TRAVAIL SALARIE ET CAPITAL
SOMMAIRE
TRAVAIL SALARIE ET CAPITAL
Annexe B : Adjonctions
Annexe C :
1. Quel est
l'effet de l'accroissement des forces productives sur le salaire ?
2. Concurrence
entre les ouvriers et les
employeurs
3. Concurrence
des ouvriers entre eux
6. Propositions
pour y remédier
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INTRODUCTION (1) :
Cette brochure parut sous la forme
d'une série d'articles de tête dans la Neue Rheinische Zeitung, à partir du 4
avril 1849. Les conférences que Marx fit, en 1847, à l'Association des ouvriers
allemands (2) de Bruxelles en forment
la base. A l'impression, elle est restée à l'état de fragment. L'engagement
contenu dans le «A suivre» qui se trouve à la fin de l'article du N° 269 du
journal ne fut point tenu par suite des événements qui se précipitaient alors :
l'invasion russe en Hongrie, les insurrections à Dresde, Iserlohn, Elberfeld,
dans le Palatinat et le Bade (3), et qui amenèrent la suppression
du journal lui-même (19 mai 1849). On n'a point retrouvé le manuscrit de la
suite dans les œuvres posthumes de Marx.
Travail salarié et capital a paru
en tirage séparé sous forme de brochure chez plusieurs éditeurs, la dernière fois
en 1884 à Hottingen-Zürich, à la «Schweizerische
Genossenschafts-Buchdruckerei». Jusqu'ici, ces éditions suivaient exactement le
texte littéral de l'original. Mais la présente réimpression ne doit pas être
répandue à moins de 10 000 exemplaires comme brochure de propagande, et, de ce
fait, je ne pouvais manquer de me demander si, dans ces conditions, Marx
lui-même aurait autorisé une reproduction sans changement du texte littéral.
Vers 1850, Marx n'avait pas encore
mis le point final à sa critique de l'économie politique. Il ne le fit qu'à la
fin des dix années suivantes. Aussi ses écrits parus antérieurement au premier
fascicule de Contribution à la critique de l'économie politique (1859)
diffèrent-ils sur certains points de ceux qu'il écrivit à partir de 1859. Ils
renferment des expressions et des phrases entières qui, par rapport aux
ouvrages postérieurs, apparaissent malheureuses et même inexactes. Or, il est
de toute évidence que dans des éditions ordinaires, destinées au grand public,
ce point de vue antérieur, élément du développement intellectuel de l'auteur, a
également sa place, et que l'auteur aussi bien que le public ont un droit
indiscuté à une reproduction intégrale de ces œuvres anciennes. Et il ne me
serait pas venu un seul instant à l'esprit d'y changer un seul mot.
Il en est autrement lorsque la
réédition est destinée, on peut dire, presque exclusivement à la propagande
parmi les ouvriers. Dans ce cas, Marx aurait certainement mis l'ancien exposé
datant de 1849 en accord avec son nouveau point de vue, et je suis sûr d'agir
dans son esprit en procédant pour cette édition aux quelques changements et
adjonctions nécessaires pour atteindre ce but sur tous les points essentiels.
Je dis donc à l'avance au lecteur : voici la brochure non point telle que Marx
l'a rédigée en 1849, mais approximativement telle qu'il l'aurait écrite en
1891. Au reste, le texte véritable est diffusé en un nombre si considérable
d'exemplaires qu'il permet d'attendre que je puisse le réimprimer plus tard ne
varietur
dans une édition des œuvres complètes.
Mes modifications tournent toutes
autour d'un seul point. D'après l'original, c'est son travail que l'ouvrier
vend au capitaliste pour le salaire ; d'après le texte actuel, il vend sa force
de travail. Il faut que je m'explique sur ce changement. Je dois le faire à
l'égard des ouvriers, afin qu'ils voient qu'il ne s'agit pas d'une simple
querelle de mots, mais, au contraire, d'un des points les plus importants de
toute l'économie politique. Je dois le faire à l'égard des bourgeois, afin
qu'ils puissent se convaincre que les ouvriers sans instruction auxquels on
peut facilement faire comprendre les développements économiques les plus
difficiles sont infiniment supérieurs à nos gens «cultivés» et arrogants pour
lesquels des questions aussi complexes restent des énigmes leur vie durant.
L'économie politique classique
emprunte à la pratique industrielle cette idée courante chez le fabricant qu'il
achète et qu'il paie le travail de ses ouvriers. Cette idée avait été parfaitement
suffisante pour les besoins commerciaux, la comptabilité et le calcul des prix
du fabricant. Transférée en toute naïveté dans l'économie politique, elle y
causa un trouble et un désarroi extraordinaires.
L'économie se trouve en présence
de ce fait que les prix de toutes les marchandises, et entre autres aussi le
prix de la marchandise qu'elle appelle «travail», varient continuellement ; ils
montent et baissent par suite de circonstances très variées qui, fréquemment,
sont sans aucun rapport avec la production de la marchandise elle-même, de
sorte que les prix semblent en règle générale déterminés par le pur hasard. Or,
dès que l'économie se présenta comme une science, une de ses premières tâches
fut de chercher la loi qui se cachait derrière ce hasard déterminant
apparemment les prix des marchandises et qui, en réalité, dominait ce hasard
même. C'est dans les limites de ces prix de marchandises en perpétuelles
fluctuations, oscillant entre la hausse et la baisse, qu'elle chercha le centre
fixe autour duquel s'accomplissent ces fluctuations et ces oscillations. En un
mot, elle partit des prix des marchandises pour rechercher, comme la loi qui
les réglait, la valeur des marchandises, laquelle explique toutes les
fluctuations de prix et à laquelle il faut en définitive les ramener toutes.
Or, selon l'économie classique, la
valeur d'une marchandise serait déterminée par le travail incorporé en elle,
nécessaire à sa production ; et elle se contenta de cette explication. Nous
pouvons également nous y arrêter un instant. Mais pour éviter des malentendus,
je rappellerai que cette explication est devenue de nos jours tout à fait
insuffisante. C'est Marx qui, le premier, a étudié de façon approfondie cette
propriété qu'a le travail de créer de la valeur, et il a trouvé que tout
travail apparemment ou réellement nécessaire à la production d'une marchandise
n'ajoute pas en toutes circonstances à cette marchandise une quantité de valeur
correspondant à la quantité de travail fournie. Si donc nous disons
sommairement aujourd'hui, avec des économistes comme Ricardo, que la valeur
d'une marchandise est déterminée par le travail nécessaire à sa production,
nous sous-entendons toujours les réserves faites par Marx à ce sujet. Cela
suffit ici ; on trouvera le reste chez Marx dans sa Contribution à la critique
de l'économie politique (1859) et dans le premier livre du Capital
(4).
Mais dès que les économistes
appliquèrent cette détermination de la valeur par le travail à la marchandise
«travail», ils allèrent de contradiction en contradiction. Comment est
déterminée la valeur du «travail» ? Par le travail nécessaire qui y est
incorporé. Combien de travail y a-t-il dans le travail d'un ouvrier en une
journée, une semaine, un mois, une année ? Le travail d'une journée, d'une
semaine, d'un mois, d'une année. Si le travail est la mesure de toutes les
valeurs, nous ne pouvons exprimer qu'en travail la «valeur du travail». Mais
nous ne savons absolument rien au sujet de la valeur d'une heure de travail
lorsque nous savons seulement qu'elle est égale à une heure de travail. Cela ne
nous a donc pas rapprochés du but de l'épaisseur d'un cheveu, nous ne faisons
que tourner continuellement en rond.
Aussi, l'économie classique
essaya-t-elle d'employer une autre tournure ; elle dit : la valeur d'une
marchandise est égale à ses frais de production. Mais quels sont les frais de
production du travail ? Pour répondre à cette question, les économistes sont
obligés de faire quelque entorse à la logique. A défaut des frais de production
du travail lui-même qui ne peuvent malheureusement pas être établis, ils
recherchent alors quels sont les frais de production de l'ouvrier. Et ceux-ci
peuvent être établis. Ils varient suivant le moment et les circonstances, mais
pour des conditions sociales données, pour une localité donnée, pour une
branche de production donnée, ils sont également donnés, du moins dans
certaines limites assez étroites. Nous vivons aujourd'hui sous le règne de la
production capitaliste où une classe importante et toujours plus nombreuse de
la population ne peut vivre que si elle travaille contre salaire pour les
possesseurs des moyens de production: outils, machines, matières premières et
moyens de subsistance. Sur la base de ce mode de production, les frais de production
de l'ouvrier consistent dans la somme de moyens de subsistance — ou de leurs
prix en argent — qui sont en moyenne nécessaires pour lui fournir sa capacité
de travail, pour entretenir celle-ci, pour le remplacer par un nouvel ouvrier
lorsque la maladie, l'âge ou la mort l'éloignent de la production, c'est-à-dire
pour permettre à la classe ouvrière de se perpétuer et de conserver l'effectif
dont on a besoin. Supposons que le prix en argent de ces moyens de subsistance
soit en moyenne de trois marks par jour.
Notre ouvrier reçoit donc du
capitaliste qui l'occupe un salaire de trois marks par jour. Pour cela, le
capitaliste le fait travailler, disons, douze heures par jour. A la vérité, ce
capitaliste calcule à peu près de la façon suivante :
Supposons que notre ouvrier — un
ajusteur — ait à usiner une pièce de machine qu'il termine en une journée. La
matière première — le fer et le laiton dans la forme déjà apprêtée nécessaire —
coûte 20 marks. La consommation de la machine à vapeur, l'usure de cette même
machine à vapeur, du tour et des autres outils avec lesquels l'ouvrier
travaille représentent, calculées pour une journée et pour sa quote-part, la
valeur d'un mark. Nous avons supposé que le salaire est de 3 marks pour une
journée. Cela fait au total pour notre pièce de machine 24 marks. Mais le
capitaliste tire de ses calculs qu'il reçoit de ses clients un prix moyen de 27
marks, c'est-à-dire 3 marks de plus que les frais qu'il a engagés.
D'où viennent ces 3 marks
qu'empoche le capitaliste ? L'économie classique prétend que les marchandises
sont vendues en moyenne à leur valeur, c'est-à-dire à des prix qui
correspondent aux quantités de travail nécessaires contenues dans ces
marchandises. Le prix moyen de notre pièce de machine — 27 marks — serait donc
égal à sa valeur, égal au travail qui y est incorporé. Mais de ces 27 marks, 21
marks étaient déjà des valeurs qui existaient avant que notre ajusteur se fût
mis au travail. 20 marks étaient incorporés dans la matière première, un mark
dans le charbon brûlé pendant le travail ou dans les machines et outils
utilisés à cet effet et dont la capacité de production a été réduite jusqu'à
concurrence de cette somme. Restent 6 marks qui ont été ajoutés à la valeur de
la matière première. Mais ces 6 marks, comme l'admettent nos économistes
eux-mêmes, ne peuvent provenir que du travail ajouté à la matière première par
notre ouvrier. Ses douze heures de travail ont donc créé une nouvelle valeur de
6 marks. De cette façon, nous aurions donc enfin découvert ce qu'est la «valeur
du travail».
« — Halte-là ! s'écrie notre
ajusteur. Six marks ? Mais je n'ai touché que trois marks ! Mon capitaliste
jure ses grands dieux que la valeur de mes douze heures de travail n'est que de
trois marks et lorsque j'en exige six, il se moque de moi. A quoi rime cela?»
Si, auparavant, nous aboutissions
avec notre valeur du travail à un cercle ou à une impasse, nous voilà
maintenant tout à fait fourvoyés dans une contradiction insoluble. Nous avons
cherché la valeur du travail et nous avons trouvé plus qu'il nous fallait. Pour
l'ouvrier, la valeur des douze heures de travail est de trois marks, pour le
capitaliste, elle est de six marks dont il paie à l'ouvrier trois marks comme
salaire et dont il empoche lui-même les trois autres. Le travail aurait donc
non pas une, mais deux valeurs, et très différentes par-dessus le marché.
La contradiction devient encore
plus absurde dès que nous ramenons les valeurs exprimées en argent à du temps de
travail. Dans les douze heures de travail, il est créé une nouvelle valeur de
six marks, c'est-à-dire en six heures, de trois marks, somme reçue par
l'ouvrier pour un travail de douze heures. Pour un travail de douze heures,
l'ouvrier reçoit l'équivalent du produit de six heures de travail. Donc, ou
bien le travail a deux valeurs dont l'une est le double de l'autre, ou bien
douze égalent six ! Dans les deux cas, on aboutit à un pur non-sens.
Quoique nous fassions, nous ne
sortirons jamais de cette contradiction tant que nous parlerons de l'achat et
de la vente du travail et de la valeur du travail. C'est ce qui est arrivé
également à nos économistes. Le dernier rameau de l'économie classique, l'école
de Ricardo, a sombré en grande partie à cause de l'impossibilité où elle était
de résoudre cette contradiction. L'économie classique s'était fourvoyée dans
une impasse. L'homme qui trouva la voie pour en sortir fut Marx.
Ce que les économistes avaient
considéré comme les frais de production du «travail» étaient les frais de
production non du travail, mais de l'ouvrier vivant lui-même. Et ce que
l'ouvrier vendait au capitaliste n'était pas son travail. «Dès que son travail
existe, dit Marx, il cesse de lui appartenir, il ne peut donc plus le vendre (5).» Il pourrait donc, tout
au plus, vendre son travail futur, c'est-à-dire prendre l'engagement
d'accomplir un travail déterminé à un moment déterminé. Mais alors il ne vend pas
du travail (qu'il faudrait d'abord effectuer), mais il met à la disposition du
capitaliste pour un temps déterminé (dans le salaire journalier) ou aux fins
d'un rendement déterminé (dans le salaire aux pièces) sa force de travail
contre un paiement déterminé; il loue ou vend sa force de travail. Mais cette
force de travail est intimement liée à sa personne et en est inséparable. Les
frais de production de celle-ci coïncident par conséquent avec ses frais de
production à lui. Ce que les économistes appelaient les frais de production du
travail sont précisément ceux de l'ouvrier et, par suite, ceux de là force de
travail. Et ainsi nous pouvons remonter aussi des frais de production de la
force de travail à la valeur de la force de travail, et déterminer la quantité
de travail socialement nécessaire pour la production d'une force de travail de
qualité déterminée, ainsi que l'a fait Marx dans le chapitre de l'achat et de
la vente de la force de travail. (Kapital, Band I, Kapitel 4, 3. Abteilung (6).)
Mais qu'arrive-t-il après que
l'ouvrier a vendu sa force de travail au capitaliste, c'est-à-dire l'a mise à
sa disposition contre un salaire convenu à l'avance, salaire journalier ou
salaire aux pièces ? Le capitaliste conduit l'ouvrier dans son atelier ou son
usine où se trouvent déjà tous les objets nécessaires pour son travail,
matières premières, matières auxiliaires (charbon, colorants, etc.), outils,
machines. Là, l'ouvrier se met à trimer. Son salaire journalier est, comme nous
l'avons supposé plus haut, de trois marks, qu'il les gagne à la journée ou aux
pièces, peu importe. Nous supposons également ici que l'ouvrier, en douze
heures de son travail, incorpore aux matières premières utilisées une nouvelle
valeur de six marks, laquelle nouvelle valeur est réalisée par le capitaliste
au moyen de la vente de la pièce une fois finie. Il paie avec cela ses trois
marks à l'ouvrier, mais il conserve pour lui les trois autres marks. Or, si
l'ouvrier crée en douze heures une valeur de six marks, en six heures il en
crée une de trois marks. Il a donc déjà donné au capitaliste l'équivalent des
trois marks touchés sous forme de salaire, lorsqu'il a travaillé six heures
pour lui. Après six heures de travail, tous deux sont donc quittes, ils ne se doivent
pas un centime l'un à l'autre.
