce sens qu'elle fait
disparaître le paysan, le rempart de l'ancienne société, et lui substitue le
salarié. Les besoins de transformation sociale et la lutte des classes sont
ainsi ramenés dans les campagnes au même niveau que dans les villes.
L'exploitation la plus routinière et la plus
irrationnelle est remplacée par l'application technologique de la science. Le
mode de production capitaliste rompt définitivement entre l'agriculture et la
manufacture le lien qui les unissait dans leur enfance; mais il crée en même
temps les conditions matérielles d'une synthèse nouvelle et supérieure,
c'est-à-dire l'union de l'agriculture et de l'industrie sur la base du
développement que chacune d'elles acquiert pendant la période de leur
séparation complète. Avec la prépondérance toujours croissante de la population
des villes qu'elle agglomère dans de grands centres, la production capitaliste
d'une part accumule la force motrice historique de la société; d'autre part
elle détruit non seulement la santé physique des ouvriers urbains et la vie
intellectuelle des travailleurs rustiques (725), mais trouble encore la circulation matérielle entre
l'homme et la terre, en rendant de plus en plus difficile la restitution de ses
éléments de fertilité, des ingrédients chimiques qui lui sont enlevés et usés
sous forme d'aliments, de vêtements, etc. Mais en bouleversant les conditions
dans lesquelles une société arriérée accomplit presque spontanément cette
circulation, elle force de la rétablir d'une manière systématique, sous une
forme appropriée au développement humain intégral et comme loi régulatrice de
la production sociale.
Dans l'agriculture comme dans la manufacture, la
transformation capitaliste de la production semble n'être que le martyrologue
du producteur, le moyen de travail que le moyen de dompter, d'exploiter et
d'appauvrir le travailleur. la combinaison sociale du travail que l'oppression
organisée de sa vitalité, de sa liberté et de son indépendance individuelles.
La dissémination des travailleurs agricoles sur de plus grandes surfaces brise
leur force de résistance, tandis que la concentration augmente celle des
ouvriers urbains. Dans l'agriculture moderne, de même que dans l'industrie des
villes, l'accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail
s'achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail.
En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non
seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de
dépouiller le sol; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un
temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un
pays, les Etats-Unis du nord de l'Amérique, par exemple, se développe sur la
base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit
rapidement (726). La production capitaliste ne
développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale
qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse :
La terre et le travailleur.
NOTES
390 La valeur
moyenne du salaire journalier est déterminée par ce dont le travailleur a
besoin « pour vivre, travailler et engendrer ». (William Petty : Political
anatomy of Ireland. 1672, p. 64.) « Le prix du travail se compose toujours
du prix des choses absolument nécessaires à la vie... Le travailleur n'obtient
pas un salaire suffisant toutes les fois que ce salaire ne lui permet pas
d'élever conformément à son humble rang une famille telle qu'il semble
que ce soit le lot de la plupart d'entre eux d'en avoir. » (L. Vanderlint,
l.c., p.19.) « Le simple ouvrier, qui n'a que ses bras et son industrie, n'a rien
qu'autant qu'il parvient à vendre à d'autres sa peine... En tout genre de
travail il doit arriver, et il arrive en effet que le salaire de l'ouvrier se
borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer la subsistance. »
(Turgot : Réflexions sur la formation et la distribution des
richesses (1766) OEuvres édit Daire, t.1, p.10.) « Le prix des choses
nécessaires à la vie est en réalité ce que coûte le travail productif. »
(Malthus : Inquiry into, etc., Rent. London, 1815, p.48, note.)
391 « Le
perfectionnement de l'industrie n'est pas autre chose que la découverte de
moyens nouveaux, à l'aide desquels on puisse achever un ouvrage avec moins
de gens ou (ce qui est la même chose) en moins de temps
qu'auparavant » (Galiani, l.c., p.159.) « L'économie sur les frais de
production ne peut être autre chose que l'économie sur la quantité de travail
employé pour produire » (Sismondi : Etudes, etc., t.1, p.22.)
392 « Quand le
fabricant, par suite de l'amélioration de ses machines, double ses produits...
il gagne tout simplement (en définitive) parce que cela le met à même de vêtir
l'ouvrier à meilleur marché, etc., et qu'ainsi une plus faible partie du
produit total échoit à celui-ci. » (Ramsay, l.c., p.168.) Retour au texte (392)
393 « Le profit
d'un homme ne provient pas ce qu'il dispose des produits du travail d'autres
hommes, mais de ce qu'il dispose du travail lui-même. S'il peut vendre ses
articles à un plus haut prix, tandis que le salaire de ses ouvriers reste le
même, il a un bénéfice clair et net... Une plus faible proportion de ce qu'il
produit suffit pour mettre ce travail en mouvement, et une plus grande
proportion lui en revient par conséquent. » (Outlines of polit. econ.,
London, 1832, p.49, 50.) Retour
au texte (393)
394 « Si mon
voisin, en faisant beaucoup avec peu de travail, peut vendre bon marché, il me
faut imaginer un moyen de vendre aussi bon marché que lui. C’est que tout art,
tout commerce, toute machine faisant œuvre à l’aide du travail de moins de
mains, et conséquemment à meilleur marché, fait naître dans autres une espèce
de nécessité et d’émulation qui les porte soit à employer les mêmes procédés,
le même genre de trafic, la même machine, soit à en inventer de semblables afin
que chacun reste sur un pied d’égalité et que personne ne puisse vendre à plus
bas prix que ses voisins. » (The advantages of the East India Trade to
England, London, 1720, p.67.) Retour
au texte (394)
395 « Dans quelque
proportion que les dépenses du travailleur soient diminuées, son salaire sera
diminué dans la même proportion, si l'on abolit en même temps toutes les
restrictions posées à l'industrie. » Considerations concerning taking off
the Bounty on Corn exported, etc. London, 1752, p.7.) « L'intérêt du
commerce requiert que le blé et toutes les subsistances soient à aussi bon
marché que possible; car tout ce qui les enchérit doit enchérir également le
travail... Dans tous les pays où l'industrie n'est pas restreinte, le prix des
subsistances doit affecter le prix du travail. Ce dernier sera toujours diminué
quand les articles de première nécessité deviendront moins chers. » (L.c.,
p.3.) « Le salaire diminue dans la même proportion que la puissance
de la production augmente. Les machines, il est vrai, font baisser de prix
les articles de première nécessité, mais elles font par cela même baisser de
prix le travailleur également. » EN-US'>(A Price essay on the
comparative merits of competition and cooperation. London, 1834, p.27.)
396 Quesnay : Dialogue
sur le commerce et les travaux des artisans, p.188, 189 (édit. Daire). Retour au texte (396)
397 « Ces
spéculateurs, si économes du travail des ouvriers qu'il faudrait qu'ils
payassent ! » (J. N. Bidault : Du monopole qui s'établit dans les arts
industriels et le commerce. Paris, 1828, p.13.) « L'entrepreneur met
toujours son esprit à la torture pour trouver le moyen d'économiser le temps et
le travail. » (Dugald Stewart : Works ed. by Sir W. Hamilton. Edinburgh,
v. III, 1855. Lectures on polit. Econ., p.318.) « L'intérêt des
capitalistes est que la force productive des travails soit la plus grande
possible. Leur attention est fixée, presque exclusivement , sur les moyens
d'accroître cette force. » (R. Jones, 1.c. Lecture III.)
398 « Sans
contredit, il y a beaucoup de différences entre la valeur du travail d'un homme
et celle d'un autre, sous le rapport de la force, de la dextérité et de
l'application consciencieuse. Mais je suis parfaitement convaincu, et d'après
des expériences rigoureuses, que n'importe quels cinq hommes, étant donné les
périodes de vie que j'ai fixées, fourniront la même quantité de travail que
n’importe quels autres cinq hommes; c'est-à-dire que parmi ces cinq hommes, un
possédera toutes les qualités d'un bon ouvrier, un autre d'un mauvais, et les
trois autres ne seront ni bons ni mauvais, mais entre les deux. Ainsi donc dans
un si petit peloton que cinq hommes, vous trouverez tout ce que peuvent gagner
cinq hommes. » E. Burke, l.c., p.16. Consulter Quételet sur l'Homme
moyen.
399 Le professeur
Roscher découvre qu'une couturière que madame son épouse occupe pendant deux
jours fait plus de besogne que les deux couturières qu’elle occupe le même
jour. Monsieur le professeur ferait bien de ne plus étudier le procès de
production capitaliste dans la chambre de la nourrice, ni dans des
circonstances où le personnage principal, le capitaliste, fait défaut. Retour au texte (399)
400 « Concours de
forces. » Destutt de Tracy, l.c., p.78.
401 « Il y a une
multitude d'opérations d'un genre si simple qu'elles n'admettent lent pas la
moindre division parcellaire et ne peuvent être accomplies sans la coopération
d'un grand nombre de mains : le chargement d'un gros arbre sur un chariot par
exemple... en un mot tout ce qui ne peut être fait si des mains nombreuses ne
s'aident pas entre elles dans le même acte indivis et dans le même temps. » (E.
G. Wakefield : A View of the Art of Colonization. London, 1849,
p.168.)
402 « Qu'il s'agisse de soulever un poids d'une tonne, un seul
homme ne le pourra point, dix hommes seront obligés de faire des efforts; mais
cent hommes, y parviendront aisément avec le petit doigt. » (John Bellers: Proposals
for raising a college of industry. Lond. 1696, p.21.)
403 « Il y a donc
» (quand un même nombre de travailleurs est employé par un cultivateur sur
trois cents arpents au lieu de l'être par dix cultivateurs sur trente arpents)
« un avantage dans la proportion des ouvriers, avantage qui ne peut être bien
compris que par des hommes pratiques; on est en effet porté à dire que comme un
est à quatre ainsi trois est à douze, mais ceci ne se soutient pas dans la
réalité. Au temps de la moisson et à d'autres époques semblables, alors qu'il
faut se hâter, l'ouvrage se fait plus vite et mieux si l'on emploie beaucoup de
bras à la fois. Dans la moisson par exemple, deux conducteurs, deux
chargeurs, deux lieurs, deux racleurs, et le reste au tas ou dans la
grange, feront deux fois plus de besogne que n'en ferait le même nombre de
bras, s'il se distribuait entre différentes fermes. » (An Inquiry into the
Connection between the present price of provisions and the size of farms. By a
Farmer. Lond. 1773, p.7, 8.) Retour
au texte (403)
404 La définition
d'Aristote est à proprement parier celle-ci, que l'homme est par nature
citoyen, c'est-à-dire habitant de ville. Elle caractérise l'antiquité classique
tout aussi bien que la définition de Franklin : « L'homme est naturellement un
fabricant d'outils », caractérise le Yankee.
405 V. G. Skarbek:
Théorie des richesses sociales. 2° édit. Paris, 1870, t. 1, p.97, 98. Retour au texte (405)
406 « Est-il question
d'exécuter un travail compliqué? Plusieurs choses doivent être faites
simultanément. L'un en fait une, pendant que l'autre en fait une aune, et tous contribuent
à l'effet qu'un seul n'aurait pu produire. L'un rame pendant que l'autre tient
le gouvernail, et qu'un troisième jette le filet ou harponne le poisson,
et la pêche a un succès impossible sans ce concours. » (Destutt de
Tracy, l.c.)
407 « L'exécution
du travail (en agriculture) précisément aux moments critiques, est d'une
importance de premier ordre. » (An Inquiry into the Connection between the
present price etc.) « En agriculture, il n'y a pas de facteur plus
important que le temps. » (Liebig : Ueber Theorie and Praxis in der
Landwirthschaft, 1856, p.23.) Retour
au texte (407)
408 « Un mal que
l'on ne s'attendrait guère à trouver dans un pays qui exporte te plus de travailleurs
que tout autre au monde, à l'exception peut-être de la Chine et de
l'Angleterre, c'est l'impossibilité de se procurer un nombre suffisant de mains
pour nettoyer le coton. Il en résulte qu'une bonne part de la moisson n'est pas
recueillie et qu'une autre partie une fois ramassée décolore et pourrit. De
sorte que faute de travailleurs à !a saison voulue, le cultivateur est forcé de
subir la perte d'une forte part de cette récolte que l'Angleterre attend avec
tant d'anxiété. » (Bengal Hurcuru By Monthly Overland Summary of News, 22
July 1861.)
409 « Avec le
progrès de la culture tout, et plus peut-être que tout le capital et le travail
autrefois disséminés sur cinq cents arpents, sont aujourd'hui concentrés pour
la culture perfectionnée de cent arpents. » Bien que « relativement au montant
du capital et du travail employés l'espace soit concentré, néanmoins la sphère
de production est élargie, si on la compare à la sphère de production occupée
ou exploitée auparavant par un simple producteur indépendant ». (R. Jones : On
Rent. Lond., 1831, p.191,199.) Retour
au texte (409)
410 « La force de
chaque homme est très petite, mais la réunion de petites forces engendre une force
totale plus grande que leur somme, en sorte que par le fait seul de leur
réunion elles peuvent diminuer le temps et accroître l'espace de leur action. »
(G. R. Carli, l.c., t. XV, p.176, note.) « Le travail
collectif donne des résultats que le travail individuel ne saurait jamais
fournir. A mesure donc que l'humanité augmentera en nombre, les produits de
l'industrie réunie excéderont de beaucoup la somme d'une simple addition
calculée sur cette augmentation... Dans les arts mécaniques comme dans les travaux
de la science, un homme peut actuellement faire plus dans un jour qu'un
individu isolé pendant toute sa vie. L'axiome des mathématiciens, que le tout
est égal aux parties, n'est plus vrai, appliqué à notre sujet. Quant au
travail, ce grand pilier de l'existence humaine, on peut dire que le produit
des efforts accumulés excède de beaucoup tout ce que des efforts individuels et
séparés peuvent jamais produire. » (Th. Sadler : The Law of
Population. London, 1850.) Retour
au texte (410)
411 « Le profit...
tel est le but unique du commerce. » (J. Vanderlint, l.c., p.11.) Retour au texte (411)
412 Une feuille
anglaise archi-bourgeoise, le Spectateur du 3 juin 1866, rapporte qu'à
la suite de l'établissement d'une espèce de société entre capitalistes et
ouvriers dans la « Wirework company » de Manchester, « le premier résultat
apparent fut une diminution soudaine du dégât, les ouvriers ne voyant pas
pourquoi ils détruiraient leur propriété. et le dégât est peut-être avec les
mauvaises créances, la plus grande source de pertes pour les manufactures ».
Cette même feuille découvre
dans les essais coopératifs de Rochdale un défaut fondamental. « Ils
démontrent que des associations ouvrières peuvent conduire et administrer avec
succès des boutiques, des fabriques dans toutes les branches de l'industrie, et
en même temps améliorer extraordinairement la condition des travailleurs, mais!
mais on ne voit pas bien quelle place elles laissent au capitaliste. » Quelle horreur
! Retour au texte (412)
413 Après avoir
démontré que la surveillance du travail est une des conditions essentielles de
la production esclavagiste dans les Etats du Sud de l'Union américaine, le
professeur Cairnes ajoute : « Le paysan propriétaire (du Nord) qui s'approprie
le produit total de sa terre, n'a pas besoin d'un autre stimulant pour
travailler. Toute surveillance est ici superflue. » (Cairnes, l.c., p.48, 49.) Retour au texte (413)
414 Sir James
Stewart, qui en général analyse avec une grande perspicacité les différences
sociales caractéristiques des divers modes de production, fait la réflexion
suivante : « Pourquoi l'industrie des particuliers est-elle ruinée par de
grandes entreprises en manufactures, si ce n'est parce que celles-ci se
rapprochent davantage de la simplicité du régime esclavagiste ? » (Princ. of
Econ., trad. franç.
Paris, 1789, t.1, p.308, 309.) Retour
au texte (414)
415 Auguste Comte et
son école ont cherché à démontrer l'éternelle nécessité des seigneurs du
capital; ils auraient pu tout aussi bien et avec les mêmes raisons, démontrer
celle des seigneurs féodaux.
416 R. Jones : Textbook
of Lectures, etc., p.77, 78. Les collections assyriennes, égyptiennes,
etc., que possèdent les musées européens, nous montrent les procédés de ces
travaux coopératifs.
417 Linguet, dans
sa Théorie des lois civiles, n'a peut-être pas tort de prétendre que la
chasse est la première forme de coopération, et que la chasse à l'homme (la
guerre) est une des premières formes de la chasse.
418 La petite
culture et le métier indépendant qui tous deux forment en partie la base du
mode de production féodal, une fois celui-ci dissous, se maintiennent en partie
à côté de l'exploitation capitaliste; ils formaient également la base
économique des communautés anciennes à leur meilleure époque, alors que la
propriété orientale originairement indivise se fut dissoute, et avant que
l'esclavage se fût emparé sérieusement de la production. Retour au texte (418)
419 « Réunir pour une même oeuvre
l'habileté, l'industrie et l'émulation d'un certain nombre d'hommes, n'est-ce
pas le moyen de la faire réussir ? Et l'Angleterre aurait-elle pu d'une autre
manière porter ses manufactures de drap à un aussi haut degré de perfection ? »
(Berkeley : The Querist, Lond., 1750, p.521) Retour au texte (419)
420 Un exemple
plus récent : « La filature de soie de Lyon et de Nîmes est toute patriarcale;
elle emploie beaucoup de femmes et d'enfants, mais sans les épuiser ni les corrompre;
elle les laisse dans leurs belles vallées de la Drôme, du Var, de l'Isère, de
la Vaucluse, pour y élever des vers et dévider leurs cocons; jamais elle
n'entre dans une véritable fabrique. Pour être aussi bien observé... le
principe de la division du travail s'y revêt d'un caractère spécial. Il y a
bien des dévideuses, des moulineurs, des teinturiers, des encolleurs, puis des
tisserands; mais ils ne sont pas réunis dans un même établissement, ne
dépendent pas d'un même maître : tous sont indépendants. » (A. Blanqui, Cours
d'Economie industrielle, recueilli par A. Blaise. Paris, 1838 39, p.
44, 80, passim). Depuis que Blanqui a écrit cela, les divers ouvriers
indépendants ont été plus ou moins réunis dans les fabriques. Retour au texte (420)
421 « Plus une
manufacture est divisée et plus toutes ses parts sont attribuées à des artisans
différents, mieux l'ouvrage est exécuté, avec une expédition plus prompte, avec
moins de perte en temps et travail. » (The Advantages of the East
India Trade. London, 1720, p.71.)
422 « Travail
facile est talent transmis. » (Th. Hodgskin, l.c., p.125.)
423 « Les arts
aussi... sont arrivés en Egypte à un haut degré de perfection. Car c'est le
seul pays où les artisans n'interviennent jamais dans les affaires d'une autre
classe de citoyens, forcés qu'ils sont par la loi de remplir leur unique
vocation héréditaire. Il arrive chez d'autres peuples que les gens de métier
dispersent leur attention sur un trop grand nombre d'objets. Tantôt ils
essayent de l'agriculture, tantôt du commerce, ou bien ils s'adonnent à
plusieurs arts à la fois. Dans les Etats libres, ils courent aux assemblées du
peuple. En Egypte, au contraire, l'artisan encourt des peines sévères, s'il se
mêle des affaires de l'Etat ou pratique plusieurs métiers. Rien ne peut donc
troubler les travailleurs dans leur activité professionnelle. En outre, ayant
hérité de leurs ancêtres une foule de procédés, ils sont jaloux d'en inventer
de nouveaux. » (Diodorus Siculus Bibliothèque historique, 1.1, c.
