Karl Marx
Le Capital
Livre premier
Le développement de la production capitaliste
TABLE DES MATIERES
Sixième section : le
salaire
XIX. Transformation
de la valeur ou du prix de la force de travail en salaire
XXII. Différence dans le taux des salaires nationaux
Chapitre XIX : Transformation de la valeur ou du prix
de la force de travail en salaire
A la surface de la société bourgeoise la rétribution
du travailleur se représente comme le salaire du travail : tant d'argent payé
pour tant de travail. Le travail lui-même est donc traité comme une marchandise
dont les prix courants oscillent au-dessus ou au dessous de sa valeur.
Mais qu'est ce que la valeur ? La forme
objective du travail social dépensé dans la production d'une marchandise. Et
comment mesurer la grandeur de valeur d'une marchandise ? Par la quantité de
travail qu'elle contient. Comment dès lors déterminer, par exemple, la valeur
d'une journée de travail de douze heures ? Par les douze heures de travail
contenues dans la journée de douze heures, ce qui est une tautologie absurde (753).
Pour être vendu sur le marché à titre de marchandise,
le travail devrait en tout cas exister auparavant. Mais si le travailleur pouvait
lui donner une existence matérielle, séparée et indépendante de sa personne, il
vendrait de la marchandise et non du travail (754).
Abstraction faite de ces contradictions, un échange
direct d'argent, c'est à dire de travail réalisé, contre du travail
vivant, ou bien supprimerait la loi de la valeur qui se développe précisément
sur la base de la production capitaliste, ou bien supprimerait la production
capitaliste elle-même qui est fondée précisément sur le travail salarié. La
journée de travail de douze heures se réalise par exemple dans une valeur
monétaire de six francs. Si l'échange se fait entre équivalents, l'ouvrier
obtiendra donc six francs pour un travail de douze heures, ou le prix de son
travail sera égal au prix de son produit. Dans ce cas il ne produirait pas un
brin de plus-value pour l'acheteur de son travail, les six francs ne se
métamorphoseraient pas en capital et la base de la production capitaliste
disparaîtrait. Or c'est précisément sur cette base qu'il vend son travail et
que son travail est travail salarié. Ou bien il obtient pour douze heures de
travail moins de six francs, c'est à dire moins de douze heures de
travail. Douze heures de travail s'échangent dans ce cas contre dix, six, etc.,
heures de travail. Poser ainsi comme égales des quantités inégales, ce n'est
pas seulement anéantir toute détermination de la valeur. Il est même impossible
de formuler comme loi une contradiction de ce genre qui se détruit elle-même (755).
Il ne sert de rien de vouloir expliquer un tel
échange de plus contre moins par la différence de forme entre les travaux
échangés, l'acheteur payant en travail passé ou réalisé, et le vendeur en
travail actuel ou vivant (756).
Mettons qu'un article représente six heures de travail. S'il survient une
invention qui permette de le produire désormais en trois heures, l'article déjà
produit, déjà circulant sur le marché, n'aura plus que la moitié de sa valeur
primitive. Il ne représentera plus que trois heures de travail, quoiqu'il y en
ait six de réalisées en lui. Cette forme de travail réalisé n'ajoute donc rien
à la valeur, dont la grandeur reste au contraire toujours déterminée par le
quantum de travail actuel et socialement nécessaire qu'exige la production
d'une marchandise.
Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au
capitaliste, ce n'est pas le travail, mais le travailleur. Ce que celui-ci
vend, c'est lui-même, sa force de travail. Dès qu'il commence à mettre cette
force en mouvement, à travailler, or, dès que son travail existe, ce travail a
déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui. Le
travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs, mais il n'a
lui-même aucune valeur (757).
Dans l'expression : valeur du travail, l'idée de
valeur est complètement éteinte. C'est une expression irrationnelle telle que
par exemple valeur de la terre. Ces expressions irrationnelles ont cependant
leur source dans les rapports de production eux-mêmes dont elles réfléchissent
les formes phénoménales. On sait d'ailleurs dans toutes les sciences, à
l'économie politique près, qu'il faut distinguer entre les apparences des
choses et leur réalité (758).
Ayant emprunté naïvement, sans aucune vérification
préalable, à la vie ordinaire la catégorie « prix du travail », l'économie
politique classique se demanda après coup comment ce prix était déterminé. Elle
reconnut bientôt que pour le travail comme pour toute autre marchandise, le
rapport entre l'offre et la demande n'explique rien que les oscillations du
prix de marché au dessus ou au dessous d'une certaine grandeur. Dès
que l'offre et la demande se font équilibre, les variations de prix qu'elles
avaient provoquées cessent, mais là cesse aussi tout l'effet de l'offre et la
demande. Dans leur état d'équilibre, le prix du travail ne dépend plus de leur
action et doit donc être déterminé comme si elles n'existaient pas. Ce
prix là, ce centre de gravitation des prix de marché, se présenta ainsi
comme le véritable objet de l'analyse scientifique.
On arriva encore au même résultat en considérant une
période de plusieurs années et en comparant les moyennes auxquelles se
réduisent, par des compensations continuelles, les mouvements alternants de
hausse et de baisse. On trouva ainsi des prix moyens, des grandeurs plus ou
moins constantes qui s'affirment dans les oscillations mêmes des prix de marché
et en forment les régulateurs intimes. Ce prix moyen donc, « le prix nécessaire
» des physiocrates, « le prix naturel » d'Adam Smith ne peut être pour
le travail, de même que pour toute autre marchandise, que sa valeur, exprimée
en argent. « La marchandise, dit Adam Smith, est alors vendue précisément ce
qu'elle vaut. »
L'économie classique croyait avoir de cette façon
remonté du prix accidentels du travail à sa valeur réelle. Puis elle détermina
cette valeur par la valeur des subsistances nécessaires pour l'entretien et la
reproduction du travailleur. A son insu elle changeait ainsi de terrain, en
substituant à la valeur du travail, jusque là l'objet apparent de ses
recherches, la valeur de la force de travail, force qui n'existe que dans la
personnalité du travailleur et se distingue de sa fonction, le travail, tout
comme une machine se distingue de ses opérations. La marche de l'analyse avait
donc forcément conduit non seulement des prix de marché du travail à son prix
nécessaire ou sa valeur, mais avait fait résoudre la soi disant valeur du
travail en valeur de la force de travail, de sorte que celle là ne devait
être traitée désormais comme forme phénoménale de celle ci. Le résultat
auquel l’analyse aboutissait était donc, non de résoudre le problème tel qu'il
se présenta au point de départ, mais d'en changer entièrement les termes.
L'économie classique ne parvint jamais à s'apercevoir
de ce quiproquo, exclusivement préoccupée qu'elle était de la différence entre
les prix courants du travail et sa valeur, du rapport de celle-ci avec les
valeurs des marchandises, avec le taux du profit etc. Plus elle approfondit
l'analyse de la valeur en général, plus la soi-disant valeur du travail
l'impliqua dans des contradictions inextricables.
Le salaire est le payement du travail à sa valeur ou
à des prix qui en divergent. Il implique donc que valeur et prix accidentels de
la force de travail aient déjà subi un changement de forme qui la fasse
apparaître comme valeur et prix du travail lui-même. Examinons maintenant de
plus près cette transformation.
Mettons que la force de travail ait une valeur
journalière de trois francs (759)
, et que la journée de travail soit de douze heures (760). En confondant maintenant la valeur de la force avec
la valeur de sa fonction, le travail qu'elle fait, on obtient cette formule : Le
travail de douze heures a une valeur de trois francs. Si le
prix de la force était au dessous ou au dessus de sa valeur, soit de
quatre francs ou de deux, le prix courant du travail de douze heures serait
également de quatre francs ou de deux. Il n'y a rien de changé que la forme. La
valeur du travail ne réfléchit que la valeur de la force dont il est la
fonction, et les prix de marché du travail s'écartent de sa soi disant
valeur dans la même proportion que les prix de marché de la force du travail
s'écartent de sa valeur.
N'étant qu'une expression irrationnelle pour la
valeur de la force ouvrière, la valeur du travail doit évidemment être toujours
moindre que celle de son produit, car le capitaliste prolonge toujours le
fonctionnement de cette force au delà du temps nécessaire pour en
reproduire l'équivalent. Dans notre exemple, il faut six heures par jour pour
produire une valeur de trois francs, c'est à dire la valeur
journalière de la force de travail, mais comme celle-ci fonctionne pendant
douze heures, elle rapporte quotidiennement une valeur de six francs. On arrive
ainsi au résultat absurde qu'un travail qui crée une valeur de six francs n'en
vaut que trois (761). Mais cela n'est pas visible à
l'horizon de la société capitaliste. Tout au contraire : là la valeur de trois
francs, produite en six heures de travail, dans une moitié de la journée, se
présente comme la valeur du travail de douze heures, de la journée tout
entière. En recevant par jour un salaire de trois francs, l'ouvrier paraît donc
avoir reçu toute la valeur due à son travail, et c'est précisément pourquoi
l'excédent de la valeur de son produit sur celle de son salaire, prend la forme
d'une plus-value de trois francs, créée par le capital et non par le travail.
La forme salaire, ou payement direct du travail, fait
donc disparaître toute trace de la division de la journée en travail nécessaire
et surtravail, en travail payé et non payé, de sorte que tout le travail de
l'ouvrier libre est censé être payé. Dans le servage le travail du corvéable
pour lui-même et son travail forcé pour le seigneur sont nettement séparés l'un
de l'autre par le temps et l'espace. Dans le système esclavagiste, la partie
même de la journée où l'esclave ne fait que remplacer la valeur de ses
subsistances, où il travaille donc en fait pour lui-même, ne semble être que du
travail pour son propriétaire. Tout son travail revêt l'apparence de travail
non payé (762). C'est l'inverse chez le travail
salarié : même le surtravail ou travail non payé revêt l'apparence de travail
payé. Là le rapport de propriété dissimule le travail de l'esclave pour
lui-même, ici le rapport monétaire dissimule le travail gratuit du salarié pour
son capitaliste.
On comprend maintenant l'immense importance que
possède dans la pratique ce changement de forme qui fait apparaître la
rétribution de la force de travail comme salaire du travail, le prix de la
force comme prix de sa fonction. Cette forme, qui n'exprime que les fausses
apparences du travail salarié, rend invisible le rapport réel entre capital et
travail et en montre précisément le contraire; c'est d'elle que dérivent toutes
les notions juridiques du salarié et du capitaliste, toutes les mystifications
de la production capitaliste, toutes les illusions libérales et tous les
faux fuyants apologétiques de l'économie vulgaire.