« — Halte-là ! s'écrie maintenant
le capitaliste. J'ai loué l'ouvrier pour une journée entière, pour douze
heures. Or, six heures ne sont qu'une demi-journée. Donc, trimez ferme jusqu'à
ce que soient terminées également les six autres heures, c'est seulement alors
que nous serons quittes !» Et l'ouvrier doit se soumettre en effet à son
contrat accepté «volontairement», d'après lequel il s'engage à travailler douze
heures entières pour un produit qui coûte six heures de travail.
Dans le travail aux pièces, il en
est exactement de même. Supposons que notre ouvrier fabrique en douze heures
douze pièces de la même marchandise. Chacune d'elles coûte 2 marks de charbon
et d'usure et est vendue 2 marks 50. Si nous faisons les mêmes hypothèses
qu'auparavant, le capitaliste va donc donner à l'ouvrier 25 pfennigs par pièce,
cela fait pour douze pièces 3 marks que l'ouvrier met douze heures à gagner. Le
capitaliste reçoit pour les douze pièces 30 marks ; déduction faite de 24 marks
pour la matière première et l'usure, restent six marks dont il paie trois marks
de salaire et empoche trois. Tout comme plus haut. Là aussi l'ouvrier travaille
six heures pour lui, c'est-à-dire en compensation de son salaire (une
demi-heure dans chacune de ses douze heures) et six heures pour le capitaliste.
La difficulté contre laquelle
échouaient les meilleurs économistes tant qu'ils partaient de la valeur du
«travail» disparaît dès que nous partons de la valeur de la «force de travail»
et non de celle du «travail». La force de travail est, dans notre société
capitaliste actuelle, une marchandise comme toutes les autres, mais néanmoins
une marchandise tout à fait spéciale. En effet, elle a la propriété
particulière d'être une force qui crée de la valeur, une source de valeur et,
notamment, par un traitement approprié, une source de plus de valeur qu'elle
n'en possède elle-même. Dans l'état actuel de la production, la force de
travail humaine ne produit pas seulement en une journée une valeur plus grande que
celle qu'elle possède et qu'elle coûte elle-même, mais à chaque nouvelle
découverte scientifique, à chaque nouvelle invention technique, cet excédent de
sa production quotidienne s'accroît au-delà de ses frais journaliers, et, par
conséquent, la partie de la journée de travail dans laquelle l'ouvrier tire de
son travail l'équivalent de son salaire quotidien diminue, alors que la partie
de la journée de travail pendant laquelle il est obligé d'offrir son travail au
capitaliste sans être payé pour cela augmente.
Telle est la constitution
économique de toute notre société actuelle : c'est la classe laborieuse seule
qui produit toutes les valeurs. Car le mot valeur n'est qu'une autre expression
pour le mot travail, expression par laquelle on désigne dans notre société
capitaliste actuelle la quantité de travail socialement nécessaire, incorporée
dans une marchandise déterminée. Mais ces valeurs produites par les ouvriers
n'appartiennent pas aux ouvriers. Elles appartiennent aux possesseurs des
matières premières, des machines et instruments et des avances d'argent qui
leur permettent d'acheter la force de travail de la classe ouvrière. De toute
la masse de produits créés par la classe ouvrière, il ne lui revient donc
qu'une partie. Et, ainsi que nous venons de le voir, l'autre partie que la
classe capitaliste conserve pour elle et qu'il lui faut tout au plus partager
encore avec la classe des propriétaires fonciers, devient, à chaque découverte
et invention nouvelles, de plus en plus grande, alors que la partie revenant à
la classe ouvrière (calculée par tête) ou bien ne s'accroît que très lentement
et de façon insignifiante, ou bien reste stationnaire, ou bien encore, dans
certaines circonstances, diminue.
Mais ces découvertes et inventions
qui s'évincent réciproquement avec une rapidité de plus en plus grande, ce
rendement du travail humain qui s'accroît chaque jour dans des proportions
inouïes, finissent par créer un conflit dans lequel l'économie capitaliste
actuelle ne peut que sombrer. D'un côté, des richesses incommensurables et un
excédent de produits que les preneurs ne peuvent absorber. De l'autre, la
grande masse de la société prolétarisée, transformée en salariés et mise par ce
fait même dans l'incapacité de s'approprier cet excédent de produits. La scission
de la société en une petite classe immensément riche et en une grande classe de
salariés non possédants fait que cette société étouffe sous son propre superflu
alors que la grande majorité de ses membres n'est presque pas, ou même pas du
tout, protégée contre l'extrême misère. Cet état de choses devient chaque jour
plus absurde et plus inutile. Il faut qu'il cède la place, et il peut céder la
place. Un nouvel ordre social est possible dans lequel auront disparu les
différences actuelles entre les classes et où — peut-être après une période de
transition courte, un peu maigre, mais en tout cas moralement très utile —
grâce à une utilisation rationnelle et au développement ultérieur des énormes
forces productives déjà existantes de tous les membres de la société, par le
travail obligatoire et égal pour tous, les moyens de vivre, de jouir de la vie,
de se développer et de mettre en œuvre toutes les capacités du corps et de
l'esprit seront également à la disposition de tous et dans une abondance toujours
croissante. Et la preuve que les ouvriers sont de plus en plus résolus à
conquérir par la lutte ce nouvel ordre social nous est fournie des deux côtés
de l'Océan par la journée du Premier Mai de demain et celle de dimanche
prochain, 3 mai (7).
Londres, le 30 avril 1891.
Friedrich Engels.
Publié à titre de supplément par
le journal «Vorwärts», n° 109, le 13 mai 1891 et dans la brochure de K. Marx :
«Lohnarbeit und Kapital», Berlin, 1891. Le texte original est en allemand.
Conforme à la deuxième édition russe des Œuvres complètes de K. Marx et F.
Engels, tome 22
TRAVAIL SALARIE ET CAPITAL (8)
I
De différents côtés on nous a reproché
de n'avoir pas exposé les rapports économiques qui constituent de nos jours la
base matérielle des combats de classe et des luttes nationales. C'est à dessein
que nous n'avons fait qu'effleurer ces rapports là seulement où ils éclataient
directement en collisions politiques.
Il s'agissait avant tout de suivre
la lutte des classes dans l'histoire de chaque jour et de prouver de façon
empirique, sur la matière historique existante et renouvelée quotidiennement,
que l'assujettissement de la classe ouvrière qui avait réalisé Février et Mars
avait amené du même coup la défaite des adversaires de celle-ci : les
républicains bourgeois en France et les classes bourgeoises et paysannes en
lutte contre l'absolutisme féodal sur tout le continent européen ; que la
victoire de la «République honnête» en France fut en même temps la chute des
nations qui avaient répondu à la Révolution de Février par des guerres
d'indépendance héroïques ; qu'enfin l'Europe, par la défaite des ouvriers
révolutionnaires, était retombée dans son ancien double esclavage, l'esclavage
anglo-russe. Les combats de juin à Paris, la chute de Vienne, la tragi-comédie
de Berlin en novembre 1848, les efforts désespérés de la Pologne, de l'Italie
et de la Hongrie, l'épuisement de l'Irlande par la famine, tels furent les
moments principaux où se concentra en Europe la lutte de classes entre la
bourgeoisie et la classe ouvrière et qui nous permirent de démontrer que tout
soulèvement révolutionnaire, aussi éloigné que son but puisse paraître de la lutte
des classes, doit nécessairement échouer jusqu'au moment où la classe ouvrière
révolutionnaire sera victorieuse, que toute réforme sociale reste une utopie
jusqu'au moment où la révolution prolétarienne et la contre-révolution féodale
se mesureront par les armes dans une guerre mondiale. Dans la présentation que
nous en faisions, comme dans la réalité, la Belgique et la Suisse étaient des
tableaux de genre tragi-comiques et caricaturaux dans la grande fresque de
l'histoire, l'une présentée comme l'Etat modèle de la monarchie bourgeoise,
l'autre comme l'Etat modèle de la République bourgeoise, Etats qui
s'imaginaient tous deux être aussi indépendants de la lutte des classes que de
la révolution européenne.
Maintenant que nos lecteurs ont vu
se développer la lutte des classes en l'année 1848 sous des formes politiques
colossales, il est temps d'approfondir les rapports économiques eux-mêmes sur
lesquels se fondent l'existence de la bourgeoisie et sa domination de classe,
ainsi que l'esclavage des ouvriers.
Nous exposerons en trois grands
chapitres : 1. les rapports entre le travail salarié et le capital, l'esclavage
de l'ouvrier, la domination du capitaliste ; 2. la disparition inévitable des
classes moyennes bourgeoises et de ce qu'il est convenu d'appeler la
paysannerie (Bürgerstandes) sous le régime actuel ; 3. l'assujettissement
commercial et l'exploitation des classes bourgeoises des diverses nations de
l'Europe par le despote du marché mondial, l'Angleterre.
Nous chercherons à faire un exposé
aussi simple et populaire que possible, et sans supposer connues à l'avance les
notions même les plus élémentaires de l'économie politique. Nous voulons être
compréhensibles pour les ouvriers. Il règne d'ailleurs partout en Allemagne
l'ignorance et la confusion d'idées les plus étranges au sujet des rapports
économiques les plus simples, chez les défenseurs patentés de l'état de choses
actuel et jusque chez les thaumaturges socialistes et les génies politiques
méconnus dont l'Allemagne morcelée est plus riche encore que de souverains.
Abordons donc la première question
: Qu'est-ce que le salaire ? Comment est-il déterminé ?
Si l'on demandait à des ouvriers :
«A combien s'élève votre salaire ?», ils répondraient, l'un : «Je reçois de mon
patron 1 mark pour une journée de travail», l'autre : «Je reçois 2 marks», etc.
Suivant les diverses branches de travail auxquelles ils appartiennent, ils
énuméreraient les diverses sommes d'argent qu'ils reçoivent de leurs patrons
respectifs pour la production d'un travail déterminé, par exemple pour le
tissage d'une aune de toile ou pour la composition d'une page d'imprimerie.
Malgré la diversité de leurs déclarations, ils seront tous unanimes sur un
point : le salaire est la somme d'argent que le capitaliste paie pour un temps
de travail déterminé ou pour la fourniture d'un travail déterminé.
Le capitaliste achète donc
(semble-t-il) leur travail avec de l'argent. C'est pour de l'argent qu'ils lui
vendent leur travail. Mais il n'en est ainsi qu'apparemment. Ce qu'ils vendent
en réalité au capitaliste pour de l'argent, c'est leur force de travail. Le
capitaliste achète cette force de travail pour un jour, une semaine, un mois,
etc. Et, une fois qu'il l'a achetée, il l'utilise en faisant travailler
l'ouvrier pendant le temps stipulé. Pour cette même somme d'argent avec
laquelle le capitaliste a acheté sa force de travail, par exemple pour 2 marks,
il aurait pu acheter deux livres de sucre ou une quantité déterminée d'une
autre marchandise quelconque. Les 2 marks avec lesquels il a acheté deux livres
de sucre sont le prix de deux livres de sucre. Les 2 marks avec lesquels il a
acheté douze heures d'utilisation de la force de travail sont le prix des douze
heures de travail. La force de travail est donc une marchandise, ni plus, ni moins
que le sucre. On mesure la première avec la montre et la seconde avec la
balance.
Leur marchandise, la force de
travail, les ouvriers l'échangent contre la marchandise du capitaliste, contre
l'argent, et, en vérité, cet échange a lieu d'après un rapport déterminé. Tant
d'argent pour tant de durée d'utilisation de la force de travail. Pour douze
heures de tissage, 2 marks. Et ces 2 marks ne représentent-ils pas toutes les
autres marchandises que je puis acheter pour 2 marks ? L'ouvrier a donc bien
échangé une marchandise, la force de travail, contre des marchandises de toutes
sortes, et cela suivant un rapport déterminé. En lui donnant 2 marks, le
capitaliste lui a donné tant de viande, tant de vêtements, tant de bois, de
lumière, etc., en échange de sa journée de travail. Ces 2 marks expriment donc
le rapport suivant lequel la force de travail est échangée contre d'autres
marchandises, la valeur d'échange de la force de travail. La valeur d'échange
d'une marchandise, évaluée en argent, c'est précisément ce qu'on appelle son
prix. Le salaire n'est donc que le nom particulier donné au prix de la force de
travail appelé d'ordinaire prix du travail, il n'est que le nom donné au prix
de cette marchandise particulière qui n'est en réserve que dans la chair et le sang
de l'homme.
Prenons le premier ouvrier venu,
par exemple, un tisserand. Le capitaliste lui fournit le métier à tisser et le
fil. Le tisserand se met au travail et le fil devient de la toile. Le
capitaliste s'approprie la toile et la vend 20 marks par exemple. Le salaire du
tisserand est-il alors une part de la toile, des 20 marks, du produit de son
travail ? Pas du tout. Le tisserand a reçu son salaire bien avant que la toile
ait été vendue et peut-être bien avant qu'elle ait été tissée. Le capitaliste
ne paie donc pas ce salaire avec l'argent qu'il va retirer de la toile, mais
avec de l'argent accumulé d'avance. De même que le métier à tisser et le fil ne
sont pas le produit du tisserand auquel ils ont été fournis par l'employeur,
les marchandises qu'il reçoit en échange de sa marchandise, la force de travail
ne le sont pas davantage. Il peut arriver que le capitaliste ne trouve pas
d'acheteur du tout pour sa toile. Il peut arriver qu'il ne retire pas même le
salaire de sa vente. Il peut arriver qu'il la vende de façon très avantageuse
par rapport au salaire du tisserand. Tout cela ne regarde en rien le tisserand.
Le capitaliste achète avec une partie de sa fortune actuelle, de son capital,
la force de travail du tisserand tout comme il a acquis, avec une autre partie
de sa fortune, la matière première, le fil, et l'instrument de travail, le
métier à tisser. Après avoir fait ces achats, et parmi ces achats il y a aussi
la force de travail nécessaire à la production de la toile, il ne produit plus
qu'avec des matières premières et des instruments de travail qui lui
appartiennent à lui seul. Car, de ces derniers fait aussi partie notre brave
tisserand qui, pas plus que le métier à tisser, n'a sa part du produit ou du
prix de celui-ci.
Le salaire n'est donc pas une part
de l’ouvrier à la marchandise qu'il produit. Le salaire est la partie de
marchandises déjà existantes avec laquelle le capitaliste s'approprie par achat
une quantité déterminée de force de travail productive.
La force de travail est donc une
marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi la
vend-il? Pour vivre.
Mais la manifestation de la force
de travail, le travail, est l'activité vitale propre à l'ouvrier, sa façon à lui
de manifester sa vie. Et c'est cette activité vitale qu'il vend à un tiers pour
s'assurer les moyens de subsistance nécessaires. Son activité vitale n'est donc
pour lui qu'un moyen de pouvoir exister. Il travaille pour vivre. Pour
lui-même, le travail n'est pas une partie de sa vie, il est plutôt un sacrifice
de sa vie. C'est une marchandise qu'il a adjugée à un tiers. C'est pourquoi le
produit de son activité n'est pas non plus le but de son activité. Ce qu'il
produit pour lui-même, ce n'est pas la soie qu'il tisse, ce n'est pas l'or
qu'il extrait du puits, ce n'est pas le palais qu'il bâtit. Ce qu'il produit
pour lui-même, c'est le salaire, et la soie, l'or, le palais se réduisent pour
lui à une quantité déterminée de moyens de subsistance, peut-être à un tricot
de coton, à de la monnaie de billon et à un logement dans une cave. Et
l'ouvrier qui, douze heures durant, tisse, file, perce, tourne, bâtit, manie la
pelle, taille la pierre, la transporte, etc., regarde-t-il ces douze heures de
tissage, de filage, de perçage, de travail au tour ou de maçonnerie, de
maniement de la pelle ou de taille de la pierre comme une manifestation de sa
vie, comme sa vie ? Bien au contraire. La vie commence pour lui où cesse
activité, à table, à l'auberge, au lit. Par contre, les douze heures de travail
n'ont nullement pour lui le sens de tisser, de filer, de percer, etc., mais
celui de gagner ce qui lui permet d'aller à table, à l'auberge, au lit. Si le
ver à soie tissait pour subvenir à son existence de chenille, il serait un
salarié achevé.