LXXIV.)
424 Historical and descriptive Account
of Brit. India, etc., by Hugh Murray, James
Wilson, etc. Edinburgh, 1832, v.11, p.449. La chaîne du métier à
tisser indien est tendue verticalement. Retour au texte (424)
425 Dans son
ouvrage qui a fait époque sur l'origine des espèces, Darwin fait cette remarque
à propos des organes naturels des plantes et des animaux : « Tant qu'un seul et
même organe doit accomplir différents travaux, il n'est pas rare qu'il se
modifie. La raison en est peut-être que la nature est moins soigneuse dans ce
cas de prévenir chaque petit écart de sa forme primitive, que si cet organe
avait une fonction unique. C'est ainsi par exemple que des couteaux destinés à
couper toutes sortes de choses peuvent, sans inconvénient, avoir une forme
commune, tandis qu'un outil destiné à un seul usage doit posséder pour tout
autre usage une tout autre forme. » Retour
au texte (425)
426 En 1854, Genève
a produit quatre vingt mille montres, à peine un cinquième de la
production du canton de Neufchâtel. Chaux de Fonds, que l'on peut
regarder comme une seule manufacture, livre chaque année deux fois autant que
Genève. De 1850 à 1861 cette dernière ville a expédié sept cent
cinquante mille montres. Voyez : Report from Geneva on the Watch Trade dans
les Reports by H. W's. Secretaries of Embassy and Legation on the
Manufactures, Commerce, etc., n°6, 1863. Ce n'est pas seulement
l'absence de rapport entre les opérations particulières dans lesquelles se
décompose la production d'ouvrages simplement ajustés, qui rend très difficile
la transformation de semblables manufactures en grande industrie mécanique;
dans le cas qui nous occupe, la fabrication de la montre, deux obstacles
nouveaux se présentent, à savoir la petitesse et la délicatesse des divers
éléments et leur caractère de luxe, conséquemment leur variété, si bien que
dans les meilleures maisons de Londres, par exemple, il se fait à peine dans un
an une douzaine de montres qui se ressemblent. La fabrique de montres de
Vacheron et Constantin, dans laquelle on emploie la machine avec succès,
fournit tout au plus trois ou quatre variétés pour la grandeur et la forme.
427 La fabrication
des montres est un exemple classique de la manufacture hétérogène. On peut y
étudier très exactement cette différenciation et cette spécialisation des
instruments de travail dont il a été question ci dessus. Retour au texte (427)
428 « Quand les
gens sont ainsi rapprochés les uns des autres, il se perd nécessairement moins
de temps entre les diverses opérations. » (The Advantages of the East
India Trade, p.166.) Retour
au texte (428)
429 « La
séparation des travaux différents dans la manufacture, conséquence forcée de l'emploi
du travail manuel, ajoute immensément aux frais de production; car la
principale perte provient du temps employé à passer d'un procès à un autre. » (The
Industry of Nations. London, 1855. Part. II. p. 200.) Retour au texte (429)
430 « En scindant
l'ouvrage en différentes parties qui peuvent toutes être mises à exécution dans
le même moment, la division du travail produit donc une économie de temps...
Les différentes opérations qu'un seul individu devrait exécuter séparément
étant entreprises à la fois, il devient possible de produire par exemple une
multitude d'épingles tout achevées dans le même temps qu'il faudrait pour en
couper ou en appointer une seule. » (Dugald Stewart, l.c.. p.319.) Retour au texte (430)
431 « Plus il y a
de variété entre tes artisans d'une manufacture... plus il y a d'ordre et de
régularité dans chaque opération, moins il faut de temps et de travail. » (The Advantages,
etc., p.68.) Retour au texte
(431)
432 Dans beaucoup
de branches cependant l'industrie manufacturière n'atteint ce résultat
qu'imparfaitement, parce qu'elle ne sait pas contrôler avec certitude les
conditions physiques et chimiques générales du procès de production. Retour au texte (432)
433 « Quand l'expérience,
suivant la nature particulière des produits de chaque manufacture, a une fois
appris à connaître le mode le plus avantageux de scinder la fabrication en
opérations partielles, et le nombre de travailleurs que chacune d'elles exige,
tous les établissements qui n'emploient pas un multiple exact de ce nombre,
fabriquent avec moins d'économie... C'est là une des causes de l'extension
colossale de certains établissements industriels. » (Ch. Babbage, On the
Economy of Machinery . 2° édit., Lond., 1832, ch. XX.) Retour au texte (433)
434 En Angleterre
le fourneau a fondre est séparé du four de verrerie où se fait la préparation du
verre. En Belgique, par exemple, le même fourneau sert pour les deux
opérations. Retour au texte (434)
435 C'est ce que
l'on peut voir entre autres chez W. Petty, John Bellers, Andrew Yarranton, The
Advantages of the East India Trade, et J.
Vanderlint. Retour au texte (435)
436 Vers la fin du XVI° siècle, on se
servait encore en France de mortiers et de cribles pour écraser et laver le
minerai. Retour au texte (436)
437 L'histoire des
moulins à grains permet de suivre pas à pas le développement du machinisme en
général. En Angleterre, la fabrique porte encore le nom de mill
(moulin). En Allemagne, on trouve ce même nom mühle employé dans les
écrits technologiques des trente premières années de ce siècle pour designer
non seulement toute machine mue par des forces naturelles, mais encore toute
manufacture qui emploie des appareils mécaniques. En français, le mot moulin,
appliqué primitivement à la mouture des grains, fut par la suite employé
pour toute machine qui, mue par une force extérieure, donne une violente
impression sur un corps, moulin à poudre, à papier, à tan, à foulon, à retordre
le fil, à forge, à monnaie, etc. Retour
au texte (437)
438 Comme on
pourra le voir dans le quatrième livre de cet ouvrage, Adam Smith n'a pas
établi une seule proposition nouvelle concernant la division du travail. Mais à
cause de l'importance qu'il lui donna, il mérite d'être considéré comme
l'économiste qui caractérise le mieux la période manufacturière. Le rôle
subordonné qu'il assigne aux machines souleva dès les commencements de la
grande industrie la polémique de Lauderdale, et plus tard celle de Ure. Adam
Smith confond aussi la différenciation des instruments, due en grande partie
aux ouvriers manufacturiers, avec l'invention des machines. Ceux qui jouent un
rôle ici, ce ne sont pas les ouvriers de manufacture, mais des savants, des
artisans, même des paysans (Brindley), etc. Retour au texte (438)
439 « Dès que
l'on divise la besogne en plusieurs opérations diverses, dont chacune exige des
degrés différents de force et d'habileté, le directeur de la manufacture peut
se procurer le quantum d'habileté et de force que réclame chaque opération.
Mais si l'ouvrage devait être fait, par un seul ouvrier, il faudrait que le
même individu possédât assez d'habileté pour les opérations les plus délicates
et assez de force pour les plus pénibles. » (Ch. Babbage, l.c., ch. XIX.) Retour au texte (439)
440 Lorsque, par
exemple, ses muscles sont plus développés dans un sens que dans l'autre, ses os
déformés et contournés d'une certaine façon, etc. Retour au texte (440)
441 A cette
question du commissaire d'enquête : « Comment pouvez vous maintenir
toujours actifs les jeunes garçons que vous occupez ? », le directeur général
d'une verrerie, M. W. Marschall, répond fort justement : « Il leur est
impossible de négliger leur besogne: une fois qu'ils ont commence, nul moyen de
s'arrêter; ils ne sont rien autre chose que des parties d'une machine. » (Child.
Empl. Comm. Fourth Report, 1865, p.247.) Retour au texte (441)
442 Le Dr Ure,
dans son apothéose de la grande industrie, fait bien mieux ressortir les
caractères particuliers de la manufacture que les économistes ses devanciers,
moins entraînés que lui à la polémique, et même que ses contemporains, par
exemple, Babbage, qui lui est de beaucoup supérieur comme mathématicien et
mécanicien, mais ne comprend cependant la grande industrie qu'au point de vue
manufacturier. Ure dit fort bien : « L'appropriation des travailleurs à chaque
opération séparée forme l'essence de la distribution des travaux. » Il définit
cette distribution « une accommodation des travaux aux diverses facultés
individuelles » et caractérise enfin le système entier de la manufacture
comme un système de gradations, comme une division du travail d'après les
divers degrés de l'habileté, etc. (Ure, l.c., t. 1, p. 28, 35, passim.)
443 « Un ouvrier,
en se perfectionnant par la pratique sur un seul et même point, devient...
moins coûteux. » (Ure, l.c., p. 28.)
444 « La division
du travail a pour point de départ la séparation des professions les plus
diverses, et marche progressivement jusqu'à cette division dans laquelle
plusieurs travailleurs se partagent la confection d'un seul et même produit,
comme dans la manufacture. » (Storch., l.c., t. 1, p. 173.) « Nous rencontrons
chez les peuples parvenus à un certain degré de civilisation trois genres de
division d'industrie : la première que nous nommons générale, amène la
distinction des producteurs en agriculteurs, manufacturiers et commerçants;
elle se rapporte aux trois principales branches d'industrie nationale; la
seconde, qu'on pourrait appeler spéciale, est la division de chaque genre
d'industrie en espèces... la troisième division d'industrie, celle enfin qu'on devrait
qualifier de division de la besogne ou de travail proprement dit, est celle qui
s'établit dans les arts et les métiers séparés.... qui s'établit dans la
plupart des manufactures et des ateliers. » (Skarbeck, l.c., p. 84, 86.)
445 C'est Sir
James Steuart qui a le mieux traité cette question. Son ouvrage, qui a précédé
de dix ans celui d'Adam Smith, est aujourd'hui encore à peine connu. La preuve
en est que les admirateurs de Malthus ne savent même pas que dans la première
édition de soit écrit sur la population, abstraction faite de la partie
purement déclamatoire, il ne fait guère que copier James Steuart, auquel il
faut ajouter Wallace et Townsend. Retour
au texte (445)
446 « Il faut une
certaine densité de population soit pour les communications sociales, soit pour
la combinaison des puissances par le moyen desquelles le produit du travail est
augmenté. » (James Mill, l.c. p.50.) « A mesure que le nombre des travailleurs
augmente, le pouvoir productif de la société augmente aussi en raison composée
de cette augmentation multipliée par les effets de la division du travail. »
(Th. Hodgskin, l.c., p.125, 126.) Retour
au texte (446)
447 Par suite de
la demande considérable de coton depuis 1861, la production du coton dans
quelques districts de l'Inde d'ailleurs très peuplés, a été développée aux
dépens de la production du riz. Il en est résulté une famine dans une grande
partie du pays, les moyens défectueux de communication ne permettant pas de
compenser le déficit de riz dans un district par une importation assez rapide
des autres districts. Retour
au texte (447)
448 C'est ainsi
que la fabrication des navettes de tisserand formait en Hollande déjà au XVII°
siècle une branche d'industrie spéciale.
449 « Les
manufactures de laine d'Angleterre ne sont elles pas divisées eu branches
distinctes, dont chacune a un siège spécial où se fait uniquement ou
principalement la fabrication : les draps fins dans le Somersetshire, les draps
communs dans le Yorkshire, les crêpes à Norwich, les brocatelles à Kendal, les
couvertures à Whitney, et ainsi de suite. » (Berkeley, The Querist, 1750,
p.520.) Retour au texte (449)
450 A. Ferguson : History
of Civil Society. Part. IV, ch. II.
451 Dans les
manufactures proprement dites « la totalité des ouvriers qui y sont employés
est nécessairement peu nombreuse, et ceux qui sont occupés à chaque différente
branche de l'ouvrage peuvent souvent être réunis dans le même atelier, et
places à la fois sous les yeux de l'observateur. Au contraire, dans ces grandes
manufactures (!) destinées à fournir les objets de consommation de la masse du
peuple, chaque branche de l'ouvrage emploie un si grand nombre d'ouvriers,
qu'il est impossible de les réunir tous dans le même atelier. ... La division y
est moins sensible, et, par cette raison, a été moins bien observée. » (A. Smit
: Wealth of Nations l.1, ch. I.) Le célèbre passage dans le même
chapitre qui commence par ces mots : « Observez dans un pays civilisé et
florissant, ce qu'est le mobilier d'un simple journalier ou du dernier de,
manœuvres », etc., et qui déroule ensuite le tableau des innombrables travaux
sans l'aide et le concours desquels « le plus petit particulier, dans un pays
civilisé, ne pourrait être vêtu et meublé » : ce passage est presque
littéralement copié des Remarques ajoutées par B. de Mandeville à son ouvrage :
The Fable of the Bees, or Private Vices, Publick Benefits. I° édition sans
remarques, 1706; édition avec des remarques, 1714.
452 « Il n'y a
plus rien que l'on puisse nommer la récompense naturelle du travail individuel.
Chaque travailleur ne produit plus qu'une partie d'un tout, et chaque partie
n'ayant ni valeur ni utilité par elle-même, il n'y a rien que le travailleur
puisse s'attribuer, rien dont il puisse dire : ceci est mon produit, je veux le
garder pour moi-même. » ( Labour defended against the claims of Capital.
Lond., 1825, p.25.) L'auteur de cet écrit remarquable est Ch. Hodgskin, déjà
cité. Retour au texte (452)
453 C'est ce qui a
été démontré d'une manière singulière aux Yankees. Parmi les nombreux et
nouveaux impôts imaginés à Washington pendant la guerre civile, figurait une
accise de six pour cent sur les produits industriels. Or, qu'est ce qu'un
produit industriel ? A cette question posée par les circonstances la sagesse
législative répondit : « Une chose devient produit quand elle est faite (when
it is made), et elle est faite dès qu'elle est bonne pour la vente. »
Citons maintenant un exemple entre mille. Dans les manufactures de parapluies
et de parasols, à New York et à Philadelphie, ces articles étaient d'abord
fabriqués en entier, bien qu'en réalité ils soient des mixta composita
de choses complètement hétérogènes. Plus tard les différentes parties qui les
constituent devinrent l'objet d'autant de fabrications spéciales disséminées en
divers lieux, c'est à dire que la division du travail, de
manufacturière qu'elle était, devint sociale. Les produits des divers travaux
partiels forment donc maintenant autant de marchandises qui entrent dans la
manufacture de parapluies et de parasols pour y être tout simplement réunis en
un tout. Les Yankees ont baptisé ces produits du nom d'articles assemblés
(assembled articles), nom qu'ils méritent d'ailleurs à cause des impôts qui s'y
trouvent réunis. Le parapluie paye ainsi six pour cent d'accise sur le prix de
chacun de ses éléments qui entre comme une marchandise dans sa manufacture et
de plus six pour cent sur son propre prix total.
454 « On peut...
établir en règle générale que moins l'autorité présidé à la division du travail
dans l'intérieur de la société, plus la division du travail se développe dans
l'intérieur de l'atelier, et plus elle y est soumise à l'autorité d'un seul.
Ainsi l'autorité dans l'atelier et celle dans la société, par rapport à la
division du travail, sont en raison inverse l'une de l'autre. » (Karl Marx, Misère
de la Philosophie, p.130, 131.)
455 Lieut. Col.
Mark Wilks : Historical Sketches of the South of India., Lond.,
1810 17, v.1, p.118, 120.) On trouve une bonne exposition des différentes formes
de la communauté indienne dans l'ouvrage de George Campbell : Modern India. Lond.,
1852. Retour au texte (455)
456 « Sous cette
simple forme... les habitants du pays ont vécu depuis un temps immémorial. Les
limites des villages ont été rarement modifiées, et quoique les villages
eux-mêmes aient eu souvent à souffrir de la guerre, de la famine et des
maladies, ils n'en ont pas moins gardé d'âge en âge les mêmes noms, les mêmes
limites, les mêmes intérêts et jusqu'aux mêmes familles. Les habitants ne
s'inquiètent jamais des révolutions et des divisions des royaumes. Pourvu que
le village reste entier, peu leur importe à qui passe le pouvoir; leur économie
intérieure n'en éprouve le moindre changement. » (Th. Stamford Raffles, late
Lieut. Gov. of Java : The History of Java. Lond. 1817, v.11,
p.285, 286.)
457 « Il ne suffit
pas que le capital nécessaire à la subdivision des opérations nouvelles se
trouve disponible dans la société; il faut de plus qu'il soit accumulé entre
les mains des entrepreneurs en masses suffisantes pour les mettre en état de
faire travailler sur une grande échelle... A mesure que la division s'augmente,
l'occupation constante d'un même nombre de travailleurs exige un capital de
plus en plus considérable en matières premières, outils, etc. » (Storch, l.c.,
p.250, 25 1.) « La concentration des instruments de production et la division
du travail sont aussi inséparables l'une de l'autre que le sont, dans le régime
politique, la concentration des pouvoirs publics et la division des intérêts
privés. » (Karl Marx, l.c., p.134.) Retour
au texte (457)
458 Dugald Stewart
appelle les ouvriers de manufacture « des automates vivants employés dans les
détails d'un ouvrage. » (L.c., p.318.)
459 Chez les
coraux, chaque individu est l'estomac de son groupe; mais cet estomac procure
des aliments pour toute la communauté, au lieu de lui en dérober comme le
faisait le patriciat romain.
460 « L'ouvrier,
qui porte dans ses mains tout un métier, peut aller partout exercer son
industrie et trouver des moyens de subsister; l'autre (celui des manufactures),
n'est qu'un accessoire qui, sépare de ses confrères, n'a plus ni capacité ni
indépendance, et qui se trouve forcé d'accepter la loi qu'on juge à propos de
lui imposer. » (Storch, l.c., édit. de Pétersb., 1815, t. 1, p.204.) Retour au texte (460)
461 A. Ferguson,
l.c., trad. franç. 1783, t. 11, p. 135, t36. « L'un peut avoir gagne ce que
l'autre a perdu. » Retour au texte
(461)
462 « Le savant et
le travailleur sont complètement séparés l'un de l'autre, et la science dans
les mains de ce dernier, au lieu de développer à son avantage ses propres
forces productives, s'est presque partout tournée contre lui... La connaissance
devient un instrument susceptible d'être séparé du travail et de lui être
oppose. » (W. Thompson : An Inquiry into the Principles of the
Distribution of Wealth. Lond., 1824, p. 274.) Retour au texte (462)
463 A. Ferguson,
l.c., p. 134, 135. Retour au texte
(463)
464 J. D. Tuckett
: A History of the Past and Present State of the Labouring Population. Lond.,
1846, v. 1, p.149. Retour au texte
(464)
465 A. Smith : Wealth
of Nations, 1. V, ch. I, art. 11. En sa qualité d'élève de A.
Ferguson, Adam Smith savait à quoi s'en tenir sur les conséquences funestes de
la division du travail fort bien exposées par son maître. Au commencement de
son ouvrage, alors qu'il célèbre ex professo la division du travail, il
se contente de l'indiquer en passant comme la source des inégalités sociales.
Dans le dernier livre de son ouvrage, il reproduit les idées de Ferguson.
Dans mon écrit, Misère de la philosophie, etc., j'ai déjà expliqué
suffisamment le rapport historique entre Ferguson, A. Smith, Lemontey et Say,
pour ce qui regarde leur critique de la division du travail, et j'ai démontré
en même temps pour la première fois, que la division manufacturière du travail
est une forme spécifique du mode de production capitaliste. ( L.c., p.122 et
suiv.)
