Quelques
mots sur le « Manifeste »…
Le
terme « communiste » est souvent galvaudé… Mais qu’est-ce que le
« communisme » ?
En incluant des
lectures dans la rubrique « éducation », notre organisation
« Communistes » se propose d’informer le lecteur sur les conceptions
qui nous caractérisent.
Les textes traitant
du sujet sont nombreux ; il nous a semblé tout naturel pour commencer de
publier le « Manifeste du Parti Communiste » .
Pourquoi ?
Tout d’abord,
parce que c’est le premier texte qui démontre scientifiquement les rapports sociaux et économiques qui
existent entre les différentes composantes de la société :
« Les conceptions théoriques des communistes
ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par
tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l’expression
générale des conditions réelles d’une lutte de classe existante. »
C’est en
s’imprégnant de ces mécanismes que les salariés prendront conscience de la
classe à laquelle ils appartiennent, comprendront que leurs intérêts sont
incompatibles avec ceux du patronat et réaliseront toute l’importance de
combattre le Capital.
La deuxième raison
de publier ce texte est qu’il date de 1848 ! … L’ère industrielle était en
pleine ascension. L’idéologie « bourgeoise » tendait à démontrer de
manière paternaliste que c’était grâce aux patrons que les ouvriers pouvaient
vivre. Le « Manifeste » répondait à cette contre vérité.
Certains diront aujourd’hui que la
société a évolué, que les conditions de travail ne sont plus les mêmes etc…
etc…
La lutte de classe est toujours
d’actualité ; les individus selon qu’ils se trouvent dans la situation
d’être propriétaire des moyens de production ou qu’ils sont obligés de vendre
leur force de travail ont des intérêts opposés.
D’un côté, des actionnaires qui sont toujours plus
assoiffés de profits, de l’autre des travailleurs qui, légitimement, veulent
bénéficier au maximum des richesses qu’ils produisent.
C’est dans cette lutte non pas aux côtés, mais avec
les opprimés que s’inscrit « Communistes ».
Non, le
« Manifeste » n’a pris aucune ride ; il a été écrit hier par
deux jeunes gens, Karl Marx et Friederich Engels, qui avaient en 1948,
respectivement 30 et 28 ans ,. Ils l’ont écrit pour les salariés.
Mais laissons le
lecteur découvrir ou relire le Manifeste. Il y trouvera maintes raisons pour
nous rejoindre. .. Bonne lecture.
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MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE
Un spectre hante l'Europe :
le spectre du communisme.
Toutes les puissances de la vieille
Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le pape
et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d'Allemagne.
Quelle est l'opposition qui n'a pas été
accusée de communisme par ses adversaires au pouvoir ? Quelle est l'opposition
qui, à son tour, n'a pas renvoyé à ses adversaires de droite ou de gauche
l'épithète infamante de communiste ?
Il en résulte un double enseignement.
Déjà le communisme est reconnu comme une
puissance par toutes les puissances d'Europe.
Il est grand temps que les communistes
exposent, à la face du monde entier, leurs conceptions, leurs buts et leurs
tendances ; qu'ils opposent au conte du spectre communiste un manifeste du
Parti lui-même.
C'est à cette fin que des communistes de
diverses nationalités se sont réunis à Londres et ont rédigé le Manifeste
suivant, qui sera publié en anglais, français, allemand, italien, flamand et danois.
I - BOURGEOIS ET PROLETAIRES
L'histoire de toute société jusqu'à nos
jours n'a été que l'histoire de luttes de classes.
Homme libre et esclave, patricien et
plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs
et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt
ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une
transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la
destruction des deux classes en lutte.
Dans les premières époques historiques,
nous constatons presque partout une organisation complète de la société en
classes distinctes, une échelle graduée de conditions sociales. Dans la Rome
antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des
esclaves ; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres de
corporation, des compagnons, des serfs et, de plus, dans chacune de ces
classes, une hiérarchie particulière.
La société bourgeoise moderne, élevée
sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de
classes. Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles
conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois.
Cependant, le caractère distinctif de
notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les
antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes
camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie
et le prolétariat.
Des serfs du moyen âge naquirent les
petits bourgeois des premières villes ; de cette population municipale
sortirent les premiers éléments de la bourgeoisie.
La découverte de l'Amérique, la
circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau
champ d'action. Les marchés des Indes Orientales et de la Chine, la
colonisation de l'Amérique, le commerce colonial, la multiplication des moyens
d'échange et, en général, des marchandises donnèrent un essor jusqu'alors
inconnu au négoce, à la navigation, à l'industrie et assurèrent, en
conséquence, un développement rapide à l'élément révolutionnaire de la société
féodale en dissolution.
L'ancien mode d'exploitation féodal ou
corporatif de l'industrie ne suffisait plus aux besoins qui croissaient sans
cesse à mesure que s'ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa
place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande ;
la division du travail entre les différentes corporations céda la place à la
division du travail au sein de l'atelier même.
Mais les marchés s'agrandissaient sans
cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, à son tour, devint
insuffisante. Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production
industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture ; la moyenne
bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l'industrie, aux
chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes.
La grande industrie a créé le marché
mondial, préparé par la découverte de l'Amérique. Le marché mondial accéléra
prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de
communication terrestres. Ce développement réagit à son tour sur l'extension de
l'industrie ; et, au fur et à mesure que l'industrie, le commerce, la navigation,
les chemins de fer se développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant ses
capitaux et refoulant à l'arrière-plan les classes léguées par le moyen âge.
La bourgeoisie moderne, nous le voyons,
est elle-même le produit d'un long développement, d'une série de révolutions
dans les modes de production et d'échange.
A chaque étape de l'évolution que
parcourait la bourgeoisie correspondait pour elle un progrès politique. Classe
opprimée par le despotisme féodal, association armée s'administrant elle-même
dans la commune, ici, république urbaine indépendante ; là, tiers état
taillable et corvéable de la monarchie, puis, durant la période manufacturière,
contrepoids de la noblesse dans la monarchie féodale ou absolue, pierre
angulaire des grandes monarchies, la bourgeoisie, depuis l'établissement de la
grande industrie et du marché mondial, s'est finalement emparée de la
souveraineté politique exclusive dans l'Etat représentatif moderne. Le
gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la
classe bourgeoise tout entière.
La bourgeoisie a joué dans l'histoire un
rôle éminemment révolutionnaire.
Partout où elle a conquis le pouvoir,
elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous
les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses supérieurs
naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien,
entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du
«paiement au comptant». Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse,
de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans
les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une
simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés si chèrement
conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place
de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle
a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.
La bourgeoisie a dépouillé de leur
auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on
considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète,
le savant, elle en a fait des salariés à ses gages.
La bourgeoisie a déchiré le voile de
sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à
n'être que de simples rapports d'argent.
La bourgeoisie a révélé comment la
brutale manifestation de la force au moyen âge, si admirée de la réaction,
trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C'est elle qui,
la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine. Elle a créé de
tout autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs romains, les
cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de toutes autres expéditions que les
invasions et les croisades.
La bourgeoisie ne peut exister sans
révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les
rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le
maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire,
pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de
leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant
ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité
perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous
les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de
conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les
remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité
et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les
hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs
rapports réciproques avec des yeux désabusés.
Poussée par le besoin de débouchés
toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut
s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations.
Par l'exploitation du marché mondial, la
bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation
de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à
l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été
détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de
nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort
pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des
matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les
plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays
même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins,
satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant
pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus
lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se
suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une
interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production
matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit. Les oeuvres
intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes.