La force de travail ne fut pas
toujours une marchandise. Le travail ne fut pas toujours du travail salarié,
c'est-à-dire du travail libre. L’esclave ne vendait pas sa force de travail au
possesseur d'esclaves, pas plus que le bœuf ne vend le produit de son travail
au paysan. L'esclave est vendu, y compris sa force de travail, une fois pour
toutes à son propriétaire. Il est une marchandise qui peut passer de la main
d'un propriétaire dans celle d'un autre. Il est lui-même une marchandise, mais
sa force de travail n'est pas sa marchandise. Le serf ne vend qu'une partie de
sa force de travail. Ce n'est pas lui qui reçoit un salaire du propriétaire de
la terre ; c'est plutôt le propriétaire de la terre à qui il paie tribut. Le
serf appartient à la terre et constitue un rapport pour le maître de la terre.
L'ouvrier libre, par contre, se vend lui-même, et cela morceau par morceau. Il
vend aux enchères 8, 10, 12, 15 heures de sa vie, jour après jour, aux plus
offrants, aux possesseurs des matières premières, des instruments de travail et
des moyens de subsistance, c'est-à-dire aux capitalistes. L'ouvrier
n'appartient ni à un propriétaire ni à la terre, mais 8, 10, 12, 15 heures de
sa vie quotidienne appartiennent à celui qui les achète. L'ouvrier quitte le
capitaliste auquel il se loue aussi souvent qu'il veut, et le capitaliste le
congédie aussi souvent qu'il le croit bon, dès qu'il n'en tire aucun profit ou
qu'il n'y trouve plus le profit escompté. Mais l'ouvrier dont la seule
ressource est la vente de sa force de travail ne peut quitter la classe tout
entière des acheteurs, c'est-à-dire la classe capitaliste, sans renoncer à
l'existence. Il n'appartient pas à tel ou tel employeur, mais à la classe
capitaliste, et c'est à lui à y trouver son homme, c'est-à-dire à trouver un
acheteur dans cette classe bourgeoise.
Avant de pénétrer plus avant dans
les rapports entre le capital et le travail salarié, nous allons maintenant
exposer brièvement les conditions les plus générales qui entrent en ligne de
compte dans la détermination du salaire.
Le salaire est, ainsi que nous
l'avons vu, le prix d'une marchandise déterminée, la force de travail. Le
salaire est donc déterminé par les mêmes lois qui déterminent le prix de toute
autre marchandise.
La question qui se pose est donc
celle-ci: comment se détermine le prix d'une marchandise ?
Qu'est-ce qui détermine le prix
d'une marchandise ?
C'est la concurrence entre les acheteurs
et les vendeurs, le rapport entre l'offre et la demande. La concurrence qui
détermine le prix d'une marchandise est triple.
La même marchandise est offerte
par divers vendeurs. Celui qui vend le meilleur marché des marchandises de même
qualité est sûr d'évincer les autres vendeurs et de s'assurer le plus grand
débit. Les vendeurs se disputent donc réciproquement l'écoulement des
marchandises, le marché. Chacun d'eux veut vendre, vendre le plus possible, et
vendre seul si possible, à l'exclusion des autres vendeurs. C'est pourquoi l'un
vend meilleur marché que l'autre. Il s'établit, par conséquent, une concurrence
entre les vendeurs qui abaisse le prix des marchandises offertes par eux.
Mais il se produit aussi une
concurrence entre les acheteurs qui, de son côté, fait monter le prix des
marchandises offertes.
Il existe enfin une concurrence
entre les acheteurs et les vendeurs ; les uns voulant acheter le meilleur
marché possible, les autres voulant vendre le plus cher possible. Le résultat
de cette concurrence entre acheteurs et vendeurs dépendra de la façon dont se
comporteront les deux côtés de la concurrence mentionnés plus haut,
c'est-à-dire du fait que c'est la concurrence dans l'armée des acheteurs ou la
concurrence dans l'armée des vendeurs qui sera la plus forte. L'industrie met
en campagne deux groupes d'armées l'une en face de l'autre dont chacune à son
tour livre une bataille dans ses propres rangs entre ses propres troupes. Le
groupe d'armées parmi les troupes duquel il y a le moins d'échange de coups
remporte la victoire sur l'armée adverse.
Supposons qu'il y ait 100 balles
de coton sur le marché et, en même temps, des acheteurs pour 1 000 balles de
coton. Dans ce cas, la demande est dix fois plus grande que l'offre. La concurrence
entre les acheteurs sera par conséquent très forte, chacun de ceux-ci veut
s'approprier une, et si possible, l'ensemble des 100 balles. Cet exemple n'est
pas une hypothèse arbitraire. Nous avons vécu dans l'histoire du commerce des
périodes de mauvaise récolte du coton où quelques capitalistes coalisés entre
eux ont cherché à acheter non pas 100 balles, mais tous les stocks de coton du
monde entier. Dans le cas donné, un acheteur cherchera donc à évincer l'autre
du marché en offrant un prix relativement plus élevé pour la balle de coton.
Les vendeurs de coton qui aperçoivent les troupes de l'armée ennemie en train
de se livrer entre elles le combat le plus violent et qui sont absolument
assurés de vendre entièrement leurs 100 balles vont se garder de se prendre les
uns les autres aux cheveux pour abaisser le prix du coton, à un moment où leurs
adversaires rivalisent entre eux pour le faire monter. Voilà donc la paix
survenue soudain dans l'armée des vendeurs. Ils sont comme un seul homme, face
aux acheteurs, ils se croisent philosophiquement les bras et leurs exigences ne
connaîtraient pas de bornes si les offres de ceux mêmes qui sont le plus
pressés d'acheter n'avaient pas leurs limites bien déterminées.
Si donc l'offre d'une marchandise
est plus faible que la demande de cette marchandise, il n'y a pas du tout ou
presque pas de concurrence parmi les vendeurs. La concurrence parmi les
acheteurs croît dans la proportion même où diminue cette concurrence. Résultat
: hausse plus ou moins importante des prix de la marchandise.
On sait que le cas contraire avec
son résultat inverse est beaucoup plus fréquent. Excédent considérable de
l'offre sur la demande : concurrence désespérée parmi les vendeurs; manque
d'acheteurs: vente à vil prix des marchandises.
Mais que signifie hausse, chute
des prix, que signifie prix élevé, bas prix ? Un grain de sable est grand,
regardé à travers un microscope, et une tour est petite, comparée à une
montagne. Et si le prix est déterminé par le rapport entre l'offre et la demande,
qu'est-ce qui détermine le rapport de l'offre et de la demande ?
Adressons-nous au premier
bourgeois venu. Il n'hésitera pas un instant et, tel un nouvel Alexandre le
Grand, il tranchera d'un seul coup ce nœud gordien métaphysique à l'aide du calcul
élémentaire. Si la production de la marchandise que je vends m'a coûté 100
marks, nous dira-t-il, et si je retire de la vente de cette marchandise no
marks — au bout d'un an, entendons-nous — c'est un gain civil, honnête,
convenable. Mais si j'obtiens en échange 120, 130 marks, c'est alors un gain
élevé ; et si j'en tirais 200 marks, ce serait alors un gain exceptionnel,
énorme. Qu'est-ce qui sert donc au bourgeois à mesurer son gain ? Les frais de
production de sa marchandise. S'il reçoit en échange de cette marchandise une
somme d'autres marchandises dont la production a moins coûté, il a fait une
perte. S'il reçoit en échange de sa marchandise une somme de marchandises dont
la production a coûté davantage, il a réalisé un gain. Et cette baisse ou cette
hausse du gain, il la calcule suivant les proportions dans lesquelles la valeur
d'échange de sa marchandise se tient au-dessous ou au-dessus de zéro,
c'est-à-dire des frais de production.
Mais nous avons vu comment les
rapports variables entre l'offre et la demande provoquent tantôt la hausse,
tantôt la baisse, entraînant tantôt des prix élevés, tantôt des prix bas.
Si le prix d'une marchandise monte
considérablement par suite d'une offre insuffisante ou d'une demande qui croît
démesurément, le prix d'une autre marchandise quelconque a baissé
nécessairement en proportion; car le prix d'une marchandise ne fait qu'exprimer
en argent les rapports d'après lesquels de tierces marchandises sont échangées
contre elle. Si, par exemple, le prix d'une aune d'étoffe de soie monte de 5 à
6 marks, le prix de l'argent a baissé relativement à l'étoffe de soie et le
prix de toutes les autres marchandises qui sont restées à leur ancien prix a
baissé de même par rapport à l'étoffe de soie. Il faut en donner une plus grande
quantité en échange pour recevoir la même quantité d'étoffe de soie.
Quelle sera la conséquence du prix
croissant d'une marchandise ? Les capitaux se jetteront en masse sur la branche
d'industrie florissante et cette immigration des capitaux dans le domaine de
l'industrie favorisée persistera jusqu'à ce que celle-ci rapporte les gains
habituels ou plutôt jusqu'au moment où le prix de ses produits descendra par
suite de surproduction au-dessous des frais de production.
Inversement. Si le prix d'une
marchandise tombe au-dessous des frais de production, les capitaux se
retireront de la production de cette marchandise. Si l'on excepte le cas où une
branche de production n'étant plus d'époque ne peut moins faire que de
disparaître, la production de cette marchandise, c'est-à-dire son offre, va
diminuer par suite de cette fuite des capitaux jusqu'à ce qu'elle corresponde à
la demande, par conséquent, jusqu'à ce que son prix se relève à nouveau au
niveau de ses frais de production ou plutôt jusqu'à ce que l'offre soit tombée
au-dessous de la demande, c'est-à-dire jusqu'à ce que son prix se relève
au-dessus de ses frais de production, car le prix courant d'une marchandise est
toujours au-dessous ou au-dessus de ses frais de production.
Nous voyons que les capitaux
émigrent et immigrent constamment, passant du domaine d'une industrie dans
celui d'une autre, un prix élevé provoquant une trop forte immigration et un
prix bas une trop forte émigration.
Nous pourrions montrer d'un autre
point de vue que non seulement l'offre, mais aussi la demande est déterminée
par les frais de production. Mais cela nous entraînerait trop loin de notre
sujet.
Nous venons de voir que les
oscillations de l'offre et de la demande ramènent toujours à nouveau le prix
d'une marchandise à ses frais de production. Le prix réel d'une marchandise est
certes toujours au-dessus ou au-dessous de ses frais de production ; mais la
hausse et la baisse se complètent mutuellement, de sorte que, dans les limites
d'une période de temps déterminée, si l'on fait le total du flux et du reflux
de l'industrie, les marchandises sont échangées entre elles conformément à
leurs frais de production, c'est-à-dire que leur prix est déterminé par leurs
frais de production.
Cette détermination du prix par
les frais de production ne doit pas être comprise dans le sens des économistes.
Les économistes disent que le prix moyen des marchandises est égal aux frais de
production ; que telle est la loi. Ils considèrent comme un fait du hasard le
mouvement anarchique par lequel la hausse est compensée par la baisse et la
baisse par la hausse. On pourrait considérer avec autant de raison, comme cela
est arrivé d'ailleurs à d'autres économistes, les oscillations comme étant la
loi et la détermination par les frais de production comme étant le fait du
hasard. Mais ce sont ces oscillations seules qui, regardées de plus près,
entraînent les dévastations les plus terribles et, pareilles à des tremblements
de terre, ébranlent la société bourgeoise jusque dans ses fondements, ce sont ces
oscillations seules qui, au fur et à mesure qu'elles se produisent, déterminent
le prix par les frais de production. C'est l'ensemble du mouvement de ce
désordre qui est son ordre même. C'est au cours de cette anarchie industrielle,
c'est dans ce mouvement en rond que la concurrence compense pour ainsi dire une
extravagance par l'autre.
Nous voyons donc ceci: le prix
d'une marchandise est déterminé par ses frais de production de telle façon que
les moments où le prix de cette marchandise monte au-dessus de ses frais de
production sont compensés par les moments où il s'abaisse au-dessous des frais
de production, et inversement. Naturellement, cela n'est pas vrai pour un seul
produit donné d'une industrie, mais seulement pour toute la branche
industrielle. Cela n'est donc pas vrai non plus pour un industriel pris
isolément, mais seulement pour toute la classe des industriels.
La détermination du prix par les
frais de production est identique à la détermination du prix par le temps de travail
qui est nécessaire à la production d'une marchandise, car les frais de
production se composent 1° de matières premières et de l'usure d'instruments,
c'est-à-dire de produits industriels dont la production a coûté un certain
nombre de journées de travail, et qui représentent par conséquent une certaine
somme de temps de travail et 2° de travail immédiat dont la mesure est
précisément le temps.
Or, ces mêmes lois générales qui
règlent le prix des marchandises en général règlent naturellement aussi le
salaire, le prix du travail.
Le salaire du travail va tantôt
monter, tantôt baisser, suivant les rapports entre l'offre et la demande,
suivant la forme que prend la concurrence entre les acheteurs de la force de
travail, les capitalistes, et les vendeurs de la force de travail, les
ouvriers. Aux fluctuations des prix des marchandises en général correspondent
les fluctuations du salaire. Mais dans les limites de ces fluctuations, le prix
du travail sera déterminé par les frais de production, par le temps de travail
qui est nécessaire pour produire cette marchandise, la force de travail.
Or, quels sont les frais de
production de la force de travail elle-même ?
Ce sont les frais qui sont
nécessaires pour conserver l'ouvrier en tant qu'ouvrier et pour en faire un
ouvrier.
Aussi, moins un travail exige de
temps de formation professionnelle, moins les frais de production de l'ouvrier
sont grands et plus le prix de son travail, son salaire, est bas. Dans les
branches d'industrie où l'on n'exige presque pas d'apprentissage et où la
simple existence matérielle de l'ouvrier suffit, les frais de production qui
sont nécessaires à ce dernier se bornent presque uniquement aux marchandises
indispensables à l'entretien de sa vie de manière à lui conserver sa capacité de
travail. C'est pourquoi le prix de son travail sera déterminé par le prix des
moyens de subsistance nécessaires.
Cependant, il s'y ajoute encore
une autre considération. Le fabricant, qui calcule ses frais de production et
d'après ceux-ci le prix des produits, fait entrer en ligne de compte l'usure
des instruments de travail. Si une machine lui coûte par exemple 1 000 marks et
qu'il l'use en dix ans, il ajoute chaque année 100 marks au prix de la
marchandise pour pouvoir remplacer au bout de dix ans la machine usée par une
neuve. Il faut comprendre de la même manière, dans les frais de production de
la force de travail simple, les frais de reproduction grâce auxquels l'espèce
ouvrière est mise en état de s'accroître et de remplacer les ouvriers usés par
de nouveaux. L'usure de l'ouvrier est donc portée en compte de la même façon
que l'usure de la machine.
Les frais de production de la
force de travail simple se composent donc des frais d'existence et de
reproduction de l'ouvrier. Le prix de ces frais d'existence et de reproduction
constitue le salaire. Le salaire ainsi déterminé s'appelle le minimum de
salaire. Ce minimum de salaire, tout comme la détermination du prix des
marchandises par les frais de production en général, joue pour l'espèce et non
pour l'individu pris isolément. Il y a des ouvriers qui, par millions, ne
reçoivent pas assez pour pouvoir exister et se reproduire ; mais le salaire de
la classe ouvrière tout entière est, dans les limites de ses oscillations, égal
à ce minimum.