466 Ferguson dit
déjà : « L'art de penser, dans une période où tout est séparé, peut lui-même
former un métier à part. »
467 G. Garnier, t.
V de sa traduction, p.2, 5. Retour
au texte (467)
468 Ramazzini,
professeur de médecine pratique à Padoue, publia en 1713 son ouvrage : De
morbis artificum, traduit en français en 1781, réimprimé en 1841 dans l'Encyclopédie
des sciences médicales. 7° Disc. Auteurs classiques. Son catalogue des
maladies des ouvriers a été naturellement très augmenté par la période de la
grande industrie. Voy. entre autres : Hygiène physique et morale de
l'ouvrier dans les grandes villes en général, et dans la ville de Lyon en
particulier, par le Dr A. L. Fonterel. Paris, 1858; Die Krankheiten
welche verschie denen Stünden Altern und Geschlechtern eigenthümlich sind. 6
vol. Ulm, 1861, et l'ouvrage de Edouard Reich : M. D. Ueber
den Ursprung der Entartung des Menschen. Erlangen, 1868. La Society
of Arts nomma en 1854 une commission d'enquête sur la pathologie
industrielle. La liste des documents rassemblés par cette commission se trouve
dans le catalogue du Twickenham Economic Museum. Les rapports officiels
sur Public Health ont comme de juste une grande importance. Retour au texte (468)
469 D. Urquhart
: Familiar Words. London, 1855, p.119. Hegel avait des
opinions très hérétiques sur la division du travail. « Par hommes cultivés,
dit-il dans sa philosophie du droit, on doit d'abord entendre ceux qui peuvent
faire tout ce que font les autres. » Retour
au texte (469)
470 La foi naïve
au génie déployé a priori par le capitaliste dans la division du
travail, ne se rencontre plus que chez des professeurs allemands, tels que
Roscher par exemple, qui pour récompenser le capitaliste de ce que la division
du travail sort toute faite de son cerveau olympien, lui accorde « plusieurs
salaires différents ». L'emploi plus ou moins développé de la division du
travail dépend de la grandeur de la bourse, et non de la grandeur du génie. Retour au texte (470)
471 Les prédécesseurs
d'Adam Smith, tels que Petty, l'auteur anonyme de « Advantages of the East
India Trade », ont mieux que lui pénétré le caractère capitaliste de la
division manufacturière du travail.
472 Parmi les modernes, quelques écrivains du XVIII° siècle,
Beccaria et James Harris, par exemple, sont les seuls qui s'expriment sur la
division du travail à peu près comme les anciens. « L'expérience apprend à
chacun, dit Beccaria, qu'en appliquant la main et l'intelligence toujours au
même genre d'ouvrage et aux mêmes produits, ces derniers sont plus aisément
obtenus, plus abondants et meilleurs que si chacun faisait isolément et pour
lui seul toutes les choses nécessaires à sa vie... Les hommes se divisent de cette
manière en classes et conditions diverses pour l'utilité commune et privée. »
(Cesare Beccaria : Elementi di Econ. Publica ed. Custodi, Parte Moderna, t.
XI, p.28.) James Harris, plus tard comte de Malmesbury, dit
lui même dans une note de son Dialogue concerning Happiness. Lond.,
1772 : « L'argument dont je me sers pour prouver que la société est
naturelle (en se fondant sur la division des travaux et des emplois), est
emprunté tout entier au second livre de la République de Platon. » Retour au texte (472)
473 Ainsi dans l'Odyssée, XIV,
228 : « ¢lloV gar t¢ a llousin anhr epiterpetai » et Archiloque cité
par Sextus Empiricus : « Allox ep ergj cardihn iainetai » A chacun
son métier et tout le monde est content.
474 «
Pollahpistato erga cacwx d hpistato panta » Qui trop embrasse mal étreint.
Comme producteur marchand, l'Athénien se sentait supérieur au spartiate, parce
que ce dernier pour faire la guerre avait bien des hommes à sa disposition,
mais non de l'argent; comme le fait dire Thucydide à Périclès dans la harangue
où celui-ci excite les Athéniens à la guerre du Péloponnèse : « Swmasi te erga
, cacwx d¢ hpistato panta » (Thuc. 1. 1, c. XLI). Néanmoins, même dans la
production matérielle, l’autarcemeia, la faculté de se suffire, était l'idéal
de l'Athénien, « par¢ vn gar to eu, para toutwn cai to autarcex.
Ceux ci ont le bien, qui peuvent se suffire à eux-mêmes. » Il faut dire
que même à l'époque de la chute des trente tyrans il n'y avait pas encore cinq
mille Athéniens sans propriété foncière. Retour au texte (474)
475 Platon
explique la division du travail au sein de la communauté par la diversité des
besoins et la spécialité des facultés individuelles. Son point de vue
principal, c'est que l'ouvrier doit se conformer aux exigences de son œuvre, et
non l’œuvre aux exigences de l'ouvrier. Si celui-ci pratique plusieurs arts à
la fois, il négligera nécessairement l'un pour l'autre. (V. Rép., l. II).
Il en est de même chez Thucydide 1, C. C. XLII : « La
navigation est un art comme tout autre, et il n'est pas de cas où elle puisse
être traitée comme un hors-d’œuvre; elle ne souffre pas même que l'on s'occupe
à côté d'elle d'autres métiers. » Si l'œuvre doit attendre l'ouvrier, dit
Platon, le moment critique de la production sera souvent manqué et la besogne
gâchée; « ergou cairsn diollutai » On retrouve cette idée platonique dans la
protestation des blanchisseurs anglais contre l'article de la loi de fabrique
qui établit une heure fixe pour les repas de tous leurs ouvriers. Leur genre
d'opérations, s'écrient ils, ne permet pas qu'on les règle d'après ce qui
peut convenir aux ouvriers; « une fois en train de chauffer, de blanchir, de
calendrer ou de teindre, aucun d'eux ne peut être arrêté à un moment donné sans
risque de dommage. Exiger que tout ce peuple de travailleurs dîne à la même
heure, ce serait dans certains cas exposer de grandes valeurs à un risque
certain, les opérations restant inachevées. » Où diable le platonisme
va t il se nicher !
476 Ce n'est pas
seulement un honneur, dit Xénophon, d'obtenir des mets de la table du roi des
Perses; ces mets sont, en effet, bien plus savoureux que d'autres, « et il n'y
a là rien d'étonnant; car de même que les arts en général sont surtout
perfectionnés dons les grandes villes, de même les mets du grand roi sont
préparés d'une façon tout à fait spéciale. En effet dans les petites villes,
c'est le même individu qui fait portes, charrues, lits, tables, etc.; souvent
même il construit des maisons et se trouve satisfait s'il peut ainsi suffire à
son entretien. Il est absolument impossible qu'un homme qui fait tant de choses
les fasse toutes bien. Dans les grandes villes, au contraire, où chacun
isolément trouve beaucoup d'acheteurs, il suffit d'un métier pour nourrir son
homme. Il n'est pas même besoin d'un métier complet, car l'un fait des
chaussures pour hommes, et l'autre pour femmes. On en voit qui, pour vivre,
n'ont qu'à tailler des habits, d'autres qu'à ajuster les pièces, d'autres qu'à
les coudre. Il est de toute nécessité que celui qui t'ait l'opération la plus
simple, soit aussi celui qui s'en acquitte le mieux. Et il en est de même pour
l'art de la cuisine. » (Xénophon, Cyrop., 1. VIII, c.II.) C'est la bonne
qualité de la valeur d'usage et le moyen de l'obtenir, que Xénophon a ici
exclusivement en vue, bien qu'il sache fort bien que l'échelle de la division
du travail dépend de l'étendue et de l'importance du marché.
477 « Il (Busiris)
divisa tous les habitants en castes particulières... et ordonna que les mêmes
individus fissent toujours le même métier, parce qu'il savait que ceux qui changent
d'occupation ne deviennent parfaits dans aucune, tandis que ceux qui s'en
tiennent constamment au même genre de travail exécutent à la perfection tout ce
qui s'y rapporte. Nous verrons également que pour ce qui est de l'art et de
l'industrie, les Egyptiens sont autant au dessus de leurs rivaux que le
maître est au dessus du bousilleur. De même, encore, les institutions par
lesquelles ils maintiennent la souveraineté royale et le reste de la
constitution de l'Etat sont tellement parfaites, que les philosophes les plus
célèbres qui ont entrepris de traiter ces matières, ont toujours placé la
constitution égyptienne au dessus de toutes les autres. » (Isocr.
Busiris, c. VIII.)
478 V. Diodore
de Sicile. Retour au texte
(478)
479 Ure, l.c.,
p.31.
480 Ceci est
beaucoup plus vrai pour l'Angleterre que pour la France et pour la France que
pour la Hollande. Retour au texte
(480)
481 Mill aurait dû
ajouter « qui ne vit pas du travail d'autrui », car il est certain que les
machines ont grandement augmenté le nombre des oisifs ou ce qu'on appelle les
gens comme il faut. Retour au texte
(481)
482 V. par exemple
Hutton's Course of mathematics.
483 « On peut à ce
point de vue tracer une ligne précise de démarcation entre outil et machine : la
pelle, le marteau, le ciseau, etc., les vis et les leviers, quel que soit le
degré d'art qui s'y trouve atteint, du moment que l'homme est leur seule force
motrice, tout cela est compris dans ce que l'on entend par outil. La charrue au
contraire mise en mouvement par la force de l'animal, les moulins à vent, à
eau, etc., doivent être comptés parmi les machines. » (Wilhelm Schulz : Die
Bewegung der Production. Zurich, 1843, p.38.) Cet écrit mérite des éloges
sous plusieurs rapports.
484 On se servait
déjà avant lui de machines pour filer, très imparfaites, il est vrai; et c'est
en Italie probablement qu'ont paru les premières. Une histoire critique de la
technologie ferait voir combien il s'en faut généralement qu'une invention
quelconque du XVIII° siècle appartienne à un seul individu. Il n'existe aucun
ouvrage de ce genre. Darwin a attiré l'attention sur l'histoire de la technologie
naturelle, c'est-à-dire sur la formation des organes des plantes et des animaux
considérés comme moyens de production pour leur vie. L'histoire des organes
productifs de l'homme social, base matérielle de toute organisation sociale, ne
serait-elle pas digne de semblables recherches ? Et ne serait-il pas plus
facile de mener cette entreprise à bonne fin, puisque, comme dit Vico,
l'histoire de l'homme se distingue de l'histoire de la nature en ce que nous
avons fait celle-là et non celle-ci ? La technologie met à nu le mode d'action
de l'homme vis-à-vis de la nature, le procès de production de sa vie
matérielle, et, par conséquent, l'origine des rapports sociaux et des idées ou
conceptions intellectuelles qui en découlent. L'histoire de la religion
elle-même, si l'on fait abstraction de cette base matérielle, manque de
critérium. Il est en effet bien plus facile de trouver par l'analyse, le
contenu, le noyau terrestre des conceptions nuageuses des religions, que de
faire voir par une voie inverse comment les conditions de la vie réelle
revêtent peu à peu une forme éthérée. C'est là la seule méthode matérialiste,
par conséquent scientifique. Pour ce qui est du matérialisme abstrait des
sciences naturelles, qui ne fait aucun cas du développement historique, ses
défauts éclatent dans la manière de voir abstraite et idéologique de ses porte-parole,
dès qu'ils se hasardent à faire un pas hors de leur spécialité. Retour au texte (484)
485 Dans la
première forme mécanique du métier à tisser, on reconnaît au premier coup
d'oeil l'ancien métier. Dans sa dernière forme moderne cette analogie a
disparu. Retour au texte (485)
486 Ce n'est que
depuis vingt ans environ qu'un nombre toujours croissant de ces outils
mécaniques sont fabriqués mécaniquement en Angleterre, mais dans d'autres
ateliers de construction que les charpentes des machines d'opération. Parmi les
machines qui servent à la fabrication d'outils mécaniques, on peut citer
l'automatique bobbin-making engine, le card-setting engine, les
machines à forger les broches des mules et des métiers continus, etc. Retour au texte (486)
487 « Tu ne dois
pas, dit Moïse d'Égypte, lier les naseaux du bœuf qui bat le grain. » Les très
pieux et très chrétiens seigneurs germains, pour se conformer aux préceptes bibliques,
mettaient un grand carcan circulaire en bois autour du cou du serf employé à
moudre, pour l'empêcher de porter la farine à sa bouche avec la main.
488 Le manque de
cours d'eau vive et la surabondance d'eaux stagnantes forcèrent les Hollandais
à user le vent comme force motrice. ils empruntèrent le moulin à vent à
l'Allemagne, on cette invention avait provoqué une belle brouille entre la
noblesse, la prêtraille et l'empereur, pour savoir à qui des trois le vent
appartenait. L'air asservit l'homme, disait-on en Allemagne, tandis que le vent
constituait la liberté de IL Hollande et rendait le Hollandais propriétaire de
son sol. En 1836, on fut encore obligé d'avoir recours à douze mille moulins à
vent d'une force de six mille chevaux, pour empêcher les deux tiers du pays de
revenir à l'état marécageux. Retour
au texte (488)
489 Elle fut, il
est vrai, très améliorée par Watt, a u moyen de la machine à vapeur dite à simple
effet; mais sous cette dernière forme elle resta toujours simple machine à
soulever l'eau. Retour au texte
(489)
490 « La réunion
de tous ces instruments simples, mis en mouvement par un moteur unique, forme
une machine. » (Babbage, 1.c.)
491 Dans un
mémoire « sur les forces employées en agriculture » lu en janvier 1861 dans la Society
of Arts M. John C. Morton dit : « Toute amélioration qui a pour résultat de
niveler et de rendre uniforme le sol, facilite l'emploi de la machine à vapeur
pour la production de simple force mécanique... On ne peut se passer du cheval
là où des haies tortueuses et d'autres obstacles empêchent l'action uniforme.
Ces obstacles disparaissent chaque jour de plus en plus, Dans les opérations
qui exigent plus de volonté que de force, la seule force qui puisse être
employée est celle que dirige de minute en minute l'esprit de l'homme,
c'est-à-dire la force humaine. » M. Morton ramène ensuite la force-vapeur, la
force-cheval et la force humaine à l'unité de mesure employée ordinairement
pour les machines à vapeur, autrement dit à la force capable d'élever
trente-trois mille livres à la hauteur d'un pied dans une minute; et calcule
que les frais du cheval-vapeur appliqué à la machine, sont de trois pence par
heure, ceux du cheval de cinq et demi pence. En outre, le cheval, si on veut
l'entretenir en bonne santé, ne peut travailler que huit heures par jour. Sur
un terrain cultivé la force-vapeur permet d'économiser pendant toute l'année au
moins trois chevaux sur sept, et ses frais ne s'élèvent qu'à ce que les chevaux
remplacés coûtent pendant les trois ou quatre mois où ils font leur besogne.
Enfin, dans les opérations agricoles où elle peut être employée, la vapeur
fonctionne beaucoup mieux que le cheval. Pour faire l'ouvrage de la machine à
vapeur, il faudrait soixante-six hommes à quinze shillings par heure, et pour
faire celui des chevaux trente-deux hommes à huit shillings par heure. Retour au texte (491)
492 Faulhebr 1625,
De Cous 1688. Retour au texte (492)
493 L'invention
moderne des turbines fait disparaître bien des obstacles, qui
s'opposaient auparavant à l'emploi de l'eau comme force motrice.
494 « Dans les
premiers jours des manufactures textiles, l'emplacement de la fabrique
dépendait de l'existence d'un ruisseau possédant une chute suffisante pour
mouvoir une roue hydraulique, et quoique l'établissement des moulins à eau
portât le premier coup au système de l'industrie domestique, cependant les
moulins situés sur des courants et souvent à des distances considérables les
uns des autres, constituaient un système plutôt rural que citadin. Il a fallu
que la puissance de la vapeur se substituât à celle de l'eau, pour que les
fabriques fussent rassemblées dans les villes et dans les localités où l'eau et
le charbon requis pour la production de la vapeur se trouvaient en quantité
suffisante. L'engin à vapeur est le père des villes manufacturières. » (A.
Redgrave, dans Reports of the Insp. of Fact. 30 th. april 1860, p.36.)
495 Au point de vue
de la division manufacturière, le tissage n'était point un travail simple, mais
un travail de métier très compliqué, et c'est pourquoi le métier à tisser
mécanique est une machine qui exécute des opérations très variées. En général,
c'est une erreur de croire que le machinisme moderne s'empare à l'origine
précisément des opérations que la division manufacturière du travail avait
simplifiées. Le tissage et le filage furent bien décomposés en genres de
travail nouveaux, pendant la période des manufactures; les outils qu'on y
employait furent variés et perfectionnés, mais le procès de travail lui-même
resta indivis et affaire de métier. Ce n'est pas le travail, mais le moyen de
travail qui sert de point de départ à la machine. Retour au texte (495)
496 Avant l'époque de la grande
industrie, la manufacture de laine était prédominante en Angleterre. C'est elle
qui, pendant la première moitié du XVIII° siècle, donna lieu à la plupart des
essais et des expérimentations. Les expériences faites sur la laine profitèrent
au coton, dont le maniement mécanique exige des préparations moins pénibles, de
même que plus tard et inversement le tissage et le filage mécaniques du coton
servirent de base à l'industrie mécanique de la laine. Quelques opérations
isolées de la manufacture de laine, par exemple le cardage n'ont été
incorporées que depuis peu au système de fabrique. « L'application de la
mécanique au cardage de la laine... pratiquée sur une grande échelle depuis
l'introduction de la machine à carder, celle de Lister spécialement, a eu
indubitablement pour effet de mettre hors de travail un grand nombre
d'ouvriers. Auparavant la laine était cardée à la mai. le plus souvent dans
l'habitation du cardeur. Elle est maintenant cardée dans la fabrique, et le
travail à la main est supprimé, excepté dans quelques genres d'ouvrages
particuliers où la laine cardée à la main est encore préférée. Nombre de
cardeurs à la main trouvent de l'emploi dans les fabriques; mais leurs produits
sont si peu de chose comparativement à ceux que fournit la machine, qu'il ne
peut plus être question d'employer ces ouvriers en grande proportion. » (Rep.
of Insp. of Fact, for 31 st.. oct. 1856, p. 16.)
497 « Le principe du système
automatique est donc... de remplacer la division du travail parmi les artisans,
par l'analyse du procédé dans ses principes constituants. » (Ure, 1.c., t. I,
p.30.) Retour au texte (497)
498 Le métier à tisser
mécanique dans sa première forme se compose principalement de bois; le métier
moderne perfectionné est en fer. Pour juger combien à l'origine la vieille
forme du moyen de production influe sur la forme nouvelle, il suffit de
comparer superficiellement le métier moderne avec l'ancien, les souffleries
modernes dans les fonderies de fer avec la première reproduction mécanique de
lourde allure du soufflet ordinaire, et mieux encore, de se rappeler qu'une des
premières locomotives essayées, avait deux pieds qu'elle levait l'un après
l'autre, comme un cheval. Il faut une longue expérience pratique et une science
plus avancée, pour que la forme arrive à être déterminée complètement par le
principe mécanique, et par suite complètement émancipée de la forme traditionnelle
de l'outil. Retour au texte (498)
499 Le cottongin
du Yankee Eli Whitney avait subi jusqu'à nos jours moins de modifications
essentielles que n'importe quelle autre machine du XVIII° siècle. Mais depuis
une vingtaine d'années un autre Américain, M. Emery d'Albany, New York, au
moyen d'un perfectionnement aussi simple qu'efficace, a fait mettre la machine
de Whitney au rebut.