L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus
impossibles ; et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît
une littérature universelle.
Par le rapide perfectionnement des
instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de
communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation
jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la
grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint
à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers.
Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois
de production ; elle les force à introduire chez elles la prétendue
civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un
monde à son image.
La bourgeoisie a soumis la campagne à la
ville. Elle a créé d'énormes cités ; elle a prodigieusement augmenté la
population des villes par rapport à celles des campagnes, et, par là, elle a
arraché une grande partie de la population à l'abrutissement de la vie des
champs. De même qu'elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou
demi- barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les peuples de paysans aux
peuples de bourgeois, l'Orient à l'Occident.
La bourgeoisie supprime de plus en plus
l'émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population.
Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et
concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence fatale de
ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes,
tout juste fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des
gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule
nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de
classe, derrière un seul cordon douanier.
La bourgeoisie, au cours de sa
domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus
nombreuses et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées
prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines,
l'application de la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la navigation à
vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de
continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières
jaillies du sol ‹- quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles
forces productives dorment au sein du travail social ?
Voici donc ce que nous avons vu : les
moyens de production et d'échange, sur la base desquels s'est édifiée la bourgeoisie,
furent créés à l'intérieur de la société féodale. A un certain degré du
développement de ces moyens de production et d'échange, les conditions dans
lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l'organisation féodale
de l'agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété,
cessèrent de correspondre aux forces productives en plein développement. Ils
entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent
en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa.
A la place s'éleva la libre concurrence,
avec une constitution sociale et politique appropriée, avec la suprématie
économique et politique de la classe bourgeoise.
Nous assistons aujourd'hui à un
processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le
régime bourgeois de la propriété, cette société bourgeoise moderne, qui a fait
surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemble au magicien
qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. Depuis des
dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est autre chose
que l'histoire de la révolte des forces productives modernes contre les
rapports modernes de production, contre le régime de propriété, qui conditionnent
l'existence de la bourgeoisie et sa domination. Il suffit de mentionner les
crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus
l'existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non
seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des
forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre
époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, -‹ l'épidémie de la
surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie
momentanée ; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé
tous ses moyens de subsistance ; l'industrie et le commerce semblent anéantis.
Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de
subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont
elle dispose ne favorisent plus la civilisation bourgeoise et le régime de la
propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour
ce régime qui alors leur fait obstacle ; et toutes les fois que les forces
productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le
désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la
propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir
les richesses créées dans son sein. ‹ Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle
ces crises ? D'un côté, en détruisant par la violence une masse de forces
productives ; de l'autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant
plus à fond les anciens. A quoi cela aboutit-il ? A préparer des crises plus
générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. Les
armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent
aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même.
Mais la bourgeoisie n'a pas seulement
forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui
manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires.
A mesure que grandit la bourgeoisie,
c'est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des
ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail et qui
n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints
de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce
comme un autre ; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de
la concurrence, à toutes les fluctuations du marché.
Le développement du machinisme et la
division du travail, en faisant perdre au travail du prolétaire tout caractère
d'autonomie, lui ont fait perdre tout attrait pour l'ouvrier. Il devient un
simple accessoire de la machine, on n'exige de lui que l'opération la plus
simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, ce que coûte
l'ouvrier se réduit, à peu de chose près, au coût de ce qu'il lui faut pour
s'entretenir et perpétuer sa descendance. Or, le prix du travail, comme celui
de toute marchandise, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail
devient répugnant, plus les salaires baissent. Bien plus, la somme de labeur
s'accroît avec le développement du machinisme et de la division du travail,
soit par l'augmentation des heures ouvrables, soit par l'augmentation du
travail exigé dans un temps donné, l'accélération du mouvement des machines,
etc.
L'industrie moderne a fait du petit
atelier du maître-artisan patriarcal la grande fabrique du capitaliste
industriel. Des masses d'ouvriers, entassés dans la fabrique, sont organisés
militairement. Simples soldats de l'industrie, ils sont placés sous la
surveillance d'une hiérarchie complète de sous-officiers et d'officiers. Ils ne
sont pas seulement les esclaves de la classe bourgeoise, de l'Etat bourgeois,
mais encore, chaque jour, à chaque heure, les esclaves de la machine, du
contremaître, et surtout du bourgeois fabricant lui-même. Plus ce despotisme
proclame ouvertement le profit comme son but unique, plus il devient mesquin,
odieux, exaspérant.
Moins le travail exige d'habileté et de
force, c'est-à-dire plus l'industrie moderne progresse, et plus le travail des
hommes est supplanté par celui des femmes et des enfants. Les distinctions
d'âge et de sexe n'ont plus d'importance sociale pour la classe ouvrière. Il
n'y a plus que des instruments de travail, dont le coût varie suivant l'âge et
le sexe.
Une fois que l'ouvrier a subi
l'exploitation du fabricant et qu'on lui a compté son salaire, il devient la
proie d'autres membres de la bourgeoisie : du propriétaire, du détaillant, du
prêteur sur gages, etc., etc.
Petits industriels, marchands et
rentiers, artisans et paysans, tout l'échelon inférieur des classes moyennes de
jadis, tombent dans le prolétariat ; d'une part, parce que leurs faibles
capitaux ne leur permettant pas d'employer les procédés de la grande industrie,
ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes ; d'autre
part, parce que leur habileté technique est dépréciée par les méthodes
nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les
classes de la population.
Le prolétariat passe par différentes
phases d'évolution. Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence
même.
La lutte est engagée d'abord par des
ouvriers isolés, ensuite par les ouvriers d'une même fabrique, enfin par les
ouvriers d'une même branche d'industrie, dans une même localité, contre le
bourgeois qui les exploite directement. Ils ne dirigent pas seulement leurs
attaques contre les rapports bourgeois de production : ils les dirigent contre
les instruments de production eux-mêmes ; ils détruisent les marchandises
étrangères qui leur font concurrence, brisent les machines, brûlent les
fabriques et s'efforcent de reconquérir la position perdue de l'artisan du
moyen âge.
A ce stade, le prolétariat forme une
masse disséminée à travers le pays et émiettée par la concurrence. S'il arrive
que les ouvriers se soutiennent par l'action de masse, ce n'est pas encore là
le résultat de leur propre union, mais de celle de la bourgeoisie qui, pour
atteindre ses fins politiques propres, doit mettre en branle le prolétariat
tout entier, et qui possède encore provisoirement le pouvoir de le faire.
Durant cette phase, les prolétaires ne combattent donc pas leurs propres
ennemis, mais les ennemis de leurs ennemis, c'est-à-dire les vestiges de la
monarchie absolue, propriétaires fonciers, bourgeois non industriels, petits
bourgeois. Tout le mouvement historique est de la sorte concentré entre les
mains de la bourgeoisie ; toute victoire remportée dans ces conditions est une
victoire bourgeoise.
Or, le développement de l'industrie, non
seulement accroît le nombre des prolétaires, mais les concentre en masses plus
considérables ; la force des prolétaires augmente et ils en prennent mieux
conscience. Les intérêts, les conditions d'existence au sein du prolétariat,
s'égalisent de plus en plus, à mesure que la machine efface toute différence
dans le travail et réduit presque partout le salaire à un niveau également bas.