Maintenant que nous avons fait la
clarté sur les lois les plus générales qui régissent le salaire ainsi que le
prix de toute autre marchandise, nous pouvons entrer plus avant dans notre
sujet.
Le capital se compose de matières
premières, d'instruments de travail et de moyens de subsistance de toutes
sortes qui sont employés à produire de nouvelles matières premières, de
nouveaux instruments de travail et de nouveaux moyens de subsistance. Toutes
ces parties constitutives sont des créations du travail, des produits du
travail, du travail accumulé. Le travail accumulé qui sert de moyen pour une
nouvelle production est du capital.
C'est ainsi que parlent les
économistes.
Qu'est-ce qu'un esclave nègre ? Un
homme de race noire. Cette explication a autant de valeur que la première.
Un nègre est un nègre. C'est
seulement dans des conditions déterminées qu'il devient esclave. Une machine à
filer le coton est une machine pour filer le coton. C'est seulement dans des
conditions déterminées qu'elle devient du capital. Arrachée à ces conditions,
elle n'est pas plus du capital que l'or n'est par lui-même de la monnaie ou le
sucre, le prix du sucre.
Dans la production, les hommes
n'agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres. Ils
ne produisent qu'en collaborant d'une manière déterminée et en échangeant entre
eux leurs activités. Pour produire, ils entrent en relations et en rapports
déterminés les uns avec les autres, et ce n'est que dans les limites de ces
relations et de ces rapports sociaux que s'établit leur action sur la nature,
la production.
Suivant le caractère des moyens de
production, ces rapports sociaux que les producteurs ont entre eux, les
conditions dans lesquelles ils échangent leurs activités et prennent part à
l'ensemble de la production seront tout naturellement différents. Par la
découverte d'un nouvel engin de guerre, l'arme à feu, toute l'organisation
interne de l'armée a été nécessairement modifiée ; les conditions dans
lesquelles les individus constituent une armée et peuvent agir en tant qu'armée
se sont trouvées transformées, et les rapports des diverses armées entre elles
en ont été changés également.
Donc, les rapports sociaux suivant
lesquels les individus produisent, les rapports sociaux de production,
changent, se transforment avec la modification et le développement des moyens
de production matériels, des forces de production. Dans leur totalité, les
rapports de production forment ce qu'on appelle les rapports sociaux, la
société, et, notamment, une société à un stade de développement historique
déterminé, une société à caractère distinctif original. La société antique, la
société féodale, la société bourgeoise sont des ensembles de rapports de
production de ce genre dont chacun caractérise en même temps un stade
particulier de développement dans l'histoire de l'humanité.
Le capital représente, lui aussi,
des rapports sociaux. Ce sont des rapports bourgeois de production, des
rapports de production de la société bourgeoise. Les moyens de subsistance, les
instruments de travail, les matières premières dont se compose le capital
n'ont-ils pas été produits et accumulés dans des conditions sociales données,
suivant des rapports sociaux déterminés ? Ne sont-ils pas employés pour une
nouvelle production dans des conditions sociales données, suivant des rapports
sociaux déterminés ? Et n'est-ce point précisément ce caractère social
déterminé qui transforme les produits servant à la nouvelle production en
capital ?
Le capital ne consiste pas
seulement en moyens de subsistance, en instruments de travail et en matières
premières, il ne consiste pas seulement en produits matériels ; il consiste au
même degré en valeurs d'échange. Tous les produits dont il se compose sont des
marchandises. Le capital n'est donc pas seulement une somme de produits
matériels, c'est aussi une somme de marchandises, de valeurs d'échange, de
grandeurs sociales.
Le capital reste le même, que nous
remplacions la laine par le coton, le blé par le riz, les chemins de fer par
les bateaux à vapeur, à cette seule condition que le coton, le riz, les bateaux
à vapeur — la matière du capital — aient la même valeur d'échange, le même prix
que la laine, le blé, les chemins de fer dans lesquels il était incorporé
auparavant. La matière du capital peut se modifier constamment sans que le
capital subisse le moindre changement.
Mais si tout capital est une somme
de marchandises, c'est-à-dire de valeurs d'échange, toute somme de
marchandises, de valeurs d'échange, n'est pas encore du capital.
Toute somme de valeurs d'échange
est une valeur d'échange. Chaque valeur d'échange est une somme de valeurs
d'échange. Par exemple, une maison qui vaut 1 000 marks est une valeur
d'échange de 1 000 marks. Un morceau de papier qui vaut un pfennig est une
somme de valeurs d'échange de 100/100 de pfennig. Des produits qui sont
échangeables contre d'autres sont des marchandises. Le rapport déterminé
suivant lequel ils sont échangeables constitue leur valeur d'échange, ou,
exprimé en argent, leur prix. La masse de ces produits ne peut rien changer à
leur destination d'être une marchandise ou de constituer une valeur d'échange,
ou d'avoir un prix déterminé. Qu'un arbre soit grand ou petit, il reste un
arbre. Que nous échangions du fer par onces ou par quintaux contre d'autres
produits, cela change-t-il son caractère qui est d'être une marchandise, une
valeur d'échange ? Suivant sa masse, une marchandise a plus ou moins de valeur,
elle est d'un prix plus élevé ou plus bas.
Mais comment une somme de
marchandises, de valeurs d'échange, se change-t-elle en capital ?
Par le fait que, en tant que force
sociale indépendante, c'est-à-dire en tant que force d'une partie de la
société, elle se conserve et s'accroît par son échange contre la force de
travail immédiate, vivante. L'existence d'une classe ne possédant rien que sa
capacité de travail est une condition première nécessaire du capital.
Ce n'est que la domination de
l'accumulation du travail passé, matérialisé, sur le travail immédiat, vivant,
qui transforme le travail accumulé en capital.
Le capital ne consiste pas dans le
fait que du travail accumulé sert au travail vivant de moyen pour une nouvelle
production. Il consiste en ceci que le travail vivant sert de moyen au travail accumulé
pour maintenir et accroître la valeur d'échange de celui-ci.
Que se passe-t-il dans l'échange
entre le capitaliste et le salarié ?
L'ouvrier reçoit des moyens de
subsistance en échange de sa force de travail, mais le capitaliste, en échange
de ses moyens de subsistance, reçoit du travail, l'activité productive de
l'ouvrier, la force créatrice au moyen de laquelle l'ouvrier non seulement
restitue ce qu'il consomme, mais donne au travail accumulé une valeur plus
grande que celle qu'il possédait auparavant. L'ouvrier reçoit du capitaliste
une partie des moyens de subsistance existants. A quoi lui servent ces moyens
de subsistance ? A sa consommation immédiate. Mais dès que je consomme des
moyens de subsistance, ils sont irrémédiablement perdus pour moi, à moins que
j'utilise le temps pendant lequel ces moyens assurent mon existence pour
produire de nouveaux moyens de subsistance, pour créer par mon travail de
nouvelles valeurs à la place des valeurs que je fais disparaître en les
consommant. Mais c'est précisément cette noble force de production nouvelle que
l'ouvrier cède au capital en échange des moyens de subsistance qu'il reçoit!
Par conséquent, elle s'en trouve perdue par lui-même.
Prenons un exemple. Un fermier
donne à son journalier 5 groschen-argent par jour. Pour ces 5 groschen,
celui-ci travaille toute la journée dans les champs du fermier et lui assure
ainsi un revenu de 10 groschen. Le fermier ne se voit pas seulement restituer
les valeurs qu'il doit céder au journalier, il les double. Il a donc utilisé,
consommé les 5 groschen qu'il a donnés au journalier d'une façon féconde,
productive. Il a précisément acheté pour ces 5 groschen le travail et la force
du journalier qui font pousser des produits du sol pour une valeur double et
qui transforment 5 groschen en 10 groschen. Par contre, le journalier reçoit à
la place de sa force productive, dont il a cédé les effets au fermier, 5
groschen qu'il échange contre des moyens de subsistance qu'il consomme plus ou
moins rapidement. Les 5 groschen ont donc été consommés de double façon, de
façon reproductive pour le capital, car ils ont été échangés contre une force
de travail [Ici le terme «force de travail» n'est pas ajouté par Engels, mais
figure déjà dans le texte publié par Marx dans la Neue Rheinische Zeitung —
Note de la rédaction.] qui a rapporté 10 groschen ; de façon improductive pour
l'ouvrier, car ils ont été échangés contre des moyens de subsistance qui ont
disparu pour toujours et dont il ne peut recevoir de nouveau la valeur qu'en
répétant le même échange avec le fermier. Le capital suppose donc le travail
salarié, le travail salarié suppose le capital. Ils sont la condition l'un de
l'autre ; ils se créent mutuellement.
L'ouvrier d'une fabrique de coton
ne produit-il que des étoffes de coton ? Non, il produit du capital. Il produit
des valeurs qui servent à leur tour à commander son travail, afin de créer au
moyen de celui-ci de nouvelles valeurs.
Le capital ne peut se multiplier
qu'en s'échangeant contre de la force de travail, qu'en créant du travail
salarié. La force de travail de l'ouvrier salarié ne peut s'échanger que contre
du capital, en accroissant le capital, en renforçant la puissance dont il est
l'esclave. L'accroissement du capital est par conséquent l'accroissement du
prolétariat, c'est-à-dire de la classe ouvrière.
L'intérêt du capitaliste et de
l'ouvrier est donc le même, prétendent les bourgeois et leurs économistes. En
effet ! L'ouvrier périt si le capitaliste ne l'occupe pas. Le capital disparaît
s'il n'exploite pas la force de travail, et pour l'exploiter il faut qu'il
l'achète. Plus le capital destiné à la production, le capital productif,
s'accroît rapidement, plus l'industrie, par conséquent, est florissante, plus
la bourgeoisie s'enrichit, mieux vont les affaires, plus le capital a besoin
d'ouvriers et plus l'ouvrier se vend cher.
La condition indispensable pour
une situation passable de l'ouvrier est donc la croissance aussi rapide que
possible du capital productif.
Mais qu'est-ce que la croissance
du capital productif ? C'est la croissance de la puissance du travail accumulé
sur le travail vivant, c'est la croissance de la domination de la bourgeoisie
sur la classe laborieuse. Lorsque le travail salarié produit la richesse
étrangère qui le domine, la force qui lui est hostile, le capital, ses moyens
d'occupation, c'est-à-dire ses moyens de subsistance, refluent de celui-ci vers
lui à condition qu'il devienne de nouveau une partie du capital, le levier qui
imprime de nouveau à celui-ci un mouvement de croissance accéléré.
Quand on dit : Les intérêts du
capital et les intérêts des ouvriers sont les mêmes, cela signifie seulement
que le capital et le travail salarié sont deux aspects d'un seul et même
rapport. L'un est la conséquence de l'autre comme l'usurier et le dissipateur
s'engendrent mutuellement.
Tant que l'ouvrier salarié est
ouvrier salarié, son sort dépend du capital. Telle est la communauté d'intérêts
tant vantée de l'ouvrier et du capitaliste.
Lorsque le capital s'accroît, la
masse du travail salarié grossit, le nombre des ouvriers salariés augmente, en
un mot : la domination du capital s'étend sur une masse plus grande
d'individus. Et supposons le cas le plus favorable : lorsque le capital productif
s'accroît, la demande de travail augmente. Donc le prix du travail, le salaire,
monte.
Une maison peut être grande ou
petite, tant que les maisons environnantes sont petites elles aussi, elle
satisfait à tout ce qu'on exige socialement d'une maison. Mais s'il s'élève à
côté de la petite maison un palais, voilà que la petite maison se ravale au
rang de la chaumière. La petite maison est alors la preuve que son propriétaire
ne peut être exigeant ou qu'il ne peut avoir que des exigences très modestes. Et
au cours de la civilisation, elle peut s'agrandir tant qu'elle veut, si le
palais voisin grandit aussi vite ou même dans de plus grandes proportions,
celui qui habite la maison relativement petite se sentira de plus en plus mal à
l'aise, mécontent, à l'étroit entre ses quatre murs.
Une augmentation sensible du
salaire suppose un accroissement rapide du capital productif. L'accroissement
rapide du capital productif entraîne une croissance aussi rapide de la
richesse, du luxe, des besoins et des plaisirs sociaux. Donc, bien que les
plaisirs de l'ouvrier se soient accrus, la satisfaction sociale qu'ils
procurent a diminué, comparativement aux plaisirs accrus du capitaliste qui
sont inaccessibles à l'ouvrier, comparativement au stade de développement de la
société en général. Nos besoins et nos plaisirs ont leur source dans la
société; nous les mesurons, par conséquent, à la société ; nous ne les mesurons
pas aux objets de notre satisfaction. Comme ils sont de nature sociale, ils
sont de nature relative.
Le salaire n'est donc pas somme
toute déterminé seulement par la masse de marchandises que je peux obtenir en
échange. Il renferme divers rapports.
Ce que les ouvriers reçoivent tout
d'abord pour leur force de travail, c'est une somme d'argent déterminée. Le salaire
n'est-il déterminé que par ce prix en argent ?
Au XVIe siècle, l'or et l'argent
en circulation en Europe augmentèrent par suite de la découverte en Amérique de
mines plus riches et plus faciles à exploiter. De ce fait, la valeur de l'or et
de l'argent baissa par rapport aux autres marchandises. Les ouvriers
continuèrent à recevoir la même masse d'argent monnayée pour leur force de
travail. Le prix en argent de leur travail resta le même et cependant leur
salaire avait baissé, car en échange de la même quantité d'argent ils
recevaient une somme moindre d'autres marchandises. Ce fut une des
circonstances qui favorisèrent l'accroissement du capital, l'essor de la
bourgeoisie au XVIe siècle.
Prenons un autre cas. Dans l'hiver
de 1847, les produits alimentaires les plus indispensables, le blé, la viande,
le beurre, le fromage, etc., par suite d'une mauvaise récolte, avaient
considérablement augmenté de prix. Supposons que les ouvriers aient continué à
recevoir la même somme d'argent pour leur force de travail. Leur salaire
n'avait-il pas baissé ? Mais si. Pour la même somme d'argent, ils recevaient en
échange moins de pain, de viande, etc. Leur salaire avait baissé non point
parce que la valeur de l'argent avait diminué, mais parce que la valeur des moyens
de subsistance avait augmenté.
Supposons enfin que le prix en
argent du travail reste le même alors que tous les produits agricoles et
manufacturés ont baissé de prix par suite de l'emploi de nouvelles machines,
d'une saison plus favorable, etc. Pour la même quantité d'argent, les ouvriers
peuvent alors acheter plus de marchandises de toutes sortes. Donc, leur salaire
a augmenté précisément parce que la valeur en argent de celui-ci n'a pas
changé.
Donc, le prix en argent du
travail, le salaire nominal, ne coïncide pas avec le salaire réel, c'est-à-dire
avec la quantité de marchandises qui est réellement donnée en échange du
salaire. Donc, lorsque nous parlons de hausse ou de baisse du salaire, nous ne
devons pas seulement considérer le prix en argent du travail, le salaire
nominal.
Mais ni le salaire nominal,
c'est-à-dire la somme d'argent pour laquelle l'ouvrier se vend au capitaliste,
ni le salaire réel, c'est-à-dire la quantité de marchandises qu'il peut acheter
avec cet argent, n'épuisent les rapports contenus dans le salaire.
Le salaire est encore déterminé
avant tout par son rapport avec le gain, avec le profit du capitaliste ; le
salaire est relatif, proportionnel.
Le salaire réel exprime le prix du
travail relativement au prix des autres marchandises, le salaire relatif, par
contre, la part du travail immédiat à la nouvelle valeur qu'il a créée par
rapport à la part qui en revient au travail accumulé, au capital.