S'il faut beaucoup de temps avant que l'histoire ne
parvienne à déchiffrer le secret du salaire du travail, rien n'est au contraire
plus facile à comprendre que la nécessité, que les raisons d'être de cette
forme phénoménale.
Rien ne distingue au premier abord l'échange entre
capital et travail de l'achat et de la vente de toute autre marchandise.
L'acheteur donne une certaine somme d'argent, le vendeur un article qui diffère
de l'argent. Au point de vue du droit, on ne reconnaît donc dans le contrat de
travail d'autre différence d'avec tout autre genre de contrat que celle
contenue dans les formules juridiquement équivalentes : Do ut des, do ut
facias, facio ut des et facio ut facias. (Je donne pour que tu donnes, je
donne pour que tu fasses, je fais pour que tu donnes, je fais pour que tu
fasses.)
Valeur d'usage et valeur d'échange étant par leur
nature des grandeurs incommensurables entre elles, les expressions « valeur
travail », « prix du travail » ne semblent pas plus irrationnelles que les
expressions « valeur du coton », « prix du coton ». En outre le travailleur
n'est payé qu'après avoir livré son travail. Or dans sa fonction de moyen de
payement, l'argent ne fait que réaliser après coup la valeur ou le prix de
l'article livré, c'est à dire dans notre cas la valeur ou le prix du
travail exécuté. Enfin la valeur d'usage que l'ouvrier fournit au
capitaliste, ce n'est pas en réalité sa force de travail, mais l'usage de cette
force, sa fonction de travail. D'après toutes les apparences, ce que le
capitaliste paye, c'est donc la valeur de l'utilité que l'ouvrier ici donne, la
valeur du travail, et non celle de la force de travail que l'ouvrier ne
semble pas aliéner. La seule expérience de la vie pratique ne fait pas
ressortir la double utilité du travail, la propriété de satisfaire un besoin,
qu'il a de commun avec toutes la marchandises, et celle de créer de la valeur,
qui le distingue à toutes les marchandises et l'exclut, comme élément formateur
de la valeur, de la possibilité d'en avoir aucune.
Plaçons nous au point de vue de l'ouvrier à qui
son travail de douze heures rapporte une valeur produite en six heures, soit
trois francs. Son travail de douze heures est pour lui en réalité le moyen
d'achat des trois francs. Il se peut que sa rétribution tantôt s'élève à quatre
francs, tantôt tombe à deux, par suite ou des changements survenus dans la
valeur de sa force ou des fluctuations dans le rapport de l'offre et de la
demande, l'ouvrier n'en donne pas moins toujours douze heures de
travail. Toute variation de grandeur dans l'équivalent qu'il reçoit lui
apparaît donc nécessairement comme une variation dans la valeur ou le prix de
ses douze heures de travail. Adam Smith qui traite la journée de travail comme
une grandeur constante (763),
s’appuie au contraire sur ce fait pour soutenir que le travail ne varie jamais
dans sa valeur propre. « Quelle que soit la quantité de denrées, dit il,
que l'ouvrier reçoive en récompense de son travail, le prix qu'il paye est
toujours le même. Ce prix, à la vérité, peut acheter tantôt une plus grande,
tantôt une plus petite quantité de ces denrées : mais c'est la valeur de
celles ci qui varie, « non celle du travail qui les achète...
Des quantités égales de travail sont toujours d'une valeur égale
(764). »
Prenons maintenant le capitaliste. Que veut celui-ci
? Obtenir le plus de travail possible pour le moins d'argent possible. Ce qui
l'intéresse pratiquement ce n'est donc que la différence entre la prix de la
force de travail et la valeur qu'elle crée par sa fonction. Mais il cherche à
acheter de même tout autre article au meilleur marché possible et s'explique
partout le profit par ce simple truc : acheter des marchandises au dessous
de leur valeur et les vendre au dessus. Aussi n'arrive t il
jamais à s'apercevoir que s'il existait réellement une chose telle que la
valeur du travail, et qu'il eût à payer cette valeur, il n'existerait plus de
capital et que son argent perdrait la qualité occulte de faire des petits.
Le mouvement réel du salaire présente en outre des
phénomènes qui semblent prouver que ce n'est pas la valeur de la force de
travail, mais la valeur de sa fonction, du travail lui-même, qui est payée. Ces
phénomènes peuvent se ramener à deux grandes classes. Premièrement : Variations
du salaire suivant les variations de la durée du travail. On pourrait tout
aussi bien conclure que ce n'est pas la valeur de la machine qui est payée mais
celle de ses opérations, parce qu'il coûte plus cher de louer une machine pour
une semaine que pour un jour. Secondement : La différence dans les salaires
individuels de travailleurs qui s'acquittent de la même fonction. On retrouve
cette différence, mais sans qu'elle puisse faire illusion, dans le système de
l'esclavage où, franchement et sans détours, c'est la force de travail
elle-même qui est vendue. Il est vrai que si la force de travail dépasse la
moyenne, c'est un avantage, et si elle lui est inférieure, c'est un préjudice,
dans le système de l'esclavage pour le propriétaire d'esclaves, dans le système
du salariat pour le travailleur, parce que dans le dernier cas celui-ci vend
lui-même sa force de travail et que, dans le premier, elle est vendue par un
tiers.
Il en est d'ailleurs de la forme « valeur et prix du
travail » ou « salaire » vis-à-vis du rapport essentiel qu'elle renferme,
savoir : la valeur et le prix de la force de travail, comme de toutes les
formes phénoménales vis-à-vis de leur substratum. Les premières se
réfléchissent spontanément, immédiatement dans l'entendement, le second doit
être découvert par la science. L'économie politique classique touche de près le
véritable état des choses sans jamais le formuler consciemment. Et cela lui
sera impossible tant qu'elle n'aura pas dépouillé sa vieille peau bourgeoise.
Chapitre XX : Le salaire au temps
Le salaire revêt à son tour des
formes très variées sur lesquelles les auteurs de traités d'économie, que le
fait brutal seul intéresse, ne fournissent aucun éclaircissement. Une
exposition de toutes ces formes ne peut évidemment trouver place dans cet ouvrage,
c'est l'affaire des traités spéciaux sur le travail salarié. Mais il convient
de développer ici les deux formes fondamentales.
La vente de la force de travail a
toujours lieu, comme on s'en souvient pour une période de temps déterminée. La
forme apparente sous laquelle se présente la valeur soit journalière,
hebdomadaire ou annuelle, de la force de travail, est donc en premier lieu
celle du salaire au temps, c'est à dire du salaire à la journée, à la
semaine, etc.
La somme d'argent (765) que l'ouvrier reçoit pour son travail du jour, de la
semaine, etc., forme le montant de son salaire nominal ou estimé en valeur.
Mais il est clair que suivant la longueur sa journée ou suivant la quantité de
travail livré par lui chaque jour, le même salaire quotidien, hebdomadaire,
etc., peut représenter un prix du travail très différent,
c'est à dire des sommes d'argent très différentes payées pour un même
quantum de travail (766).
Quand il s'agit du salaire au temps, il faut donc distinguer de nouveau entre
le montant total du salaire quotidien, hebdomadaire, etc., et le prix du
travail. Comment trouver ce dernier ou la valeur monétaire d'un quantum de
travail donné ? Le prix moyen du travail s'obtient en divisant la valeur
journalière moyenne ne que possède la force de travail par le nombre d'heures
que compte en moyenne la journée de travail.
La valeur journalière de la force
de travail est elle par exemple de trois francs, valeur produite en six
heures, et la journée de travail de douze heures, le prix d'une heure est alors
égal à 3/12 = 25 centimes. Le prix ainsi trouvé de l'heure de travail sert
d'unité de mesure pour le prix du travail.
Il suit de là que le salaire
journalier, le salaire hebdomadaire, etc.., peuvent rester les mêmes, quoique
le prix du travail tombe constamment. Si la journée de travail est de dix
heures et la valeur journalière de la force de travail de trois francs, alors
l'heure de travail est payée à trente centimes. Ce prix tombe à vingt-cinq
centimes dès que la journée de travail s'élève à douze heures et à vingt
centimes, dès qu'elle s'élève à quinze heures. Le salaire journalier ou
hebdomadaire reste malgré cela invariable. Inversement ce salaire peut s'élever
quoique le prix du travail reste constant ou même tombe.
Si la journée de travail est de dix
heures et la valeur journalière de la force de travail de trois francs, le prix
d'une heure de travail sera de trente centimes. L'ouvrier
travaille t il douze heures par suite d'un surcroît d'occupation, le
prix du travail restant le même, son salaire quotidien s'élève alors à trois
francs soixante, sans que le prix du travail varie. Le même résultat pourrait
se produire si, au lieu de la grandeur extensive, la grandeur intensive du
travail augmentait (767).
Tandis que le salaire nominal à la
journée ou à la semaine augmente, le prix du travail peut donc rester le même
ou baisser. Il en est de même de la recette de la famille ouvrière dès que le
quantum de travail fourni par son chef est augmenté de celui de ses autres
membres. On voit que la diminution directe du salaire à la journée ou à la
semaine n'est pas la seule méthode pour faire baisser le prix du travail (768). En général on obtient cette loi :
Donné la quantité du travail quotidien ou hebdomadaire, le salaire quotidien ou
hebdomadaire dépend du prix du travail, lequel varie lui-même soit avec la
valeur de la force ouvrière soit avec ses prix de marché.
Est ce au contraire le prix du
travail qui est donné, alors le salaire à la journée ou à la semaine dépend de
la quantité du travail quotidien ou hebdomadaire.
L'unité de mesure du salaire au
temps, le prix d'une heure de travail, est le quotient qu'on obtient en
divisant la valeur journalière de la force de travail par le nombre d'heures de
la journée ordinaire. Si celle ci est de douze heures, et qu'il en faille
six pour produire la valeur journalière de la force de travail, soit trois
francs, l'heure de travail aura un prix de vingt cinq centimes tout en
rendant une valeur de cinquante centimes. Si maintenant l'ouvrier est occupé
moins de douze heures (ou moins de six jours par semaine), soit huit ou six
heures il n'obtiendra avec ce prix du travail que deux francs ou un franc et demi
pour salaire de sa journée. Puisqu'il doit travailler six heures par jour moyen
simplement pour produire un salaire correspondant à la valeur de sa force de
travail, ou, ce qui revient au même, à la valeur de ses subsistances
nécessaires, et qu'il travaille dans chaque heure, une demi heure pour
lui même et une demi heure pour le capitaliste, il est clair qu'il
lui est impossible d'empocher son salaire normal dont il produit la valeur en
six heures, quand son occupation dure moins de douze heures.