Par suite de la concurrence croissante des bourgeois entre eux et des crises
commerciales qui en résultent, les salaires deviennent de plus en plus
instables ; le perfectionnement constant et toujours plus rapide de la machine
rend la condition de l'ouvrier de plus en plus précaire ; les collisions
individuelles entre l'ouvrier et le bourgeois prennent de plus en plus le
caractère de collisions entre deux classes. Les ouvriers commencent par former
des coalitions contre les bourgeois pour la défense de leurs salaires. Ils vont
jusqu'à constituer des associations permanentes pour être prêts en vue de
rébellions éventuelles. Çà et là, la lutte éclate en émeute.
Parfois, les ouvriers triomphent ; mais
c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le
succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. Cette union est
facilitée par l'accroissement des moyens de communication qui sont créés par
une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de
prendre contact. Or, il suffit de cette prise de contact pour centraliser les
nombreuses luttes locales, qui partout revêtent le même caractère, en une lutte
nationale, en une lutte de classes. Mais toute lutte de classes est une lutte
politique, et l'union que les bourgeois du moyen âge mettaient des siècles à
établir avec leurs chemins vicinaux, les prolétaires modernes la réalisent en
quelques années grâce aux chemins de fer.
Cette organisation du prolétariat en
classe, et donc en parti politique, est sans cesse détruite de nouveau par la
concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et
toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. Elle profite des dissensions
intestines de la bourgeoisie pour l'obliger à reconnaître, sous forme de loi,
certains intérêts de la classe ouvrière : par exemple le bill de dix heures en
Angleterre.
En général, les collisions qui se
produisent dans la vieille société favorisent de diverses manières le
développement du prolétariat. La bourgeoisie vit dans un état de guerre
perpétuel ; d'abord contre l'aristocratie, puis contre ces fractions de la
bourgeoisie même dont les intérêts entrent en conflit avec le progrès de
l'industrie, et toujours, enfin, contre la bourgeoisie de tous les pays
étrangers. Dans toutes ces luttes, elle se voit obligée de faire appel au
prolétariat, de revendiquer son aide et de l'entraîner ainsi dans le mouvement
politique. Si bien que la bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments de
sa propre éducation, c'est-à-dire des armes contre elle-même.
De plus, ainsi que nous venons de le
voir, des fractions entières de la classe dominante sont, par le progrès de
l'industrie, précipitées dans le prolétariat, ou sont menacées, tout au moins,
dans leurs conditions d'existence. Elles aussi apportent au prolétariat une
foule d'éléments d'éducation.
Enfin, au moment où la lutte des classes
approche de l'heure décisive, le processus de décomposition de la classe
dominante, de la vieille société tout entière, prend un caractère si violent et
si âpre qu'une petite fraction de la classe dominante se détache de celle-ci et
se rallie à la classe révolutionnaire, à la classe qui porte en elle l'avenir.
De même que, jadis, une partie de la noblesse passa à la bourgeoisie, de nos
jours une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette
partie des idéologues bourgeois qui se sont haussés jusqu'à la compréhension
théorique de l'ensemble du mouvement historique.
De toutes les classes qui, à l'heure
présente, s'opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe
vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la
grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus
authentique.
Les classes moyennes, petits fabricants,
détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu'elle
est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont
donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont
réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l'envers la roue de
l'histoire. Si elles sont révolutionnaires, c'est en considération de leur
passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs
et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur propre point de vue pour
se placer à celui du prolétariat.
Quant au lumpen-prolétariat, ce produit
passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, il peut
se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution
prolétarienne ; cependant, ses conditions de vie le disposeront plutôt à se
vendre à la réaction.
Les conditions d'existence de la vieille
société sont déjà détruites dans les conditions d'existence du prolétariat. Le
prolétaire est sans propriété ; ses relations avec sa femme et ses enfants
n'ont plus rien de commun avec celles de la famille bourgeoise ; le travail
industriel moderne, l'asservissement de l'ouvrier au capital, aussi bien en
Angleterre qu'en France, en Amérique qu'en Allemagne, dépouillent le prolétaire
de tout caractère national. Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux
autant de préjugés bourgeois derrière lesquels se cachent autant d'intérêts
bourgeois.
Toutes les classes qui, dans le passé,
se sont emparées du pouvoir essayaient de consolider leur situation acquise en
soumettant la société aux conditions qui leur assuraient leurs revenus propres.
Les prolétaires ne peuvent se rendre maîtres des forces productives sociales
qu'en abolissant leur propre mode d'appropriation d'aujourd'hui et, par suite,
tout le mode d'appropriation en vigueur jusqu'à nos jours. Les prolétaires
n'ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont à détruire toute
garantie privée, toute sécurité privée antérieure.
Tous les mouvements historiques ont été,
jusqu'ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement
prolétarien est le mouvement spontané de l'immense majorité au profit de
l'immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle,
ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure
des couches qui constituent la société officielle.
La lutte du prolétariat contre la
bourgeoisie, bien qu'elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, en
revêt cependant tout d'abord la forme. Il va sans dire que le prolétariat de
chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie.
En esquissant à grands traits les phases
du développement du prolétariat, nous avons retracé l'histoire de la guerre
civile, plus ou moins larvée, qui travaille la société actuelle jusqu'à l'heure
où cette guerre éclate en révolution ouverte, et où le prolétariat fonde sa
domination par le renversement violent de la bourgeoisie.
Toutes les sociétés antérieures, nous
l'avons vu, ont reposé sur l'antagonisme de classes oppressives et de classes
opprimées. Mais, pour opprimer une classe, il faut pouvoir lui garantir des
conditions d'existence qui lui permettent, au moins, de vivre dans la
servitude. Le serf, en plein servage, est parvenu à devenir membre d'une
commune, de même que le petit bourgeois s'est élevé au rang de bourgeois, sous
le joug de l'absolutisme féodal. L'ouvrier moderne au contraire, loin de
s'élever avec le progrès de l'industrie, descend toujours plus bas, au-dessous
même des conditions de vie de sa propre classe. Le travailleur devient un
pauvre, et le paupérisme s'accroît plus rapidement encore que la population et
la richesse. Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir
plus longtemps son rôle de classe dirigeante et d'imposer à la société, comme
loi régulatrice, les conditions d'existence de sa classe. Elle ne peut plus
régner, parce qu'elle est incapable d'assurer l'existence de son esclave dans
le cadre de son esclavage, parce qu'elle est obligée de le laisser déchoir au
point de devoir le nourrir au lieu de se faire nourrir par lui. La société ne
peut plus vivre sous sa domination, ce qui revient à dire que l'existence de la
bourgeoisie n'est plus compatible avec celle de la société.
L'existence et la domination de la
classe bourgeoise ont pour condition essentielle l'accumulation de la richesse
aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du Capital ; la
condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat repose
exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de
l'industrie, dont la bourgeoisie est l'agent sans volonté propre et sans
résistance, substitue à l'isolement des ouvriers résultant de leur concurrence,
leur union révolutionnaire par l'association. Ainsi, le développement de la
grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur
lequel elle a établi son système de production et d'appropriation. Avant tout,
la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du
prolétariat sont également inévitables.
II - PROLETAIRES ET COMMUNISTES
Quelle est la position des communistes
par rapport à l'ensemble des prolétaires ?
Les communistes ne forment pas un parti
distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n'ont point d'intérêts qui les
séparent de l'ensemble du prolétariat.
Ils n'établissent pas de principes
particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les communistes ne se distinguent des
autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes
nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants
de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes
phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent
toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.
Pratiquement, les communistes sont donc
la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction
qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du
prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche
et des fins générales du mouvement prolétarien.