Nous disions plus haut, page 14
[Voir la présente édition, p. 9 — Note de la rédaction.] : «Le salaire n'est
donc pas une part de l'ouvrier à la marchandise qu'il produit. Le salaire est
la partie de marchandises déjà existantes avec laquelle le capitaliste
s'approprie par achat une quantité déterminée de force de travail productive.» Mais
ce salaire, il faut que le capitaliste le retrouve dans le prix auquel il vend
le produit fabriqué par l'ouvrier; il faut qu'il le retrouve de façon qu'en
règle générale il lui reste encore un excédent sur ses frais de production
engagés, un profit. Le prix de vente de la marchandise produite par l'ouvrier
se divise pour le capitaliste en trois parties : premièrement, le remplacement
du prix des matières premières qu'il a avancées ainsi que le remplacement de
l'usure des instruments, machines et autres moyens de travail qu'il a également
avancés ; deuxièmement, le remplacement du salaire qu'il a avancé ; et
troisièmement, ce qui est en excédent, le profit du capitaliste. Alors que la
première partie ne remplace que des valeurs qui existaient auparavant, il est
clair que le remplacement du salaire tout comme le profit excédentaire du
capitaliste proviennent, somme toute, de la nouvelle valeur créée par le
travail de l'ouvrier et ajoutée aux matières premières. Et c'est dans ce sens
que nous pouvons considérer aussi bien le salaire que le profit, quand nous les
comparons ensemble, comme des participations de l'ouvrier au produit.
Que le salaire réel reste le même,
qu'il augmente même, le salaire relatif n'en peut pas moins baisser. Supposons,
par exemple, que tous les moyens de subsistance aient baissé de prix des 2/3,
alors que le salaire journalier ne baisse que d'un tiers, c'est-à-dire tombe,
par exemple, de 3 marks à 2 marks. Bien que l'ouvrier avec ses deux marks
dispose d'une plus grande quantité de marchandises qu'auparavant avec 3 marks,
son salaire a cependant diminué par rapport au bénéfice du capitaliste. Le
profit du capitaliste (par exemple du fabricant) a augmenté d'un mark,
c'est-à-dire que pour une somme moindre de valeurs d'échange qu'il paie à
l'ouvrier, il faut que l'ouvrier produise une plus grande quantité de valeurs
d'échange qu'auparavant. La part du capital proportionnellement à la part du
travail s'est accrue. La répartition de la richesse sociale entre le capital et
le travail est devenue encore plus inégale. Le capitaliste commande avec le
même capital une quantité plus grande de travail. La puissance de la classe
capitaliste sur la classe ouvrière a grandi, la situation sociale de l'ouvrier
a empiré, elle est descendue d'un degré de plus au-dessous de celle du
capitaliste.
Mais quelle est donc la loi
générale qui détermine la hausse et la baisse du salaire et du profit dans
leurs relations réciproques ?
Ils sont en rapport inverse. La
part du capital, le profit, monte dans la mesure même où la part du travail, le
salaire quotidien, baisse, et inversement. Le profit monte dans la mesure où le
salaire baisse, il baisse dans la mesure où le salaire monte.
On objectera peut-être que le
capitaliste peut faire du bénéfice grâce à un échange avantageux de ses
produits avec d'autres capitalistes, parce que sa marchandise est plus
demandée, soit par suite de l'ouverture de nouveaux marchés, soit encore du
fait de l'augmentation momentanée des besoins sur les anciens marchés, etc. ;
que le profit du capitaliste peut donc s'accroître du fait que d'autres
capitalistes ont été supplantés, indépendamment de la hausse ou de la baisse du
salaire, de la valeur d'échange de la force de travail; ou que le profit peut
également s'accroître grâce au perfectionnement des instruments de travail, à
une nouvelle utilisation des forces naturelles, etc.
On devra tout d'abord reconnaître
que le résultat reste le même bien qu'on y arrive par le chemin inverse. Le
profit n'a pas augmenté parce que le salaire a diminué, mais le salaire a
diminué parce que le profit a augmenté. Le capitaliste a acheté avec la même
quantité du travail d'autrui une plus grande quantité de valeurs d'échange sans
avoir pour cela payé plus cher le travail; c'est-à-dire que le travail est
moins payé par rapport au bénéfice net qu'il laisse au capitaliste.
En outre, rappelons qu'en dépit
des oscillations des prix des marchandises, le prix moyen de chaque
marchandise, le rapport suivant lequel elle est échangée contre d'autres marchandises,
est déterminé par ses frais de production. Les duperies mutuelles au sein de la
classe capitaliste se feront donc nécessairement équilibre. Le perfectionnement
des machines, l'emploi de nouvelles forces naturelles au service de la
production permettent, dans un temps de travail donné, avec la même quantité de
travail et de capital, de créer une plus grande masse de produits, mais
nullement une plus grande masse de valeurs d'échange. Si, grâce à l'emploi de
la machine à filer, je puis livrer en une heure deux fois plus de fil qu'avant
son invention, par exemple cent livres au lieu de cinquante, je ne reçois à la
longue pas plus de marchandises en échange qu'auparavant pour cinquante, parce
que les frais de production sont tombés de moitié ou parce que je puis livrer
avec les mêmes frais le double du produit.
Enfin, quel que soit le rapport
suivant lequel la classe capitaliste, la bourgeoisie, soit d'un pays, soit du
marché mondial tout entier, répartisse entre ses membres le bénéfice net de la
production, la somme totale de ce bénéfice net n'est chaque fois que la somme
dont a été augmenté, dans l'ensemble, grâce au travail immédiat, le travail
accumulé. Cette somme totale s'accroît donc dans la mesure où le travail
augmente le capital, c'est-à-dire dans la mesure où le profit s'accroît par
rapport au salaire.
Nous voyons donc que même si nous
restons dans les limites du rapport entre le capital et le travail salarié, les
intérêts du capital et les intérêts du travail salarié sont diamétralement opposés.
Un accroissement rapide du capital
équivaut à un accroissement rapide du profit. Le profit ne peut s'accroître
rapidement que si le prix du travail, si le salaire relatif, diminue avec la
même rapidité. Le salaire relatif peut baisser, même si le salaire réel monte
en même temps que le salaire nominal, la valeur en argent du travail, mais à
condition que ces derniers ne montent pas dans la même proportion que le
profit. Si, par exemple, dans les périodes d'affaires favorables, le salaire
monte de 5 pour cent, et le profit par contre de 30 pour cent, le salaire
proportionnel, le salaire relatif, n'a pas augmenté, mais diminué.
Si donc le revenu de l'ouvrier
augmente avec l'accroissement rapide du capital, l'abîme social qui sépare
l'ouvrier du capitaliste s'élargit en même temps, la puissance du capital sur
le travail, l'état de dépendance du travail envers le capital grandissent du
même coup.
Dire: l'ouvrier a intérêt à un
accroissement rapide du capital, cela signifie seulement que plus l'ouvrier
augmente rapidement la richesse d'autrui, plus les miettes du festin qu'il
recueille sont substantielles; plus on peut occuper d'ouvriers et les faire se
reproduire, plus on peut multiplier la masse des esclaves sous la dépendance du
capital.
Nous avons donc constaté :
Même la situation la plus
favorable pour la classe ouvrière, l'accroissement le plus rapide possible du
capital, quelque amélioration qu'il apporte à la vie matérielle de l'ouvrier,
ne supprime pas l'antagonisme entre ses intérêts et les intérêts du bourgeois,
les intérêts du capitaliste. Profit et salaire sont, après comme avant, en
raison inverse l'un de l'autre.
Lorsque le capital s'accroît
rapidement, le salaire peut augmenter, mais le profit du capital s'accroît
incomparablement plus vite. La situation matérielle de l'ouvrier s'est
améliorée, mais aux dépens de sa situation sociale. L'abîme social qui le
sépare du capitaliste s'est élargi.
Enfin :
Dire que la condition la plus favorable
pour le travail salarié est un accroissement aussi rapide que possible du
capital productif signifie seulement ceci : plus la classe ouvrière augmente et
accroît la puissance qui lui est hostile, la richesse étrangère qui la
commande, plus seront favorables les circonstances dans lesquelles il lui sera
permis de travailler à nouveau à l'augmentation de la richesse bourgeoise, au
renforcement de la puissance du capital, contente qu'elle est de forger
elle-même les chaînes dorées avec lesquelles la bourgeoisie la traîne à sa
remorque.
La croissance du capital productif
et l’augmentation du salaire sont-elles vraiment aussi inséparablement liées
que le prétendent les économistes bourgeois ? Nous ne devons pas les croire sur
parole. Nous ne devons même pas les croire lorsqu'ils disent que plus le
capital est gras, plus son esclave s'engraisse. La bourgeoisie est trop avisée,
elle calcule trop bien pour partager les préjugés du grand seigneur qui tire
vanité de l'éclat de sa domesticité. Les conditions d'existence de la
bourgeoisie la contraignent à calculer.
Nous devrons donc étudier de plus
près le point suivant : Quel est l’effet de l’accroissement du capital
productif sur le salaire ?
Lorsque, en somme, le capital
productif de la société bourgeoise s'accroît, c'est qu'il se produit une
accumulation de travail plus étendue. Les capitaux augmentent en nombre et en
importance. L’accroissement des capitaux augmente la concurrence entre les
capitalistes. L'importance croissante des capitaux permet d'amener sur le champ
de bataille industriel des armées plus formidables d'ouvriers avec des engins
de guerre plus gigantesques.
Un capitaliste ne peut évincer
l'autre et s'emparer de son capital qu'en vendant meilleur marché. Pour pouvoir
vendre meilleur marché sans se ruiner, il faut produire meilleur marché,
c'est-à-dire accroître autant que possible la productivité du travail. Mais la
productivité du travail augmente surtout par une division plus grande du travail,
par l'introduction plus générale et le perfectionnement constant des machines.
Plus est grande l'armée des ouvriers entre lesquels le travail est divisé, plus
le machinisme est introduit à une échelle gigantesque, et plus les frais de
production diminuent en proportion, plus le travail devient fructueux. De là,
une émulation générale entre les capitalistes, pour augmenter la division du
travail et les machines et les exploiter tous deux à la plus grande échelle
possible.
Or, si un capitaliste, grâce à une
plus grande division du travail, à l'emploi et au perfectionnement de nouvelles
machines, grâce à l'utilisation plus avantageuse et sur une plus grande échelle
des forces naturelles, a trouvé le moyen de créer avec la même somme de travail
ou de travail accumulé une somme plus grande de produits, de marchandises que
ses concurrents ; s'il peut, par exemple, dans le même temps de travail où ses
concurrents tissent une demi-aune de drap, produire une aune entière, comment
ce capitaliste va-t-il opérer ?
Il pourrait continuer à vendre une
demi-aune de drap au prix antérieur du marché, mais ce ne serait pas le moyen
d'évincer ses adversaires et d'augmenter son propre débit. Or, au fur et à
mesure que sa production s'est étendue, le besoin de débouchés s'est également
élargi pour lui. Les moyens de production plus puissants et plus coûteux qu'il
a créés lui permettent bien de vendre sa marchandise meilleur marché, mais ils
le contraignent en même temps à vendre plus de marchandises, à conquérir un
marché infiniment plus grand pour ses marchandises. Notre capitaliste va donc
vendre la demi-aune de drap meilleur marché que ses concurrents.
Mais le capitaliste ne vendra pas
l'aune entière aussi bon marché que ses concurrents vendent la demi-aune, bien
que la production de l'aune entière ne lui coûte pas plus que coûte aux autres
celle de la demi-aune. Sinon, il n'aurait aucun bénéfice supplémentaire et ne
retrouverait à l'échange que ses frais de production. Dans ce cas, son revenu
plus grand proviendrait du fait qu'il a mis en œuvre un capital plus élevé et
non pas du fait qu'il aurait fait rendre à son capital plus que les autres.
D'ailleurs, il atteint le but qu'il cherche en fixant pour sa marchandise un
prix inférieur de quelques pour cent seulement à celui de ses concurrents. Il
les évince du marché, il leur enlève tout au moins une partie de leurs
débouchés en vendant à plus bas prix. Enfin, rappelons-nous que le prix courant
est toujours au-dessus ou au-dessous des frais de production, suivant que la
vente d'une marchandise tombe dans une saison favorable ou défavorable à
l'industrie. Selon que le prix du marché de l'aune de drap est au-dessus ou
au-dessous des frais ordinaires de sa production antérieure, le capitaliste qui
a employé de nouveaux moyens de production plus avantageux vendra au-dessus de
ses frais de production réels suivant des pourcentages différents.
Mais le privilège de notre
capitaliste n'est pas de longue durée; d'autres capitalistes rivaux
introduisent les mêmes machines, la même division du travail, le font à la même
échelle ou à une échelle plus grande, et cette amélioration se généralise
jusqu'au moment où le prix du drap s'abaisse non seulement au-dessous de ses
anciens frais de production, mais au-dessous de ses nouveaux frais.
Les capitalistes se trouvent donc
à l'égard les uns des autres dans la même situation où ils se trouvaient avant
l'introduction des nouveaux moyens de production et si, avec ces moyens, ils
peuvent livrer, pour le même prix, le double du produit, ils sont maintenant
contraints de livrer au-dessous de l'ancien prix leur production doublée. Au
niveau de ces nouveaux frais de production, le même jeu recommence : plus
grande division du travail, plus de machines, plus grande échelle à laquelle
sont utilisées division du travail et machines. Et la concurrence produit de
nouveau la même réaction contre ce résultat.
Nous voyons ainsi comment le mode
de production, les moyens de production sont constamment bouleversés, révolutionnés
; comment la division du travail entraîne nécessairement une division du
travail plus grande, l'emploi des machines, un plus grand emploi des machines,
le travail à une grande échelle, le travail à une échelle plus grande.
Telle est la loi qui rejette
constamment la production bourgeoise hors de son ancienne voie et qui contraint
toujours le capital à tendre les forces de production du travail, une fois
qu'il les a tendues, la loi qui ne lui accorde aucun repos et lui murmure
continuellement à l'oreille : Marche ! Marche !
Cette loi n'est autre chose que la
loi qui, dans les limites des oscillations des époques commerciales, maintient
nécessairement le prix d'une marchandise égal à ses frais de production.
Aussi formidables que soient les
moyens de production avec lesquels un capitaliste entre en campagne, la
concurrence généralisera ces moyens de production, et dès l'instant où ils sont
généralisés, le seul avantage du rendement plus grand de son capital est qu'il
lui faut alors pour le même prix livrer dix, vingt, cent fois plus
qu'auparavant. Mais comme il lui faut écouler peut-être mille fois plus pour
compenser par la masse plus grande du produit écoulé le prix de vente plus bas,
comme une vente par masses plus considérables est maintenant nécessaire non
seulement pour gagner davantage, mais pour récupérer les frais de production —
l'instrument de production lui-même, ainsi que nous l'avons vu, coûtant de plus
en plus cher — et comme cette vente en masse est une question vitale non seulement
pour lui, mais pour ses rivaux, l'ancienne lutte se fait d'autant plus violente
que les moyens de production déjà inventés sont plus féconds. La division du
travail et l'emploi des machines continueront donc à se développer à une
échelle infiniment plus grande.
Quelle que soit donc la puissance
des moyens de production employés, la concurrence cherche à ravir au capital
les fruits d'or de cette puissance en ramenant le prix de la marchandise à ses
frais de production, élevant ainsi la production à bon marché, la livraison de
masses de plus en plus grandes de produits pour la même somme à la hauteur
d'une loi impérieuse, à mesure qu'elle produit meilleur marché, c'est-à-dire
qu'elle produit davantage avec la même quantité de travail. Ainsi donc, par ses
propres efforts, le capitaliste n'aurait rien gagné que l'obligation de fournir
davantage dans le même temps de travail, en un mot, que des conditions plus
difficiles d'exploitation de son capital. Par conséquent, tandis que la
concurrence le poursuit constamment avec sa loi des frais de production, et que
chaque arme qu'il forge contre ses rivaux se retourne contre lui-même, le
capitaliste cherche constamment à l'emporter sur la concurrence en introduisant
sans répit, à la place des anciennes, des machines et des méthodes nouvelles de
division du travail, plus coûteuses sans doute, mais produisant à meilleur
marché, sans attendre que la concurrence ait rendu surannées les nouvelles.