De même qu'on a déjà constaté les
suites funestes de l'excès de travail, de même on découvre ici la source des
maux qui résultent pour l'ouvrier d'une occupation insuffisante
(769).
Le salaire à l'heure est il
ainsi réglé que le capitaliste ne s'engage à payer que les heures de la journée
où il donnera de la besogne, il peut dès lors occuper ses gens moins que le
temps qui orginairement sert de base au salaire à l'heure, l'unité de mesure
pour le prix du travail. Comme cette mesure est déterminée par la proportion :
(Valeur journalière de la force de travail) / (Journée
de travail d'un nombre d'heures donné)
elle perd naturellement tout sens,
dès que la journée de travail cesse de compter un nombre d'heures déterminé. Il
n'y a plus de rapport entre le temps de travail payé et celui qui ne l'est pas.
Le capitaliste peut maintenant extorquer à l'ouvrier un certain quantum de
surtravail, sans lui accorder le temps de travail nécessaire à son entretien.
Il peut anéantir toute régularité d'occupation et faire alterner
arbitrairement, suivant sa commodité et ses intérêts du moment, le plus énorme
excès de travail avec un chômage partiel ou complet. Il peut sous le prétexte
de payer le « prix normal du travail » prolonger démesurément la journée sans
accorder au travailleur la moindre compensation. Telle fut en 1860 l'origine de
la révolte parfaitement légitime des ouvriers en bâtiment de Londres contre la
tentative des capitalistes pour imposer ce genre de salaire. La limitation
légale de la journée de travail suffit pour mettre un terme à de semblables
scandales; mais il n'en est pas de même naturellement du chômage causé par la
concurrence des machines, par la substitution du travail inhabile au travail
habile, des enfants et des femmes aux hommes, etc., enfin par des crises
partielles ou générales.
Le prix du travail peut rester
nominalement constant et néanmoins tomber au dessous de son niveau normal,
bien que le salaire à la journée ou à la semaine s'élève. Ceci a lieu toutes
les fois que la journée est prolongée au delà de sa durée ordinaire, en
même temps que l'heure de travail ne change pas de prix. Si dans la fraction
(Valeur journalière de la force de travail) / (Journée
de travail)
le dénominateur augmente, le
numérateur augmente plus rapidement encore. La valeur de la force de travail,
en raison de son usure, croit avec la durée de sa fonction et même en
proportion plus rapide que l'incrément de cette durée.
Dans beaucoup de branches
d'industrie où le salaire au temps prédomine sans limitation légale de la
journée, il est passé peu à peu en habitude de compter comme normale (« normal
working day », « the day's work », « the regular hours of work »),
une part de de la journée qui ne dure qu'un certain nombre d'heures, par
exemple, dix. Au delà, commence le temps de travail supplémentaire (overtime),
lequel, en prenant l'heure pour unité de mesure, est mieux payé (extra
pay), quoique souvent dans une proportion ridiculement petite
(770). La journée normale existe ici comme fragment de la
journée réelle, et celle-ci reste souvent pendant toute l'année plus longue que
celle là (771). Dans différentes industries
anglaises, l'accroissement du prix du travail à mesure que la journée se
prolonge au delà d'une limite fixée amène ce résultat que l'ouvrier qui
veut obtenir un salaire suffisant est contraint, par l'infériorité du prix du
travail pendant le temps soi disant normal, de travailler pendant le temps
supplémentaire et mieux payé (772).
La limitation légale de la journée met fin à cette jonglerie (773).
C'est un fait notoire que plus
longue est la journée de travail dans une branche d'industrie, plus bas y est le
salaire (774). L'inspecteur de fabrique A.
Redgrave en donne une démonstration par une revue comparative de différentes
industries pendant la période de 1839 à 1859. On y voit que le salaire a monté
dans les fabriques soumises à la loi des dix heures, tandis qu'il a baissé dans
celles où le travail quotidien dure de quatorze à quinze heures
(775).
Nous avons établi plus haut que la
somme du salaire quotidien ou hebdomadaire dépend de la quantité de travail
fournie, le prix du travail étant donné. Il en résulte que plus bas est ce
prix, plus grande doit être la quantité de travail ou la journée de travail,
pour que l'ouvrier puisse s'assurer même un salaire moyen insuffisant. Si le
prix de travail est de douze centimes, c'est à dire si l'heure est
payée à ce taux, l'ouvrier doit travailler treize heures et un tiers par jour
pour obtenir un salaire quotidien de un franc soixante. Si le prix de travail
est de vingt-cinq centimes une journée de douze heures lui suffit pour se
procurer un salaire quotidien de trois francs. Le bas prix du travail agit donc
comme stimulant pour la prolongation du temps de travail (776).
Mais si la prolongation de la journée
est ainsi l'effet naturel du bas prix du travail, elle peut, de son côté,
devenir la cause d'une baisse dans le prix du travail et par là dans le salaire
quotidien ou hebdomadaire.
La détermination du prix du travail
par la fraction
(Valeur journalière de la force de travail) / (Journée
de travail d'un nombre d'heures donné)
démontre qu'une simple prolongation
de la journée fait réellement baisser le prix du travail, même si son taux
nominal n'est pas rabaissé. Mais les mêmes circonstances qui permettent au
capitaliste de prolonger la journée lui permettent d'abord et le forcent
ensuite de réduire même le prix nominal du travail jusqu'à ce que baisse le
prix total du nombre d'heures augmenté et, par conséquent, le salaire à la
journée ou à la semaine. Si, grâce à la prolongation de la journée, un homme
exécute l'ouvrage de deux, l'offre du travail augmente, quoique l'offre de
forces de travail, c'est à dire le nombre des ouvriers qui se
trouvent sur le marché, reste constante. La concurrence ainsi créée entre les
ouvriers permet au capitaliste de réduire le prix du travail, dont la baisse, à
son tour, lui permet de reculer encore plus loin la limite de la journée (777). Il profite donc doublement, et
des retenues sur le prix ordinaire du travail et de sa durée extraordinaire.
Cependant, dans les industries particulières où la plus-value s'élève ainsi
au dessus du taux moyen, ce pouvoir de disposer d'une quantité anormale de
travail non payé, devient bientôt un moyen de concurrence entre les
capitalistes eux mêmes. Le prix des marchandises renferme le prix du
travail. La partie non payée de celui-ci peut donc être éliminée par le
capitaliste du prix de vente de ses marchandises; il peut en faire cadeau à
l'acheteur. Tel est le premier pas auquel la concurrence l'entraîne. Le second
pas qu'elle le contraint de faire consiste à éliminer également du prix de
vente des marchandises au moins une partie de la plus-value anormale due à
l'excès de travail. C'est de cette manière que pour les produits des industries
où ce mouvement a lieu, s'établit peu à peu et se fixe enfin un prix de vente
d'une vileté anormale, lequel devient à partir de ce moment la base constante
d'un salaire misérable, dont la grandeur est en raison inverse à celle du
travail. Cette simple indication suffit ici où il ne s'agit pas de faire
l'analyse de la concurrence. Il convient cependant de donner un instant la
parole au capitaliste lui-même.
« A Birmingham, la concurrence
entre les patrons est telle que plus d'un parmi nous est forcé de faire comme
entrepreneur ce qu'il rougirait de faire autrement; et néanmoins on n'en gagne
pas plus d'argent (and yet no more money is made), c'est le
public seul qui en recueille tout l'avantage (778). » On se souvient qu'il y a à Londres deux sortes de
boulangers, les uns qui vendent le pain à son prix entier (the « fullpriced
» bakers), les autres qui le vendent au dessous de son prix normal (the
«underpriced », the undersellers). Les premiers dénoncent
leurs concurrents devant la commission parlementaire d'enquête :
« Ils ne peuvent exister,
disent ils, premièrement, qu'en trompant le public (en falsifiant le
pain), et, secondement, qu'en arrachant aux pauvres diables qu'ils emploient
dix-huit heures de travail pour un salaire de douze... Le travail non payé (the
unpaid labour) des ouvriers, tel est le moyen qui leur permet d'entretenir
la lutte... Cette concurrence entre les maitres boulangers est la cause des
difficultés que rencontre la suppression du travail de nuit. Un
sous vendeur vend le pain au-dessous du prix réel, qui varie avec celui de
la farine, et se dédommage en extorquant de ses gens plus de travail. Si je ne
tire de mes gens que douze heures de travail, tandis que mon voisin en tire dix-huit
ou vingt des siens, je serai battu par lui sur le prix de la marchandise. Si la
ouvriers pouvaient se faire payer le temps supplémentaire, on verrait bien vite
la fin de cette manœuvre... Une grande part de des gens employés par les
sous vendeurs se compose d'étrangers, de jeunes garçons et autres
individus qui sont forcés de se contenter de n'importe quel salaire (779). »
Cette jérémiade est surtout
intéressante en ce qu'elle fait voir que l'apparence seule des rapports de
production se reflète dans le cerveau du capitaliste. Il ne sait pas que le
soi disant prix normal du travail contient aussi un certain quantum de
travail non payé, et que c'est précisément ce travail non payé qui est la
source de son gain normal. Le temps de surtravail n'existe pas pour lui, car il
est compris dans la journée normale qu'il croit payer avec le salaire
quotidien. Il admet cependant un temps supplémentaire qu'il calcule d'après la
prolongation de la journée au delà de la limite correspondant au prix
ordinaire du travail. Vis-à-vis du sous vendeur, son concurrent, il
insiste même pour que ce temps soit payé plus cher (extra pay). Mais ici
encore, il ignore que ce surplus de prix ren
ferme tout aussi bien du travail
non payé que le prix ordinaire de l'heure de travail. Mettons, par exemple, que
pour la journée ordinaire de douze heures, l'heure soit payée à vingt-cinq
centimes, valeur produite en une demi heure de travail, et que pour chaque
heure au delà de la journée ordinaire, la paye s'élève à trente-trois
centimes un tiers. Dans le premier cas, le capitaliste s'approprie, sans
payement, une moitié, et dans le second, un tiers de l'heure de travail.