Le but immédiat des communistes est le
même que celui de tous les autres partis prolétariens : constitution des
prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du
pouvoir politique par le prolétariat.
Les conceptions théoriques des
communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou
découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l'expression générale
des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement
historique qui s'opère sous nos yeux. L'abolition des rapports de propriété qui
ont existé jusqu'ici n'est pas le caractère distinctif du communisme.
Le régime de la propriété a subi de
continuels changements, de continuelles transformations historiques.
La Révolution française, par exemple, a
aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise.
Ce qui caractérise le communisme, ce
n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la
propriété bourgeoise.
Or, la propriété privée d'aujourd'hui,
la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode
de production et d'appropriation basée sur des antagonismes de classes, sur
l'exploitation des uns par les autres.
En ce sens, les communistes peuvent
résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété
privée.
On nous a reproché, à nous autres
communistes, de vouloir abolir la propriété personnellement acquise, fruit du
travail de l'individu, propriété que l'on déclare être la base de toute
liberté, de toute activité, de toute indépendance individuelle.
La propriété personnelle, fruit du
travail et du mérite ! Veut-on parler de cette forme de propriété antérieure à
la propriété bourgeoise qu'est la propriété du petit bourgeois, du petit paysan
? Nous n'avons que faire de l'abolir, le progrès de l'industrie l'a abolie et
continue à l'abolir chaque jour.
Ou bien veut-on parler de la propriété
privée d'aujourd'hui, de la propriété bourgeoise ?
Mais est-ce que le travail salarié, le
travail du prolétaire, crée pour lui de la propriété ? Nullement. Il crée le
capital, c'est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne
peut s'accroître qu'à la condition de produire encore et encore du travail
salarié, afin de l'exploiter de nouveau. Dans sa forme présente, la propriété
se meut entre ces deux termes antinomiques : le Capital et le Travail.
Examinons les deux termes de cette antinomie.
Etre capitaliste, c'est occuper non
seulement une position purement personnelle, mais encore une position sociale
dans la production. Le capital est un produit collectif : il ne peut être mis
en mouvement que par l'activité en commun de beaucoup d'individus, et même, en
dernière analyse, que par l'activité en commun de tous les individus, de toute
la société.
Le capital n'est donc pas une puissance
personnelle ; c'est une puissance sociale.
Dès lors, si le capital est transformé
en propriété commune appartenant à tous les membres de la société, ce n'est pas
une propriété personnelle qui se change en propriété commune. Seul le caractère
social de la propriété change. Il perd son caractère de classe.
Arrivons au travail salarié.
Le prix moyen du travail salarié, c'est
le minimum du salaire, c'est-à- dire la somme des moyens de subsistance
nécessaires pour maintenir en vie l'ouvrier en tant qu'ouvrier. Par conséquent,
ce que l'ouvrier s'approprie par son labeur est tout juste suffisant pour
reproduire sa vie ramenée à sa plus simple expression. Nous ne voulons en
aucune façon abolir cette appropriation personnelle des produits du travail,
indispensable à la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne
laissant aucun profit net qui confère un pouvoir sur le travail d'autrui. Ce
que nous voulons, c'est supprimer ce triste mode d'appropriation qui fait que
l'ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu'autant que
l'exigent les intérêts de la classe dominante.
Dans la société bourgeoise, le travail
vivant n'est qu'un moyen d'accroître le travail accumulé. Dans la société
communiste le travail accumulé n'est qu'un moyen d'élargir, d'enrichir et
d'embellir l'existence des travailleurs.
Dans la société bourgeoise, le passé
domine donc le présent ; dans la société communiste c'est le présent qui domine
le passé. Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel,
tandis que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni personnalité.
Et c'est l'abolition d'un pareil état de
choses que la bourgeoisie flétrit comme l'abolition de l'individualité et de la
liberté ! Et avec raison. Car il s'agit effectivement d'abolir l'individualité,
l'indépendance, la liberté bourgeoises.
Par liberté, dans les conditions
actuelles de la production bourgeoise, on entend la liberté de commerce, la
liberté d'acheter et de vendre.
Mais si le trafic disparaît, le libre
trafic disparaît aussi. Au reste, tous les grands mots sur la liberté du
commerce, de même que toutes les forfanteries libérales de notre bourgeoisie,
n'ont un sens que par contraste avec le trafic entravé, avec le bourgeois
asservi du moyen âge ; ils n'ont aucun sens lorsqu'il s'agit de l'abolition,
par le communisme, du trafic, du régime bourgeois de la production et de la
bourgeoisie elle-même.
Vous êtes saisis d'horreur parce que
nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété
privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C'est précisément
parce qu'elle n'existe pas pour ces neuf dixièmes qu'elle existe pour vous.
Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui ne peut
exister qu'à la condition que l'immense majorité soit frustrée de toute
propriété.
En un mot, vous nous accusez de vouloir
abolir votre propriété à vous. En vérité, c'est bien ce que nous voulons.
Dès que le travail ne peut plus être
converti en capital, en argent, en rente foncière, bref en pouvoir social
capable d'être monopolisé, c'est- à-dire dès que la propriété individuelle ne
peut plus se transformer en propriété bourgeoise, vous déclarez que l'individu
est supprimé.
Vous avouez donc que, lorsque vous
parlez de l'individu, vous n'entendez parler que du bourgeois, du propriétaire
bourgeois. Et cet individu-là, certes, doit être supprimé.
Le communisme n'enlève à personne le
pouvoir de s'approprier des produits sociaux ; il n'ôte que le pouvoir
d'asservir à l'aide de cette appropriation le travail d'autrui.
On a objecté encore qu'avec l'abolition
de la propriété privée toute activité cesserait, qu'une paresse générale
s'emparerait du monde.
Si cela était, il y a beau temps que la
société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise, puisque, dans cette
société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui gagnent ne
travaillent pas. Toute l'objection se réduit à cette tautologie qu'il n'y a
plus de travail salarié du moment qu'il n'y a plus de capital.
Les accusations portées contre le mode
communiste de production et d'appropriation des produits matériels l'ont été
également contre la production et l'appropriation des oeuvres de l'esprit. De
même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut
à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de
classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture.
La culture dont il déplore la perte
n'est pour l'immense majorité qu'un dressage qui en fait des machines.
Mais inutile de nous chercher querelle,
si c'est pour appliquer à l'abolition de la propriété bourgeoise l'étalon de
vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc. Vos idées
résultent elles-mêmes du régime bourgeois de production et de propriété, comme
votre droit n'est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté dont le
contenu est déterminé par les conditions matérielles d'existence de votre
classe.
La conception intéressée qui vous fait
ériger en lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de
production et de propriété ‹ rapports transitoires que le cours de la
production fait disparaître, ‹ cette conception, vous la partagez avec toutes
les classes dirigeantes aujourd'hui disparues. Ce que vous admettez pour la
propriété antique, ce que vous admettez pour la propriété féodale, vous ne
pouvez plus l'admettre pour la propriété bourgeoise.
L'abolition de la famille ! Même les
plus radicaux s'indignent de cet infâme dessein des communistes.
Sur quelle base repose la famille
bourgeoise d'à présent ? Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans
sa plénitude n'existe que pour la bourgeoisie ; mais elle a pour corollaire la
suppression forcée de toute famille pour le prolétaire et la prostitution
publique.
La famille bourgeoise s'évanouit
naturellement avec l'évanouissement de son corollaire, et l'une et l'autre
disparaissent avec la disparition du capital.
Nous reprochez-vous de vouloir abolir
l'exploitation des enfants par leurs parents ? Ce crime-là, nous l'avouons.
Mais nous brisons, dites-vous, les liens
les plus intimes, en substituant à l'éducation par la famille l'éducation par
la société.
Et votre éducation à vous, n'est-elle pas, elle aussi,
déterminée par la société ? Déterminée par les conditions sociales dans
lesquelles vous élevez vos enfants, par l'immixtion directe ou non de la
société, par l'école, etc. ? Les communistes n'inventent pas l'action de la
société sur l'éducation ; ils en changent seulement le caractère et arrachent
l'éducation à l'influence de la classe dominante.
Les déclamations bourgeoises sur la
famille et l'éducation, sur les doux liens qui unissent l'enfant à ses parents,
deviennent de plus en plus écœurantes, à mesure que la grande industrie détruit
tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples
articles de commerce, en simples instruments de travail.
Mais la bourgeoisie tout entière de
s'écrier en chœur : Vous autres, communistes, vous voulez introduire la
communauté des femmes !
Pour le bourgeois, sa femme n'est autre
chose qu'un instrument de production. Il entend dire que les instruments de
production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les
femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation.
Il ne soupçonne pas qu'il s'agit
précisément d'arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de
production.
Rien de plus grotesque, d'ailleurs, que
l'horreur ultra-morale qu'inspire à nos bourgeois la prétendue communauté
officielle des femmes que professeraient les communistes. Les communistes n'ont
pas besoin d'introduire la communauté des femmes ; elle a presque toujours
existé.
Nos bourgeois, non contents d'avoir à
leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la
prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier
mutuellement.
Le mariage bourgeois est, en réalité, la
communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes
de vouloir mettre à la place d'une communauté des femmes hypocritement
dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste,
qu'avec l'abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté
des femmes qui en découle, c'est-à-dire la prostitution officielle et non
officielle.
En outre, on a accusé les communistes de
vouloir abolir la patrie, la nationalité.
Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne
peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit
en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe nationale,
devenir lui-même la nation, il est encore par la classe nationale, quoique
nullement au sens bourgeois du mot.
Déjà les démarcations nationales et les
antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le
développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial,
l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qu'ils
entraînent.
Le prolétariat au pouvoir les fera
disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au
moins, est une des premières conditions de son émancipation.
Abolissez l'exploitation de l'homme par
l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation.
Du jour où tombe l'antagonisme des
classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations
entre elles.
Quant aux accusations portées d'une
façon générale contre le communisme, à des points de vue religieux,
philosophiques et idéologiques, elles ne méritent pas un examen approfondi.
Est-il besoin d'une grande perspicacité
pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un
mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs
conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ?
Que démontre l'histoire des idées, si ce
n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production
matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées
de la classe dominante.
Lorsqu'on parle d'idées qui
révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans
le sein de la vieille société, les éléments d'une société nouvelle se sont
formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution
des anciennes conditions d'existence.
Quand le monde antique était à son
déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne.
Quand, au XVIIIe siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de
progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie,
alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté
religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le
domaine du savoir.
«Sans doute, dira-t-on, les idées
religieuses, morales, philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont
modifiées au cours du développement historique. Mais la religion, la morale, la
philosophie, la politique, le droit se maintenaient toujours à travers ces
transformations.
Il y a de plus des vérités éternelles,
telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes
sociaux. Or, le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion
et la morale au lieu d'en renouveler la forme, et cela contredit tout le
développement historique antérieur.»
A quoi se réduit cette accusation ?
L'histoire de toute la société jusqu'à nos jours était faite d'antagonismes de
classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes
différentes.
Mais, quelle qu'ait été la forme revêtue
par ces antagonismes, l'exploitation d'une partie de la société par l'autre est
un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d'étonnant si la
conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa
diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne
se dissoudront complètement qu'avec l'entière disparition de l'antagonisme des
classes.
La révolution communiste est la rupture
la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d'étonnant si,
dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale
avec les idées traditionnelles.
Mais laissons là les objections faites
par la bourgeoisie au communisme.
Nous avons déjà vu plus haut que la première
étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe
dominante, la conquête de la démocratie.
Le prolétariat se servira de sa
suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la
bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les
mains de l'Etat, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et
pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives.
Cela ne pourra naturellement se faire,
au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime
bourgeois de production, c'est-à-dire par des mesures qui, économiquement,
paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, se
dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode
de production tout entier.
Ces mesures, bien entendu, seront fort
différentes dans les différents pays.
Cependant, pour les pays les plus
avancés, les mesures suivantes pourront assez généralement être mises en
application :
1. Expropriation de la propriété
foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'Etat.
2. Impôt fortement progressif.
3. Abolition de l'héritage.
4. Confiscation des biens de tous les
émigrés et rebelles.
5. Centralisation du crédit entre les
mains de l'Etat, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra
à l'Etat et qui jouira d'un monopole exclusif.
6. Centralisation entre les mains de
l'Etat de tous les moyens de transport.
7. Multiplication des manufactures
nationales et des instruments de production ; défrichement des terrains
incultes et amélioration des terres cultivées, d'après un plan d'ensemble.
8. Travail obligatoire pour tous ;
organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture.
9. Combinaison du travail agricole et du
travail industriel ; mesures tendant à faire graduellement disparaître
l'antagonisme entre la ville et la campagne.
10. Education publique et gratuite de
tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu'il
est pratiqué aujourd'hui. Combinaison de l'éducation avec la production
matérielle, etc.
Les antagonismes de classes une fois
disparus dans le cours du développement, toute la production étant concentrée
dans les mains des individus associés, alors le pouvoir public perd son
caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir
organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre. Si le prolétariat, dans sa
lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s'il s'érige par
une révolution en classe dominante et, comme classe dominante, détruit par la
violence l'ancien régime de production, il détruit, en même temps que ce régime
de production, les conditions de l'antagonisme des classes, il détruit les classes
en général et, par là même, sa propre domination comme classe.
A la place de l'ancienne société
bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une
association où le libre développement de chacun est la condition du libre
développement de tous.
III - LITTERATURE SOCIALISTE ET
COMMUNISTE
1. LE SOCIALISME
REACTIONNAIRE
a) Le socialisme féodal
Par leur position historique, les
aristocraties française et anglaise se trouvèrent appelées à écrire des
pamphlets contre la société bourgeoise. Dans la révolution française de juillet
1830, dans le mouvement anglais pour la Réforme, elles avaient succombé une
fois de plus sous les coups de cette arriviste abhorrée. Pour elles, il ne
pouvait plus être question d'une lutte politique sérieuse. Il ne leur restait
plus que la lutte littéraire. Or, même dans le domaine littéraire, la vieille
phraséologie de la Restauration était devenue impossible. Pour se créer des
sympathies, il fallait que l'aristocratie fît semblant de perdre de vue ses intérêts
propres et de dresser son acte d'accusation contre la bourgeoisie dans le seul
intérêt de la classe ouvrière exploitée. Elle se ménageait de la sorte la
satisfaction de chansonner son nouveau maître et d'oser lui fredonner à
l'oreille des prophéties d'assez mauvais augure.
Ainsi naquit le socialisme féodal où se
mêlaient jérémiades et libelles, échos du passé et grondements sourds de
l'avenir. Si parfois sa critique amère, mordante et spirituelle frappait la
bourgeoisie au cœur, son impuissance absolue à comprendre la marche de
l'histoire moderne était toujours assurée d'un effet comique.
En guise de drapeau, ces messieurs
arboraient la besace du mendiant, afin d'attirer à eux le peuple ; mais, dès
que le peuple accourut, il aperçut les vieux blasons féodaux dont s'ornait leur
derrière et il se dispersa avec de grands éclats de rire irrévérencieux.
Une partie des légitimistes français et
la Jeune Angleterre ont donné au monde ce spectacle.
Quand les champions de la féodalité
démontrent que le mode d'exploitation féodal était autre que celui de la
bourgeoisie, ils n'oublient qu'une chose : c'est que la féodalité exploitait
dans des circonstances et des conditions tout à fait différentes et aujourd'hui
périmées. Quand ils font remarquer que, sous le régime féodal, le prolétariat
moderne n'existait pas, ils n'oublient qu'une chose : c'est que la bourgeoisie,
précisément, a nécessairement jailli de leur organisation sociale.
Ils déguisent si peu, d'ailleurs, le
caractère réactionnaire de leur critique que leur principal grief contre la
bourgeoisie est justement de dire qu'elle assure, sous son régime, le
développement d'une classe qui fera sauter tout l'ancien ordre social.
Ils reprochent plus encore à la
bourgeoisie d'avoir produit un prolétariat révolutionnaire que d'avoir créé le
prolétariat en général.
Aussi dans la lutte politique
prennent-ils une part active à toutes les mesures de violence contre la classe
ouvrière. Et dans leur vie de tous les jours, en dépit de leur phraséologie
pompeuse, ils s'accommodent très bien de cueillir les pommes d'or et de troquer
la fidélité, l'amour et l'honneur contre le commerce de la laine, de la
betterave à sucre et de l'eau-de-vie.
De même que le prêtre et le seigneur
féodal marchèrent toujours la main dans la main, de même le socialisme clérical
marche côte à côte avec le socialisme féodal.
Rien n'est plus facile que de donner une
teinture de socialisme à l'ascétisme chrétien. Le christianisme ne s'est-il pas
élevé lui aussi contre la propriété privée, le mariage, l'Etat ? Et à leur
place n'a-t- il pas prêché la charité et la mendicité, le célibat et la
mortification de la chair, la vie monastique et l'Eglise ? Le socialisme
chrétien n'est que l'eau bénite avec laquelle le prêtre consacre le dépit de
l'aristocratie.
b) Le socialisme petit-bourgeois
L'aristocratie féodale n'est pas
la seule classe qu'ait ruinée la bourgeoisie, elle n'est pas la seule classe
dont les conditions d'existence s'étiolent et dépérissent dans la société
bourgeoise moderne. Les petits bourgeois et les petits paysans du moyen âge
étaient les précurseurs de la bourgeoisie moderne. Dans les pays où l'industrie
et le commerce sont moins développés, cette classe continue à végéter à côté de
la bourgeoisie florissante.
Dans les pays où s'épanouit la
civilisation moderne, il s'est formé une nouvelle classe de petits bourgeois
qui oscille entre le prolétariat et la bourgeoisie ; fraction complémentaire de
la société bourgeoise, elle se reconstitue sans cesse ; mais, par suite de la
concurrence, les individus qui la composent se trouvent sans cesse précipités
dans le prolétariat, et, qui plus est, avec le développement progressif de la
grande industrie, ils voient approcher l'heure où ils disparaîtront totalement
en tant que fraction autonome de la société moderne, et seront remplacés dans
le commerce, la manufacture et l'agriculture par des contremaîtres et des
employés.
Dans les pays comme la France, où les
paysans forment bien plus de la moitié de la population, il est naturel que des
écrivains qui prenaient fait et cause pour le prolétariat contre la bourgeoisie
aient appliqué à leur critique du régime bourgeois des critères
petits-bourgeois et paysans et qu'ils aient pris parti pour les ouvriers du
point de vue de la petite bourgeoisie. Ainsi, se forma le socialisme
petit-bourgeois. Sismondi est le chef de cette littérature, non seulement en
France, mais en Angleterre aussi.
Ce socialisme analysa avec beaucoup de
sagacité les contradictions inhérentes au régime de la production moderne. Il
mit à nu les hypocrites apologies des économistes. Il démontra d'une façon
irréfutable les effets meurtriers du machinisme et de la division du travail,
la concentration des capitaux et de la propriété foncière, la surproduction,
les crises, la fatale décadence des petits bourgeois et des paysans, la misère
du prolétariat, l'anarchie dans la production, la criante disproportion dans la
distribution des richesses, la guerre d'extermination industrielle des nations
entre elles, la dissolution des vieilles mœurs, des vieilles relations
familiales, des vieilles nationalités.
A en juger toutefois d'après son contenu
positif, ou bien ce socialisme entend rétablir les anciens moyens de production
et d'échange, et, avec eux, l'ancien régime de propriété et toute l'ancienne
société, ou bien il entend faire entrer de force les moyens modernes de
production et d'échange dans le cadre étroit de l'ancien régime de propriété
qui a été brisé, et fatalement brisé, par eux. Dans l'un et l'autre cas, ce
socialisme est à la fois réactionnaire et utopique.
Pour la manufacture, le régime
corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal : voilà son dernier mot.
Au dernier terme de son évolution, cette
école est tombée dans le lâche marasme des lendemains d'ivresse.
c) Le socialisme allemand ou socialisme
«vrai»
La littérature socialiste et
communiste de la France, née sous la pression d'une bourgeoisie dominante,
expression littéraire de la révolte contre cette domination, fut introduite en
Allemagne au moment où la bourgeoisie commençait sa lutte contre l'absolutisme
féodal.
Philosophes, demi-philosophes et beaux
esprits allemands se jetèrent avidement sur cette littérature, mais ils
oublièrent seulement qu'avec l'importation de la littérature française en
Allemagne, les conditions de vie de la France n'y avaient pas été simultanément
introduites. Par rapport aux conditions de vie allemandes, cette littérature
française perdait toute signification pratique immédiate et prit un caractère
purement littéraire. Elle ne devait plus paraître qu'une spéculation oiseuse
sur la société vraie, sur la réalisation de la nature humaine. Ainsi, pour les
philosophes allemands du XVIIIe siècle, les revendications de la première
Révolution française n'étaient que les revendications de la «raison pratique»
en général, et les manifestations de la volonté des bourgeois révolutionnaires
de France n'exprimaient à leurs yeux que les lois de la volonté pure, de la
volonté telle qu'elle doit être, de la volonté véritablement humaine.
L'unique travail des littérateurs
allemands, ce fut de mettre à l'unisson les nouvelles idées françaises et leur
vieille conscience philosophique, ou plutôt de s'approprier les idées
françaises en partant de leur point de vue philosophique.
Ils se les approprièrent comme on fait
d'une langue étrangère par la traduction.
On sait comment les moines recouvraient
les manuscrits des œuvres classiques de l'antiquité païenne d'absurdes légendes
de saints catholiques. A l'égard de la littérature française profane, les littérateurs
allemands procédèrent inversement. Ils glissèrent leurs insanités
philosophiques sous l'original français. Par exemple, sous la critique
française du régime de l'argent, ils écrivirent «aliénation de la nature
humaine», sous la critique française de l'Etat bourgeois, ils écrivirent
«abolition du règne de l'universalité abstraite», et ainsi de suite.
La substitution de cette phraséologie
philosophique aux développements français, ils la baptisèrent : «philosophie de
l'action», «socialisme vrai», «science allemande du socialisme», «justification
philosophique du socialisme», etc.
De cette façon, on émascula formellement
la littérature socialiste et communiste française. Et, comme elle cessait
d'être l'expression de la lutte d'une classe contre une autre entre les mains
des Allemands, ceux- ci se félicitèrent de s'être élevés au-dessus de
l'«étroitesse française» et d'avoir défendu non pas de vrais besoins, mais le
besoin du vrai ; non pas les intérêts du prolétaire, mais les intérêts de
l'être humain, de l'homme en général, de l'homme qui n'appartient à aucune
classe ni à aucune réalité et qui n'existe que dans le ciel embrumé de
l'imagination philosophique.
Ce socialisme allemand, qui prenait si
solennellement au sérieux ses maladroits exercices d'écolier et qui les
claironnait avec un si bruyant charlatanisme, perdit cependant peu à peu son
innocence pédantesque.
Le combat de la bourgeoisie allemande et
surtout de la bourgeoisie prussienne contre les féodaux et la monarchie
absolue, en un mot le mouvement libéral, devint plus sérieux.
De la sorte, le «vrai» socialisme eut
l'occasion tant souhaitée d'opposer au mouvement politique les revendications
socialistes. Il put lancer les anathèmes traditionnels contre le libéralisme,
le régime représentatif, la concurrence bourgeoise, la liberté bourgeoise de la
presse, le droit bourgeois, la liberté et l'égalité bourgeoises ; il put
prêcher aux masses qu'elles n'avaient rien à gagner, mais au contraire, tout à
perdre à ce mouvement bourgeois. Le socialisme allemand oublia, fort à propos,
que la critique française, dont il était l'insipide écho, supposait la société
bourgeoise moderne avec les conditions matérielles d'existence qui y
correspondent et une Constitution politique appropriée, toutes choses que, pour
l'Allemagne, il s'agissait précisément encore de conquérir.
Pour les gouvernements absolus de
l'Allemagne, avec leur cortège de prêtres, de pédagogues, de hobereaux et de
bureaucrates, ce socialisme devint, contre la bourgeoisie menaçante, l'épouvantail
rêvé.
Il ajouta son hypocrisie doucereuse aux
coups de fouet et aux coups de fusil par lesquels ces mêmes gouvernements
répondaient aux émeutes des ouvriers allemands.
Si le «vrai» socialisme devint ainsi une
arme contre la bourgeoisie allemande aux mains des gouvernements, il
représentait directement, en outre, un intérêt réactionnaire, l'intérêt de la
petite bourgeoisie allemande. La classe des petits bourgeois léguée par le XVIe
siècle, et depuis lors sans cesse renaissante sous des formes diverses,
constitue pour l'Allemagne la vraie base sociale du régime établi.
La maintenir, c'est maintenir en
Allemagne le régime existant. La suprématie industrielle et politique de la
grande bourgeoisie menace cette petite bourgeoisie de déchéance certaine, par
suite de la concentration des capitaux, d'une part, et de l'apparition d'un
prolétariat révolutionnaire, d'autre part. Le «vrai» socialisme lui parut
pouvoir faire d'une pierre deux coups. Il se propagea comme une épidémie.
Des étoffes légères de la spéculation,
les socialistes allemands firent un ample vêtement, brodé des fines fleurs de
leur rhétorique, tout imprégné d'une chaude rosée sentimentale, et ils en
habillèrent le squelette de leurs «vérités éternelles», ce qui, auprès d'un tel
public, ne fit qu'activer l'écoulement de leur marchandise.
De son côté, le socialisme allemand
comprit de mieux en mieux que c'était sa vocation d'être le représentant
grandiloquent de cette petite bourgeoisie.
Il proclama que la nation allemande était la nation exemplaire et le philistin allemand l'homme exemplaire. A toutes les infamies de cet homme exemplaire, il donna un sens occulte, un sens supérieur et socialiste qui leur faisait signifier le contraire de ce qu'elles étaient. Il alla jusqu'au bout, s'élevant contre la tendance «brutalement destructive» du communisme et proclamant qu'il planait impartialement au-dessus de toutes les luttes de classes. A quelques exceptions près, toutes les publications prétendues socialistes ou communistes qui circulent en Allemagne appartiennent à cette sale et énervante littérature.
2. LE SOCIALISME
CONSERVATEUR OU BOURGEOIS
Une partie de la bourgeoisie cherche à
porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise.
Dans cette catégorie, se rangent les
économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s'occupent
d'améliorer le sort de la classe ouvrière, d'organiser la bienfaisance, de
protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, bref, les
réformateurs en chambre de tout acabit.
Et l'on est allé jusqu'à élaborer ce
socialisme bourgeois en systèmes complets.
Citons, comme exemple, la Philosophie de
la misère de Proudhon.
Les socialistes bourgeois veulent les
conditions de vie de la société moderne sans les luttes et les dangers qui en
découlent fatalement. Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des
éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie
sans le prolétariat. La bourgeoisie, comme de juste, se représente le monde où
elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise
plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu'il somme le
prolétariat de réaliser ses systèmes et d'entrer dans la nouvelle Jérusalem, il
ne fait que l'inviter, au fond, à s'en tenir à la société actuelle, mais à se
débarrasser de la conception haineuse qu'il s'en fait.
Une autre forme de socialisme, moins
systématique, mais plus pratique, essaya de dégoûter les ouvriers de tout
mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n'était pas telle ou telle
transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de
la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez
que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme
n'entend aucunement l'abolition du régime de production bourgeois, laquelle
n'est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de
réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes
qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et
ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa
domination et alléger le budget de l'Etat.
Le socialisme bourgeois n'atteint son
expression adéquate que lorsqu'il devient une simple figure de rhétorique.
Le libre-échange, dans l'intérêt de la
classe ouvrière ! Des droits protecteurs, dans l'intérêt de la classe ouvrière
! Des prisons cellulaires, dans l'intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le
dernier mot du socialisme bourgeois, le seul qu'il ait dit sérieusement.
Car le socialisme bourgeois tient tout
entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois, dans
l'intérêt de la classe ouvrière.
3. LE SOCIALISME ET LE
COMMUNISME CRITICO-UTOPIQUES
Il ne s'agit pas ici de la littérature
qui, dans toutes les grandes révolutions modernes, a formulé les revendications
du prolétariat (écrits de Babeuf, etc.).
Les premières tentatives directes du
prolétariat pour faire prévaloir ses propres intérêts de classe, faites en un
temps d'effervescence générale, dans la période du renversement de la société
féodale, échouèrent nécessairement, tant du fait de l'état embryonnaire du
prolétariat lui-même que du fait de l'absence des conditions matérielles de son
émancipation, conditions qui ne peuvent être que le résultat de l'époque
bourgeoise. La littérature révolutionnaire qui accompagnait ces premiers
mouvements du prolétariat a forcément un contenu réactionnaire. Elle préconise
un ascétisme universel et un égalitarisme grossier.
Les systèmes socialistes et communistes
proprement dits, les systèmes de Saint-Simon, de Fourier, d'Owen, etc., font
leur apparition dans la première période de la lutte entre le prolétariat et la
bourgeoisie, période décrite ci-dessus (voir «Bourgeois et prolétaires»).
Les inventeurs de ces systèmes se
rendent bien compte de l'antagonisme des classes, ainsi que de l'action
d'éléments dissolvants dans la société dominante elle-même. Mais ils
n'aperçoivent, du côté du prolétariat, aucune initiative historique, aucun
mouvement politique qui lui soit propre.
Comme le développement de l'antagonisme
des classes marche de pair avec le développement de l'industrie, ils
n'aperçoivent pas davantage les conditions matérielles de l'émancipation du
prolétariat et se mettent en quête d'une science sociale, de lois sociales,
dans le but de créer ces conditions.
A l'activité sociale, ils substituent
leur propre ingéniosité ; aux conditions historiques de l'émancipation, des
conditions fantaisistes ; à l'organisation graduelle et spontanée du
prolétariat en classe, une organisation de la société fabriquée de toutes
pièces par eux-mêmes. Pour eux, l'avenir du monde se résout dans la propagande
et la mise en pratique de leurs plans de société.
Dans la confection de ces plans,
toutefois, ils ont conscience de défendre avant tout les intérêts de la classe
ouvrière, parce qu'elle est la classe la plus souffrante. Pour eux le
prolétariat n'existe que sous cet aspect de la classe la plus souffrante.
Mais la forme rudimentaire de la lutte
des classes, ainsi que leur propre position sociale les portent à se considérer
comme bien au-dessus de tout antagonisme de classes. Ils désirent améliorer les
conditions matérielles de la vie pour tous les membres de la société, même les
plus privilégiés. Par conséquent, ils ne cessent de faire appel à la société
tout entière sans distinction, et même ils s'adressent de préférence à la
classe régnante. Car, en vérité, il suffit de comprendre leur système pour
reconnaître que c'est le meilleur de tous les plans possibles de la meilleure
des sociétés possibles.
Ils repoussent donc toute action
politique et surtout toute action révolutionnaire ; ils cherchent à atteindre
leur but par des moyens pacifiques et essayent de frayer un chemin au nouvel
évangile social par la force de l'exemple, par des expériences en petit qui
échouent naturellement toujours.
La peinture fantaisiste de la société
future, à une époque où le prolétariat, peu développé encore, envisage sa
propre situation d'une manière elle-même fantaisiste, correspond aux premières
aspirations instinctives des ouvriers vers une transformation complète de la
société.
Mais les écrits socialistes et
communistes renferment aussi des éléments critiques. Ils attaquent la société
existante dans ses bases. Ils ont fourni, par conséquent, en leur temps, des
matériaux d'une grande valeur pour éclairer les ouvriers. Leurs propositions
positives en vue de la société future -‹ suppression de l'antagonisme entre la
ville et la campagne, abolition de la famille, du gain privé et du travail
salarié, proclamation de l'harmonie sociale et transformation de l'Etat en une
simple administration de la production -‹, toutes ces propositions ne font
qu'annoncer la disparition de l'antagonisme de classes, antagonisme qui
commence seulement à se dessiner et dont les faiseurs de systèmes ne
connaissent encore que les premières formes indistinctes et confuses. Aussi,
ces propositions n'ont-elles encore qu'un sens purement utopique.
L'importance du socialisme et du
communisme critico-utopiques est en raison inverse du développement historique.
A mesure que la lutte des classes s'accentue et prend forme, cette façon de
s'élever au-dessus d'elle par l'imagination, cette opposition imaginaire qu'on
lui fait, perdent toute valeur pratique, toute justification théorique. C'est
pourquoi, si, à beaucoup d'égards, les auteurs de ces systèmes étaient des
révolutionnaires, les sectes que forment leurs disciples sont toujours
réactionnaires, car ces disciples s'obstinent à maintenir les vieilles
conceptions de leurs maîtres en face de l'évolution historique du prolétariat.
Ils cherchent donc, et en cela ils sont logiques, à émousser la lutte des
classes et à concilier les antagonismes. Ils continuent à rêver la réalisation
expérimentale de leurs utopies sociales -‹ établissement de phalanstères isolés,
création de home-colonies, fondation d'une petite Icarie, édition in-douze de
la Nouvelle Jérusalem, ‹- et, pour la construction de tous ces châteaux en
Espagne, ils se voient forcés de faire appel au cœur et à la caisse des
philanthropes bourgeois. Petit à petit, ils tombent dans la catégorie des
socialistes réactionnaires ou conservateurs dépeints plus haut et ne s'en
distinguent plus que par un pédantisme plus systématique et une foi
superstitieuse et fanatique dans l'efficacité miraculeuse de leur science
sociale.
Ils s'opposent donc avec acharnement à
toute action politique des ouvriers, une pareille action ne pouvant provenir, à
leur avis, que d'un manque de foi aveugle dans le nouvel évangile.
Les owenistes en Angleterre, les
fouriéristes en France réagissent les uns contre les chartistes, les autres
contre les réformistes.
IV - POSITION DES
COMMUNISTES ENVERS LES DIFFERENTS PARTIS D'OPPOSITION
D'après ce que nous avons dit au
chapitre II, la position des communistes à l'égard des partis ouvriers déjà
constitués s'explique d'elle-même, et, partant, leur position à l'égard des
chartistes en Angleterre et des réformateurs agraires dans l'Amérique du Nord.
Ils combattent pour les intérêts et les
buts immédiats de la classe ouvrière ; mais dans le mouvement présent, ils
défendent et représentent en même temps l'avenir du mouvement. En France, les
communistes se rallient au Parti démocrate-socialiste contre la bourgeoisie
conservatrice et radicale, tout en se réservant le droit de critiquer les
phrases et les illusions léguées par la tradition révolutionnaire.
En Suisse, ils appuient les radicaux,
sans méconnaître que ce parti se compose d'éléments contradictoires, moitié de
démocrates socialistes, dans l'acception française du mot, moitié de bourgeois
radicaux.
En Pologne, les communistes soutiennent
le parti qui voit, dans une révolution agraire, la condition de
l'affranchissement national, c'est- à-dire le parti qui fit, en 1846,
l'insurrection de Cracovie.
En Allemagne, le Parti communiste lutte
d'accord avec la bourgeoisie, toutes les fois que la bourgeoisie agit
révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété foncière féodale
et la petite bourgeoisie.
Mais, à aucun moment, il ne néglige
d'éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l'antagonisme
violent qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que, l'heure
venue, les ouvriers allemands sachent convertir les conditions politiques et
sociales, créées par le régime bourgeois, en autant d'armes contre la
bourgeoisie, afin que, sitôt détruites les classes réactionnaires de
l'Allemagne, la lutte puisse s'engager contre la bourgeoisie elle-même.
C'est vers l'Allemagne que se tourne
surtout l'attention des communistes, parce que l'Allemagne se trouve à la
veille d'une révolution bourgeoise, parce qu'elle accomplira cette révolution
dans des conditions plus avancées de la civilisation européenne et avec un
prolétariat infiniment plus développé que l'Angleterre au XVIIe et la France au
XVIIIe siècle, et que, par conséquent, la révolution bourgeoise allemande ne
saurait être que le prélude immédiat d'une révolution prolétarienne.
En somme, les communistes appuient en
tous pays tout mouvement révolutionnaire contre l'ordre social et politique
existant.
Dans tous ces mouvements, ils mettent en
avant la question de la propriété, à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu
arriver, comme la question fondamentale du mouvement.
Enfin, les communistes travaillent à
l'union et à l'entente des partis démocratiques de tous les pays.
Les communistes ne s'abaissent pas
à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que
leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout
l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une
révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs
chaînes. Ils ont un monde à y gagner.
PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS
Ce texte (dont la présentation a
été modifiée) est tiré du site de l’Association de Bibliophiles Universels
(ABU) ; une bibliothèque intéressante vous y est proposée ; nous vous
invitons à consulter ce site à l’adresse suivante :
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