Représentons-nous maintenant cette
agitation fiévreuse simultanément sur le marché mondial tout entier, et nous
comprendrons comment la croissance, l'accumulation et la concentration du
capital ont pour conséquence une division du travail ininterrompue, de plus en
plus précipitée et exécutée à une échelle toujours plus gigantesque, l'emploi
de nouvelles machines et le perfectionnement des anciennes.
Mais quels sont sur la
détermination du salaire les effets de ces circonstances inséparables de
l'accroissement du capital productif ?
La division plus grande du travail
permet à un ouvrier de faire le travail de 5,10, 20 ; elle rend donc la
concurrence entre les ouvriers 5, 10, 20 fois plus grande. Les ouvriers ne se
font pas seulement concurrence en se vendant meilleur marché les uns que les
autres; ils se font concurrence par le fait qu'un seul accomplit le travail de
5, 10, 20, et c'est la division du travail introduite par le capital et
renforcée de plus en plus qui contraint les ouvriers à se faire cette sorte de
concurrence.
De plus, le travail est simplifié
dans la mesure même où augmente la division du travail. L'habileté particulière
de l'ouvrier perd sa valeur. Celui-ci est transformé en une force productive
simple, monotone, qui ne met en jeu aucun effort corporel et intellectuel. Son
travail devient du travail accessible à tous. C'est pourquoi les concurrents
font de tous les côtés pression sur l'ouvrier et rappelons, en outre, que plus
le travail est simple et facile à apprendre, moins on a besoin de frais de
production pour se l'assimiler et plus le salaire s'abaisse, car il est
déterminé comme le prix de toute autre marchandise par ses frais de production.
Au fur et à mesure donc que le
travail apporte moins de satisfaction, plus de dégoût, la concurrence augmente
et le salaire diminue. L'ouvrier cherche à conserver la masse de son salaire en
travaillant davantage, soit en faisant plus d'heures, soit en fournissant
davantage dans la même heure. Poussé par la misère, il augmente donc encore les
effets funestes de la division du travail. Le résultat est que plus il travaille,
moins il reçoit de salaire, et cela pour la simple raison qu'au fur et à mesure
qu'il concurrence ses compagnons de travail, il fait de ceux-ci autant de
concurrents qui se vendent à des conditions aussi mauvaises que lui-même, et
parce qu'en définitive c'est à lui-même qu'il fait concurrence, à lui-même en
tant que membre de la classe ouvrière.
Le machinisme produit les mêmes
effets à une échelle bien plus grande encore en évinçant les ouvriers habiles
et en les remplaçant par des ouvriers malhabiles, les hommes par des femmes,
les adultes par des enfants ; en jetant, là où des machines sont nouvellement
introduites, les ouvriers manuels en masse sur le pavé, et là où elles sont
développées, améliorées, remplacées par des machines de meilleur rendement, en
congédiant les ouvriers par contingents plus grands. Nous avons esquissé plus
haut, de façon rapide, la guerre industrielle des capitalistes entre eux ;
cette guerre a ceci de particulier que les batailles y sont moins gagnées par
le recrutement que par le congédiement de l'armée ouvrière. Les généraux, les
capitalistes rivalisent entre eux à qui pourra licencier le plus de soldats
d'industrie.
Les économistes nous racontent
bien, il est vrai, que les ouvriers rendus superflus par les machines trouvent
de nouvelles branches d'occupation.
Ils n'osent pas affirmer
directement que les mêmes ouvriers qui ont été congédiés trouveront à se caser
dans de nouvelles branches de travail. Les faits hurlent trop fort contre ce
mensonge. A vrai dire, ils affirment seulement que pour d'autres parties de la
classe ouvrière, par exemple pour la partie des jeunes générations d'ouvriers
qui était sur le point d'entrer dans la branche d'industrie qui a périclité, il
se présentera de nouveaux moyens d'occupation. Naturellement, c'est une grande
satisfaction, n'est-ce pas, pour les ouvriers jetés à la rue. Messieurs les
capitalistes ne manqueront pas de chair fraîche à exploiter, on laissera les
morts enterrer leurs morts. Cela est bien plus une consolation que les bourgeois
se donnent à eux-mêmes qu'aux ouvriers. Si toute la classe des salariés était
anéantie par le machinisme, quelle chose effroyable pour le capital qui, sans
travail salarié, cesse d'être du capital!
Mais supposons que les ouvriers
chassés directement du travail par le machinisme et toute la partie de la
nouvelle génération qui guettait leur place trouvent une occupation nouvelle.
Croit-on que celle-ci sera payée aussi cher que celle qu'ils ont perdue ? Cela
serait en contradiction avec toutes les lois économiques. Nous avons vu comment
l'industrie moderne tend toujours à substituer à une occupation complexe,
supérieure, une occupation plus simple, inférieure.
Comment une masse ouvrière jetée hors
d'une branche industrielle par le machinisme pourrait-elle donc se réfugier
dans une autre, si ce n'est en étant payée plus mal, à un prix plus bas ?
On a cité comme une exception les
ouvriers qui travaillent à la fabrication des machines elles-mêmes. Dès que
l'industrie exige et consomme plus de machines, a-t-on dit, les machines
devraient nécessairement augmenter en nombre et, par suite, la fabrication des
machines, donc aussi le nombre des ouvriers occupés à la fabrication des
machines et les ouvriers employés dans cette branche d'industrie seraient des
ouvriers habiles, voire même qualifiés.
Depuis l'année 1840, cette
affirmation qui, auparavant déjà, était seulement à moitié vraie, a perdu toute
apparence de valeur, puisque, de façon de plus en plus générale, les machines
furent autant employées à fabriquer les machines qu'à produire le fil de coton,
et que les ouvriers employés dans les fabriques de machines, face à des engins
extrêmement perfectionnés, ne purent plus jouer que le rôle de machines tout à
fait rudimentaires.
Mais à la place de l'homme chassé
par la machine, la fabrique occupe peut-être trois enfants et une femme ! Or,
le salaire de l'homme ne devait-il pas être suffisant pour les trois enfants et
la femme ? Le minimum du salaire ne devait-il pas suffire à entretenir et
augmenter la race ? Que prouve donc cette façon de s'exprimer chère aux
bourgeois ? Rien d'autre que ceci : quatre fois plus d'existences ouvrières
qu'autrefois se consument pour faire vivre une seule famille ouvrière.
Résumons-nous : Plus le capital
productif s'accroît, plus la division du travail et l'emploi du machinisme
prennent de l'extension ; plus la division du travail et l'emploi du machinisme
prennent de l’extension, plus la concurrence gagne parmi les ouvriers et plus
leur salaire se resserre.
Ajoutons encore que la classe
ouvrière se recrute dans les couches supérieures de la société. Il s'y
précipite une masse de petits industriels et de petits rentiers qui n'ont rien
de plus pressé que de lever les bras à côté de ceux des ouvriers. C'est ainsi
que la forêt des bras qui se lèvent pour demander du travail se fait de plus en
plus épaisse et les bras eux-mêmes de plus en plus maigres.
Il est de toute évidence que le
petit industriel ne peut pas résister dans une guerre dont une des conditions
premières est de produire à une échelle toujours plus grande, c'est-à-dire
d'être un gros et non point un petit industriel.
Que l'intérêt du capital diminue
au fur et à mesure que la masse et le nombre des capitaux augmentent, que le
capital s'accroît, que par conséquent le petit rentier ne peut plus vivre de sa
rente, qu'il lui faut par conséquent se rejeter sur l'industrie, c'est-à-dire
aider à grossir les rangs des petits industriels et de cette façon les
candidats au prolétariat, tout cela n'a pas besoin de plus ample explication.
Au fur et à mesure enfin que les
capitalistes sont contraints par le mouvement décrit plus haut d'exploiter à
une échelle plus grande les moyens de production gigantesques déjà existants, et,
dans ce but, de mettre en action tous les ressorts du crédit, les tremblements
de terre industriels — au cours desquels le monde commercial ne se maintient
qu'en sacrifiant aux dieux des Enfers une partie de la richesse, des produits
et même des forces de production — deviennent plus nombreux, en un mot, les
crises augmentent. Elles deviennent de plus en plus fréquentes et de plus en
plus violentes déjà du fait que, au fur et à mesure que la masse des produits
et, par conséquent, le besoin de marchés élargis s'accroissent, le marché
mondial se rétrécit de plus en plus et qu'il reste de moins en moins de marchés
à exploiter, car chaque crise antérieure a soumis au commerce mondial un marché
non conquis jusque-là ou exploité de façon encore superficielle par le
commerce. Mais le capital ne vit pas seulement du travail. Maître à la fois
distingué et barbare, il entraîne dans sa tombe les cadavres de ses esclaves,
des hécatombes entières d'ouvriers qui sombrent dans les crises. Ainsi, nous
voyons que lorsque le capital s'accroît rapidement, la concurrence entre les
ouvriers s'accroît de manière infiniment plus rapide, c'est-à-dire que les
moyens d'occupation, les moyens de subsistance pour la classe ouvrière
diminuent proportionnellement d'autant plus et que, néanmoins, l'accroissement
rapide du capital est la condition la plus favorable pour le travail salarié.
Rédigé par K. Marx sut la base
d'un cours lu par lui dans la deuxième quinzaine de décembre 1947
Publié dans la Neue Rheinische
Zeitung, nos 264-267 et 269 des 5, 6, 7, 8 et 11 avril 1849 et paru en brochure
séparée, avec une introduction d'Engels et sous la direction de celui-ci en
1891 à Berlin. Le texte original est en allemand. Conforme à la deuxième
édition russe des Œuvres complètes de K. Marx et F. Engels, tome 6
ANNEXE
Déjà expliqué :
1. Salaire = prix de la
marchandise.
La détermination du salaire
coïncide donc en général avec la détermination générale du prix.
Activité humaine = marchandise.
La manifestation de la vie —
l'activité vitale apparaît comme simple moyen : le phénomène dissocié de cette
activité comme but.
2. En tant que marchandise, le
salaire dépend de la concurrence de l'offre et de la demande.
3. L'offre elle-même dépend des
frais de production, c'est-à-dire du temps de travail nécessaire à la
production d'une marchandise.
4. Rapport inverse entre le profit
et le salaire. Antagonisme des deux classes dont le profit et le salaire sont
l'existence économique.
5. Lutte pour augmentation ou
baisse du salaire. Associations ouvrières.
6. Prix moyen ou normal du travail
; le minimum n'a de valeur que pour la classe des ouvriers et non pour
l'ouvrier pris isolément. Coalition des ouvriers pour maintien des salaires.
7. Influence de la suppression des
impôts, des droits de douane protecteurs, de la réduction des armées, etc. sur
le salaire. Le minimum déterminé en moyenne est égal au prix des moyens de
subsistance nécessaires.
I. Atkinson
1. Tisserands travaillant à la
main. (Journée de travail : 15 heures.) (Au nombre d'un demi-million (10).
«Leur profonde misère, condition inévitable du genre de
travail facile à apprendre et constamment exposé à être évincé par des moyens
de production meilleur marché. Une brève cessation de la demande, étant donné
l'importance de l'offre, amène la crise. Le fait qu'une branche de travail
devient inutile et l'essor d'une autre amènent des souffrances momentanées.
Exemple des tisseurs de coton à bras du district de Dacca aux Indes ; affamés
ou rejetés dans le travail agricole par la concurrence des machines anglaises.»
(Extrait du discours du Dr Bowring à la Chambre des Communes, juillet 1835 (11).
(Cet exemple du passage d'un
commerce à l'autre à utiliser pour les débats sur le libre échange
(12).
2. Quelques choses à dire sur la
théorie de la population.
3. Influence du changement ou de
l'extension de la division du travail sur la détermination du salaire.
1. Ne pas considérer seulement la
quantité des salaires. Leur qualité oscille aussi, est déterminée par le jeu.
2. Avantage dans le salaire qui
rend plus aigus la nécessité, l'intérêt, le trafic des ouvriers avec
l'employeur. Plus rien de patriarcal comme au moyen âge.
Lois d'assistance, extermination
des rats, ouvriers imposables (13).
3. La plus grande partie du
travail n'est pas du travail spécialisé.
4. Toutes les théories
malthusienne et économiste se réduisent au fait que l'ouvrier a en main la possibilité
de modifier la demande en ne faisant pas d'enfants.
«Le salaire que gagne l'ouvrier
est égal à la quote-part habituelle de profit pour le propriétaire de la
machine appelée homme, plus une somme pour remplacer l'usure des machines, ou,
ce qui revient au même, pour amener de nouveaux ouvriers à la place des
ouvriers vieux ou usés (14).»
1. «Si le but est de faire de
l'ouvrier une machine dont on peut tirer la plus grande quantité de travail
dans une occupation donnée, il n'y a pas de voie plus efficace que la division
du travail (15).»
2. Une réduction du salaire pousse
les ouvriers, ou bien à diminuer leurs dépenses ou à augmenter leur
productivité, dans des fabriques utilisant des machines, par ex. (et en
général) en travaillant un nombre d'heures plus grand, ou chez des artisans,
des tisserands à bras, etc., en travaillant davantage dans le même temps. Mais
comme leur salaire est précisément réduit parce que la demande du produit a
baissé, ils augmentent donc l'offre au moment défavorable. Conséquence : leur
salaire baisse plus encore, et alors les bourgeois viennent et disent : «Si
seulement les gens voulaient travailler.»
3. Loi absolument générale : il ne
peut y avoir deux prix du marché, et en vérité (à qualité égale) c'est le prix
du marché le plus bas qui domine.
Soit mille ouvriers de
qualification égale, dont 50 sans pain. Le prix n'est pas déterminé par les 950
qui sont occupés, mais par les 50 qui ne travaillent pas.
Mais cette loi du prix du marché
pèse plus lourdement sur la marchandise-travail que sur d'autres marchandises,
parce que l'ouvrier ne peut pas mettre son travail en réserve, mais doit
continuer son activité vitale ou, perdant ses moyens de subsistance, mourir.
La marchandise vénale travail se
distingue d'autres marchandises en particulier par sa nature périssable, par
l'impossibilité de l’accumuler, et par le fait que l'offre ne peut être
augmentée ou diminuée avec la même facilité que pour d'autres produits.
4. L'humanité des capitalistes
consiste à acheter le plus de travail possible au prix le plus bas. Les
ouvriers agricoles reçoivent plus en été, bien qu'en hiver ils aient besoin de
plus de nourriture, de chauffage et de vêtements plus chauds.
5. Par ex. la suppression du
dimanche serait une pure perte pour les ouvriers. Les patrons sauraient bien
modifier le salaire en le déterminant nominalement, comme par exemple en
faisant travailler un quart d'heure de plus ou en en soustrayant les repas,
etc.
6. Le salaire déterminé par les
modes, les saisons et les fluctuations commerciales (16).
7. Si l'ouvrier, évincé par la
machine, passe à une autre branche d'activité, celle-ci est régulièrement pire.
Il ne retrouve jamais sa situation antérieure. La machine et la division du
travail remplacent du travail cher par du travail meilleur marché. On a proposé
aux ouvriers :
1) Des caisses d'épargne.
2) D'apprendre toutes les branches
d'activité possibles (de sorte que si dans une branche il y avait surcroît
d'offre de main-d'œuvre, il en serait immédiatement de même en toutes.)
8. En périodes de stagnation :
a) Cessation du travail.
b) Diminution du salaire.
c) Maintien du salaire
(17), diminution du nombre
hebdomadaire des jours de travail.