Chapitre XXI : Le salaire aux
pièces
Le salaire aux pièces n'est qu'une
transformation du salaire au temps, de même que celui-ci n'est qu'une
transformation de la valeur ou du prix de la force de travail.
Le salaire aux pièces semble
prouver à première vue que ce que l'on paye à l'ouvrier soit non pas la valeur
de sa force, mais celle du travail déjà réalisé dans le produit, et que le prix
de ce travail soit déterminé non pas comme dans le salaire au temps par la
fraction
(Valeur journalière de la force de travail) / (Journée
de travail d'un nombre d'heures donné)
mais par la capacité d'exécution du
producteur (780).
Ceux qui se laissent tromper par
cette apparence devraient déjà se sentir ébranlés fortement dans leur foi par ce
simple fait que les deux formes du salaire existent l'une à côté de l'autre,
dans les mêmes branches d'industrie. « Les compositeurs de Londres, par
exemple, travaillent ordinairement aux pièces, et ce n'est
qu'exceptionnellement qu'ils sont payés à la journée. C'est le contraire pour
les compositeurs de la province, où le salaire au temps est la règle et le
salaire aux pièces l'exception. Les charpentiers de marine, dans le port de
Londres, sont payés aux pièces; dans tous les autres ports anglais, à la
journée, à la semaine, etc (781).
» Dans les mêmes ateliers de sellerie, à Londres, il arrive souvent que les
Français sont payés aux pièces et les Anglais au temps. Dans les fabriques
proprement dites, où le salaire aux pièces prédomine généralement, certaines
fonctions se dérobent à ce genre de mesure et sont par conséquent payées
suivant le temps employé (782).
Quoi qu'il en soit, il est évident que Ies différentes formes du payement ne
modifient en rien la nature du salaire, bien que telle forme puisse être plus
favorable que telle autre au développement de la production capitaliste.
Mettons que la journée de travail
ordinaire soit de douze heures, dont six payées et six non payées, et que la
valeur produite soit de six francs. Le produit d'une heure de travail sera par
conséquent zéro franc cinquante centimes. Il est censé établi expérimentalement
qu'un ouvrier qui travaille avec le degré moyen d'intensité et d'habileté, qui
n'emploie par conséquent que le temps de travail socialement nécessaire à la
production d'un article, livre en douze heures vingt-quatre pièces, soit autant
de produits séparés, soit autant de parties mesurables d'un tout continu. Ces
vingt-quatre pièces, déduction faite des moyens de production qu'elles
contiennent, valent six francs, et chacune d'elles vaut vingt-cinq centimes.
L'ouvrier obtient par pièce douze francs et un demi centime et gagne ainsi
en douze heures trois francs. De même que dans le cas du salaire à la journée on
peut indifféremment dire que l'ouvrier travaille six heures pour lui-même et
six pour le capitaliste, ou la moitié de chaque heure pour lui-même et l'autre
moitié pour son patron, de même ici il importe peu que l'on dise que chaque
pièce est à moitié payée et à moitié non payée, ou que le prix de douze pièces
n'est qu'un équivalent de la force de travail, tandis que la plus-value
s'incorpore dans les douze autres.
La forme du salaire aux pièces est
aussi irrationnelle que celle du salaire au temps. Tandis que, par exemple,
deux pièces de marchandise, déduction faite des moyens de production consommés,
valent cinquante centimes comme produit d'une heure de travail, l'ouvrier
reçoit pour elles un prix de vingt-cinq centimes. Le salaire aux pièces
n'exprime en réalité aucun rapport de valeur immédiat. En effet, il ne mesure
pas la valeur d'une pièce au temps de travail qui s'y trouve incorporé, mais au
contraire le travail que l'ouvrier dépense au nombre de pièces qu'il a
produites. Dans le salaire au temps le travail se mesure d'après sa durée
immédiate, dans le salaire aux pièces d'après le quantum de produit où
il se fixe quand il dure un certain temps (783). Le prix du temps de travail reste toujours
déterminé par l'équation
Valeur d'une journée de travail = Valeur journalière
de la force de travail.
Le salaire aux pièces n'est donc
qu'une forme modifiée du salaire au temps.
Examinons maintenant de plus près
les particularités caractéristiques du salaire aux pièces.
La qualité du travail est ici
contrôlée par l'ouvrage même, qui doit être d'une bonté moyenne pour que la
pièce soit payée au prix convenu. Sous ce rapport, le salaire aux pièces
devient une source inépuisable de prétextes pour opérer des retenues sur les
gages de l'ouvrier et pour le frustrer de ce qui lui revient.
Il fournit en même temps au
capitaliste une mesure exacte de l'intensité du travail. Le seul temps de
travail qui compte comme socialement nécessaire et soit par conséquent payé,
c'est celui qui s'est incorporé dans une masse de produits déterminée d'avance
et établie expérimentalement. Dans les grands ateliers de tailleurs de Londres,
une certaine pièce un gilet, par exemple, s'appelle donc une heure, une
demi heure , etc., l'heure étant payée six pence. On sait par la pratique
quel est le produit d'une heure en moyenne. Lors des modes nouvelles, etc., il
s'élève toujours une discussion entre le patron et l'ouvrier pour savoir si tel
ou tel morceau équivaut à une heure etc. jusqu'à ce que l'expérience ait décidé.
Il en est de même dans les ateliers de menuiserie, d'ébénisterie, etc. Si
l'ouvrier ne possède pas la capacité moyenne d'exécution, s'il ne peut pas
livrer un certain minimum d'ouvrage dans sa journée, on le congédie (784).
La qualité et l'intensité du
travail étant assurées ainsi par la forme même du salaire, une grande partie du
travail de surveillance devient superflue. C'est là dessus que se fonde
non seulement le travail à domicile moderne, mais encore tout un système d'oppression
et d'exploitation hiérarchiquement constitué. Ce dernier possède deux formes
fondamentales. D'une part, le salaire aux pièces facilite l'intervention de
parasites entre le capitaliste et le travailleur, le marchandage (subletting
of labour). Le gain des intermédiaires, des marchandeurs, provient
exclusivement de la différence entre le prix du travail tel que le paye le
capitaliste, et la portion de ce prix qu'ils accordent à l'ouvrier
(785). Ce système porte en Angleterre, dans le langage
populaire, le nom de « Sweating system (786) ». D'autre part, le salaire aux pièces permet
au capitaliste de passer un contrat de tant par pièce avec l’ouvrier principal,
dans la manufacture avec le chef de groupe, dans les mines avec le mineur
proprement dit, etc., cet ouvrier principal se chargeant pour le prix
établi d'embaucher lui-même ses aides et de les payer. L'exploitation des
travailleurs par le capital se réalise ici au moyen de l'exploitation du
travailleur par le travailleur (787).
Le salaire aux pièces une fois
donné, l'intérêt personnel pousse l'ouvrier naturellement à tendre sa force le
plus possible, ce qui permet au capitaliste d'élever plus facilement le degré
normal de l’intensité du travail (788).
L'ouvrier est également intéressé à prolonger la journée de travail, parce que
c'est le moyen d'accroître son salaire quotidien ou hebdomadaire
(789). De là une réaction pareille à celle que nous avons
décrite à propos du salaire au temps, sans compter que la prolongation de la
journée même lorsque le salaire aux pièces reste constant, implique par
elle-même une baisse dans le prix du travail.
Le salaire au temps présuppose, à
peu d'exceptions près, l’égalité de rémunération pour les ouvriers chargés de
la même besogne. Le salaire aux pièces, où le prix du temps de travail est
mesuré par un quantum déterminé de produit, varie naturellement suivant
que le produit fourni dans un temps donné dépasse le minimum admis. Les degrés
divers d'habileté, de force, d'énergie, de persévérance des travailleurs
individuels causent donc ici de grandes différences dans leurs recettes (790). Cela ne change naturellement rien
au rapport général entre le capital et le salaire du travail. Premièrement ces
différences individuelles se balancent pour l'ensemble de l'atelier, si bien
que le produit moyen est à peu près toujours obtenu dans un temps de travail
déterminé et que le salaire total ne dépasse guère en définitive le salaire de
la branche d'industrie à laquelle l'atelier appartient. Secondement la
proportion entre le salaire et la plus-value ne change pas, puisqu'au salaire
individuel de l'ouvrier correspond la masse de plus-value fournie par lui. Mais
en donnant une plus grande latitude à l'individualité, le salaire aux pièces
tend à développer d'une part avec l'individualité l'esprit de liberté,
d'indépendance et d'autonomie des travailleurs, et d'autre part la concurrence
qu'ils se font entre eux. Il s'ensuit une élévation de salaires individuels
au dessus du niveau général qui est accompagnée d'une dépression de ce
niveau lui-même. Mais là où une vieille coutume avait établi un salaire aux pièces
déterminé, dont la réduction présentait par conséquent des difficultés
exceptionnelles, les patrons eurent recours à sa transformation violente en
salaire à la journée. De là, par exemple, en 1860, une grève considérable parmi
les rubaniers de Coventry (791).
Enfin le salaire aux pièces est un des principaux appuis du système déjà
mentionné de payer le travail à l'heure sans que le patron s'engage à occuper
l'ouvrier régulièrement pendant la journée ou la semaine (792).
L'exposition précédente démontre
que le salaire aux pièces est la forme du salaire la plus convenable au mode de
production capitaliste. Bien qu'il ne soit pas nouveau il figure déjà
officiellement à côté du salaire au temps dans les lois françaises et anglaises
du XIV° siècle ce n'est que pendant l'époque manufacturière proprement
dite qu'il prit une assez grande extension. Dans la première période de
l'industrie mécanique, surtout de 1797 à 1815, il sert de levier puissant pour
prolonger la durée du travail et en réduire la rétribution. Les livres bleus :
« Report and Evidence from the select Committee on Petitions
respecting the Corn Laws. » (Session du Parlement 1813 1814) et
: « Reports from the Lords' Committee, on the state Of the Growth, Commerce,
and Consumption of Grain, and all Laws relating thereto. » (Session, 1814 1815),
fournissent des preuves incontestables que depuis le commencement de la guerre
anti jacobine, le prix du travail baissait de plus en plus. Chez les
tisseurs par exemple, le salaire aux pièces était tellement tombé, que malgré
la grande prolongation de la journée de travail, le salaire journalier ou
hebdomadaire était en 1814 moindre qu'à la fin du XVIII° siècle.
« La recette réelle du tisseur est
de beaucoup inférieure à ce qu'elle était; sa supériorité sur l'ouvrier
ordinaire, auparavant fort grande, a presque disparu. En réalité il y a
aujourd'hui bien moins de différence entre les salaires des ouvriers ordinaires
et des ouvriers habiles qu'à n'importe quelle autre période antérieure (793). » Tout en augmentant l'intensité
et la durée du travail, le salaire aux pièces ne profita en rien au prolétariat
agricole, comme l'on peut s'en convaincre par le passage suivant, emprunté à un
plaidoyer en faveur des landlords et fermiers anglais :
« La plupart des opérations
agricoles sont exécutées par des gens loués à la journée ou à la pièce. Leur
salaire hebdomadaire s'élève environ à douze shillings et bien que l'on puisse
supposer qu'au salaire à la pièce, avec un stimulant supérieur pour le travail,
un homme gagne un ou peut-être deux shillings de plus qu'au salaire à la
semaine, on trouve cependant, tout compte fait, que la perte causée par le
chômage dans le cours de l'année balance ce surplus... On trouve en outre
généralement que les salaires de ces gens ont un certain rapport avec le prix
des moyens de subsistance nécessaires, en sorte qu'un homme avec deux enfants
est capable d'entretenir sa famille sans avoir recours à l'assistance paroissiale (794). » Si cet homme avait trois
enfants, il était donc condamné à la pitance de la charité publique. L'ensemble
des faits publiés par le Parlement frappa alors l'attention de Malthus : «
J'avoue, s'écria t il, que je vois avec déplaisir la grande extension
donnée à la pratique du salaire aux pièces. Un travail réellement pénible qui
dure douze ou quatorze heures par jour pendant une période plus ou moins
longue, c'en est trop pour une créature humaine (795). »
Dans les établissements soumis aux
lois de fabrique le salaire aux pièces devient règle générale, parce que là le
capitaliste ne peut agrandir le travail quotidien que sous le rapport de
l'intensité (796).
Si le travail augmente en
productivité, la même quantité de produits représente une quantité diminuée de
travail. Alors le salaire aux pièces, qui n'exprime que le prix d'une quantité
déterminée de travail, doit varier de son côté.
Revenons à notre exemple et
supposons que la productivité du travail vienne à doubler. La journée de douze
heures produira alors quarante-huit pièces au lieu de vingt-quatre, chaque
pièce ne représentera plus qu'un quart d'heure de travail au lieu d'une
demi heure, et, par conséquent, le salaire à la pièce tombera de douze
centimes et demi à six un quart, mais la somme du salaire quotidien restera la
même, car 24 x 12,5 centimes = 48 x 6,25 centimes = 3 francs. En d'autres
termes : le salaire à la pièce baisse dans la même proportion que s'accroît le
nombre des pièces produites dans le même temps (797), et que par conséquent le temps de travail consacré
à la même pièce diminue. Cette variation du salaire, bien que purement
nominale, provoque des luttes continuelles entre le capitaliste et l'ouvrier;
soit parce que le capitaliste s'en fait un prétexte pour abaisser réellement le
prix du travail; soit parce que l'augmentation de productivité du travail
entraîne une augmentation de son intensité; soit parce que l'ouvrier prenant au
sérieux cette apparence créée par le salaire aux pièces que ce qu'on lui
paye c'est son produit et non sa force de travail se révolte contre une
déduction de salaire à laquelle ne correspond pas une réduction proportionnelle
dans le prix de vente de la marchandise. « Les ouvriers surveillent
soigneusement le prix de la matière première ainsi que le prix des articles
fabriqués et sont ainsi à même d'estimer exactement les profits de leurs
patrons (798). » Le capital repousse justement
de pareilles prétentions comme entachées d'erreur grossière sur la nature du
salaire (799). Il les flétrit comme une
usurpation tendant à lever des impôts sur le progrès de l'industrie et déclare
carrément que la productivité du travail ne regarde en rien le travailleur (800).
Chapitre XXII : Différence dans
le taux des salaires nationaux
En comparant le taux du salaire
chez différentes nations, il faut tout d'abord tenir compte des circonstances
dont dépend, chez chacune d'elles, la valeur, soit absolue, soit relative (801), de la force de travail, telles
que l'étendue des besoins ordinaires, le prix des subsistances, la grandeur
moyenne des familles ouvrières, les frais d'éducation du travailleur, le rôle
que joue le travail des femmes et des enfants, enfin la productivité, la durée
et l'intensité du travail.
Dans les mêmes branches d'industrie
la durée quotidienne du travail varie d'un pays à l'autre, mais en divisant le
salaire à la journée par le nombre d'heures de la journée, on trouve le prix
payé en chaque pays pour un certain quantum de travail, l'heure. Ces deux
facteurs, le prix et la durée du travail, étant ainsi donnés, on est à même de
comparer les taux nationaux du salaire au temps.
Puis il faut convertir le salaire
au temps en salaire aux pièces, puisque lui seul indique les différents degrés
d'intensité et de productivité du travail.
En chaque pays il y a une certaine
intensité moyenne, ordinaire, à défaut de laquelle le travail consomme dans la
production d'une marchandise plus que le temps socialement nécessaire, et, par
conséquent, ne compte pas comme travail de qualité normale. Ce n'est qu'un
degré d'intensité supérieur à la moyenne nationale qui, dans un pays donné,
modifie la mesure de la valeur par la seule durée du travail. Mais il n'en est
pas ainsi sur le marché universel dont chaque pays ne forme qu'une partie
intégrante. L'intensité moyenne ou ordinaire du travail national n'est pas la
même en différents pays. Là elle est plus grande, ici plus petite. Ces moyennes
nationales forment donc une échelle dont l'intensité ordinaire du travail universel
est l'unité de mesure. Comparé au travail national moins intense, le travail
national plus intense produit donc dans le même temps plus de valeur qui
s'exprime en plus d'argent.
Dans son application
internationale, la loi de la valeur est encore plus profondément modifiée,
parce que sur le marché universel le travail national plus productif compte
aussi comme travail plus intense, toutes les fois que la nation plus productive
n'est pas forcée par la concurrence à rabaisser le prix de vente de ses marchandises
au niveau de leur valeur.
Suivant que la production
capitaliste est plus développée dans un pays, l'intensité moyenne et la
productivité du travail national y dépassent d'autant le niveau international (802). Les différentes quantités de
marchandises de la même espèce, qu'on produit en différents pays dans le même
temps de travail, possèdent donc des valeurs internationales différentes qui
s'expriment en prix différents, c'est à dire en sommes
d'argent dont la grandeur varie avec celle de la valeur internationale. La
valeur relative de l'argent sera, par conséquent, plus petite chez la nation où
la production capitaliste est plus développée que là où elle l'est moins. Il
s'ensuit que le salaire nominal, l'équivalent du travail exprimé en argent,
sera aussi en moyenne plus élevé chez la première nation que chez la seconde,
ce qui n'implique pas du tout qu'il en soit de même du salaire réel,
c'est à dire de la somme de subsistances mises à la disposition du
travailleur.
Mais à part cette inégalité de la
valeur relative de l'argent en différents pays, on trouvera fréquemment que le
salaire journalier hebdomadaire, etc., est plus élevé chez la nation A
que chez la nation B, tandis que le prix proportionnel du travail,
c'est à-dire son prix comparé soit à la plus-value, soit à la valeur du
produit, est plus élevé chez la nation B que chez la nation A.
Un économiste contemporain d'Adam
Smith, James Anderson dit déjà : « Il faut remarquer que bien que le prix
apparent du travail soit généralement moins élevé dans les pays pauvres, où les
produits du sol, et surtout les grains, sont à bon marché, il y est cependant
en réalité supérieur à celui d'autres pays. Ce n'est pas, en effet, le salaire
donné au travailleur qui constitue le prix réel du travail, bien qu'il en soit
le prix apparent. Le prix réel, c'est ce que coûte au capitaliste une certaine
quantité de travail accompli; considéré à ce point de vue le travail est, dans
presque tous les cas, meilleur marché dans les pays riches que les pays
pauvres, bien que le prix des grains et autres denrées alimentaires soit
ordinairement beaucoup moins élevé dans ceux-ci que dans ceux-là... Le travail
estimé à la journée est beaucoup moins cher en Écosse qu'en Angleterre, le travail
à la est généralement meilleur marché dans ce dernier pays (803). » W. Cowell, membre de la Commission d'enquête sur
les fabriques (1833), arriva, par une analyse soigneuse de la filature, à ce
résultat : « en Angleterre, les salaires sont virtuellement inférieurs pour le
capitaliste, quoique pour l'ouvrier ils soient peut-être plus élevés que sur le
continent européen (804).
»
M. A. Redgrave, inspecteur de
fabrique, démontre, au moyen d'une statistique comparée, que malgré des
salaires plus bas et da journées de travail plus longues, le travail
continental est, par rapport à la valeur produite, plus cher que le travail
anglais. Il cite entre autres les données à lui communiquées par un directeur
anglais d'une filature de coton en Oldenbourg, d'après lesquelles le temps de
travail dure là quatorze heures et demie par jour (de 5 h 30 du matin jusqu'à 8
heures du soir), mais les ouvriers, quand ils sont placés sous des
contremaîtres anglais, n’y font pas tout à fait autant d'ouvrage que des
ouvriers anglais travaillant dix heures, et beaucoup moins encore, quand leurs
contremaîtres sont des Allemands. Leur salaire est beaucoup plus bas, souvent
de cinquante pour cent, que le salaire anglais, mais le nombre d'ouvriers
employés par machine est plus grand, pour quelques départements de la fabrique
dans la raison de cinq à trois (805).
M. Redgrave donne le tableau
suivant de l'intensité comparative du travail dans les filatures anglaises et
continentales :
Nombre moyen de broches par fabrique |
|
Angleterre |
12 600 |
Suisse |
8 000 |
Autriche |
7 000 |
Saxe |
4 500 |
Belgique |
4 000 |
France |
1 500 |
Prusse |
1 500 |
Nombre moyen de broches par tête |
|
Angleterre |
74 |
Suisse |
55 |
Petits Etats
allemands |
55 |
Saxe |
50 |
Belgique |
50 |
Autriche |
49 |
Bavière |
46 |
Prusse |
37 |
Russie |
28 |
France |
14 |
M. Redgrave remarque qu'il a recueilli
ces chiffres quelques années avant 1866, date de son rapport, et que depuis ce
temps là la filature anglaise a fait de grands progrès, mais il suppose
qu'un progrès pareil a eu lieu dans les filatures continentales, de sorte que
les chiffres maintiendraient toujours leur valeur relative.
Mais ce qui, d'après lui, ne fait
pas assez ressortir la supériorité du travail anglais, c'est qu'en Angleterre
un très grand nombre de fabriques combinent le tissage mécanique avec la
filature, et que, dans le tableau précédent, aucune tête n'est déduite pour les
métiers à tisser. Les fabriques continentales, au contraire, ne sont en général
que des filatures (806).
On sait que dans l'Europe
occidentale aussi bien qu'en Asie, des compagnies anglaises ont entrepris la
construction de chemins de fer où elles emploient en général, à côté des
ouvriers du pays, un certain nombre d'ouvriers anglais. Ainsi obligées par des
nécessités pratiques à tenir compte des différences nationales dans l'intensité
du travail, elles n'y ont pas failli, et il résulte de leurs expériences que si
l'élévation du salaire correspond plus ou moins à l'intensité moyenne du
travail, le prix proportionnel du travail marche généralement en sens inverse.
Dans son Essai sur le taux du
salaire (807), un de ses premiers écrits
économiques, M. H. Carey cherche à démontrer que les différents salaires
nationaux sont entre eux comme les degrés de productivité du travail national.
La conclusion qu'il veut tirer de ce rapport international, c'est qu'en général
la rétribution du travailleur suit la même proportion que la productivité de
son travail. Notre analyse de la production de la plus-value prouverait la
fausseté de cette conclusion, lors même que M. Carey M eût prouvé les
prémisses, au lieu d'entasser, selon son habitude, sans rime ni raison, des
matériaux statistiques qui n'ont pas passé au crible de la critique. Mais,
après tout, il fait l'aveu que la pratique est rebelle à sa théorie. Selon lui,
les rapports économiques naturels ont été faussés par l'intervention de l'État
de sorte qu'il faut calculer les salaires nationaux, comme si la partie qui en
échoit à l'État restait dans les mains de l'ouvrier. N’aurait il pas dû se
demander si ces faux-frais gouvernementaux ne sont pas eux-mêmes des fruits
naturels du développement capitaliste ? Après avoir proclamé les rapports de la
production capitaliste lois éternelles de la nature et de la raison, lois dont
le jeu harmonique n'est troublé que par l'intervention de l'État il s'est avisé
après coup de découvrir quoi ? que l'influence diabolique de
l'Angleterre sur le marché des deux mondes, qui, paraît il, n'a rien à
faire avec les lois naturelles de la concurrence, que cette influence enfin a
fait une nécessité de placer ces harmonies préétablies, ces lois éternelles de
la nature, sous la sauvegarde de l'État, en d'autres termes, d'adopter le
système protectionniste. Il a découvert encore que les théorèmes dans lesquels Ricardo
formule des antagonismes sociaux qui existent ne sont point le produit idéal du
mouvement économique réel, mais qu'au contraire ces antagonismes réels,
inhérents à la production capitaliste, n'existent en Angleterre et ailleurs que
grâce à la théorie de Ricardo ! Il a découvert enfin que ce qui, en dernière
instance, détruit les beautés et les harmonies innées de la production
capitaliste, c'est le commerce ! Un pas de plus, et il va peut-être découvrir
que le véritable inconvénient de la production capitaliste, c'est le capital
lui-même.
Il n'y avait qu'un homme si
merveilleusement dépourvu de tout sens critique et chargé d'une érudition de si
faux aloi, qui méritât de devenir, malgré ses hérésies protectionnistes, la
source cachée de sagesse harmonique où ont puisé les Bastiat et autres prôneurs
du libre échange.
NOTES
753 « M. Ricardo
évite assez ingénieusement une difficulté, qui à première vue menace d'infirmer
sa doctrine que la valeur dépend de la quantité de travail employée dans la
production. Si l'on prend ce principe à la lettre, il en résulte que la valeur
du travail dépend de la quantité de travail employée à le produire, ce qui est
évidemment absurde. Par un détour adroit, M. Ricardo fait dépendre la valeur du
travail de la quantité de travail requise pour produire les salaires, par quoi
il entend la quantité de travail requise pour produire l'argent ou les
marchandises données au travailleur. C'est comme si l'on disait que la valeur
d'un habillement est estimée, non d'après la quantité de travail dépensée dans
sa production, mais d'après la quantité de travail dépensée dans la production
de l'argent contre lequel l'habillement est échangé. » (Critical Dissertation
on the nature, etc., of value, p. 50, 51.) Retour au texte (753)
754 « Si vous appelez le travail une marchandise, ce n'est pas
comme une marchandise qui est d'abord produite en vue de l'échange et portée
ensuite au marché, où elle doit être échangée contre d'autres marchandises
suivant les quantités de chacune qui peuvent se trouver en même temps sur le
marché; le travail est créé au moment où on le porte au marché; on peut dire
même qu’il est porté au marché avant d'être créé. » (Observations on some
verbal disputes, etc., p. 75, 76.)
755 « Si l'on
traite le travail comme une marchandise, et le capital, le produit du travail,
comme une autre, alors si les valeurs de ces deux marchandises sont déterminées
par d'égales quantités de travail, une somme de travail donnée s’échangera...
pour la quantité de capital qui aura été produite par la même somme de travail.
Du travail passé s'échangera pour la même somme de travail présent. Mais la
valeur du travail par rapport aux autres marchandises n'est pas déterminée par
des quantités de travail égales. » (E. G. Wakefield dans son édit. de Adam
Smith. Wealth of Nations, v. I. Lond., p. 231, note.)
756 « Il a fallu
convenir (encore une édition du « contrat social ») que toutes les fois
qu'il échangerait du travail fait contre du travail à faire, le dernier (le
capitaliste) aurait une valeur supérieure au premier (le travailleur). »
Sismondi, De la richesse commerciale. Genève, 1803, t. I, p. 37.) Retour au texte (756)
757 « Le travail,
la mesure exclusive de la valeur... le créateur exclusif toute richesse, n'est
pas marchandise. » (Th. Hodgskin, l. c., p. 186.)
758 Déclarer que
ces expressions irrationnelles sont pure licence poétique c'est tout simplement
une preuve de l'impuissance de l'analyse. Aussi ai-je relevé cette phrase de
Proudhon : « Le travail est dit valoir, non pas en tant que marchandise
lui-même, mais en vue des valeurs qu'on suppose renfermées
puissanciellement en lui. La valeur du travail est une expression figurée.
etc. » Il ne voit, ai je dit, dans le travail marchandise, qui est
d'une réalité effrayante qu'une ellipse grammaticale. Donc toute la société
actuelle, fondée sur le travail marchandise, est désormais fondée sur une
licence poétique, sur une expression figurée. La société veut elle
éliminer « tous les inconvénients » qui la travaillent, eh bien ! qu'elle
élimine les termes malsonnants, qu'elle change de langage ; et pour cela
elle n'a qu'à s'adresser à l'Académie, pour lui demander une nouvelle édition
de son dictionnaire. » (K. Marx, Misère de la
philosophie, p. 34, 35) Il est naturellement encore bien plus
commode de n'entendre par valeur absolument rien. On peut alors faire entrer
sans façon, n'importe quoi dans cette catégorie. Ainsi en est il chez J.
B. Say. Qu'est ce que la « valeur » ? Réponse : « C'est ce
qu'une chose vaut. » Et qu'est ce que le « prix » ? Réponse : « la
valeur d'une chose exprimée en monnaie. » Et pourquoi « le travail de la
terre » a t il « une valeur » ? Parce qu'on y met un prix. Ainsi
la valeur est ce qu’une chose vaut, et la terre a une « valeur » parce qu'on
exprime sa valeur monnaie. Voilà en tout cas une méthode bien simple de
s'expliquer le comment et le pourquoi des choses.
759 Comme dans la
section V, on suppose que la valeur produite en une heure de travail soit égale
à un demi franc. Retour au texte
(759)
760 En déterminant
la valeur journalière de la force de travail par la valeur des marchandises
qu'exige, par jour moyen, l'entretien normal de l'ouvrier, il est
sous entendu que sa dépense en force soit normale, ou que la journée de
travail ne dépasse pas les limites compatibles avec une certaine durée moyenne
de la vie du travailleur. Retour au texte
(760)
761 Comparez Zur
Kritik der politischen Œkonomie, p. 40, où j’annonce que l'étude du capital
nous fournira la solution du problème suivant : Comment la production
basée sur la valeur d'échange déterminée par le seul temps de travail
conduit elle à ce résultat, que la valeur d'échange du travail est plus
petite que la valeur d'échange de son produit ?
762 Le Morning
Star, organe libre échangiste de Londres, naïf jusqu’à la sottise, ne
cessait de déplorer pendant la guerre civile américaine, avec toute
l’indignation morale que la nature humaine peut ressentir, que les nègres
travaillassent absolument pour rien dans les Etats confédérés. Il aurait mieux
fait de se donner la peine de comparer la nourriture journalière d'un de ces
nègres avec celle par exemple de l'ouvrier libre dans l'East End de
Londres. Retour au texte (762)
763 A. Smith ne
fait allusion à la variation de la journée de travail qu’accidentellement,
quand il lui arrive de parler du salaire aux pièces.
764 A. Smith, Richesse
des Nations, etc., tract. par G. Garnier, Paris 1802, t.I, p. 65, 66. Retour au texte (764)
765 La valeur de
l'argent est ici toujours supposée constante.
766 « Le prix du
travail est la somme payée pour une quantité donnée de travail. » (Sir Edward
West: « Price of Corn and Wages of Labour ». Lond., 1826, p. 67.) Ce
West est l'auteur d'un écrit anonyme, qui a fait époque dans l'histoire
l'économie politique : « Essay on the Application of Capital to Land.
By a fellow of Univ. College of Oxford. Lond., 1815. »
767 « Le
salaire du travail dépend du prix du travail et de la quantité du travail
accompli… Une élévation des salaires n'implique pas nécessairement une augmentation
des prix du travail. Les salaires peuvent considérablement croître par suite
d'une plus grande abondance de besogne, sans que le prix du travail change. »
(West, l. c., p.67, 68 et 112.) Quant à la question principale : Comment
détermine t on le prix du travail ? West s'en tire avec des
banalités. Retour au texte (767)
768 Ceci n'échappe
point au représentant le plus fanatique de la bourgeoisie industrielle du
XVIII° siècle, l'auteur souvent cité de l'Essay on Trade and Commerce.