500 The Industry of Nations. Lond., 1855, Part. II, p.239. « Si simple
et si peu important, y est-il dit, que puisse sembler extérieurement cet
accessoire du tour, on n'affirme rien de trop en soutenant que son influence
sur le perfectionnement et l'extension donnée au machinisme a été aussi grande
que l'influence des améliorations apportées par Watt à la machine à vapeur. Son
introduction a eu pour effet de perfectionner toutes les machines, d'en faire
baisser le prix et de stimuler l'esprit d'invention. » Retour au texte (500)
501 Une de ces
machines employée à Londres pour forger des paddle-wheel shafts porte le
nom de « Thor ». Elle forge un shaft d'un poids de seize tonnes et demie avec
la même facilité qu'un forgeron un fer à cheval. Retour au texte (501)
502 Les machines
qui travaillent dans le bois et peuvent aussi être employées dans des travaux
d'artisan, sont la plupart d'invention américaine. Retour au texte (502)
503 La science ne
coûte en général absolument rien au capitaliste, ce qui ne l’empêche pas de
l’exploiter. La science d’autrui est incorporée au capital tout comme le
travail d'autrui. Or appropriation « capitaliste » et appropriation
personnelle, soit de la science, soit de la richesse, sont choses complètement
étrangères l’une à l’autre. Le Dr Ure lui-même déplore l'ignorance grossière de
la mécanique qui caractérise ses chers fabricants exploiteurs de machines
savantes. Quant à l'ignorance en chimie des fabricants de produits chimiques,
Liebig en cite des exemples à faire dresser les cheveux. Retour au texte (503)
504 Ricardo porte
parfois son attention si exclusivement sur cet effet des machines (dont il ne
se rend d'ailleurs pas plus compte que de la différence générale entre le
procès de travail et le procès de formation de la plus-value) qu’il oublie la
portion de valeur transmise par les machines au produit, et les met sur le même
pied que les forces naturelles. « Adam Smith, dit-il par exemple, ne prise
jamais trop bas les services que nous rendent les machines et les forces
naturelles; mais il distingue très exactement la nature de la valeur qu’elles
ajoutent aux utilités... comme elles accomplissent leur oeuvre gratuitement,
l'assistance qu'elles nous procurent n'ajoute rien à la valeur
d'échange. » (Ric., 1.c., p.336, 337.) L'observation de Ricardo est
naturellement très juste si on l'applique à J. B. Say, qui se figure que les
machines rendent le « service » de créer une valeur qui forme une
part du profit du capitaliste.
505 Le lecteur imbu de
la manière de voir capitaliste, doit s'étonner naturellement qu'il ne soit pas
ici question de « l'intérêt » que la machine ajoute au produit au prorata
de sa valeur-capital. Il est facile de comprendre cependant, que la machine,
attendu qu'elle ne produit pas plus de valeur nouvelle que n’importe quelle
autre partie du capital constant, ne peut en ajouter aucune sous le nom «
d'intérêt ». Nous expliquerons dans le troisième livre de cet ouvrage le mode
de comptabilité capitaliste, lequel semble absurde au premier abord et en
contradiction avec les lois de la formation de la valeur.
506 Cette portion
de valeur ajoutée par la machine diminue absolument et relativement, là où elle
supprime des chevaux et en général des animaux de travail, qu'on n'emploie que
comme forces motrices. Descartes, en définissant les animaux de simples
machines, partageait le point de vue de la période manufacturière, bien
différent de celui du moyen âge défendu depuis par de Haller dans sa Restauration
des sciences politiques, et d'après lequel l’animal est l'aide et le
compagnon de l'homme. Il est hors de doute que Descartes, aussi bien que Bacon
croyait qu'un changement dans la méthode de penser amènerait un changement dans
le mode de produire, et la domination pratique de l'homme sur la nature. On lit
dans son Discours sur la méthode : « Il est possible (au moyen de
la méthode nouvelle) de parvenir à des connaissances fort utiles à la vie, et
qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on
en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions
du feu, de l'eau, de l'air, des astres, et de tous les autres corps qui nous
environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos
artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels
ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
nature, etc., contribuer au perfectionnement de la vie humaine. » Dans la préface
des Discourses upon Trade, de Sir Dudley North (1691), il est dit que la
méthode de Descartes appliquée à l'économie politique, a commencé de la
délivrer des vieilles superstitions et des vieux contes débités sur l'argent,
le commerce, etc. La plupart des économistes anglais de ce temps se
rattachaient cependant à la philosophie de Bacon et de Hobbes, tandis que Locke
est devenu plus tard le philosophe de l'économie politique par excellence pour
l'Angleterre, la France et l'Italie. Retour
au texte (506)
507 D'après un
compte rendu annuel de la Chambre de commerce d'Essen (octobre 1863), la
fabrique d'acier fondu de Krupp, employant cent soixante et un fourneaux de
forge, de fours à rougir les métaux et de fours à ciment, trente-deux machines
à vapeur (c'était à peu près le nombre des machines employées à Manchester en
1800) et quatorze marteaux à vapeur qui représentent ensemble mille deux cent
trente-six chevaux, quarante-neuf chaufferies, deux cent trois machines-outils,
et environ deux mille quatre cents ouvriers, a produit treize millions de
livres d'acier fondu. Cela ne fait pas encore deux ouvriers par cheval.
508 Babbage
calcule qu'à Java le filage à lui seul ajoute environ cent dix-sept pour cent à
la valeur du coton, taudis qu'en Angleterre, à la même époque (1832), la valeur
totale ajoutée au coton par la machine et le filage, se montait environ à
trente-trois pour cent de la valeur de la matière première. (On the Economy
of Machinery, p.214.)
509 L'impression à
la machine permet en outre d'économiser la couleur.
510 Comp. Paper
read by Dr Watson, Reporter on Products to the Government of lndia, before the
Society of Arts, 17 th.. april 1860.
511 « Ces agents
muets (les machines) sont toujours le produit d'un travail beaucoup moindre que
celui qu'ils déplacent, lors même qu'ils sont de la même valeur monétaire. »
(Ricardo, l.c., p.40.)
512 « Ce n'est que
par nécessité que les maîtres retiennent deux séries d'enfants au-dessous de
treize ans... En fait, une classe de manufacturiers, les filateurs de laine,
emploient rarement des enfants au-dessous de treize ans, c'est-à-dire des
demi-temps. Ils ont introduit des machines nouvelles et perfectionnées de
diverses espèces, qui leur permettent de s'en passer. Pour donner un exemple de
cette diminution dans le nombre des enfants, je mentionnerai un procès de
travail dans lequel, grâce à l'addition aux machines existantes d'un appareil
appelé piercing machine, le travail de six ou de quatre demi-temps,
suivant la particularité de chaque machine, peut être exécuté par une jeune
personne (au-dessus de treize ans)... C'est le système des demi-temps qui a
suggéré l'invention de la piercing machine. » (Reports of Insp. of Fact. for
oct. 1858.) Retour au texte
(512)
513 « Il arrive
souvent que la machine ne peut être employée à moins que le travail (il veut
dire le salaire) ne s'élève. » (Ricardo l.c., p.479.)
514 Voy. : Report
of the Social Science Congress at Edinburgh. October 1863. Retour au texte (514)
515 Le docteur
Edward Smith, pendant la crise cotonnière qui accompagna la guerre civile
américaine, fut envoyé par le gouvernement anglais dans le Lancashire, le
Cheshire, etc., pour faire un rapport sur l'état de santé des travailleurs. On
lit dans ce rapport : « Au point de vue hygiénique, et abstraction faite de la
délivrance de l'ouvrier de l'atmosphère de la fabrique, la crise présente
divers avantages. Les femmes des ouvriers ont maintenant assez de loisir pour
pouvoir offrir le sein à leurs nourrissons au lieu de les empoisonner avec le
cordial de Godfrey. Elles ont aussi trouvé le temps d'apprendre à faire la
cuisine. » Malheureusement elles acquirent ce talent culinaire au moment où
elles n'avaient rien à manger, mais on voit comment le capital en vue de son
propre accroissement avait usurpé le travail que nécessite la consommation de
la famille. La crise a été aussi utilisée dans quelques écoles pour enseigner
la couture aux ouvrières. Il a donc fallu une révolution américaine et une
crise universelle pour que des ouvrières qui filent pour le monde entier
apprissent à coudre. Retour
au texte (515)
516 «
L'accroissement numérique des travailleurs a été considérable par suite de la
substitution croissante des femmes aux hommes et surtout des enfants aux
adultes. Un homme d'âge mûr dont le salaire variait de dix-huit à quarante-cinq
shillings par semaine, est maintenant remplacé par trois petites filles de
treize ans payées de six à huit shillings. » (Th. de Quincey ; The Logic
of Politic Econ. Lond. 1845. Note de la p.147.) Comme certaines fonctions
de la famille, telles que le soin et l'allaitement des enfants, ne peuvent être
tout à fait supprimées, les mères de famille confisquées par le capital sont
plus ou moins forcées de louer des remplaçantes. Les travaux domestiques, tels
que la couture, le raccommodage, etc., doivent être remplacés par des
marchandises toutes faites. A la dépense amoindrie en travail domestique
correspond une augmentation de dépense en argent. Les frais de la famille du
travailleur croissent par conséquent et balancent le surplus de la recette.
Ajoutons à cela qu'il y devient impossible de préparer et de consommer les
subsistances avec économie et discernement. Sur tous ces faits passés sous
silence par l'économie politique officielle on trouve de riches renseignements
dans les rapports des inspecteurs de fabrique, de la « Children's Employment
Commission » de même que dans les « Reports on Public
Health ». Retour au texte (516)
517 En contraste avec
ce grand fait que ce sont les ouvriers mâles qui ont forcé le capital à
diminuer le travail des femmes et des enfants dans les fabriques anglaises, les
rapports les plus récents de la « Children's Employment Commission »
contiennent des traits réellement révoltants sur les procédés
esclavagistes de certains parents dans le trafic sordide de leurs enfants. Mais
comme on peut le voir par ces rapports, le pharisien capitaliste dénonce
lui-même la bestialité qu'il a créée, qu'il éternise et exploite et qu'il a
baptisée du nom de Liberté du travail. « Le travail des enfants a été appelé en
aide... même pour payer leur pain quotidien; sans force pour supporter un
labeur si disproportionné, sans instruction pour diriger leur vie dans
l'avenir, ils ont été jetés dans une situation physiquement et moralement
souillée. L'historien juif, à propos de la destruction de Jérusalem par Titus a
donné à entendre qu'il n'était pas étonnant qu'elle eût subi une destruction si
terrible, puisqu'une mère inhumaine avait sacrifie son propre fils pour apaiser
les tourments d'une faim irrésistible. » (Public Economy concentrated.
Carlisle, 1833, p.56). Dans le « Bulletin de la Société
industrielle de Mulhouse » (31 mai 1837), le docteur Perrot
dit : « La misère engendre quelquefois chez les pères de famille un odieux
esprit de spéculation sur leurs enfants, et des chefs d'établissement sont
souvent sollicités pour recevoir dans leurs ateliers des enfants au-dessous de
l'âge même où on les admet ordinairement. »
518 A. Redgrave
dans « Reports of Insp. of Fact for 31 oct. 1858 », p.40,41. Retour au texte (518)
519 « Children's
Employment Commission. » Voy. Report. Lond. 1866, p.81, n.31. Retour au texte (519)
520 « Child.
Employm. Comm. Ill Report. » Lond. 1864, p.53, et 15.
521 L. c. V.
Report., p.XXII, n.137. Retour
au texte (521)
522 « Sixth
Report on Public Health. » Lond. 1864, p.34.
Dans les villes ouvrières en France la mortalité des enfants d'ouvriers
au-dessous d'un an est de vingt à vingt-deux pour cent (chiffre de Roubaix). A
Mulhouse elle a atteint trente-trois pour cent en 1863. Elle y dépasse toujours
trente pour cent.
Dans un travail présenté à l'Académie de médecine, M. Devilliers,
établit que la mortalité des enfants des familles aisées étant de dix pour
cent, celle des enfants d'ouvriers tisseurs est au minimum de trente-cinq pour
cent. (Discours de M. Boudet à l'Académie de médecine, séance du 27 novembre
1866.) Dans son 28° Bulletin, la Société industrielle de Mulhouse
constate le « dépérissement t effrayant de la génération qui se développe ». Retour au texte (522)
523 « Elle
(l'enquête de 1861)... a démontré que d'une part, dans les circonstances
que nous venons de décrire, les enfants périssent par suite de la négligence et
du dérèglement qui résultent des occupations de leurs mères, et d'autre part
que les mères elles-mêmes deviennent de plus en plus dénaturées; à tel point
qu'elles ne se troublent plus de la mort de leurs enfants, et quelquefois même
prennent des mesures directes pour assurer cette mort. » (L.c.) Retour au texte (523)
524 L. c., p.454. Retour au texte (524)
525 L. c.,
p.454-463. « Report by Dr. Henry Julian Humer on the excessive mortality of
infants in some rural districts of England. »
526 L. c., p.35 et
p.455, 456. Retour au texte (526)
527 L. c., p.456. Retour au texte (527)
528 « La consommation
de l'opium se propage chaque jour parmi les travailleurs adultes et les
ouvrières dans les districts agricoles comme dans les districts manufacturiers.
Pousser la vente des opiats, tel est l'objet des efforts de plus d'un marchand
en gros. Pour les droguistes c'est l'article principal. » (L. c.,
p.459.) « Les nourrissons qui absorbaient des opiats devenaient
rabougris comme de vieux petits hommes ou se ratatinaient à l'état de petits
singes. » (L. c., p.460.) Voilà la terrible vengeance que l'Inde et la
Chine tirent de l'Angleterre.
529 L. c., p.37. Retour au texte (529)
530 « Reports
of Insp. of Fact.for 31 st. oct. 1862, p. 59. » Cet inspecteur de fabrique
était médecin. Retour au texte
(530)
531 Leonhard
Horner dans « Reports of Insp. of. Fact.for 10 th. june 1857 », p.17. Retour au texte (531)
532 Id. dans « Rep.
of. Fact. for 31 st. art. 1855 », p.18, 19.
533 Sir John
Kincaid dans « Rep. of Insp. of Fact. for 31 st. oct. 1858 », p.31, 32. Retour au texte (533)
534 Leonhard
Horner dans « Reports, etc., for 31 st. october 1856 », p.17. Retour au texte (534)
535 Id. L.c., p.66. Retour
au texte (535)
536 A. Redgrave
dans « Reports of Insp. of Fact. for 10 th. june 1857 », p.4
Dans les branches de l’industrie anglaise où règne depuis assez longtemps
la loi des fabriques proprement dite (qu'il ne faut pas confondre avec le Print
Work's Act), les obstacles que rencontraient les articles sur l'instruction
ont été surmontés dans une certaine mesure. Quant aux industries non soumises à
la loi, la manière de voir qui y prédomine est celle exprimée par le fabricant
verrier J. Geddes devant le commissaire d'enquête M. White : « Autant que je
puis en juger, le supplément d'instruction accordé à une partie de la classe
ouvrière dans ces dernières années est un mal. Il est surtout dangereux, en ce
qu'il la rend trop indépendante. » Children's Empl. Commission. IV Report. London.
1865, p.253. Retour au texte (536)
537 « M. E.
... fabricant m'a fait savoir qu'il emploie exclusivement des femmes à ses
métiers mécaniques; il donne la préférence aux femmes mariées; surtout à celles
qui ont une famille nombreuse; elles sont plus attentives et plus
disciplinables que les femmes non mariées, et de plus sont forcées de
travailler jusqu'à extinction pour se procurer les moyens de subsistance
nécessaires. C'est ainsi que les vertus qui caractérisent le mieux la femme
tournent à son préjudice. Ce qu'il y a de tendresse et de moralité dans sa
nature devient l'instrument de son esclavage et de sa misère. » Ten Hours'
Factory Bill. The speech of Lord Ashley. Lond. 1844; p.20. Retour au texte (537)
538 « Depuis
l'introduction en grand de machines coûteuses, on a voulu arracher par force à
la nature humaine beaucoup plus qu'elle ne pouvait donner. » (Robert Owen : Observations
on the effects of the manufacturing system. 2° éd. Lond. 1817.) Retour au texte (538)
539 Les Anglais qui
aiment à confondre la raison d'être d'un fait social avec les circonstances
historiques dans lesquelles il s'est présente originairement, se figurent
souvent qu'il ne faut pas chercher la cause des longues heures de travail des
fabriques ailleurs que dans l'énorme vol d'enfants, commis dès l'origine du
système mécanique par le capital à la façon d'Hérode sur les maisons de pauvres
et d'orphelins, vol par lequel il s'est incorporé un matériel humain dépourvu
de toute volonté. Evidemment, dit par exemple Fielden, un fabricant anglais, «
les longues heures de travail ont pour origine cette circonstance que le nombre
d'enfants fournis par les différentes parties du pays a été si considérable,
que les maîtres se sentant indépendants, ont une bonne fois établi la coutume
au moyen du misérable matériel qu'ils s'étaient procuré par cette voie, et ont
pu ensuite l'imposer à leurs voisins avec la plus grande facilite. » (J.
Fielden : « The Curse of the Factory system. » Lond.
1836). Pour ce qui est du travail des femmes, l'inspecteur des fabriques Saunders
dit dans son rapport de 1844 : « Parmi les ouvrières il y a des femmes qui
sont occupées de 6 heur s du matin à minuit pendant plusieurs semaines de
suite, à peu de jours près, avec de deux heures pour les repas, de sorte que
pour cinq jours de la semaine, sur les vingt-quatre heures de la journée, il ne
leur en reste que six pour aller chez elles, s’y reposer et en revenir. » Retour au texte (539)
540 « On connaît
le dommage que cause l'inaction des machines à des pièces de métal mobiles et
délicates. » (Ure, l.c., t.II, p.8.)
541 Le Manchester
Spinner, déjà cité (Times, 26 nov. 1862) dit: « cela (c'est-à-dire
l'allocation pour la détérioration des machines) a pour but de couvrir la perte
qui résulte constamment du remplacement des machines, avant qu'elles ne soient
usées, par d'autres de construction nouvelle et meilleure. » Retour au texte (541)
542 « On estime en
gros qu'il faut cinq fois autant de dépense pour construire une seule machine
d'après un nouveau modèle, que pour reconstruire la même machine sur le même
modèle. » (Babbage l.c., p.349.) Retour
au texte (542)
543 « Depuis quelques
années il a été apporté à la fabrication des tulles des améliorations si
importantes et si nombreuses, qu'une machine bien conservée, du prix de mille
deux cents livres sterling, a été vendue quelques années plus tard, soixante
livres sterling... Les améliorations se sont succédé avec tant de rapidité que
des machines sont restées inachevées dans les mains de leurs constructeurs
mises au rebut par suite de l'invention de machines meilleures. Dans cette
période d'activité dévorante, les fabricants de tulle prolongèrent
naturellement le temps de travail de huit heures à vingt-quatre heures en
employant le double d'ouvriers. » (L.c., p.377, 378 et 389.) Retour au texte (543)
544 « Il est évident
que dans le flux et reflux du marché et parmi les expansions et contractions
alternatives de la demande, il se présente constamment des occasions dans
lesquelles le manufacturier peut employer un capital flottant additionnel sans
employer un capital fixe additionnel... si des quantités supplémentaires de
matières premières peuvent être travaillées sans avoir recours à une dépense
supplémentaire pour bâtiments et machines. » (R. Torrens : On wages and
combination. Lond., 1834, p. 63.) Retour
au texte (544)
545 Cette
circonstance n'est ici mentionnée que pour rendre l'exposé plus complet, car ce
n'est que dans le troisième livre de cet ouvrage que je traiterai la question
du taux du profit, c'est-à-dire le rapport de la plus-value au total du
capital avancé. Retour au texte
(545)
546 Senior : Letters
on the Factory Art. Lond. 1837, p.13, 14.
547 « La grande
proportion du capital fixe au capital circulant... rend désirables les longues
heures de travail. A mesure que le machinisme se développe etc. les motifs de
prolonger les heures de travail deviennent de plus en plus grands, car c'est le
seul moyen de rendre profitable une grande proportion du capital fixe. »
(Senior l.c., p.11-13.) « Il y a dans une fabrique différentes dépenses qui
restent constantes, que la fabrique travaille plus ou moins de temps, par
exemple la rente pour les bâtiments, les contributions locales et générales
l'assurance contre l'incendie, le salaire des ouvriers qui restent là en
permanence, les frais de détérioration des machines, et une multitude d'autres
charges dont la proportion vis-à-vis du profit croit dans le même rapport que
l'étendue de la production augmente. » (Reports of the lnsp. of Face.
for 31 st. oct. 1862, p.19.) Retour
au texte (547)
548 On verra dans
les premiers chapitres du livre III, pourquoi ni le capitaliste, ni l'économie
politique qui partage sa manière de voir, n'ont conscience de cette
contradiction. Retour au texte
(548)
549 Sismondi et
Ricardo ont le mérite d'avoir compris que la machine est un moyen de produire
non seulement des marchandises, mais encore la surpopulation « redundant
population ». Retour au texte (549)
550 lang=DE
style='mso-ansi-language:DE'> F . Biese; Die Philosophie des Aristoteles.
Zweiter Band., Berlin, 1842, p.408.
551 « Epargnez le bras
qui fait tourner la meule, ô meunières, et dormez paisiblement ! Que le coq
vous avertisse en vain qu'il l'ait jour ! Dao a imposé aux nymphes le travail
des filles et les voilà qui sautillent allégrement sur la roue et voilà que
l'essieu ébranlé roule avec ses rais, faisant tourner le poids de la pierre
roulante. Vivons de la vie de nos pères et oisifs, réjouissons-nous des dons
que la déesse accorde. » (Antiparos.) Retour
au texte (551)
552 Par le mot intensification
nous désignons les procédés qui rendent le travail plus intense. Retour au texte (552)
553 Différents
genres de travail réclament souvent par leur nature même différents degrés
d'intensité et il se peut, ainsi que l'a déjà démontré Adam Smith, que ces
différences se compensent par d'autres qualités particulières à chaque besogne.
Mais comme mesure de la valeur, le temps de travail n'est affecté que dans les
cas où la grandeur extensive du travail et son degré d'intensité constituent deux
expressions de la même quantité qui s'excluent mutuellement. Retour au texte (553)
554 Voy : «
Reports of Insp. of Fact..for 31 st. oct. 1865. »
555 « Reports of Insp.of
Fact. for 1844 and the quarter ending 30 th. april 1845 » p.20, 21. Retour au texte (555)
556 L.c., p.19.
Comme chaque mètre fourni était payé aux ouvriers au même taux qu'auparavant,
le montant de leur salaire hebdomadaire dépendait du nombre de mètres tissés. Retour au texte (556)
557 L.c., p.20. Retour au texte (557)
558 L'élément
moral joua un grand rôle dans ces expériences. « Nous travaillons avec plus
d'entrain », dirent les ouvriers à l'inspecteur de la fabrique, « nous avons
devant nous la perspective de partir de meilleure heure et une joyeuse ardeur
au travail anime la fabrique depuis le plus jeune jusqu'au plus vieux, de sorte
que nous pouvons nous aider considérablement les uns les autres. » l.c. Retour au texte (558)
559 John Fielden,
l.c., p. 32. Retour au texte (559)
560 Les mules que
l'ouvrier doit suivre avancent et reculent alternativement; quand elles
avancent, les écheveaux sont étirés en fils allongés. Le rattacheur doit saisir
le moment où le chariot est proche du porte-système pour rattacher des filés
cassés ou casser des filés mal venus. Les calculs cités par Lord Ashley étaient
faits par un mathématicien qu'il avait envoyé à Manchester dans ce but.
561 Il s'agit d'un
fileur qui travaille à la fois à deux mules se faisant vis-à-vis. Retour au texte (561)
562 Lord Ashley,
l.c., passim. Retour au texte (562)
563 « Reports
of Insp. of Fact. for 1845 », p.20. Retour au texte (563)
564 L. c., p. 22. Retour au texte (564)
565 Rep. of Insp.
of Fact. for 31 st. oct. 1862, p. 62.
566 Il n'en est
plus de même à partir du « Parliamentary Return » de 1862. Ici la
force-cheval réelle des machines et des roues hydrauliques modernes remplace la
force nominale. Les broches pour le tordage ne sont plus confondues avec les
broches proprement dites (comme dans les Returns de 1839, 1850 et 1856); en
outre, on donne pour les fabriques de laine le nombre des « gigs »; une
séparation est introduite entre les fabriques de jute et de chanvre d'une part
et celles de lin de l'autre, enfin la bonneterie est pour la première fois
mentionnée dans le rapport.
567 « Reports
of Insp. of Fact.. for 31 st. oct 1856 », p. 11.
568 L.c., p.14,15.
Retour au texte (568)
569 L. c., p.20. Retour au texte (569)
570 Reports, etc.,
for 31 st. oct. 1858, p.9, 10. Comp. Reports, etc., for 30 th. april 1860 ,
p.30 et suiv. Retour au texte (570)
571 Reports of
Insp. of Fact. for 31 st. oct. 1862, p.100 et 130.
572 Avec le métier
à vapeur moderne un tisserand fabrique aujourd'hui, en travaillant sur deux
métiers soixante heures par semaine, vingt-six pièces d'une espèce particulière
de longueur et largeur données, tandis que sur l'ancien métier à vapeur il n'en
pouvait fabriquer que quatre. Les frais d'une pièce semblable étaient déjà
tombés au commencement de 1850 de trois francs quarante à cinquante-deux
centimes.
« Il y a trente ans (1841) on faisait surveiller par un fileur et deux
aides dans les fabriques de coton une paire de mules avec trois cents à
trois cent vingt-quatre broches. Aujourd'hui le fileur avec cinq aides doit
surveiller des mules dont le nombre de broches est de deux mille deux
cents et qui produisent pour le moins sept fois autant de filés qu'en 1841. »
(Alexandre Redgrave inspecteur de fabrique, dans le « Journal of the Society
of Arts », january 5, 1872.) Retour
au texte (572)
573 Rep. etc., 31
st. oct. 1861, p.25, 26. Retour au
texte (573)
574 L'agitation
des huit heures commença en 1867 dans le Lancashire parmi les ouvriers de
fabrique. Retour au texte (574)
575 Les quelques
chiffres suivants mettent sous les yeux le progrès des fabriques proprement
dites dans le Royaume-Uni depuis 1848 :
Désignation |
Quantité exportée
1848 |
Quantité exportée
1851 |
Fabrique de coton |
||
Coton filé |
liv. 135 831 162 |
liv. 143 966 106 |
Fil à coudre |
yard ( =
0,914m.) |
l. 4 392 176 |
Tissus de coton |
y. 1 091 373 930 |
y. 1 543 161 789 |
Fabrique de lin et de chanvre |
||
Filé |
l. 11 722 182 |
1. 18 841 326 |
Tissus |
y. 88 901 519 |
y. 129 106 753 |
Fabrique de soie |
||
Filé de différentes sortes |
1. 466 825 |
l. 462 513 |
Tissus |
y. |
y. 1 181 455 |
Fabrique de laine |
||
Laine filée |
q. (quintal) |
l. 14 670 880 |
Tissus |
y. |
y. 1. 241 120 973 |
Désignation |
Valeur exportée
1848 |
Valeur exportée
1851 |
Fabrique de coton |
₤ |
₤ |
Coton filé |
15 927 831 |
6 634 026 |
Tissus |
16 753 369 |
23 454 810 |
Fabrique de lin et de chanvre |
||
Filé |
493 449 |
951 426 |
Tissus |
2 802 789 |
4 107 396 |
Fabrique de soie |
||
Filés divers |
77 789 |
195 380 |
Tissus |
1 130 398 |
|
Fabrique de laine |
||
Laine filée |
776 975 |
1 484 544 |
Tissus |
5 733 828 |
8 377 183 |
(Voy. les livres bleus : Statistical Abstract for the U. Kingd., n.
8 et n.13.Lond., 1861 et 1866.) Dans le Lancashire le nombre des
fabriques s'est accru entre 1839 et 1850 seulement de quatre pour cent, entre
1850 et 1856 de dix-neuf pour cent, entre 1856 et 1862 de trente-trois pour
cent, tandis que dans les deux périodes de onze ans le nombre des personnes
employées a grandi absolument et diminué relativement, c'est-à-dire comparé à la
production et au nombre des machines. Comp. Rep. of Insp. of Fact.
for 31 st. oct. 1862, p.63. Dans le Lancashire c'est la fabrique de coton
qui prédomine. Pour se rendre compte de la place proportionnelle qu'elle occupe
dans la fabrication des filés et des tissus en général, il suffit de savoir
qu'elle comprend quarante-cinq deux pour cent de toutes les fabriques de ce
genre en Angleterre, en Écosse et en Irlande, quatre-vingt-trois trois pour
cent de toutes les broches du Royaume-Uni, quatre-vingt-un quatre pour cent de
tous les métiers à vapeur, soixante-douze six pour cent de toute la force
motrice et cinquantehuit deux pour cent du nombre total des personnes
employées. (L.c., p.62, 63.)
Désignation |
Quantité exportée
1860 |
Quantité exportée
1865 |
Fabrique de coton |
||
Coton filé |
l. 197 343 655 |
l. 103 751 455 |
Fil à coudre |
l. 6 297 554 |
l. 4 648 611 |
Tissus de coton |
y. 2 776 218 427 |
y. 2 015 237 851 |
Fabrique de lin et de chanvre |
||
Filé |
l. 31 210 612 |
l. 36 777 334 |
Tissus |
y. 143 996 773 |
y. 247 012 529 |
Fabrique de soie |
||
Filé de différentes sortes |
l. 897 402 |
l. 812 589 |
Tissus |
y. 1 307 293 |
y. 2 869 837 |
Fabrique de laine |
||
Laine filée |
l. 27 533 968 |
l. 31 669 267 |
Tissus |
y. 190 381 537 |
y. 278 837 438 |
Désignation |
Valeur exportée
1860 |
Valeur exportée
1865 |
Fabrique de coton |
₤ |
₤ |
Coton filé |
9 870 875 |
10 351 049 |
Tissus |
42 141 505 |
46 903 795 |
Fabrique de lin et de chanvre |
||
Filé |
1 801 272 |
2 505 497 |
Tissus |
4 804 803 |
9 155 318 |
Fabrique de soie |
||
Filés divers |
918 342 |
768 067 |
Tissus |
1 587 303 |
1 409 221 |
Fabrique de laine |
||
Laine filée |
3 843 450 |
5 424 017 |
Tissus |
12 156 998 |
20 102 259 |
576 Ure, l.c.,
p.19, 20, 26. Retour au texte (576)
577 L.c., p.31. -
Karl Marx, l.c., p.140, 141. Retour au
texte (577)
578 La législation
de fabrique anglaise exclut expressément de son cercle d'action les
travailleurs mentionnés les derniers dans le texte comme n'étant pas des
ouvriers de fabrique, mais les « Returns » publiés par le Parlement comprennent
expressément aussi dans la catégorie des ouvriers de fabrique non seulement les
ingénieurs, les mécaniciens, etc., mais encore les directeurs, les commis, les
inspecteurs de dépôts, les garçons qui font les courses, les emballeurs, etc.; en un mot tous
les gens à l'exception du fabricant - tout cela pour grossir le nombre apparent
des ouvriers occupés par les machines. Retour au texte (578)
579 Ure en
convient lui-même. Après avoir dit que les ouvriers, en cas d'urgence peuvent passer
d'une machine à l'autre à la volonté du directeur, il s'écrie d'un ton de
triomphe : « De telles mutations sont en contradiction flagrante avec
l'ancienne routine qui divise le travail et assigne à tel ouvrier la tâche de
façonner la tête d'une épingle et à tel autre celle d'en aiguiser la pointe. »
Il aurait du bien plutôt se demander pourquoi dans la fabrique automatique
cette « ancienne routine » n'est abandonnée qu'en « cas d'urgence ». Retour au texte (579)
580 En cas d'urgence
comme par exemple pendant la guerre civile américaine, l'ouvrier de fabrique
est employé par le bourgeois aux travaux les plus grossiers, tels que
construction de routes, etc. Les ateliers nationaux anglais de 1862 et des
années suivantes pour les ouvriers de fabrique en chômage se distinguent des ateliers
nationaux français de 1848 en ce que dans ceux-ci les ouvriers avaient à
exécuter des travaux improductifs aux frais de l'État tandis que dans ceux-là
ils exécutaient des travaux productifs au bénéfice des municipalités et de plus
à meilleur marché que les ouvriers réguliers avec lesquels on les mettait ainsi
en concurrence. « L'apparence physique des ouvriers des fabriques de coton
s'est améliorée. J'attribue cela... pour ce qui est des hommes à ce qu'ils sont
employés à l'air libre à des travaux publics. » (Il s'agit ici des ouvriers de
Preston que l'on faisait travailler à l'assainissement des marais de cette
ville.) (Rep. of Insp. of Fact., oct. 1865, p.59.) Retour au texte (580)
581 Exemple : Les
nombreux appareils mécaniques qui ont été introduits dans la fabrique de laine
depuis la loi de 1844 pour remplacer le travail des enfants. Dès que les
enfants des fabricants eux-mêmes auront à faire leur école comme manœuvres
cette partie a peine encore explorée de la mécanique prendra aussitôt un
merveilleux essor.
« Les mules automatiques sont des machines des plus dangereuses. La
plupart des accidents frappent les petits enfants rampant à terre au-dessous
des mules en mouvement pour balayer le plancher... L'invention d'un balayeur
automatique quelle heureuse contribution ne serait-elle à nos mesures
protectrices ! » (Rep. of lnsp. of Fact., for 31 st. oct. 1866, p.63.) Retour au texte (581)
582 Après cela on
pourra apprécier l'idée ingénieuse de Proudhon
qui voit dans la machine une synthèse non des instruments de travail, mais «
une manière de réunir diverses particules du travail, que la division avait
séparées. » Il fait en outre cette découverte aussi historique que prodigieuse
que « la période des machines se distingue par un caractère particulier, c'est
le salariat ». Retour
au texte (582)
583 F. Engels,
l.c., p. 217. Même un libre-échangiste des plus ordinaires et optimiste par
vocation, M. Molinari, fait cette remarque : « Un homme s'use plus vite en
surveillant quinze heures par jour l'évolution d'un mécanisme, qu'en exerçant
dans le même espace de temps sa force physique. Ce travail de surveillance, qui
servirait peut-être d'utile gymnastique à l'intelligence, s'il n'était pas trop
prolongé, détruit à la longue, par son excès, et l'intelligence et le corps
même. » (G. de Molinari : Etudes économiques. Paris, 1846.) Retour au texte (583)
584 F. Engels,
l.c., p. 216. Retour au texte (584)
585 « The Master
Spinners' and Manufacturers' Defence Fund. Report of the Committee. Manchester
1854 », p. 17. On verra plus tard que le « Maître » chante sur un
autre ton, dès qu'il est menacé de perdre ses automates « vivants ». Retour au texte (585)
586 Ure, l.c., p.
22, 23. Celui qui connaît la vie d'Arkwright ne s'avisera jamais de lancer
l'épithète de « noble » à la tête de cet ingénieux barbier. De tous les grands
inventeurs du XVIII° siècle, il est sans contredit le plus grand voleur des
inventions d'autrui. Retour
au texte (586)
587 « L'esclavage
auquel la bourgeoisie a soumis le prolétariat, se présente sous son vrai jour
dans le système de la fabrique. Ici toute liberté cesse de fait et de droit.
L'ouvrier doit être le matin dans la fabrique à 5 h 30; s'il vient deux minutes
trop tard, il encourt une amende; s'il est en retard de dix minutes, on ne le
laisse entrer qu'après le déjeuner, et il perd le quart de son salaire
journalier. Il lui faut manger, boire et dormir sur commande... La cloche
despotique lui fait interrompre son sommeil et ses repas. Et comment se passent
les choses à l'intérieur de la fabrique ? Ici le fabricant est législateur
absolu. Il fait des règlements, comme l'idée lui en vient, modifie et amplifie
son code suivant son bon plaisir, et s'il y introduit l'arbitraire le plus
extravagant, les tribunaux disent aux travailleurs : Puisque vous avez accepté
volontairement ce contrat, il faut vous y soumettre... Ces travailleurs sont
condamnés à. être ainsi tourmentés physiquement et moralement depuis leur
neuvième année jusqu'à leur mort. » (Fr. Engels, l.c., p. 227 et suiv.) Prenons
deux cas pour exemples de ce que « disent les tribunaux ». Le premier se passe
à Sheffield, fin de 1866. Là un ouvrier s'était loué pour deux ans dans une
fabrique métallurgique. A Ia suite d'une querelle avec le fabricant, il quitta
la fabrique et déclara qu'il ne voulait plus y rentrer à aucune condition.
Accusé de rupture de contrat, il est condamné à deux mois de prison. (Si le
fabricant lui-même viole le contrat, il ne peut être traduit que devant les
tribunaux civils et ne risque qu'une amende.) Les deux mois finis, le même
fabricant lui intime l'ordre de rentrer dans la fabrique d'après l'ancien
contrat. L'ouvrier s'y refuse alléguant qu'il a purgé sa peine. Traduit de
nouveau en justice, il est de nouveau condamné par le tribunal, quoique l'un
des juges, M. Shee, déclare publiquement que c'est une énormité
juridique, qu'un homme puisse être condamné périodiquement pendant toute sa vie
pour le même crime ou délit. Ce jugement fut prononcé non par les « Great
Unpaid », les Ruraux provinciaux, mais par une des plus hautes cours de justice
de Londres. - Le second cas se passe dans le Wiltshire, fin novembre
1863. Environ trente tisseuses au métier à vapeur occupées par un certain
Harrupp, fabricant de draps de Leower's Mill, Westbury Leigh, se mettaient en
grève parce que le susdit Harrup avait l'agréable habitude de faire une retenue
sur leur salaire pour chaque retard le matin. Il retenait six pence pour deux
minutes, un shilling pour trois minutes et un shilling six pence pour dix
minutes. Cela fait à douze francs un cinquième de centime par heure, cent douze
francs cinquante centimes par jour, tandis que leur salaire en moyenne annuelle
ne dépassait jamais douze à quatorze francs par semaine. Harrupp avait aposté
un jeune garçon pour sonner l'heure de la fabrique. C'est ce dont celui-ci
s'acquittait parfois avant 6 heures du matin, et dès qu'il avait cessé, les
portes étaient fermées et toutes les ouvrières qui étaient dehors subissaient
une amende. Comme il n'y avait pas d'horloge dans cet établissement, les
malheureuses étaient à la merci du petit drôle inspiré par le maître. Les mères
de famille et les jeunes filles comprises dans la grève déclarèrent qu'elles se
remettraient à l'ouvrage dès que le sonneur serait remplacé par une horloge et
que le tarif des amendes serait plus rationnel. Harrupp cita dix-neuf femmes et
filles devant les magistrats, pour rupture de contrat. Elles furent condamnées
chacune à six pence d'amende et à deux shillings pour les frais, à la grande
stupéfaction de l'auditoire. Harrupp, au sortir du tribunal, fut salué des
sifflets de la foule.
- Une opération favorite des fabricants consiste à punir leurs ouvriers
des défauts du matériel qu'ils leur livrent en faisant des retenues sur leur
salaire. Cette méthode provoqua en 1866 une grève générale dans les poteries
anglaises. Les rapports de la « Child. Employm. Commiss. » (1863-1866)
citent des cas où l'ouvrier, au lieu de recevoir un salaire, devient par son
travail et en vertu des punitions réglementaires, le débiteur de son
bienfaisant maître. La dernière disette de coton a fourni nombre de traits
édifiants de l'ingéniosité des philanthropes de fabrique en matière de retenues
sur le salaire. « J'ai eu moi-même tout récemment, dit l'inspecteur de fabrique
R. Baker, à faire poursuivre juridiquement un fabricant de coton parce
que, dans ces temps difficiles et malheureux, il retenait à quelques jeunes
garçons (au-dessus de treize ans) dix pence pour le certificat d'âge du médecin,
lequel ne lui coûte que six pence et sur lequel la loi ne permet de retenir que
trois pence, l'usage étant même de ne faire aucune retenue... Un autre
fabricant, pour atteindre le même but, sans entrer en conflit avec la loi, fait
payer un shilling à chacun des pauvres enfants qui travaillent pour lui, à
titre de frais d'apprentissage du mystérieux art de filer, dès que le
témoignage du médecin les déclare mûrs pour cette occupation. Il est, comme on
le voit, bien des détails cachés qu'il faut connaître pour se rendre compte de
phénomènes aussi extraordinaires que les grèves par le temps qui court (il
s'agit d'une grève dans la fabrique de Darwen, juin 1863, parmi les tisseurs à
la mécanique). » Reports of Insp. of Fact., for 30 th. april 1863. (Les
rapports de fabrique s'étendent toujours au-delà de leur date officielle.) Retour au texte (587)
588 « Les lois
pour protéger les ouvriers contre les machines dangereuses n'ont pas été sans
résultats utiles.
« Mais il existe maintenant de nouvelles sources d'accidents inconnus
il y a vingt ans, surtout la vélocité augmentée des machines. Roues, cylindres,
broches et métiers à tisser sont chassés par une force d'impulsion toujours
croissante; les doigts doivent saisir les filés cassés avec plus de rapidité et
d'assurance; s'il y a hésitation ou imprévoyance, ils sont sacrifiés... Un
grand nombre d'accidents est occasionné par l'empressement des ouvriers à
exécuter leur besogne aussi vite que possible. Il faut se rappeler qu'il est de
la plus haute importance pour les fabricants de faire fonctionner leurs
machines sans interruption, c'est-à-dire de produire des filés et des tissus.
L'arrêt d’une minute n'est pas seulement une perte en force motrice, mais aussi
en production. Les surveillants, ayant un intérêt monétaire dans la quantité du
produit, excitent les ouvriers à faire vite et ceux-ci, payés d'après le poids
livré ou à la pièce n'y sont pas moins intéressés. Quoique formellement
interdite dans la plupart des fabriques, la pratique de nettoyer des machines
en mouvement est générale. Cette seule cause a produit pendant les derniers six
mois, neuf cent six accidents funestes. Il est vrai qu'on nettoye tous les
jours, mais le vendredi et surtout le samedi sont plus particulièrement fixés
pour cette opération qui s'exécute presque toujours durant le fonctionnement
des machines... Comme c'est une opération qui n'est pas payée, les
ouvriers sont empressés d'en finir. Aussi, comparés aux accidents des jours
précédents, ceux du vendredi donnent un surcroît moyen de douze pour cent, ceux
du samedi un surcroît de vingt-cinq et même de plus de cinquante pour cent, si
on met en ligne de compte que le travail ne dure le samedi que sept heures et
demie. » (Reports of Insp. of Fact. for 31 st. oct. London 1867,
p.9, 15, 16, 17.)
589 Dans le
premier chapitre du livre III je rendrai compte d'une campagne d'entrepreneurs anglais
contre les articles de la loi de fabrique relatifs à la protection des ouvriers
contre les machines. Contentons-nous d'emprunter ici une citation d'un rapport
officiel de l'inspecteur Leonhard Horner : « J'ai entendu des fabricants parler
avec une frivolité inexcusable de quelques-uns des accidents, dire par exemple
que la perte d'un doigt est une bagatelle. La vie et les chances de l'ouvrier
dépendent tellement de ses doigts qu'une telle perte a pour lui les
conséquences les plus fatales. Quand j'entends de pareilles absurdités, je pose
immédiatement cette question : Supposons que vous ayez besoin d'un ouvrier
supplémentaire et qu'il s'en présente deux également habiles sous tous les
rapports, lequel choisiriez-vous ? Ils n'hésitaient pas un instant à se décider
pour celui dont la main est intacte... Ces messieurs les fabricants ont des
faux préjugés contre ce qu'ils appellent une législation
pseudo-philanthropique. » (Reports of Insp. of Fact for 31 st. oct.
1855.) Ces fabricants sont de madrés compères et ce n'est pas pour des
prunes qu'ils acclamèrent avec exaltation la révolte des esclavagistes
américains.
590 Cependant dans
les établissements soumis le plus longtemps à la loi de fabrique, bien des abus
anciens ont disparu. Arrive à un certain point le perfectionnement ultérieur du
système mécanique exige lui-même une construction perfectionnée des bâtiments
de fabrique laquelle profite aux ouvriers. (V. Report. etc. for 31
st oct. 1863, p.109.)
591 Voy entre
autres : John Houghton : Husbandry and Trade improved. Lond.,
1727, The advantages of the East India Trade, 1720, John Bellers l.c.
« Les maîtres et les ouvriers sont malheureusement en guerre perpétuelle
les uns contre les autres. Le but invariable des premiers est de faire exécuter
l'ouvrage le meilleur marché possible et ils ne se font pas faute d'employer
toute espèce d'artifices pour y arriver tandis que les seconds sont à l'affût
de toute occasion qui leur permette de réclamer des salaires plus élevés. » An
Inquiry into the causes of the Present High Prices of Provision, London,
1767. Le Rév. Nathaniel Forster est l'auteur de ce livre anonyme sympathique
aux ouvriers. Retour au texte (591)
592 « In hac orbe
ante hos viginti circiter annos instrumentum quidam invenerunt textorium, quo
solus quis plus parmi et facilius conficere poterat, quam plures aequali
tempore. Hinc turboe ortoe et queruloe textorum, tanderrique usus hujus
instrumenti a magistratu prohibitus est. » Boxhorn : Inst. Pol. 1663. Retour au texte (592)
593 La révolte
brutale des ouvriers contre les machines s'est renouvelée de temps en temps encore
dans des manufactures de vieux style, p. ex. en 1865 parmi les polisseurs de
limes à Sheffield.
594 Sir James
Steuart comprend de cette manière l'effet des machines. « Je considère donc les
machines comme des moyens d'augmenter (virtuellement) le nombre des gens
industrieux qu'on n'est pas obligé de nourrir... En quoi l'effet d'une machine
diffère-t-il de celui de nouveaux habitants ? » (Traduct. franç. t.I, 1.1, ch.
XIX.) Bien plus naïf est Petty qui prétend qu'elle remplace la « Polygamie ».
Ce point de vue peut, tout au plus être admis pour quelques parties des
Etats-Unis. D'un autre côté : « Les machines ne peuvent que rarement être
employées avec succès pour abréger le travail d'un individu : il serait perdu
plus de temps à les construire qu'il n'en serait économisé par leur emploi.
Elles ne sont réellement utiles que lorsqu'elles agissent sur de grandes
masses, quand une seule machine peut assister le travail de milliers d'hommes.
C'est conséquemment dans les pays les plus populeux, là où il y a le plus
d'hommes oisifs, qu'elles abondent le plus. Ce qui en réclame et en utilise
l'usage, ce n'est pas la rareté d'hommes, mais la facilité avec laquelle on
peut en faire travailler des masses. » Piercy Ravenstone: Thoughts on the
Funding System and its Effects. Lond., 1824, p.45.
595 « La machine
et le travail sont en concurrence constante. » (Ricardo, l.c., p. 479.) Retour au texte (595)
596 Ce qui avant
l'établissement de la loi des pauvres (en 1833) fit en Angleterre prolonger la
concurrence entre le tissu à la main et le tissu à la mécanique, c'est que l'on
faisait l'appoint des salaires tombés par trop au-dessous du minimum, au moyen
de l'assistance des paroisses. « Le Rév. Turner était en 1827, dans le
Cheshire, recteur de Wilmslow, district manufacturier. Les questions du comité
d'émigration et les réponses de M. Turner montrent comment on maintenait la
lutte du travail humain contre les machines. Question : L'usage du
métier mécanique n'a-t-il pas remplace celui du métier à la main ? Réponse
: Sans aucun doute; et il l'aurait remplacé bien davantage encore, si
les tisseurs à la main n'avaient pas été mis en état de pouvoir se soumettre à
une réduction de salaire. Question : Mais en se soumettant ainsi, ils
acceptent des salaires insuffisants, et ce qui leur manque pour s'entretenir,
ils l'attendent de l'assistance paroissiale ? Réponse: Assurément, et la
lutte entre le métier à la main et le métier à la mécanique est en réalité
maintenue par la taxe des pauvres. Pauvreté dégradante ou expatriation, tel est
donc le bénéfice que recueillent les travailleurs de l'introduction des
machines. D'artisans respectables et dans une certaine mesure indépendants ils
deviennent de misérables esclaves qui vivent du pain avilissant de la charité.
C'est ce qu'on appelle un inconvénient temporaire. » A Price Essay on
the comparative merits of Competition and Cooperation. Lond., 1834, p. 9.
597 Lancer
quelqu'un dans l'éternité - to launch somebody into eternity - est
l'expression euphémique que les journaux anglais emploient pour annoncer les
hauts faits du bourreau. Retour
au texte (597)
598 « La même
cause qui peut accroître le revenu du pays, (c'est-à-dire, comme Ricardo
l'explique au même endroit, les revenus des Landlords et des capitalistes, dont
la richesse, au point de vue des économistes, forme la richesse nationale)
cette même cause peut en même temps rendre la population surabondante et
détériorer la condition du travailleur. » Ricardo, l.c., p. 469. « Le
but constant et la tendance de tout perfectionnement des machines est de se
passer du travail de l'homme ou de diminuer son prix en substituant le
travail des femmes et des enfants à celui des adultes, ou le travail d
'ouvriers grossiers et inhabiles à celui d'ouvriers habiles. » (Ure, l.c., t.
1, p.35.) Retour au texte (598)
599 « Reports
of Insp. of Fact. 31 oct. 1858 », p.43.
600 « Reports
etc., 31 oct. 1856 », p.15. Retour
au texte (600)
601 Ure,
l.c., t.I., p. 29: « Le grand avantage des machines pour la cuite des
briques, c'est qu'elles rendent les patrons tout à fait indépendants des
ouvriers habiles. » (Child. Employm. Comm. V. Report. London, 1866 p.
180, n. 46. - M. A. Sturreck, surveillant du département des machines du Great
Northern Railway, dit au sujet de la construction des machines
(locomotives, etc.) devant la Commission royale d'enquête : « Les ouvriers
dispendieux sont de jour en jour moins employés. En Angleterre la productivité
des ateliers est augmentée par l'emploi d'instruments perfectionnés et ces
instruments sont à leur tour fabriqués par une classe inférieure d'ouvriers. »
Auparavant « il fallait des ouvriers habiles pour produire toutes les parties
des machines; maintenant ces parties de machines sont produites par un travail
de qualité inférieure, mais avec de bons instruments... Par instruments,
j'entends les machines employées à la construction de machines. » (Royal
Commission on Railways, Minutes of Evidence. N° 17 863.
London, 1867.) Retour au texte
(601)
602 Ure, l.c.,
p.30. Retour au texte (602)
603 L.c., t. 11,
p. 67. Retour au texte (603)
604 L.c. Retour au texte (604)
605 Rep. of lnsp.
of Fact. 31 st. oct. 1863, p.108 et suiv.
606 L.c., p.109.
Le perfectionnement rapide des machines pendant la crise cotonnière permit aux fabricants
anglais, une fois la guerre civile américaine terminée, de pouvoir encombrer de
nouveau tous les marchés du monde. Dans les derniers six mois de 1866 les
tissus étaient déjà devenus presque invendables quand les marchandises
envoyées en commission aux Indes et à la Chine vinrent rendre l'encombrement
encore plus intense. Au commencement de 1867 les fabricants eurent recours à
leur expédient ordinaire, l'abaissement du salaire. Les ouvriers s'y
opposèrent et déclarèrent, avec raison au point de vue théorique que le seul
remède était de travailler peu de temps, quatre jours par semaine. Après plus
ou moins d'hésitations les capitaines d'industrie durent accepter ces conditions,
ici avec, là sans réduction des salaires de cinq pour cent. Retour au texte (606)
607 « Les rapports
entre maîtres et ouvriers dans les opérations du soufflage du flintglass et du
verre de bouteille, sont caractérisés par une grève chronique. » De là l'essor
de la manufacture de verre pressé dans laquelle les opérations principales sont
exécutées mécaniquement. Une raison sociale de Newcastle qui produisait
annuellement trois cent cinquante mille livres de flintglass soufflé, produit
maintenant à leur place trois millions cinq cents livres de verre pressé. Ch.
Empl. Comm. IV Report. 1865, p.262, 263. Retour au texte (607)
608 Gaskell: The
Manufacturing population of England. Lond., 1833, p.3,4. Retour au texte (608)
609 Par suite de
grèves dans son atelier de construction M. Fairbairn a été amené à faire
d'importantes applications mécaniques pour la construction des machines. Retour au texte (609)
610 Ure, l.c., t. 11, p.141, 142, 140. Retour au texte (610)
611 L.c., t. 1,
p.10. Retour au texte (611)
612 L.c., t. 11,
p.143, 5, 6, 68, 67, 33. Retour
au texte (612)
613 Ricardo partagea
d'abord cette manière de voir; mais il la rétracta plus tard expressément avec
cette impartialité scientifique et cet amour de la vérité qui le caractérisent.
V. ses Princ. of Pol. Ec., ch. XXXI, on Machinery. Retour au texte (613)
614 Nota bene. -
Cet exemple est dans le genre de ceux
des économistes que je viens de nommer. Retour au texte (614)
615 On a bien le
droit de pallier des maux avec des mots.
616 Un Ricardien
relève à ce propos les fadaises de J. B. Say : « Quand la division du travail
est très développée, l'aptitude des ouvriers ne trouve son emploi que dans la
branche spéciale de travail pour laquelle ils ont été formés; ils ne sont
eux-mêmes qu'une espèce de machine. Rien de plus absurde que de répéter sans
cesse comme des perroquets que les choses ont une tendance à trouver leur
niveau. Il suffit de regarder autour de soi pour voir qu'elles ne peuvent de
longtemps trouver ce niveau, et que si elles le trouvent, il est beaucoup moins
élevé qu'au point de départ. » (An lnquiry into those principles respecting
the Nature of Demand, etc. London, 1821, p.72.) Retour au texte (616)
617 « S'il est avantageux
de développer de plus en plus l'habileté de l'ouvrier de manière à le rendre
capable de produire un quantum de marchandises toujours croissant avec un
quantum de travail égal ou inférieur, il doit être également avantageux que
l'ouvrier se serve des moyens mécaniques qui l'aident avec le plus d'efficacité
à atteindre ce résultat. » (Mac Culloch, Princ. of Pol. Econ. Lond.,
1830, p.166.)
618 « L'auteur de
la machine à filer le coton a ruiné l'Inde, ce qui nous touche peu. » A.
Thiers : De la Propriété. L'éminent homme d'Etat confond la machine
à filer avec la machine à tisser, ce qui d'ailleurs nous touche peu. Retour au texte (618)
619 Census of 1861, vol. II, Lond., 1863. Retour au texte (619)
620 Il y avait
trois mille trois cent vingt-neuf ingénieurs civils.
621 Comme le fer
est une des matières premières les plus importantes, remarquons que l'Angleterre
(y compris le pays de Galles) occupait en 1861 : cent vingt-cinq mille sept
cent soixante et onze fondeurs, dont cent vingt-trois mille quatre cent trente
hommes et deux mille trois cent quarante et une femmes. Parmi les premiers
trente mille huit cent dix avaient moins et quatre-vingt-douze mille six cent
vingt plus de vingt ans.
622 On appela Border
Slaves States les Etats esclavagistes intermédiaires entre les Etats du Nord
et ceux du Sud auxquels ils vendaient des nègres élevés pour l'exportation
comme du bétail. Retour au texte
(622)
623 Gaskell, l.c.,
p.25-27. Retour au texte (623)
624 F. Engels,
dans son ouvrage déjà cité sur la situation des classes ouvrières, démontre
l'état déplorable d'une grande partie de ces ouvriers de luxe. On trouve de
nouveaux et nombreux documents sur ce sujet dans les rapports de la « Child.
Employm. Commission ».
625 En Angleterre
y compris le pays de Galles, il y avait en 1861, dans la marine de commerce
quatre-vingt-quatorze mille six cent soixante-cinq marins. Retour au texte (625)
626 Dont cent
soixante-dix-sept mille cinq cent quatre-vingt-seize seulement du sexe masculin
au-dessus de treize ans.
627 Dont trente
mille cinq cent un du sexe féminin.
628 Dont cent
trente-sept mille quatre cent quarante-sept du sexe masculin. Cent - De ce
nombre de un million deux cent huit mille six cinquante-huit est exclu tout le
personnel qui sert dans les hôtels et autres lieux publics. De 1861 à 1870 le
nombre des gens de service mâles avait presque doublé. Il atteignait le chiffre
de deux cent soixante-sept mille six cent soixante et onze. Il y avait en 1847
(pour les parcs et garennes aristocratiques) deux mille six cent
quatre-vingt-quatorze gardes-chasse, mais en 1869 il y en avait quatre mille
neuf cent soixante et un. Les jeunes filles de service engagées dans la petite
classe moyenne s'appellent à Londres du nom caractéristique de « slaveys »
(petites esclaves). Retour au texte
(628)
629 « La
proportion suivant laquelle la population d'un pays est employée comme
domestique, au service des classes aisées, indique son progrès en richesse
nationale et civilisation. » R. M. Martin : « Ireland belote and after the
Union » 3° édit., Lond., 1848, p.179. Retour
au texte (629)
630 Cet affreux
charabia se trouve dans l’ouvrage : « Des systèmes d’économie
politique, etc. » par M. Ch. Ganihl. 2° éd., Paris, 1821, t.II, p.224.