9. Au sujet des associations
professionnelles [En anglais dans le texte : combinations of trade.], il faut
remarquer :
1) Les dépenses des ouvriers (les
frais). Invention de machines du fait des coalitions. Division autre du
travail. Abaissement du salaire. Déplacement des fabriques vers d'autres lieux.
2) Si malgré tout on parvenait à
maintenir le salaire assez haut pour que le profit tombe sensiblement plus bas
que le profit moyen d'autres pays ou que le capital s'accroisse plus lentement,
l'industrie d'un pays serait ruinée et les ouvriers avec leurs maîtres, et plus
encore.
Bien que la diminution d'un impôt
ne serve à rien aux ouvriers, par contre l'augmentation de celui-ci leur nuit.
Avantage de l'accroissement des impôts dans des pays bourgeois évolués : la
classe des petits paysans et des petits propriétaires (classe des artisans,
etc.) en sont ruinés et jetés dans la classe ouvrière.
Influence sur le salaire des
Irlandais en Angleterre, des Allemands en Alsace.
Truck-system. (18)
VI. Andrew
Ure (19)
Principe général de l'industrie
moderne : remplacer les adultes par des enfants, les ouvriers qualifiés par de
moins qualifiés, les hommes par les femmes.
Egalisation du salaire.
Caractéristique principale de l'industrie moderne.
VII. Rossi (20)
Monsieur Rossi veut dire :
Le fabricant escompte seulement à
l'ouvrier sa part du produit, parce que celui-ci ne peut pas en attendre la
vente. Cela est une spéculation qui ne regarde pas directement le processus de
production. Si l'ouvrier peut se subvenir lui-même jusqu'à la vente du produit,
il pourra ensuite faire valoir sa part en tant qu'associé.
Donc, le salaire n'est pas un
élément constitutif de la production comme le capital et la terre. Il n'est
qu'un hasard, une forme de notre état social. Le salaire ne fait pas partie du
capital.
Le salaire n'est pas un facteur
indispensable de la production. Il peut disparaître dans une autre organisation
du travail.
1.«L'accroissement du capital
productif n'entraîne pas nécessairement l'accroissement des moyens de subsistance
pour les ouvriers. Les matières premières et les machines peuvent être
augmentées, l'approvisionnement diminué.
Le prix du travail dépend : a) de
la quantité absolue du capital productif ;
b) du rapport entre les différents
éléments du capital, deux faits sociaux sur lesquels la volonté des ouvriers ne
peut exercer aucune influence.
2. C'est moins la consommation
absolue de l'ouvrier que sa consommation relative qui fait le bonheur ou le
malheur de sa situation. Une fois dépassée la consommation nécessaire, la
valeur de notre jouissance est essentiellement relative (21).»
Quand on parle de la chute ou de
la montée du salaire, il ne faut jamais perdre de vue l'ensemble du marché
mondial et la situation des ouvriers dans les différentes régions.
Désirs égalitaires ou autres de
déterminer le salaire selon la justice.
Le minimum de salaire lui-même
varie et tombe de plus en plus bas. Exemple de l'eau-de-vie.
Caisses d'épargne (22)
Triple machine entre les mains du
despotisme et du capital.
1. L'argent reflue à la banque
nationale ; celle-ci fait des profits en le prêtant de nouveau aux
capitalistes.
2. Chaîne dorée grâce à laquelle
le gouvernement tient une grande partie de la classe ouvrière.
3. De ce fait, met par là de
nouvelles armes entre les mains des capitalistes en tant que tels.
Si le salaire a une fois baissé,
il ne remonte jamais à son niveau antérieur ; le salaire absolu et le salaire
relatif.
I. Quel est l'effet
de l'accroissement des forces productives sur le salaire ? (Cf. VI3) [Voir la
présente édition, p. 32-35 — Note de la rédaction.]
Machines : division du travail.
Le travail est simplifié. Ses
frais de production moindres. Il devient meilleur marché. La concurrence des
ouvriers entre eux grandit.
Le passage d'une branche de
travail dans une autre. Ce qu'en dit le Dr Bowring en 1835 au Parlement au
sujet des tisseurs de coton à bras du district de Dacca aux Indes.
Le nouveau travail dans lequel est
jeté l'ouvrier, pire que le travail précédent; de caractère plus subordonné.
Travail des adultes remplacé par celui des enfants, celui des hommes par celui
des femmes, des ouvriers plus qualifiés par de moins qualifiés.
Ou bien augmentation des heures de
travail, ou diminution du salaire.
Concurrence des ouvriers entre
eux, non seulement du fait que l'un se vend meilleur marché que l'autre, mais
parce qu'un seul fait le travail de deux.
L'accroissement des forces
productives en général a pour conséquences :
a) Que la situation des ouvriers
empire relativement à celle des capitalistes, étant donné que la valeur des
jouissances est relative. Les jouissances elles-mêmes ne sont pas autre chose
que des jouissances, des relations, des rapports sociaux.
b) L'ouvrier devient une force
productive de plus en plus exclusive qui produit le plus possible dans le moins
de temps possible. Le travail qualifié se transforme de plus en plus en travail
simple.
c) Le salaire dépend de plus en
plus du marché mondial, de même la situation de l'ouvrier.
d) Dans le capital productif, la
partie consacrée aux machines et aux matières premières croît plus rapidement
que celle consacrée à l'approvisionnement en moyens de subsistance pour les
ouvriers. L'augmentation du capital productif n'est donc pas accompagnée d'une
augmentation nécessaire de la demande de travail.
Le salaire dépend :
a) de la masse du capital
producteur en général ;
b) des rapports entre ses parties
constitutives.
Sur ces deux points, l'ouvrier est
sans influence.
(S'il n'y avait pas les
oscillations du salaire, l'ouvrier ne prendrait aucune part au développement de
la civilisation, il resterait stationnaire.)
Dans la concurrence des ouvriers
avec la machine, il faut remarquer que les ouvriers travaillant à la main (par
ex. les tisseurs de coton à bras) souffrent encore davantage que les ouvriers
de machines occupés directement dans la fabrique.
Chaque développement d'une
nouvelle force productive est en même temps une arme contre les ouvriers. Par
exemple, toutes les améliorations des moyens de communications facilitent la
concurrence des ouvriers en divers endroits et font d'une concurrence locale
une concurrence nationale, etc.
L'abaissement des prix de toutes
les marchandises, ce qui, d'ailleurs, n'est pas le cas pour les moyens de
subsistance les plus immédiats, fait que l'ouvrier porte des haillons rapiécés
et que sa misère porte les couleurs de la civilisation.
II. Concurrence
entre les ouvriers et les employeurs
a) Pour déterminer le salaire
relatif, il faut remarquer qu'un thaler pour un ouvrier et un thaler pour un
employeur n'ont pas la même valeur. L'ouvrier est obligé de tout acheter de
plus mauvaise qualité et plus cher. Son thaler ne commande ni autant, ni
d'aussi bonne marchandise que celui de l'employeur. L'ouvrier est obligé d'être
un gaspilleur et d'acheter et de vendre contre tous les principes économiques.
Il nous faut remarquer en général que nous n'examinons ici qu'un seul côté, le
salaire lui-même. Mais l'exploitation de l'ouvrier recommence dès qu'il échange
à nouveau le fruit de son travail contre d'autres marchandises. Epiciers,
prêteurs sur gage, prêteurs à domicile, tout le monde l'exploite encore une
fois. [En français dans le texte — Note de la rédaction.]
b) Ayant le commandement des
moyens d'occupation, l'employeur a le commandement des moyens de subsistance de
l'ouvrier, c'est-à-dire la vie de celui-ci dépend de lui ; de même que
l'ouvrier lui-même ravale son activité vitale à un simple moyen d'existence.
c) La marchandise-travail a de
grands désavantages par rapport à d'autres marchandises. Pour le capitaliste,
il ne s'agit dans la concurrence avec les ouvriers que du profit, pour les
ouvriers, il s'agit de l'existence. Le travail est de nature plus périssable
que les autres marchandises. Il ne peut être accumulé. L'offre ne peut pas être
augmentée ou diminuée avec la même facilité que pour les autres marchandises.
d) Règlements de fabrique. Législation
de l'habitation. Truck-system, par lequel l'employeur trompe l'ouvrier en
haussant le prix des marchandises, tout en laissant sans changement son salaire
nominal.
III.
Concurrence des ouvriers entre eux
a) Suivant une loi économique
générale, il ne peut y avoir deux prix du marché. Sur 1 000 ouvriers de même
habileté, ce ne sont pas les 950 occupés qui déterminent le salaire, mais les
50 inoccupés. Influence des Irlandais sur la situation des ouvriers anglais et
des ouvriers allemands sur la situation des ouvriers alsaciens.
b) Les ouvriers se font
concurrence non seulement parce que l'un s'offre à meilleur marché que les
autres, mais aussi parce qu'un travaille pour deux.
Avantage de l'ouvrier célibataire
sur les ouvriers mariés, etc. Concurrence entre les ouvriers de la campagne et
les ouvriers des villes.
Elles sont provoquées :
1. Par les changements de mode.
2. Par les changements de saison.
3. Par les fluctuations du
commerce. En cas de crise :
a) L'ouvrier réduira ses dépenses
ou, pour augmenter sa productivité, il travaillera un plus grand nombre
d'heures ou il produira davantage dans le même temps. Mais comme leur salaire est
réduit, du fait que la demande du produit qu'ils fabriquent a baissé, ils
augmentent encore le rapport défavorable entre l'offre et la demande et le
bourgeois dit alors : si seulement les gens voulaient travailler. Du fait de
leur surmenage, leur salaire s'abaisse donc encore davantage.
b) Au cours de la crise : Absence
complète d'occupation. Réduction du salaire. Maintien du salaire
(23)
et diminution du nombre des jours de travail.
c) Dans toutes les crises, le
mouvement cyclique suivant en ce qui concerne les ouvriers : L'employeur ne
peut employer les ouvriers parce qu'il ne peut pas vendre son produit. Il ne
peut vendre son produit parce qu'il n'a pas de preneurs. Il n'a pas de preneurs
parce que les ouvriers n'ont rien à échanger que leur travail et c'est
précisément à cause de cela qu'ils ne peuvent échanger leur travail.
d) Lorsqu'on parle de hausse du
salaire, il est à remarquer qu'il faut toujours avoir en vue le marché mondial et
que la hausse du salaire n'est acquise qu'à ce prix que dans d'autres pays des
ouvriers sont privés de pain.
1. Le salaire journalier que
touche l'ouvrier est le profit que rapporte à son possesseur sa machine, son
corps. Il contient la somme qui est nécessaire pour remplacer l'usure de la
machine ou, ce qui est la même chose, pour remplacer les ouvriers âgés, usés,
par de nouveaux.
2. Dans le minimum de salaire, il
y a le fait que, par exemple, la suppression du dimanche serait une pure perte
pour l'ouvrier. Il lui faudrait gagner son salaire dans des conditions plus
difficiles. Tel est l'état d'esprit de ces braves philanthropes qui tonnent
contre le repos du dimanche.
3. Bien que le minimum du salaire
soit en moyenne déterminé par le prix des moyens de subsistance les plus
indispensables, on doit cependant remarquer :
Premièrement : que le minimum est
différent dans les divers pays, par exemple, la pomme de terre en Irlande (24).
Deuxièmement : il n'y a pas que
cela. Le minimum lui-même a un mouvement historique et il s'abaisse de plus en
plus vers le niveau absolu le plus bas. Exemple de l'eau-de-vie. D'abord faite
avec du marc de raisin, puis du grain, puis du schnaps.
Contribuent à amener au minimum
réellement le plus bas :
1. Le développement général de
l'emploi des machines dans la production, la division du travail, la
concurrence mobile et débarrassée des entraves locales des ouvriers entre eux,
ensuite :
2. L'accroissement des impôts et
des dépenses du budget de l'Etat, car bien que la suppression d'un impôt, comme
nous l'avons vu, ne soit d'aucune utilité pour l'ouvrier, l'établissement de
chaque nouvel impôt lui est préjudiciable aussi longtemps que le minimum du salaire
n'est pas encore ramené à sa dernière expression possible, et c'est le cas pour
tout ce qui trouble et rend plus difficile le commerce bourgeois.
L'accroissement des impôts, remarquons-le en passant, devient la ruine des
petits paysans, des petits bourgeois et des artisans. Un autre exemple, la
période qui suit la guerre de libération (25). Le progrès de
l'industrie qui fait surgir des produits à meilleur marché et des produits
similaires.
3. Le minimum tend à s'égaliser
dans les différents pays.
4. Lorsque le salaire a baissé et
qu'il remonte ensuite, il ne s'élève jamais plus, par contre, à son niveau
précédent. Au cours de son développement, le salaire fait donc une double chute
:
Premièrement : de façon relative par
rapport au développement de la richesse générale.
Deuxièmement : de façon absolue,
par le fait que la quantité de marchandises que l'ouvrier reçoit en échange
devient toujours plus petite.
5. Au cours du développement de la
grande industrie, le temps devient de plus en plus la mesure de la valeur des
marchandises, c'est-à-dire aussi la mesure du salaire. En même temps, la
production de la marchandise-travail devient toujours meilleur marché et coûte
de moins en moins de temps de travail au cours du développement de la
civilisation. Le paysan a encore des loisirs et il peut encore gagner quelque
chose à côté. Mais la grande industrie (non pas l'industrie manufacturière)
supprime cette situation patriarcale. Chaque moment de la vie, de l'existence
de l'ouvrier est ainsi de plus en plus intégré dans ce trafic sordide.
(Viennent encore les chapitres
suivants :
1. Propositions pour améliorer la
situation des travailleurs, Malthus, Rossi, etc. Proudhon, Weitling.
2. Associations de travailleurs.
3. Sens positif du travail
salarié.)
VI.
Propositions pour y remédier
I. Une des propositions favorites
est le système des caisses d'épargne.
Nous ne parlerons pas de
l'impossibilité d'épargner où se trouve la plus grande partie des ouvriers
eux-mêmes.
Le but — du moins le sens
économique strict des caisses d'épargne — doit être que les ouvriers
compensent, grâce à leur prudence et leur clairvoyance, le temps où le travail
est défavorable par celui où il est favorable ; que, par conséquent, au cours
du cycle par lequel passe le mouvement industriel, ils répartissent leur
salaire de manière à ne dépenser jamais plus que le minimum de salaire
indispensable pour vivre.
Mais nous avons vu que ce ne sont
pas seulement les fluctuations du salaire qui révolutionnent les ouvriers, mais
que, sans sa hausse momentanée au-dessus du minimum, l'ouvrier resterait en
dehors de tous les progrès de la production, de la richesse publique, de la
civilisation, c'est-à-dire en dehors de toute possibilité d'émancipation.
On veut donc que l'ouvrier se
transforme lui-même en une machine à calculer bourgeoise, qu'il fasse de la
parcimonie un système et qu'il donne à la misère en haillons un caractère
stable, conservateur.
Abstraction faite de cela, le
système des caisses d'épargne est une triple machine de despotisme :
a) La caisse d'épargne est la
chaîne d'or par laquelle le gouvernement tient une grande partie des ouvriers.
Ceux-ci ne trouvent pas seulement de cette manière intérêt au maintien des
conditions existantes. Il ne se produit pas seulement une scission entre la
partie de la classe ouvrière qui participe aux caisses d'épargne et la partie
qui n'y prend point part. Les ouvriers mettent ainsi dans les mains de leurs
ennemis mêmes des armes pour la conservation de l'organisation existante de la
société qui les opprime.
b) L'argent reflue à la Banque
nationale, celle-ci le prête de nouveau aux capitalistes et tous deux se
partagent le profit et ainsi, à l'aide de l'argent que le peuple leur prête à
vil intérêt, — et qui ne devient un levier industriel puissant que grâce à
cette centralisation même, — ils augmentent leur capital, leur domination
directe sur le peuple.