Il est vrai qu'il expose la chose d'une manière confuse. « C'est la quantité du
travail, dit il, et non son prix (le salaire nominal du jour ou de la
semaine), qui est déterminée par le prix des provisions et autres nécessités;
réduisez le prix des choses nécessaires, et naturellement vous réduisez la
quantité du travail en proportion... Les maîtres manufacturiers savent qu'il
est diverses manières d'élever et d'abaisser le prix du travail, sans
s'attaquer à son montant nominal. » (L.c., p. 48 et 61.) N. W. Senior dit entre
autres dans ses « Three Lectures on the Rate of Wages », où
il met à profit l'écrit de West sans le citer : « Le travailleur est
surtout intéressé au montant de son salaire » (p. 14). Ainsi, ce qui intéresse
principalement le travailleur c'est ce qu'il reçoit, le montant nominal du
salaire, et non ce qu'il donne, la quantité du travail ! Retour au texte (768)
769 L'effet de
cette insuffisance anormale de besogne est complètement différent de celui qui résulte
d'une réduction générale de la journée de travail. Le premier n'a rien à faire
avec la longueur absolue de la journée de travail, et peut tout aussi bien se
produire avec une journée de quinze heures qu'avec une journée de six. Dans le
premier cas, le prix normal du travail est calculé sur cette donnée que
l'ouvrier travaille quinze heures, dans le second sur cette autre qu'il en
travaille six chaque jour en moyenne. L'effet reste donc le même, si dans un
cas il ne travaille que sept heures et demie et dans l'autre que trois heures.
770 Le surplus de
la paye pour le temps supplémentaire (dans la manufacture de dentelles) est
tellement petit, un demi penny, etc., par heure, qu'il forme le plus pénible
contraste avec le préjudice énorme qu'il cause à la santé et à la force vitale
des travailleurs... Le petit supplément gagné en outre de cette manière doit
être fort souvent dépensé en rafraîchissements extra. » (Child. Empl.
Rep., p. XVI, n. 117.)
771 Il en était
ainsi dans la fabrique de teintures avant l'introduction du Factory Act.
« Nous travaillons sans pause pour les repas, si bien que la besogne de
la journée de dix heures et demie est terminée vers 4 h 30 de l'après-midi.
Tout le reste est temps supplémentaire qui cesse rarement avant 8 heures du
soir, de sorte qu'en réalité nous travaillons l'année entière sans perdre une
miette du temps extra. » (Mr. Smith's Evidence dans Child. Empl. Comm.
I, Rep., p. 125) Retour au texte
(771)
772 Dans les
blanchisseries écossaises par exemple. « Dans quelques parties de l'Écosse,
cette industrie était exploitée (avant l'introduction de l'acte de fabrique en
1862) d'après le système du temps supplémentaire, c'est à dire que
dix heures comptaient pour une journée de travail normale dont l'heure était
payée deux pence. Chaque journée avait un supplément de trois ou quatre heures,
payé à raison de trois pence l'heure. Conséquence de ce système : un homme qui
ne travaillait que le temps normal, ne pouvait gagner par semaine que huit
shillings, salaire insuffisant. » (Reports of Insp. of Fact. 30 th.
april 1863, p. 10.) « La paye extra pour le temps extraordinaire est
une tentation à laquelle les ouvriers ne peuvent résister. » (Rep. of Insp.
of Fact. 30 th. april 1848, p. 5.) Les ateliers de reliure de livres dans
la cité de Londres emploient un grand nombre de jeunes filles de quatorze à
quinze ans et, à vrai dire, sous la garantie du contrat d’apprentissage, qui
prescrit des heures de travail déterminées. Elles n'en travaillent pas moins
dans la dernière semaine de chaque mois jusqu'à 10, 11 heures, même jusqu'à
minuit et 1 heure du matin, avec les ouvriers plus âgés, en compagnie très
mêlée. Les maîtres les tentent (tempt) par l'appât d'un salaire
extra et de quelque argent pour un bon repas de nuit, qu'elles prennent dans
les tavernes du voisinage. La débauche et le libertinage ainsi produits parmi
ces « young immortals » (Child Empl. Comm. V. Rep., p. 44, n.
191), sont sans doute compensés par ce fait qu'elles relient un grand nombre de
bibles et de livres de piété. Retour au texte
(772)
773 Voy.
Reports of Insp. of Fact. 30 th. april 1863, l.c. Les ouvriers de Londres
employés au bâtiment appréciaient fort bien l'état des choses, quand ils
déclarèrent dans la grande grève et Iockout de 1861, qu'ils
n'accepteraient le salaire à l'heure qu'aux deux conditions suivantes : 1°
qu'on établît en même temps que le prix de l'heure de travail, une journée de
travail normale de neuf ou de dix heures, le prix de l'heure de cette dernière
journée, devant être supérieur à celui de la première; 2° chaque heure en plus
de la journée normale serait proportionnellement payée davantage. Retour au texte (773)
774 « C'est une
chose remarquable que là où les longues heures sont de règle, les petits
salaires le sont aussi. » (Rep. of Insp. of Fact. 31 st. oct. 1863, p.
9.) « Le travail qui ne gagne qu'une maigre pitance est presque
toujours excessivement prolongé. » (Public Health, Sixth Report, 1864,
p. 15.) Retour au texte (774)
775 Rep. of Insp.
of Fact. 30 th. april 1860, p. 31, 32.
776 Les cloutiers anglais à la main sont obligés, par exemple,
à cause du bas prix de leur travail, de travailler quinze heures par jour, pour
obtenir au bout de la semaine le plus misérable salaire. « Il y a beaucoup,
beaucoup d'heures dans la journée, et pendant tout ce temps, il leur faut
trimer dur pour attraper onze pence ou un shilling, et de plus il faut en
déduire de deux et demi à trois pence pour l'usure des outils, le combustible,
le déchet du fer. » (Child Empl. Comm. III, Rep., p. 136, n. 671.) Les
femmes, pour le même temps de travail ne gagnent que cinq shillings par
semaine. (L. c., p. 137, n. 674.) Retour au
texte (776)
777 « Si, par
exemple, un ouvrier de fabrique se refusait à travailler le nombre d'heures
passé en usage, il serait bientôt remplacé par un autre qui travaillerait
n'importe quel temps, et mis ainsi hors d'emploi. » (Rep. of insp. of Fact.
31 oct. 1848. Evidence, p. 39, n. 58.) « Si un homme fait le
travail de deux… le taux du profit s'élèvera généralement... l'offre
additionnelle de travail en ayant fait diminuer le prix. » (Senior, l. c., p.
14.) Retour au texte (777)
778 Child. Empl.
Comm. III, Rep. Evidence, p. 66, n. 22.
779 Reports, etc., relative to the Grievances complained of by the
journeymen bakers. Lond., 1862, p. LII et Evidence, p. 479, 359, 27.
Comme il en a été fait mention plus haut et comme l'avoue lui-même leur
porte parole Bennett, les boulangers full priced font aussi
commencer le travail de leurs gens à 11 heures du soir ou plus tôt, et le
prolongent souvent jusqu'à 7 heures du soir du lendemain. (L. c., p. 27.)
780 « Le système
du travail aux pièces constitue une époque dans l'histoire des travailleurs; il
est à mi chemin entre la position des simples journaliers, qui dépendent
de la volonté du capitaliste, et celle des ouvriers coopératifs, qui promettent
de combiner dans un avenir assez proche l'artisan et le capitaliste en leur
propre personne. Les travailleurs aux pièces sont en réalité leurs propres
maîtres, même lorsqu'ils travaillent avec le capital de leur patron et à ses
ordres. » (John Watts : Trade societies and strikes machinery and
coopérative societies. Manchester, 1865, p. 52, 53.) Je cite cet opuscule
parce que c'est un vrai pot pourri de tous les lieux communs apologétiques
usés depuis long temps. Ce même Watts travailla autrefois dans l'Owenisme, et
publia, en 1842, un petit écrit: Facts and Fictions of Political Economy, où
il déclare, entre autre, que la propriété est un vol. Les temps sont depuis
bien changés. Retour au texte (780)
781 T. J. Dunning:
Trades Unions and strikes, Lond., 186 1, p. 22.
782 L'existence
côte à côte de ces deux formes du salaire favorise la fraude de la part des
fabricants : « Une fabrique emploie quatre cents personnes, dont la moitié travaille
aux pièces et a un intérêt direct à travailler longtemps. L'autre moitié est
payée à la journée, travaille aussi longtemps et ne reçoit pas un liard pour
son temps supplémentaire. Le travail de ces deux cents personnes, unir
demi heure par jour, est égal à celui d'une personne pendant cinquante
heures ou aux cinq sixièmes du travail d'une personne dans une semaine, ce qui
constitue pour l'entrepreneur un gain positif. » (Rep. of Insp. of Fact. 31
st. october 1860. p. 9.) « L'excès de travail prédomine toujours à un degré
vraiment considérable, et la plupart du temps avec cette sécurité que la loi
elle même assure au fabricant qui ne court aucun risque d'être découvert
et puni. Dans un grand nombre de rapports antérieurs... j'ai montré le dommage
que subissent ainsi les personnes qui ne travaillent pas aux pièces, mais sont
payées à la semaine. » (Leonard Horner dans Rep. of Insp. of
Fact. 30 th. apriI 1859, p. 8, 9.) Retour au texte (782)
783 « Le salaire peut
se mesurer de deux manières : ou sur la durée du travail, ou sur son
produit. » (Abrégé élémentaire des principes de l'Econ. polit.
Paris 1796, p. 32.) L'auteur de cet écrit anonyme est G. Garnier.
784 « Le fileur
reçoit un certain poids de coton préparé pour lequel il doit rendre, dans un
espace de temps donné, une quantité voulue de fil ou de coton filé, et il est
payé à raison de tant par livre d'ouvrage rendu. Si le produit pèche en
qualité, la faute retombe sur lui; s'il y a moins que la quantité fixée pour Ie
minimum, dans un temps donné, on le congédie et on le remplace par un ouvrier
plus habile. » (Ure, l. c., t. II, p. 61.)