Comp. Ibid., p.212. Retour
au texte (630)
631 Reports of
Insp. of Fact., 31 oct. 1865, p.58 et suiv.
En même temps, il est vrai, cent dix nouvelles fabriques, comptant onze mille
six cent vingt-cinq métiers à tisser, six cent vingt-huit mille sept cent
cinquante-six broches, deux mille six cent quatre-vingt-quinze forces-cheval en
engins et roues hydrauliques, étaient prêtes à se mettre en train. Retour au texte (631)
632
style='mso-ansi-language:EN-US'> « Reports, etc., for 31 st. oct.
1862 », p.79. L'inspecteur de fabrique A. Redgrave dit, dans un
discours prononcé en décembre 1871 dans la New Mechanics Institution, à
Bradford : « Ce qui m'a frappé depuis quelque temps, ce sont les changements
survenus dans les fabriques de laine. Autrefois elles étaient remplies de
femmes et d'enfants; aujourd'hui les machines semblent exécuter toute la
besogne. Un fabricant, que j'interrogeais à ce sujet, m'a fourni
l'éclaircissement suivant : « Avec l'ancien système j'occupais soixante-trois
personnes; depuis j'ai installé les machines perfectionnées et j'ai pu réduire
le nombre de mes bras à trente-trois. Dernièrement enfin, par suite de
changements considérables, j'ai été mis à même de le réduire de trente-trois à
treize. » Retour au texte (632)
633
style='mso-ansi-language:EN-US'> « Reports, etc., for 31 st. oct.
1856 », p.16.
634 « Les
souffrances des tisseurs à la main (soit de coton soit de matières mêlées avec
le coton) ont été l'objet d'une enquête de Ia part d'une Commission royale;
mais quoique l'on ait reconnu et plaint profondément leur misère, on a
abandonné au hasard et aux vicissitudes du temps l'amélioration de leur sort.
Il faut espérer qu'aujourd'hui (vingt ans plus tard !) ces souffrances sont à
peu près (nearly) effacées, résultat auquel, selon toute vraisemblance, la
grande extension des métiers à vapeur a beaucoup contribué. » (L. c., p. 15.) Retour au texte (634)
635 On donnera d'autres
exemples dans le livre III.
Coton exporté de l'Inde
en Grande-Bretagne |
|
Année |
Montant (₤) |
1846 |
34 540 143 |
1860 |
204 141 168 |
1865 |
445 947 600 |
Laine exportée de l'Inde
en Grande-Bretagne |
|
Année |
Montant (₤) |
1846 |
4 570 581 |
1860 |
20 214 173 |
1865 |
20 679 111 |
637
Laine exportée du cap de Bonne-Espérance
en Grande-Bretagne |
|
Année |
Montant (₤) |
1846 |
2 958 457 |
1860 |
16 574 345 |
1865 |
29 220 623 |
Laine exportée d’Australie
en Grande-Bretagne |
|
Année |
Montant (₤) |
1846 |
21 789 346 |
1860 |
59 166 616 |
1865 |
109 734 26 |
638 Au mois de février 1867, la Chambre des Communes ordonna,
sur la demande de M. Gladstone, une publication de la statistique des grains de
tout sorte importés dans le Royaume-Uni de 1831 à 1866. En voici le résumé où
la farine est réduite a des quarters de grains ( 1 quarter = poids de
kilos 126 699)
Désigna- tion |
1831 1835 |
1836 1840 |
1841 1845 |
1846 1850 |
1831 1835 |
1836 1840 |
1841 1845 |
1846 1850 |
Moyenne annuelle |
||||||||
Importa- tion (gr.) |
1 096 373 |
2 389 729 |
2 843 865 |
8 776 552 |
834 237 |
10 913 612 |
15 009 871 |
16 457 340 |
Exporta- tion (gr.) |
225 263 |
251 770 |
139 056 |
155 461 |
307 491 |
341 150 |
302 754 |
216 213 |
Excès de l'importation
sur l'exporta-tion (gr.) |
874 110 |
2 137 959 |
2 704 809 |
8 621 091 |
8 037 746 |
10 572 462 |
14 707 117 |
16 241 122 |
Population |
||||||||
Moyenne annuelle dans chaque période (gr.) |
24 621 107 |
25 929 507 |
27 262 559 |
27 797 598 |
27 572 923 |
28 391 544 |
29 381 760 |
29 935 404 |
Quantité moyenne de grains, etc. |
||||||||
En quarters annuelle-ment consom-més par l'individu
moyen, en excès sur la popula- tion indigène (gr.) |
0,036 |
0,082 |
0,099 |
0,310 |
0,291 |
0,372 |
0,501 |
0,543 |
639 Le
développement économique des Etats-Unis est lui-même un produit de la grande
industrie européenne, et plus particulièrement de l'industrie anglaise. Dans
leur forme actuelle on doit les considérer encore comme une colonie de
l'Europe.
Coton exporté des Etats-Unis en Grande-Bretagne |
|
Année |
Montant (₤) |
1846 |
401 949 393 |
1852 |
765 630 544 |
1859 |
961 707 264 |
1860 |
1 115 890 608 |
Exportation de grains des Etats-Unis en Grande-Bretagne
(1850 et 1862, en quintaux) |
||
1850 |
1862 |
|
Froment |
16 202 312 |
41 033 506 |
Orge |
3 669 653 |
6 624 800 |
Avoine |
3 174 801 |
4 426 994 |
Seigle |
388 749 |
7 108 |
Farine de froment |
3 819 440 |
7207 113 |
Blé noir |
1 054 |
19 571 |
Maïs |
5 473 161 |
11 694 818 |
Bere ou Bigg (orge qualité sup.) |
2 039 |
7 675 |
Pois |
811 620 |
1 024 722 |
Haricots |
1 822 972 |
2 037 137 |
Total |
34 365 801 |
74 083 351 |
640 Dans un appel
fait en juillet 1866, « aux sociétés de résistance anglaises », par des
ouvriers que les fabricants de chaussures de Leicester avaient jetés sur le pavé
(locked out), il est dit : « Depuis environ vingt ans la cordonnerie a été
bouleversée en Angleterre, par suite du remplacement de la couture par la
rivure. On pouvait alors gagner de bons salaires. Bientôt cette nouvelle
industrie prit une grande extension. Une vive concurrence s'établit entre les
divers établissements, c'était à qui fournirait l'article du meilleur goût.
Mais il s'établit peu après une concurrence d'un genre détestable; c'était
maintenant à qui vendrait au plus bas prix. On en vit bientôt les funestes
conséquences dans la réduction du salaire, et la baisse de prix du travail fut
si rapide que beaucoup d'établissements ne paient encore aujourd'hui que la
moitié du salaire primitif. Et cependant, bien que les salaires tombent de plus
en plus, les profits semblent croître avec chaque changement de tarif du
travail. » Les fabricants tirent même parti des périodes défavorables de
l'industrie pour faire des profits énormes au moyen d'une réduction exagérée
des salaires, c'est-à-dire au moyen d'un vol direct commis sur les moyens
d'existence les plus indispensables au travailleur. Un exemple : il s'agit
d'une crise dans la fabrique de tissus de soie de Coventry : « Il résulte de
renseignements que j'ai obtenus aussi bien de fabricants que d'ouvriers, que
les salaires ont été réduits dans une proportion bien plus grande que la
concurrence avec des producteurs étrangers ou d'autres circonstances ne le
rendaient nécessaire. La majorité des tisseurs travaille pour un salaire réduit
de trente à quarante pour cent. Une pièce de rubans pour laquelle le tisseur
obtenait, cinq ans auparavant, six ou sept shillings ne lui rapporte plus que
trois shillings trois pence ou trois shillings six pence. D'autres travaux
payés d'abord quatre shillings et quatre shillings trois pence, ne le sont plus
que deux shillings ou deux shillings trois pence. La réduction du salaire est
bien plus forte qu'il n'est nécessaire pour stimuler la demande. C'est un fait
que pour beaucoup d'espèces de rubans la réduction du salaire n'a pas entraîné
la moindre réduction dans le prix de l'article. » (Rapport du commissaire F.
Longe dans « Child. Empl. Comm. V. Report 1866 », p.114, n° 1.)
641 Voy. «
Reports of Insp. of Fact., for 31 st. oct. 1862 », p.30.
642 L.c., p.19. Retour au texte (642)
643 « Reports
of Insp. of Fact., for 31 oct. 1863 », p.41, 51.
644 « Rep., etc.,
for 31 oct. 1862 », p.41, 42. Retour
au texte (644)
645 L.c., p.57. Retour au texte (645)
646 L.c.. p.50,
51. Retour au texte (646)
647 L.c., p.62,
63. Retour au texte (647)
648 « Reports,
etc., 30 th. april 1864 », p.27. Retour au texte (648)
649 Extrait d'une
lettre du chef constable Harris de Bolton dans « Reports of Insp. of Fact.,
31 st. oct. 1865 », p.61, 62. Retour
au texte (649)
650 On lit dans un
appel des ouvriers cotonniers, du printemps de 1863 pour la
formation d'une société d'émigration - « Il ne se trouvera que bien peu de gens
pour nier qu'une grande émigration d'ouvriers de fabrique soit aujourd'hui
absolument nécessaire, et les faits suivants démontreront qu'en tout temps,
sans un courant d'émigration continu, il nous est impossible de maintenir notre
position dans les circonstances ordinaires. En 1814, la valeur officielle des
cotons exportés (laquelle n'est qu'un indice de la quantité), se montait à
dix-sept millions six cent soixante-cinq mille trois cent soixante-dix-huit
livres sterling; leur valeur de marché réelle, au contraire, était de vingt
millions soixante-dix mille huit cent vingt-quatre livres sterling. En 1858, la
valeur officielle des cotons exportés étant de cent quatre-vingt-deux millions
deux cent vingt et un mille six cent quatre-vingt-une livres sterling, leur
valeur de marché ne s'éleva pas au-dessus de quarante-trois millions un mille
trois cent vingt-deux livres sterling, en sorte que pour une quantité décuple,
l'équivalent obtenu ne fut guère plus que double. Diverses causes concoururent
à produire ce résultat si ruineux pour le pays en général et pour les ouvriers
de fabrique en particulier... Une des principales, c'est qu'il est
indispensable pour cette branche d'industrie, d'avoir constamment à sa
disposition plus d'ouvriers qu'il n'en est exigé en moyenne, car, il lui faut,
sous peine d'anéantissement, un marché s'étendant tous les jours davantage. Nos
fabriques de coton peuvent être arrêtées d'un moment à l'autre par cette
stagnation périodique du commerce qui, dans l'organisation actuelle, est aussi
inévitable que la mort. Mais l'esprit d'invention de l'homme ne s'arrête pas
pour cela. On peut évaluer au moins à six millions le nombre des émigrés dans
les vingt-cinq dernières années; néanmoins, par suite d'un déplacement constant
de travailleurs en vue de rendre le produit meilleur marché, il se trouve même
dans les temps les plus prospères, un nombre proportionnellement considérable
d'hommes adultes hors d'état de se procurer, dans les fabriques, du travail de
n'importe quelle espèce et à n'importe quelles conditions. » (Reports of
Insp. of Fact. 30 th. april 1863, p.51, 52.) On verra dans un des
chapitres suivants, comment messieurs les fabricants, pendant la terrible crise
cotonnière, ont cherché à empêcher l'émigration de leurs ouvriers par tous les moyens,
même par la force publique.
651 « Ch. Empl.
Comm. IV Report, 1864 », p.108, n.447.
652 Aux Etats-Unis
il arrive fréquemment que le métier se reproduit ainsi en prenant pour base
l'emploi des machines. Sa conversion ultérieure en fabrique étant inévitable,
la concentration s'y effectuera avec une rapidité énorme, comparativement à
l'Europe et même à l'Angleterre.
653 Comp. « Reports
of Insp. of Fact. 31 oct. 1865 », p.64.
654 La première
manufacture de plumes d'acier sur une grande échelle a été fondée à Birmingham,
par M. Gillot. Elle fournissait déjà, en 1851, plus de cent quatre-vingt
millions de plumes et consommait, par an, cent vingt tonnes d'acier en lames.
Birmingham monopolisa cette industrie dans le Royaume-Uni et produit
maintenant, chaque année, des milliards de plumes d'acier. D'après le
recensement de 1861, le nombre des personnes occupées était de mille quatre
cent vingt-huit; sur ce nombre il y avait mille deux cent soixante-huit
ouvrières enrôlées à partir de l'âge de cinq ans. Retour au texte (654)
655 « Child.
Empl. Comm. V Rep. 1864 », p. LXVIII n.415.
656 On trouve
même, à Sheffield, des enfants pour le polissage des limes ! Retour au texte (656)
657 « Child.
Empl. Comm. V Rep. 1866 », p. 3, n. 24, p.6, n.55, 56, p.7. n.59, 60. Retour au texte (657)
658 L.c., p.114,
115, n.6-7. Le commissaire fait cette remarque fort juste, que si ailleurs la
machine remplace l'homme, ici l'adolescent remplace la machine. Retour au texte (658)
659 V. le rapport
sur le commerce des chiffons et de nombreux documents ce sujet: « Public
Health VIII, Report, London 1866.» Appendix, p.196-208. Retour au texte (659)
660 « Child.
Empl. Comm. V Report. 1866 », XVI, n.86-97 et p.130, n.39-71. V. aussi ibid.
III Rep. 1864, p.48, 56. Retour
au texte (660)
661 « Public
Health », Report. VI, Lond., 1864, p.31.
662 L.c., p.30. Le
Dr Simon fait remarquer que la mortalité des tailleurs et imprimeurs de Londres
de vingt-cinq à trente-cinq ans est en réalité beaucoup plus grande, parce que
ceux qui les emploient font venir de la campagne un grand nombre de jeunes gens
jusqu'à l'âge d'environ trente ans, à titre d'apprentis et « d'improvers » (les
gens qui veulent se perfectionner dans leur métier). Ces derniers figurent dans
le recensement comme étant de Londres et grossissent le nombre de têtes sur
lequel se calcule le taux de la mortalité dans cette ville, sans contribuer
proportionnellement au nombre des cas de mort qu'on y constate. La plupart
d'entre eux retournent à la campagne, principalement quand ils sont atteints de
maladies graves.
663 Il s'agit de
clous faits au marteau et non de ceux qui sont fabriqués à la machine. V. « Child.
Empl. III Report. », p.XI, p.XIX, n.125-130, p.53, n.11, p.114, n.487,
p.137, n.674. Retour au texte (663)
664 « Child.
Empl. Comm. Il Report. », p. XXII, n.166.
665 « Child.
Empl. Comm. II Rep. 1864 », p.XIX, XX, XXI.
666 L.c., p, XXI,
XXVI. Retour au texte (666)
667 L.c., p.XXIX,
XXX. Retour au texte (667)
668 L.c., p.XL,
XLI. Retour au texte (668)
669 « Child. Empl.
Comm. I Rep. 1863 », p.185. Retour
au texte (669)
670 En Angleterre
tout ce qui regarde les modes est exécuté en grande partie dans les ateliers de
l'entrepreneur par des ouvrières qui logent chez lui, et par d'autres salariées
qui habitent au-dehors.
671 Le commissaire
White visita entre autres une manufacture d'habits militaires qui occupait de
cent à mille deux cents personnes, presque toutes du sexe féminin, et une
fabrique de chaussures avec mille trois cents personnes, dont presque la moitié
se composait de jeunes filles et d'enfants. (Child. Empl. Comm. II Rep., p.XVII,
n.319.)
672 Pour la
semaine finissant le 26 février 1864, le rapport hebdomadaire officiel de la
mortalité énumère cinq cas de mort par inanition à Londres. Le même jour le Times
constate un cas additionnel.
673 « Child.
Empl. Comm. II Rep. », p.LXVII, n.406-9, p.84, n.124, p.LXXIII, n.441,
p.66, n.6, p.84, n.126, p.78, n.85, p.76, n.69, p.LXXII, n.483. Retour au texte (673)
674 Ceci n'a pas lieu dans la ganterie, où les ouvriers se
distinguent à peine des paupers et n'ont pas les moyens d'acquérir des
machines à coudre. - Par pauper, les Anglais désignent le pauvre secouru
par la bienfaisance publique. Retour
au texte (674)
675 L.c., p.122.
Le taux des loyers joue un rôle important. Comme il est très élevé à Londres, «
c'est aussi dans la métropole que le vieux système de marchandage ou le travail
à domicile s'est maintenu le plus longtemps, et c'est là aussi qu'on y est
revenu le plus tôt ». (L.c., p.83.) La dernière partie de cette citation se
rapporte exclusivement à la cordonnerie.
676 L.c., p.84,
n.124. Retour au texte (676)
677 « Tendency
to factory system. » (L.c., p.LXVII.) « Cette industrie tout entière est
aujourd'hui en état de transition et subit les mêmes changements qui se sont
effectués dans celles des dentelles, des tissus », etc. (L.c., n.405.) « C'est
une révolution complète. » (L.c., p.XLVI, n.318). La bonneterie était encore,
en 1840, un métier manuel. Depuis 1840, il y a été introduit des machines
diverses, mues aujourd'hui par la vapeur. La bonneterie anglaise occupait, en
1862, environ cent vingt mille personnes des deux sexes et de tout âge, à
partir de trois ans. Dans ce nombre, d'après le Parliamentary Return du
11 février 1862, il n'y en avait que quatre mille soixante-trois sous la
surveillance de la loi.
678 Ainsi, par
exemple, dans la poterie : « pour maintenir notre quantité de produits, dit la
maison Cochrane de la Britain Pottery, Glasgow, nous avons eu recours à
l'emploi en grand de machines qui rendent superflus les ouvriers habiles, et
chaque jour nous démontre que nous pouvons produire beaucoup plus qu'avec
l'ancienne méthode ». (Reports of Insp. of Fact., 31 art. 1865, p.13.) «
La foi de fabrique a pour effet de pousser à l'introduction de machines. »
(L.c., p.13, 14.) Retour au texte
(678)
679 Ainsi, après
l'établissement de la loi de fabrique dans les poteries, les tours à main ont
été en grande partie remplacés par des tours mécaniques. Retour au texte (679)
680 L.c., p. 96 et
127. Retour au texte (680)
681 L'introduction
de cette machine avec d'autres dans les fabriques d'allumettes chimiques a,
dans un seul département, fait remplacer deux cent trente adolescents par
trente-deux garçons et filles de quatorze à dix-sept ans. Cette économie
d'ouvriers a été poussée encore plus loin en 1865 par suite de l'emploi de la
vapeur. Retour au texte (681)
682 « Child.
Empl. Cornm. Il Rep., 1864 », p.IX, n.50.
683 « Rep. of
Insp. of Fact., 31 oct. 1865 », p.22
684 « Dans un
grand nombre d'anciennes manufactures, les améliorations nécessaires ne peuvent
être pratiquées sans un déboursé de capital qui dépasse de beaucoup les moyens
de leurs propriétaires actuels... L'introduction des actes de fabrique est
nécessairement accompagnée d'une désorganisation passagère qui est en raison
directe de la grandeur des inconvénients auxquels il faut remédier. » (L.c.,
p.96, 97.) Retour au texte (684)
685 Dans les hauts fourneaux, par exemple, « le travail est
généralement très prolongé vers la fin de la semaine, en raison de l'habitude
qu'ont les hommes de faire le lundi et de perdre aussi tout ou partie du mardi
». (Child. Empl. Comm. IV Rep., p. VI.) « Les petits
patrons ont en général des heures très irrégulières. Ils perdent deux ou trois
jours et travaillent ensuite toute la nuit pour réparer le temps perdu... Ils emploient
leurs propres enfants quand ils en ont. » (L.c., p.VII.) « Le manque de
régularité à se rendre au travail est encouragé par la possibilité et par
l'usage de tout réparer ensuite en travaillant plus longtemps. » (L.c.,
p.XVIII.) « Énorme perte de temps à Birmingham... tel jour oisiveté complète,
tel autre travail d'esclave. » (L. c., p. XI.)
686 Child. Empl.
Comm. IV Rep., p. XXXII, XXXIII
687 Child. Empl.
Comm. Il Rep., p. xxxv, n.235 et 237.
688 L.c., 127,
n.56. Retour au texte (688)
689 « Quant aux
pertes que leur commerce éprouverait à cause de l'exécution retardée de leurs
commandes, je rappelle que c'était là l'argument favori des maîtres de fabrique
en 1832 et 1833. Sur ce sujet on ne peut rien avancer aujourd'hui qui aurait la
même force que dans ce temps-là, lorsque la vapeur n'avait pas encore diminué
de moitié toutes les distances et fait établir de nouveaux règlements pour le
transit. Si à cette époque cet argument ne résistait pas à l'épreuve, il n'y
résisterait certainement pas aujourd'hui. » (Reports of Insp. of Fact. 31
st. oct. 1862, p.54, 55.) Retour
au texte (689)
690 « Child.
Empl. Comm. IV Rep. », p.XVIII, n.118.
691 «
L'incertitude des modes, disait John Bellers déjà en 1696, accroît le nombre
des pauvres nécessiteux. Elle produit en effet deux grands maux : 1° les
journaliers sont misérables en hiver par suite de manque de travail, les
merciers et les maîtres tisseurs n'osant pas dépenser leurs fonds pour tenir
leurs gens employés avant que le printemps n'arrive et qu'ils ne sachent quelle
sera la mode; 2° dans le printemps, les journaliers ne suffisent pas et les
maîtres tisseurs doivent recourir à mainte pratique pour pouvoir fournir le
commerce du royaume dans un trimestre ou une demi-année. Il résulte de tout
cela que les charrues sont privées de bras, les campagnes de cultivateurs, la
Cité en grande partie encombrée de mendiants, et que beaucoup meurent de faim
parce qu'ils ont honte de mendier. » (Essays about the Poor, Manufactures,
etc., p.19.) Retour au texte (691)
692 Child. Empl.
Comm. V Rep., p.171, n.31. Retour au texte (692)
693 On lit par
exemple dans les dépositions de quelques agents d'exportation de Bradford cités
comme témoins : « Il est clair que dans ces circonstances il est inutile de
faire travailler dans les magasins les jeunes garçons plus longtemps que depuis
8 heures du matin jusqu'à 7 heures du soir. Ce n'est qu'une question de dépense
extra et de nombre de bras extra. Les garçons n'auraient pas besoin de
travailler si tard dans la nuit si quelques patrons n'étaient pas aussi affamés
de profit. Une machine extra ne coule que seize ou dix-huit livres sterling -
Toutes les difficultés proviennent de l'insuffisance d'appareils et du manque
d'espace. » (L.c., p. 171, n. 35 et 38.) Retour au texte (693)
694 L. c. Un
fabricant de Londres, qui considère d'ailleurs la réglementation de la journée
de travail comme un moyen de protéger non seulement les ouvriers contre les
fabricants, mais encore les fabricants contre le grand commerce, s'exprime
ainsi ; « La gêne dans nos transactions est occasionnée par les marchands
exportateurs qui veulent, par exemple, envoyer des marchandises par un navire à
voiles, pour se trouver en lieu et place dans une saison déterminée, et, de
plus, pour empêcher la différence du prix de transport entre le navire a voiles
et le navire à vapeur, ou bien qui de deux navires à vapeur choisissent celui
qui part le premier pour arriver avant leurs concurrents sur le marché
étranger, » (L.c., p.8, n.32.) Retour
au texte (694)
695 « On pourrait
obvier à cela, dit un fabricant, au prix d'un agrandissement des locaux de
travail sous la pression d'une loi générale du Parlement. » (L.c., p.X,
n.38.) Retour au texte (695)
696 L. c., p. XV,
n.74 et suiv. Retour au texte (696)
697 Rep. of Insp.
of Fact., 31 oct. 1865, p.96. Retour au texte (697)
698 On a trouvé
par expérience qu'un individu moyen et bien portant consomme environ vingt-cinq
pouces cubes d'air à chaque respiration d'intensité moyenne et respire à peu près
vingt fois par minute. La masse d'air consommée en vingt-quatre heures par un
individu serait, d'après cela, d'environ sept cent vingt mille pouces cubes ou
de quatre cent seize pieds cubes. Or, on sait que l'air une fois expiré ne peut
plus servir au même procès avant d'avoir été purifié dans le grand atelier de
la nature. D'après les expériences de Valentin et de Branner, un homme bien
portant parait expirer environ treize cents pouces cubes d'acide carbonique par
heure. Il s'ensuivrait que les poumons rejettent en vingt-quatre heures environ
huit onces de carbone solide. - Chaque homme, dit Huxley, devrait avoir au
moins huit cents pieds cubes d'air.
699 D'après la loi
de fabrique, les parents ne peuvent envoyer leurs enfants au-dessous de
quatorze ans dans les fabriques « contrôlées » sans leur faire donner en
même temps l'instruction élémentaire. Le fabricant est responsable de
l'exécution de la loi. « L'éducation de fabrique est obligatoire, elle est une
condition du travail. » (Rep. of Insp. of Fact., 31 oct. 1865, p.11.) Retour au texte (699)
700 Pour ce qui
est des résultats avantageux de ]'union de la gymnastique (et des exercices
militaires pour les garçons) avec l'instruction obligatoire des enfants de
fabrique et dans les écoles des pauvres, voir le discours de N. W. Senior au
septième congrès annuel de la « National Association for the Promotion of
social science », dans les « Reports of Proceedings », etc.,
(London, 1863, p.63, 64), de même le rapport des inspecteurs de fabrique pour
le 31 oct. 1865, p.118, 119, 120, 126 et suiv. Retour au texte (700)
701 « Rep. of
Insp. of Fact. (L.c. p.118.) Un fabricant
de soie déclare naïvement aux commissaires d'enquête de la Child. Empl.
Comm.: « Je suis convaincu que le vrai secret de la production d'ouvriers
habiles consiste à faire marcher ensemble dès l'enfance le travail et l'instruction.
Naturellement le travail ne doit ni exiger trop d'efforts, ni être répugnant ou
malsain. Je désirerais que mes propres enfants pussent partager leur temps
entre l'école d'un côté et le travail de l'autre. » (Child. Empl. Comm. V
Rep., p.82, n.36.) Retour
au texte (701)
702 Pour juger
combien la grande industrie, arrivée à un certain développement, est
susceptible, par le bouleversement qu'elle produit dans le matériel de la
production et dans les rapports sociaux qui en découlent, de bouleverser
également les têtes, il suffit de comparer le discours de N. W. Senior en 1863
avec sa philippique contre l'acte de fabrique de 1833, ou de mettre en face des
opinions du congrès que nous venons de citer ce fait que, dans certaines
parties de l'Angleterre, il est encore défendu à des parents pauvres de faire
instruire leurs enfants sous peine d'être exposés à mourir de faim. Il est
d'usage, par exemple, dans le Somersetshire, ainsi que le rapporte M. Snell,
que toute personne qui réclame des secours de la paroisse doive retirer ses
enfants de l'école. M. Wollaston, pasteur à Feltham, cite des cas où tout
secours a été refuse à certaines familles parce qu'elles faisaient instruire
leurs enfants !
703 Là où des
machines construites pour des artisans et mues par la force de l'homme sont en
concurrence directe ou indirecte avec des machines plus développées et
supposant par cela même une force motrice mécanique, un grand changement a lieu
par rapport au travailleur qui meut la machine. A l'origine, la machine à
vapeur remplaçait l'ouvrier; mais dans les cas mentionnés, c'est lui qui
remplace la machine. La tension et la dépense de sa force deviennent
conséquemment monstrueuses, et combien doivent-elles l'être pour les
adolescents condamnés à cette torture ! Le commissaire Longe a trouvé à
Coventry et dans les environs des garçons de dix à quinze ans employés à
tourner des métiers à rubans, sans parler d'enfants plus jeunes qui avaient à
tourner des métiers de moindre dimension. « C'est un travail extraordinairement
pénible; le garçon est un simple remplaçant de la force de la vapeur. » (Child.
Empl. Comm. V. Rep., 1855 , p.114, n.6.) Sur les conséquences meurtrières «
de ce système d'esclavage », ainsi que le nomme le rapport
officiel, v.1. c., pages suiv. Retour
au texte (703)
704 L.c., p.3,
n.24. Retour au texte (704)
705 L.c., p.7,
n.59, 60. Retour au texte (705)
706 D'après le Statistical
Account, on vit jadis, dans quelques parties de la haute Écosse, arriver
avec femmes et enfants un grand nombre de bergers et de petits paysans chaussés
de souliers qu'ils avaient faits eux-mêmes après en avoir tanné le cuir, vêtus
d'habits qu'aucune autre main que la leur n'avait touches, dont la matière
était empruntée à la laine tondue par eux sur les moutons ou au lin qu'ils
avaient eux-mêmes cultivé. Dans la confection des vêtements, il était à peine
entré un article acheté, à l'exception des alertes, des aiguilles, des dés et
de quelques parties de l'outillage en fer employé pour le tissage. Les femmes
avaient extrait elles-mêmes les couleurs d'arbustes et de plantes indigènes,
etc. (Dugald Stewart, l. c., p.327.) Retour au texte (706)
707 Il doit aussi
jurer qu'il ne fera point connaître à l'acheteur, pour faire valoir ses
marchandises, les défauts de celles mal confectionnées, dans l’intérêt commun
de la corporation. Retour au texte
(707)
708 La bourgeoisie
ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de travail et
par cela même les rapports de la production et tout l'ensemble des rapports
sociaux. Le maintien de leur mode traditionnel de production était au contraire
la première condition d'existence de toutes les classes industrielles
antérieures. Ce qui distingue donc l'époque bourgeoise de toutes les
précédentes, c'est la transformation incessante de la production, l'ébranlement
continuel des situations sociales, l'agitation et l'incertitude éternelles.
Toutes les institutions fixes, rouillées, pour ainsi dire, se dissolvent avec
leur cortège d'idées et de traditions que leur antiquité rendait respectables,
toutes les nouvelles s'usent avant d'avoir pu se consolider. Tout ce qui
paraissait solide et fixe s'évapore, tout ce qui passait pour saint est
profané, et les hommes sont enfin forcés d'envisager d'un oeil froid leurs
diverses positions dans la vie et leurs rapports réciproques. » (F. Engels
und Karl Marx : Manifest der Kommunistischen Partei. London, 1848, p.5.)
709 « Tu prends ma vie si tu me ravis les moyens par lesquels
je vis. » (Shakespeare.) Retour
au texte (709)
710 Un ouvrier
français écrit à son retour de San Francisco : « Je n'aurais jamais cru que je
serais capable d'exercer tous les métiers que j'ai pratiqués en Californie.
J'étais convaincu qu'en dehors de la typographie je n'étais bon à rien... Une
fois au milieu de ce monde d'aventuriers qui changent de métier plus facilement
que de chemise, je fis, ma foi, comme les autres. Comme le travail dans les
mines ne rapportait pas assez, je le plantai là et me rendis à la ville où je
fus tour à tour typographe, couvreur, fondeur en plomb, etc. Après avoir ainsi
fait l'expérience que je suis propre à toute espèce de travail, je me sens
moins mollusque et plus homme. » Retour
au texte (710)
711 Vers la fin du
XVII° siècle, John Bellers, l'économiste le plus éminent de son temps,
disait de l'éducation qui ne renferme pas le travail productif : « La science
oisive ne vaut guère mieux que la science (le l'oisiveté... Le travail
du corps est une institution divine, primitive... Le travail est aussi
nécessaire au corps pour le maintenir en santé que le manger pour le maintenir
en vie; la peine qu'un homme s'épargne en prenant ses aises, il la
retrouvera en malaises... Le travail remet de l'huile dans la lampe de
la vie; la pensée y met la flamme. Une besogne enfantine et niaise laisse à
l'esprit des enfants sa niaiserie. » (John Bellers : Proposals for
raising a College of Industry of all useful Trades and Husbandry. London,
1696, p.12, 14, 18.) Retour
au texte (711)
712 « Child.
Empl. Comm. V Rep. », p. XXXV, n.162, et Il Rep., p. XXXVIII, n.285,
289, p. XXXV, n.191. Retour
au texte (712)
713 V. F. Engels,
l.c., p. 152, 178-83. Retour
au texte (713)
714 « Le travail
de fabrique peut être pur et bienfaisant comme l'était jadis le travail
domestique, et même à un plus haut degré. » (Reports of Insp. of Fact. 31
st. oct. 1865, p.127.) Retour
au texte (714)
715 L.c., p.27,
32. Retour au texte (715)
716 On trouve là-dessus de nombreux documents dans les « Reports
of Insp. of Fact. ». Retour
au texte (716)
717 « Child.
Empl. Comm. V Rep. », p.IX, n.35. Retour
au texte (717)
718 L.c., n.28. Retour au texte (718)
719 L.c.,
n.165-167. - Voy. Sur les avantages de la grande industrie comparée à la
petite, « Child. Empl. Comm. III Rep. », p.13, n. 144; p.25, n.121;
p.26, n.125; p. 27, n.140, etc. Retour
au texte (719)
720 Child. Empl.
Comm. V Rep., 1866, p. XXV, n.169.
721 Senior, l.c., p.320. Retour
au texte (721)
722 Ce personnel
se composait de deux inspecteurs, deux inspecteurs adjoints et quarante et un
sous-inspecteurs. Huit sous-inspecteurs additionnels furent nommés en 1871.
Tout le budget de cette administration qui embrasse l'Angleterre, l'Écosse et
l'Irlande, ne s'élevait en 1871-72 qu'à vingt-cinq mille trois cent
quarante-sept livres sterling, y inclus les frais légaux causes par des
poursuites judiciaires des patrons en contravention. Retour au texte (722)
723 Robert Owen, le père des
fabriques et des boutiques coopératives, qui cependant, comme nous l'avons déjà
remarqué, était loin de partager les illusions de ses imitateurs sur la portée
de ces éléments de transformation isolés, ne prit pas seulement le système de
fabrique pour point de départ de ses essais; il déclara en outre que c'était là
théoriquement le point de départ de ta révolution sociale. M. Vissering, professeur
d'économie politique à l'Université de Leyde, semble en avoir quelque
pressentiment; car on le voit dans son ouvrage « Handboek van Praktische
Staatshuiskunde » (1860-1862), lequel reproduit sous une forme ad hoc les
platitudes de l'économie vulgaire, prendre fait et cause pour le métier contre
la grande industrie. Retour
au texte (723)
724 On trouve une
exposition détaillée des machines employées par l'agriculture anglaise, dans
l'ouvrage du Dr W. Hamm : « Die lanirthschaftlichen und Maschinen Englands
», 2° édit., 1856. Son esquisse du développement de l'agriculture anglaise
n'est qu'une reproduction sans critique du travail de M. Léonce de Lavergne.
725 « Vous divisez
le peuple en deux camps hostiles, l'un de rustres balourds, l'autre de nains
émasculés. Bon Dieu ! une nation divisée en intérêts agricoles et en intérêts
commerciaux, qui prétend être dans son bon sens, bien mieux, qui va jusqu'à se
proclamer éclairée et civilisée, non pas en dépit, mais à cause même de cette
division monstrueuse, antinaturelle ! » (David Urquhart, l.c., p.119).
Ce passage montre à la fois le fort et le faible d'un genre de critique qui
sait, si l'on veut, juger et condamner le présent, mais non le comprendre. Retour au texte (725)
726 Voyez Liebig
: « Die Chemie in ihrer Anwendung auf Agricultur und Physiologie », 7°
édit., 1862, surtout dans le premier volume, « l'Introduction aux lois
naturelles de ta culture du sol ». C'est un des mérites immortels de
Liebig d'avoir fait ressortir amplement le côté négatif de l'agriculture
moderne au point de vue scientifique. Ses aperçus historiques sur le
développement de l'agriculture, quoique entachés d'erreurs grossières,
éclairent plus d'une question. Il est à regretter qu'il lance au hasard des
assertions telles que celle-ci : « La circulation de l'air dans l'intérieur des
parties poreuses de la terre est rendue d'autant plus active que les labours
sont plus fréquents et la pulvérisation plus complète; la surface du sol sur
laquelle l'air doit agir est ainsi augmentée et renouvelée; mais il est facile
de comprendre que le surplus de rendement du sol ne peut être proportionnel au
travail qui y a été dépensé et qu'il n'augmente au contraire que dans un
rapport bien inférieur. Cette loi, ajoute Liebig, a été proclamée pour la
première fois par J. St. Mill dans ses Principes d'écon. pol., v.1,
p.17 et dans les termes suivants : « La loi générale de l'industrie agricole
est que les produits augmentent, toutes choses restant égales, en raison
décroissante de l'augmentation du nombre des travailleurs employés. » (M. Mill
reproduit ici la loi de Ricardo sous une formule fausse; dès lors, en effet,
que le nombre des ouvriers agricoles a constamment diminué en Angleterre,
l'agriculture faisant toujours des progrès, la loi trouvée en Angleterre et
pour l'Angleterre n'aurait, du moins dans ce pays-là, aucune application.)
Ceci est assez curieux, remarque Liebig, car M. Mill n'en connaissait pas la
raison. » (Liebig, l.c., v.1, p.143, note.) Abstraction faite de
l'interprétation erronée du mot travail, sous lequel Liebig comprend
autre chose que l'économie politique, qui entend par travail aussi bien la
fumure que l'action mécanique sur le sol, il est en tout cas « assez curieux »
qu'il attribue à M. J. St. Mill le premier, l'énonciation d'une loi que James
Anderson a fait connaître à l'époque d'Adam Smith et reproduite dans divers
écrits jusque dans les premières années de ce siècle, que Malthus, ce
plagiaire modèle (sa théorie entière de la population est un monstrueux
plagiat), s'est annexée en 1815, que West a développée à la même époque,
indépendamment d'Anderson, que Ricardo, en 1817, a mise en harmonie avec la
théorie générale de la valeur et qui a fait sous son nom le tour du monde, qui
enfin, après avoir été vulgarisée en 1820 par James Mill, le père de J.
St. Mill, a été répétée par ce dernier comme un dogme d'école devenu déjà lieu
commun. Il est indéniable que M. J. St. Mill doit à de semblables quiproquos
l'autorité en tout cas « curieuse » dont il jouit. Retour au texte (726)