II. Une autre proposition très
goûtée des bourgeois est l'instruction, tout spécialement l'instruction
industrielle générale.
a) Nous n'attirerons pas
l'attention sur la contradiction absurde qui réside dans le fait que
l'industrie moderne remplace de plus en plus le travail compliqué par le
travail plus simple et pour lequel aucune instruction n'est nécessaire ; nous
ne voulons pas non plus faire remarquer qu'elle jette de plus en plus d'enfants
dès la septième année derrière la machine et qu'elle en fait des sources de
profits non seulement pour la classe bourgeoise, mais aussi pour leurs propres
parents prolétaires. Le régime de la fabrique rend vaines les lois scolaires —
exemple, la Prusse — ; nous ne ferons pas non plus remarquer que la culture
intellectuelle, si l'ouvrier la possédait, serait sans influence directe sur
son salaire; que l'instruction dépend en général des conditions d'existence et
que le bourgeois entend par éducation morale le gavage de principes bourgeois,
et qu'enfin la classe bourgeoise n'a pas les ressources qu'il faut pour cela et
que, si elle les avait, elle ne les emploierait point à offrir au peuple une
instruction véritable. Nous nous bornerons à envisager un point de vue purement
économique.
b) Le sens réel de l'instruction
chez les économistes philanthropes est celui-ci : faire apprendre à chaque
ouvrier le plus de branches de travail possibles, de façon que s'il est évincé
d'une branche par l'emploi d'une nouvelle machine ou par une modification dans
la division du travail, il puisse se caser ailleurs le plus facilement possible.
Supposons que ce soit possible :
La conséquence en serait que,
lorsqu'il y aurait excédent de bras dans une branche de travail, cet excédent
se produirait aussitôt dans toutes les autres branches de la production, et que
la diminution du salaire dans une branche entraînerait encore plus fortement
qu'auparavant une diminution générale immédiate.
Abstraction faite de cela, par le
seul fait déjà que partout l'industrie moderne simplifie beaucoup le travail et
le rend facile à apprendre, la hausse du salaire dans une branche d'industrie
provoquera aussitôt l'afflux des ouvriers vers cette branche d'industrie et
donnera plus ou moins directement un caractère général à la diminution du
salaire.
Naturellement, nous ne pouvons
nous arrêter ici aux nombreux petits palliatifs préconisés du côté bourgeois.
[Ici Marx a ajouté : paupérisme — Note de la rédaction.]
III. Mais il nous faut en arriver
à la troisième proposition qui a entraîné et entraîne journellement dans la
pratique des conséquences très importantes — la théorie malthusienne.
Cette théorie tout entière, dans
la mesure où nous devons l'examiner ici, aboutit à ceci :
a) Le niveau du salaire dépend des
rapports entre les bras qui s'offrent et les bras qui sont demandés.
Le salaire peut s'accroître de
deux manières :
Ou bien lorsque le capital, qui
met en mouvement le travail, s'accroît si rapidement que la demande d'ouvriers
augmente plus rapidement — dans une progression plus rapide — que leur offre.
Ou, deuxièmement, lorsque la population
s'accroît à une lenteur telle que la concurrence parmi les ouvriers reste
faible bien que le capital ne s'accroisse pas rapidement.
Sur un côté du rapport, sur la
croissance du capital productif, vous, les ouvriers, vous ne pouvez exercer
aucune influence.
Par contre, vous le pouvez bien
sur l'autre côté.
Vous pouvez diminuer l'offre parmi
les ouvriers, c'est-à-dire la concurrence entre les ouvriers, en faisant le
moins possible d'enfants.
Pour dévoiler toute la bêtise, la
vilenie et l'hypocrisie de cette doctrine, ce qui suit suffira :
b) (Ceci doit être ajouté à : I.
Quel est l'effet de l'accroissement des forces productives sur le salaire ?)
Le salaire s'accroît lorsque
s'accroît la demande de travail. Cette demande s'accroît lorsque le capital,
qui met en mouvement le travail, s'accroît, c'est-à-dire lorsque le capital
productif augmente.
Mais à ce sujet, il faut faire
deux remarques principales:
Premièrement : Une condition
principale de la hausse du salaire est l'accroissement du capital productif et
un accroissement aussi rapide que possible de celui-ci. La condition principale
pour que l'ouvrier soit dans une situation supportable est donc d'abaisser de
plus en plus sa situation par rapport à la bourgeoisie, d'augmenter le plus
possible la puissance de son adversaire — le capital. Cela signifie : Il ne
peut être dans une situation supportable qu'à la condition d'engendrer et de
renforcer la puissance qui lui est hostile, son propre antagoniste. A cette
condition, du fait qu'il crée cette puissance qui lui est hostile, affluent de
celle-ci des moyens d'occupation qui font à nouveau de lui une partie du
capital productif et le levier qui augmente ce dernier et lui imprime un
mouvement de croissance accéléré.
Remarquons en passant que lorsqu'on
a compris ce rapport entre le capital et le travail les essais de conciliation
de Fourier ou d'autres apparaissent dans tout leur ridicule.
Deuxièmement : Une fois que nous
avons expliqué ce rapport absurde en général, il s'y ajoute un deuxième élément
encore plus important.
Notamment que veut dire :
croissance du capital productif et dans quelles conditions se produit-il ?
Croissance du capital est
équivalent à accumulation et concentration du capital. Au fur et à mesure que
le capital s'accumule et se concentre, il conduit : au travail à une échelle
plus grande et par conséquent à une nouvelle division du travail qui le
simplifie encore davantage ; puis à l'introduction du machinisme sur une plus
grande échelle et à l'introduction de nouvelles machines.
Cela veut donc dire que, au fur et
à mesure que s'accroît le capital productif :
La concurrence entre les ouvriers
grandit parce que la division du travail est simplifiée et que chaque branche
de travail est plus accessible à tous.
La concurrence grandit en outre
parmi eux parce qu'ils entrent dans la même mesure en concurrence avec les
machines et sont privés de leur pain. En agrandissant toujours l'échelle à
laquelle on produit, en diminuant, en outre, de plus en plus, l'intérêt de
l'argent par la concurrence entre les capitaux offerts, la concentration et
l'accumulation du capital productif ont donc pour conséquence :
Les petites entreprises
industrielles périclitent et ne peuvent soutenir la concurrence contre les
grandes. Des couches entières de la classe bourgeoise sont rejetées dans la
classe ouvrière. La concurrence entre les ouvriers augmente donc avec la ruine
des petits industriels qui est liée fatalement à l'accroissement du capital
productif.
Et dans le moment même où l'intérêt
de l'argent baisse, les petits capitalistes qui auparavant ne participaient pas
directement à l'industrie sont contraints de devenir des industriels,
c'est-à-dire de fournir encore de nouvelles victimes à la grande industrie.
Donc, la classe ouvrière s'accroît de ce côté également et la concurrence parmi
les ouvriers augmente.
L'accroissement des forces
productives engendrant le travail à une plus grande échelle, la surproduction
momentanée devient une nécessité de plus en plus grande, le marché mondial
s'élargit de plus en plus et, par conséquent, avec la concurrence universelle,
les crises deviennent de plus en plus violentes. Et comme stimulant soudain
donné aux ouvriers pour se marier et se reproduire, on les concentre en masses
plus grandes, ce qui rend leur salaire de plus en plus instable. Chaque
nouvelle crise provoque donc immédiatement une concurrence beaucoup plus grande
parmi les ouvriers.
En général : la croissance des
forces productives avec leurs moyens de communication plus rapides, la
circulation accélérée, le mouvement fébrile du capital consiste en ceci que,
puisqu'il peut être produit davantage dans le même temps, il faut donc, suivant
la loi de la concurrence, qu'il soit produit davantage. Cela veut dire que la
production a lieu dans des conditions de plus en plus difficiles, et que dans
ces conditions, afin que la concurrence puisse être maintenue, il faut
travailler à une échelle de plus en plus grande et concentrer le capital dans
un nombre de mains de plus en plus petit. Et afin que cette production
fructifie à une échelle plus grande, il faut élargir constamment et
disproportionnellement la division du travail et l'emploi des machines.
Cette production dans des
conditions de plus en plus difficiles s'étend également à l'ouvrier en tant que
partie du capital. Il lui faut produire davantage dans des conditions de plus
en plus difficiles, c'est-à-dire pour toujours moins de salaire et toujours
plus de travail, pour des frais de production de plus en plus bas. C'est ainsi
que le minimum lui-même est réduit à une dépense de force de plus en plus
grande pour un minimum de jouissance de la vie.
La disproportion progresse de
façon géométrique et non arithmétique. [Cette phrase de Marx figure dans la
marge du manuscrit — Note de la rédaction.]
La croissance de forces
productives entraîne donc une domination renforcée du grand capital, un
abêtissement accru et une simplification plus grande de la machine qu'on
appelle ouvrier, une concurrence directe entre les ouvriers aggravée par la division
plus grande du travail et par l'emploi de la machine, par des primes
formellement fixées d'après la production de la machine, par la concurrence des
fractions ruinées de la classe bourgeoise, etc.
Nous pouvons formuler la chose de
façon encore plus simple :
Le capital productif se compose de
trois éléments :
1. La matière première à
transformer ;
2. Les machines et les matériaux,
comme le charbon, etc., qui sont nécessaires pour actionner les machines, les
bâtiments, etc. ;
3. La partie du capital destinée à
entretenir les ouvriers. Mais comment se comportent au cours de l'accroissement
du capital productif ces trois éléments du capital les uns envers les autres ?
A la croissance du capital productif
est liée sa concentration et à celle-ci le fait qu'il ne peut être exploité de
façon fructueuse qu'à une échelle toujours plus grande.
Une grande partie du capital sera
donc transformée directement en instruments de travail et sera mise en œuvre
comme tel, et plus les forces productives s'accroîtront, plus cette partie du
capital transformée directement en machines sera grande.
L'augmentation du nombre des
machines ainsi que celle de la division du travail a pour conséquence qu'on
peut, dans un temps plus court, produire infiniment plus. Il faut, par
conséquent, que le stock de matières s'accroisse dans les mêmes proportions. Au
cours de l'accroissement du capital productif, la partie du capital transformée
en matières premières augmente nécessairement.
Il reste maintenant la troisième
partie du capital productif qui est destinée à la subsistance de l'ouvrier,
c'est-à-dire celle qui se transforme en salaire.
Or, comment se comporte
l'accroissement de cette partie du capital productif envers les deux autres ?
La division plus grande du travail
a pour conséquence qu'un ouvrier produit autant que produisaient trois, quatre,
cinq précédemment. La machine conduit aux mêmes rapports à une échelle
infiniment plus grande.
Tout d'abord, il est donc tout à
fait évident que la croissance des parties du capital productif transformées en
machines et matières premières ne s'accompagne pas d'un accroissement analogue
de la partie du capital destinée au salaire. Sinon, en effet, le but recherché
par l'emploi des machines et de la plus grande division du travail ne serait
pas atteint. Il en résulte donc nécessairement que la partie du capital
productif destinée au salaire ne s'accroît pas dans la même mesure que la
partie destinée aux machines et aux matières premières. Bien plus. Au fur et à
mesure que s'accroît le capital productif, c'est-à-dire la puissance du capital
comme tel, s'accroît aussi au même degré la disproportion entre le capital
investi dans la matière première et la machine et le capital placé dans le
salaire. Par conséquent, cela veut dire que la partie du capital productif
destinée au salaire devient de plus en plus petite par rapport à la partie du
capital mise en œuvre en tant que machine et matière première.
Une fois que le capitaliste a
investi un capital plus grand en machines, il est contraint d'employer un
capital plus grand à l'achat de la matière première et de ce qui est nécessaire
à actionner les machines. Mais s'il a occupé précédemment 100 ouvriers, il
n'aura peut-être maintenant plus besoin que de 50. Sinon, il lui faudrait
doubler encore peut-être les autres parties du capital, c'est-à-dire augmenter
encore la disproportion. Il en congédiera donc 50, ou bien les 100 seront
obligés de travailler pour le même prix que les 50 précédemment. Il se trouvera
donc des ouvriers en excédent sur le marché.
Si l'on modifie la division du
travail, il n'y aura lieu d'augmenter que le capital pour la matière première.
Un seul ouvrier prendra peut-être la place de trois.
Mais supposons le cas le plus
favorable : Le capitaliste étend son entreprise de façon à pouvoir non
seulement garder le chiffre précédent de ses ouvriers — et, bien entendu, il
n'attendra pas le moment où il pourra le faire — mais encore en augmenter même
le nombre. Il lui faudra alors accroître la production d'une manière énorme
pour pouvoir garder le même nombre d'ouvriers ou même encore l'augmenter. Et
dans le rapport entre le nombre d'ouvriers et les forces productives il y a une
disproportion infiniment plus grande. La surproduction s'en trouve accélérée,
et lors de la crise prochaine, le nombre d'ouvriers non occupés sera plus grand
que jamais.
Il ressort donc nécessairement de
la nature des rapports entre le capital et le travail cette loi générale que,
au cours de l'accroissement des forces productives, la partie du capital
productif qui est transformée en machines et en matière première, c'est-à-dire
le capital comme tel, s'accroît d'une façon disproportionnée par rapport à la
partie qui est destinée au salaire, c'est-à-dire, en d'autres termes:
relativement à la masse totale du capital productif les ouvriers ont une partie
de plus en plus petite à se partager et leur concurrence devient par conséquent
de plus en plus violente. En d'autres termes: plus le capital s'accroît, et
plus les moyens d'occupation et de subsistance diminuent relativement pour les
ouvriers, plus rapidement encore s'accroît, en d'autres termes, la population
laborieuse par rapport à ses moyens d'occupation. Et cela augmente, notamment,
dans la mesure même où le capital productif s'accroît en général.
Pour compenser la disproportion
indiquée plus haut, il faut qu'il y ait accroissement en progression
géométrique. Et pour qu'il y ait compensation par la suite en temps de crise,
il faut qu'il y ait encore une augmentation plus grande.
Cette loi qui ressort uniquement
des rapports entre l'ouvrier et le capital, et qui, par conséquent, transforme
la situation même la plus favorable pour lui: l'accroissement rapide du capital
productif, en une situation défavorable, les bourgeois en ont fait d'une loi
sociale une loi naturelle en disant que la population s'accroît suivant une loi
naturelle plus rapidement que les moyens d'occupation et de subsistance.
Ils n'ont pas compris que c'est
dans l'accroissement du capital productif qu'est impliqué l'accroissement de
cette contradiction.
Nous y reviendrons plus tard.
La force productive, en
particulier la force sociale des ouvriers eux-mêmes ne leur est pas payée, elle
est même dirigée contre eux.
c) Première absurdité :
Nous avons vu que lorsque le
capital productif s'accroît — cas le plus favorable supposé par les économistes
— lorsque, par conséquent, la demande de travail s'accroît relativement, le
caractère de l'industrie moderne et la nature du capital veulent que les moyens
d'occupation des ouvriers ne s'accroissent pas dans la même mesure; que les
mêmes circonstances qui font s'accroître le capital productif, font croître
encore plus rapidement la disproportion entre l'offre et la demande de travail,
en un mot que l'accroissement des forces productives fait croître en même temps
la disproportion entre les ouvriers et leurs moyens d'occupation. Cela ne
dépend ni de l'augmentation des moyens de subsistance ni de l'augmentation de
la population considérée en elle-même. Cela résulte nécessairement de la nature
de la grande industrie et des rapports entre le travail et le capital.
Mais lorsque l'accroissement du
capital productif ne progresse que lentement, reste stationnaire ou régresse
même, le nombre d'ouvriers est toujours trop grand par rapport à la demande de
travail.
Dans les deux cas, le cas le plus
favorable et le cas le plus défavorable, il résulte des rapports entre le
travail et le capital, de la nature du capital même, que l'offre d'ouvriers
sera toujours plus grande que la demande de travail.
d) