Karl Marx
Marx
est un apport incontournable pour les militants qui travaillent à «l'abolition
du salariat et du patronat», comme le formule la Charte d'Amiens: c'est un
scientifique, mais c'est aussi un militant de grande envergure :
n'oublions pas qu'il a, dès 1847, adhéré à la Ligue des Justes, devenue ensuite
La Ligue des Communistes et qu'il a écrit, avec Engels, le Manifeste pour ce
Parti au début de l'année 1848 (avant les révolutions qui ont secoué l'Europe).
Il est également l'un des créateurs et l'un des dirigeants de l'Association
Internationale des Travailleurs créée en 1864. Il est aussi l'un des militants
du Parti allemand SDAP (Parti social démocrate des travailleurs) créé en 1869.
Ses écrits militants : adresses, articles, brochures tous destinés aux
militants ouvriers ; sa correspondance (avec Liebknecht, Bebel, Lassalle...)
éclairent et permettent de mieux comprendre son analyse.
Marx formule à de nombreuses reprises une
affirmation très claire qui est fondamentale : la classe n'existe ni à
priori, ni en soi, elle se construit en s'organisant pour défendre ses intérêts
au quotidien et au delà, pour prendre le pouvoir pour servir sa cause. Son
existence, son unité sont le résultat de luttes constantes.
Ainsi, du point de vue marxiste, se poser la question de savoir
si tel ou tel groupe d'individus appartient à telle ou telle classe, peut être
utile pour progresser dans l'analyse mais on ne peut réduire une analyse des
classes à cette comptabilité. Les travaux sur la condition de tel ou tel groupe
social (par exemple ceux de Stéphane Beaud et Michel Pialoux (1), sur la condition ouvrière) fournissent des éléments essentiels à la
connaissance des réalités matérielles d'existence et de vécu de tel ou tel
groupe social. C'est le terreau de la structuration de classe et il faut le
connaître, mais cela ne suffit pas. De même, le sentiment d'appartenance à la
classe ouvrière (sur lequel travaillent par exemple Michel Simon et Guy
Michelat (2) dans leurs
enquêtes quantitatives et qualitatives sur les ouvriers et la politique)
renvoie au « eux et nous » de l'Anglais Richard Hoggar (3), c'est à dire à
la solidarité de l'entre nous et à l'hostilité envers les autres. C'est l'un
des germes de la conscience de classe et
cela donne des éléments de compréhension des processus d'identification à telle
ou telle classe. Mais là aussi une telle approche est insuffisante.
Dans les ouvrages de Marx on
trouve bien sûr les termes ouvriers, classes ouvrières, bourgeoisies,
etc...mais c'est à travers sa recherche sur le système de production
capitaliste (et au delà dans sa réflexion sur les révolutions ouvrières) qu'il
aborde la question des classes. C'est donc en partant de sa théorie sur le
capitalisme, du fil conducteur de cette théorie que l'on peut saisir ce qu'il
veut dire. Le fil conducteur de sa théorie, c'est l'appropriation privée des
moyens de production et la division du travail. Revenons là-dessus.
Pour lui, la propriété privée (inscrite
en France dans les constitutions depuis la déclaration des droits de l'homme
d'août 1789) est le
fondement de la division entre le capital et le travail car elle permet l'appropriation
privée des moyens SOCIALISÉS de production et d'échange, par des individus, des
familles, (Marx met hors de son analyse principale les producteurs individuels,
ce qu'il nomme « petite bourgeoisie », c'est à dire les propriétaires
qui vivent essentiellement de leur travail : artisans, commerçants,
paysans parcellaires... petite bourgeoisie déjà en déclin à son époque, au
moins en Angleterre). Cette appropriation privée est à l'origine des deux
groupes sociaux fondamentalement antagoniques: les propriétaires des moyens
socialisés de produire et les salariés (les uns disposent de la propriété, les
autres sont obligés de vendre leur force de travail pour vivre). Il y a donc
division structurelle entre les salariés et les propriétaires [les bourgeois].
Bien entendu le salariat est conçu par Marx comme « travailleur
collectif ».
Pourquoi antagonisme de classe entre propriétaires et
salariés ? Parce
que cette privatisation des moyens de production met le propriétaire en
position (dans la chaîne de production) de dominer et d'exploiter les salariés.
Elle lui permet de s'approprier la force de travail des salariés (qui devient
elle même marchandise) et d'accaparer les richesses créées. Si la valeur des
machines, des matières premières, des bâtiments...se transfèrent totalement
dans la valeur des marchandises, il n'en est pas de même pour la valeur de la
force de travail qui est pourtant la seule capable d'utiliser les moyens de
production disponibles pour produire des marchandises ensuite accessibles sur
le marché. Ces propriétaires des grands moyens de production et d'échange
achètent cette force de travail. Ils lui font produire PLUS DE VALEUR que sa
propre valeur (dit de façon plus simple plus que son « prix » traduit
par un salaire [versé – ne l'oublions pas- avant la vente de la marchandise]).
Pour le dire autrement, ils font produire à la force de travail du travail
gratuit, donc plus de marchandises à vendre que ce qu'ils déboursent pour
acheter les machines, matières premières... et pour payer les salariés :
c'est ainsi qu'ils accumulent des richesses et du capital. Les producteurs sont donc les producteurs du
capital et ces industriels EXPLOITENT donc cette force de travail.
Le concept de VALEUR est donc le cœur de la théorie marxiste, y compris de sa conception des
classes car il permet de comprendre ce qu'est le capitalisme, le processus de
production capitaliste et la violence des rapports sociaux capitalistes de production.
Les écrits de Marx sont très pédagogiques et le concept de valeur étant très
abstrait, il développe beaucoup en raisonnant à partir de la marchandise, c'est
d'ailleurs le titre du premier chapitre du livre I du capital (sa lecture,
longue certes, n'est pas si difficile qu'on le dit).
L'accumulation du capital provient donc de
l'accumulation de la valeur produite par le travail non payé, autrement dit par le travail
gratuit. Rappelons que Marx parle de la
vente de la force de travail et non du travail ce qui est fondamentalement
original par rapport aux économistes de son époque (par exemple Ricardo), mais
aussi par rapport aux écoles économiques dominantes actuellement car cela met
en cause la notion, très en vogue, de « coût du travail » (mais ce
n'est pas l'objet de cette conférence). Dans cette recherche, c'est avant tout
à la fraction industrielle de la bourgeoisie que Marx s'intéresse (même s'il
parle aussi de la bourgeoisie foncière, de la bourgeoisie financière et de la
petite bourgeoisie). Cette fraction de la bourgeoisie qui vit de la production
industrielle est à l'époque dominante en Angleterre, elle le devient en France,
et elle est au centre du mode de production capitaliste. Il ne traite pas de la
bourgeoisie commerçante mais elle était encore au milieu du XIXéme siècle peu
différenciée de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie industrielle (à
Paris, le premier grand magasin ouvre en 1852).
De la même façon, parmi tous les salariés qui sont contraints de vendre leur
force de travail, ce sont les
PRODUCTEURS, directs et indirects - de marchandises, de valeur et de capital comme on l'a vu- qui sont au
centre de sa théorie et c'est le terme qui revient le plus souvent et qui a le
plus de signification dans son raisonnement. Pour Marx si l'on veut
comprendre le capitalisme et ses crises, si on veut l'abattre, le producteur
est la clé de voûte: il fabrique, il produit des marchandises matérielles ou
des marchandises immatérielles (ces dernières étaient encore, pour l'essentiel,
à venir). Sur cette question de l'immatériel Marx parle peu de la production de
services cependant il nomme l'instituteur d'école privée... Rappelons qu'au
milieu du XIX ème siècle le secteur des services étaient aux mains de la petite
bourgeoisie, Il n'y a donc rien
d'étonnant à ce quasi silence mais cette référence de Marx au Maître d'école
permet de vérifier que le concept de producteur chez Marx ne repose pas sur le
type de métier exercé (boulanger, fileur, tourneur, coiffeur...) mais bien sur la place dans le processus de production et
d'échange. Lorsqu'il parle
d'ouvriers, d'ouvriers d'usines, des classes ouvrières, il faut
replacer ces termes dans l'époque, les ouvriers étaient alors quasi les seuls
producteurs salariés. Quant aux employés salariés, en particulier du commerce,
ils étaient peu nombreux à l'époque. Eux aussi vendent leur force travail, eux
aussi sont nécessaires au système de production capitaliste puisque seule la
vente de la marchandise assure la continuité de la production capitaliste, eux
aussi sont exploités par la bourgeoisie, mais ils ne produisent pas de
marchandises, ni de capital : ils sont payés sur une partie de la réalisation de la valeur (lors de la vente
de la marchandise).
La socialisation de la production et l'introduction de la machine - pour
aller très vite dans l'histoire – modifient les processus et les conditions de
travail, la DIVISION DU TRAVAIL explose
sur la base des besoins de rentabilité maximum du capital (on peut lire par
exemple Le Sublime (4),
elle permet des
gains de temps et donc une croissance du travail gratuit. Ce morcellement du
travail divise les producteurs et les vendeurs mais aussi les producteurs entre
eux: ouvriers, manœuvres, techniciens, ingénieurs... (Marx parle de ces deux
dernières catégories tout en précisant qu'elles sont peu développées et
qu'elles constituent une « classe supérieure d'ouvriers »). Dans
cette division du travail salarié, Marx ne met pas tous les salariés dans le
même sac. Il explique qu' il y a – parmi les salariés - les alliés des
capitalistes : ceux qui dirigent, surveillent, managent et
encadrent : les officiers et sous officiers à la solde de la bourgeoisie.
Dans ce qui précède le concept de PRODUCTEURS est central, celui
d'ouvriers peu utilisé. POURQUOI ? Tout d'abord parce que c'est bien du
producteur quel que soit son métier et sa qualification dont parle Marx, mais
aussi pour éviter d'alimenter le vieux débat centré sur l'idée que la classe
ouvrière aurait aujourd'hui disparu avec l'introduction de l'informatique, de
la robotique... Parlant des salariés, Marx explique qu'ils vendent leur
capacité à travailler c.a.d « leurs mains et leurs cerveaux
agissants ». On est loin de l'assimilation du travail ouvrier au travail manuel,
conception reprochée à tort à Marx. Il conviendrait aujourd'hui de mesurer le
processus de mondialisation de cette exploitation avec l'extension à
toute la planète du travail ouvrier et du travail salarié, la disparition de la
production individuelle indépendante et de l'auto-subsistance.
Après cette explication brève du sens à donner à l'antagonisme entre les
bourgeoisies et les salariés, venons-en au concept de prolétariat.
Pour Karl Marx, le prolétariat c'est l'organisation
en classe des ouvriers et au
delà des salariés (ceux qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail).
Cette organisation n'est jamais définitivement gagnée à cause de la concurrence
entre les salariés (il y a aussi concurrence entre les fractions de la
bourgeoisie pour l'accaparement de la plus-value, ce qui mériterait une autre
note). Cette classe se structure à travers ses luttes au quotidien pour
résister aux attaques constantes et défendre ses conditions de travail (en
particulier, les salaires, la durée et l'intensité du travail) et ses
conditions de vie. Il faut relire Le Capital, il y analyse en long, en
large et en travers, ces offensives permanentes des bourgeoisies. Mais Marx
insiste sur le fait que ces luttes quotidiennes ne suffisent pas. Au delà, le
prolétariat, classe révolutionnaire, lutte pour conquérir le pouvoir politique
(c'est le sens des luttes de classe chez Marx et cela devrait faire l'objet
d'une autre note). Il a l'objectif de s'attaquer à la propriété et il se
constitue en classe en combattant pour renverser la domination bourgeoise et en
luttant pour l'abolition du salariat et pour l'émancipation définitive de la
classe travailleuse.
Pour conclure, une belle citation. Marx écrit en 1875 dans sa critique du
programme de Gotha (5) « le
prolétariat est une classe universelle porteuse de l'émancipation humaine »
1 –
Stephane BEAUD et Michel PIALOUX , retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999 – Retour
au texte 1
2 –
Michel SIMON et Guy MICHEALAT Les ouvriers et la politique, Permanence, ruptures, réalignement,
Presses de Sciences Po, 2004 - Retour
au texte 2
3 – Richard
HOGGARD, la culture du pauvre,
étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Chatto and
Windus, 1957, traduction par les éditions de minuit, collection le sens commun,
présentation de J.C. – Retour
au texte 3
4 –
Denis POULOT, le
sublime ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut être, 1870, réédition
chez F. Maspéro, avec une introduction d’Alain Cottereau, collection actes et
mémoires du peuple, 1980 – Retour au texte 4
5 –
Karl MARX Critique du programme
Gotha , 1875, Editions sociales, collection Grande Edition Marx et Engels
(GEME), 2008 - Retour au texte 5
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