785 « C'est quand
le travail passe par plusieurs mains, dont chacune prend part du profit, tandis
que la dernière seule fait la besogne, que le salaire que reçoit l'ouvrière est
misérablement disproportionné. » (Child. Empl. Comm. Il Rep.,
P. lxx, n. 424.) Retour au texte (785)
786 En effet, si
le prêteur d'argent, selon l'expression française, fait suer ses écus, c'est le
travail lui même que le marchandeur fait suer directement. Retour au texte (786)
787 L'apologiste
Watts dit lui même à ce propos : « Ce serait une grande amélioration dans
le système du travail aux pièces, si tous les gens employés a un même ouvrage
étaient associés dans le contrat, chacun suivant son habileté, au lieu d'être
subordonnés à un seul d'entre eux, qui est intéressé à les faire trimer par son
propre bénéfice. » (L. c., p. 53.) Pour voir tout ce que ce système a
d'ignoble, consulter Child. Empl. Comm. Rep. III, p. 66, n. 22, p. 11,
n. 124, p. xi, n. 13, 53, 59 et suiv.
788 Bien que ce
résultat se produise de lui même, on emploie souvent des moyens pour le
produire artificiellement. A Londres, par exemple, chez les mécaniciens,
l'artifice en usage est « que le capitaliste choisit pour chef d'un certain
nombre d'ouvriers, un homme de force physique supérieure et prompt à la
besogne. Il lui paye tous les trimestres ou à d'autres termes un salaire
supplémentaire, à condition qu'il fera tout son possible pour entraîner ses
collaborateurs, qui ne reçoivent que le salaire ordinaire, à rivaliser de zèle
avec lui... Ceci explique, sans commentaire, les plaintes des capitalistes,
accusant les sociétés de résistance de paralyser l'activité, l'habileté
supérieure et la puissance du travail. (Stinting the action, superior skill
and working power.) Dunning, l. c. p. 22, 23. Comme l'auteur est
lui même ouvrier et secrétaire d'une Trade's Union, on pourrait
croire qu'il a exagéré Mais que l'on consulte par exemple la highly
respectable encyclopédie agronomique de J. Ch. Morton, art., Labourer, on y
verra cette méthode est recommandée aux fermiers comme excellente. Retour au texte (788)
789 « Tous ceux
qui sont payés aux pièces... trouvent leur profit à travailler plus que le temps
légal. Quant à l'empressement à accepter ce travail en plus, on le rencontre
surtout chez les femmes employées à tisser et à dévider. » (Rep. of Insp. of
Fact. 30 th. april 1858, p. 9.) « Ce système du salaire aux pièces, si
avantageux pour le capitaliste, tend directement à exciter le jeune potier à à
un travail excessif, pendant les quatre ou cinq ans où il travaille aux pièces,
mais à bas prix. C'est là une des grandes causes auxquelles il faut attribuer
la dégénérescence des potiers ! » (Child. Empl. Comm. Rep., p. xiii.) Retour au texte (789)
790 « Là où le
travail est payé à tant la pièce... le montant des salaires peut différer
matériellement... Mais dans le travail à la journée, il y a généralement un
taux uniforme... reconnu également par l'employé et l'employeur comme l'étalon
des salaires pour chaque genre de besogne. » (Dunning, 1. c., p. 17.) Retour au texte (790)
791 « Le travail des
compagnons artisans sera réglé à la journée ou à la pièce... Ces maîtres
artisans savent à peu près combien d'ouvrage un compagnon artisan peut faire
par jour dans chaque métier, et les payent souvent à proportion de l'ouvrage
qu'ils font; ainsi, ces compagnons travaillent autant qu'ils peuvent, pour leur
propre intérêt, sans autre inspection. » (Cantillon : Essai sur la nature du
commerce en général. Amsterdam, éd. 1756, p. 185 et 202. La première
édition parut en 1755.) Cantillon, chez qui Quesnay, Sir James Steuart et Adam
Smith ont largement puisé, présente déjà ici le salaire aux pièces comme une
forme simplement modifiée du salaire au temps. L'édition française de Cantillon
s'annonce sur ce titre comme une traduction de l'anglais; mais l'édition anglaise
: The Analysis of Trade, Commerce, etc., by Philippe Cantillon, late
of the City of London, Merchant, n'a pas seulement paru plus tard
(1759); elle montre en outre par son contenu qu'elle a été remaniée à une
époque ultérieure. Ainsi, par exemple, dans l'édition française, Hume n'est pas
encore mentionné, tandis qu'au contraire, dans l'édition anglaise, le nom de
Petty ne reparaît presque plus. L'édition anglaise a moins d'importance
théorique; mais elle contient une foule de détails spéciaux sur le commerce
anglais, le commerce de lingots, etc., qui manquent dans le texte français. Les
mots du titre de cette édition, d'après lesquels l'écrit est tiré en grande
partie du manuscrit d'un défunt, et arrangés, etc., semblent donc être autre
chose qu'une simple fiction, alors fort en usage. Retour au texte (791)
792 « Combien de
fois n'avons nous pas vu, dans certains ateliers, embaucher plus
d'ouvriers que ne le demandait le travail à mettre en main ? Souvent, dans la
prévision d'un travail aléatoire, quelquefois même imaginaire, on admet des
ouvriers : comme on les paye aux pièces, on se dit qu'on ne court aucun risque,
parce que toutes les pertes de temps seront à la charge des inoccupés. » (H.
Grégoire : Les Typographes devant le tribunal correctionnel de Bruxelles.
Bruxelles, 1865, p. 9.) Retour au texte
(792)
793 Remarks on the
Commercial Policy of Great Britain.
London, 1815, p. 48. Retour au texte
(793)
794 A Défence of
the Landowners and Farmers of Great Britain. Lond., 1814, p. 4, 5. Retour au texte
(794)
795 Malthus, l. c.
Retour au texte (795)
796 « Les travailleurs
aux pièces forment vraisemblablement les quatre cinquièmes de tout le personnel
des fabriques. » (Reports of Insp. of Fact. for 30 april 1858, p. 9.) Retour au texte (796)
797 « On se rend
un compte exact de la force productive de son métier (du fileur), et l'on
diminue la rétribution du travail à mesure que la force productive augmente...
sans cependant que cette diminution soit proportionnée à l'augmentation de la
force. » (Ure, l. c., p. 61.) Ure supprime lui même cette dernière
circonstance atténuante. Il dit, par exemple, à propos d'un allongement de la mule
Jenny : « quelque surcroît de travail provient de cet allongement ».
(L. c. II. p. 34). Le travail ne diminue donc pas dans la même proportion que
sa productivité augmente. Il dit encore : « Ce surcroît augmentera la force
productive d'un cinquième. Dans ce cas, on baissera le prix du fileur; mais
comme on ne le réduira pas d'un cinquième, le perfectionnement augmentera son
gain dans le nombre d'heures donné; mais il y a une modification à faire
-... C'est que le fileur a des frais additionnels à déduire sur les six pence,
attendu qu'il faut qu'il augmente le nombre de ses aides non adultes, ce qui
est accompagné d'un dêplacement d'une partie des adultes » (l. c., p. 66, 67),
et n'a aucune tendance à faire monter le salaire.
798 H. Fawcett : The Economic
Position of the British Labourer. Cambridge and London, 1865, p. 178. Retour au texte (798)
799 On trouve dans
le Standard de Londres du 26 octobre 1861, le compte rendu d'un procès
intenté par la raison sociale John Bright et Cie, devant le, magistrats
de Rochdale, dans le but de poursuivre, pour intimidation, les agent, de la Carpet
Weavers Trades' Union. « Les associés de Bright ont introduit une
machine nouvelle, qui permet d'exécuter deux cent quarante mètres de tapis,
dans le même temps et avec le même travail (!) auparavant requis pour en
produire cent soixante. Les ouvriers n'ont aucun droit de réclamer une part
quelconque dans les profits qui résultent pour leur patron de la mise de son
capital dans des machines perfectionnées. En conséquence, M. Bright a proposé
d'abaisser le taux de la paye de un penny et demi par mètre à un penny, ce qui
laisse le gain des ouvriers exactement le même qu'auparavant pour le même
travail. Mais c'était là une réduction nominale, dont les ouvriers, comme on
l'assure, n'avaient pas reçu d'avance le moindre avertissement. » Retour au texte (799)
800 « Les sociétés
de résistance, dont le but constant est de maintenir le salaires, cherchent à
prendre part au profit qui résulte du perfectionnement de, machines ! (Quelle
horreur !)... Elles demandent un salaire supérieur, parce que le travail est
raccourci... en d'autres termes, elles tendent à établir un impôt sur les
améliorations industrielles. » (On Combination of Trades. New Edit. Lond.,
1834, p. 42.)
801
C'est à dire, sa valeur comparée à la plus value.
802 Nous
examinerons ailleurs les circonstances qui, par rapport à la productivité,
peuvent modifier cette loi pour des branches de production particulières. Retour au texte (802)
803 James Anderson
: Observations on the means of exciting a spirit of Nationai Industry, etc.
Edinburgh, 1777, p. 350, 351.) La Commission royale, chargée d'une
enquête sur les chemins de fer, dit au contraire : « Le travail est plus cher
en Irlande qu'en Angleterre, parce que les salaires y sont beaucoup plus bas. (Royal
Commission on Railways, 1867. Minutes, p. 2074.) Retour au texte (803)
804 Ure, l. c.,
t.II, p. 58. Retour au texte (804)
805 En Russie, les
filatures sont dirigées par des Anglais, le capitaliste indigène n'étant pas
apte à cette fonction. D'après des détails exacts, fournis à M. Redgrave par un
de ces directeurs anglais, le salaire est piteux, l'excès de travail
effroyable, et la production continue jour et nuit sans interruption.
Néanmoins, ces filatures ne végètent que grâce au système prohibitif. Retour au texte (805)
806 Reports of
lnsp. of Fact, 31 st. october 1866, p. 31,
37. Je pourrais, dit encore M. Redgrave, nommer beaucoup de filatures de mon
district, où des mules à deux mille deux cents broches sont surveillées par une
seule personne, aidée de deux filles, et où on fabrique par jour deux cent
vingt livres de filés, d'une longueur de quatre cents milles (anglais).
807 H. Carey : Essay
on the rate of Wages with an Examination of the causes of the Differences in
the conditions of the Labouring Population throughouthhe World.
Philadelphia, 1835. Retour au texte (807)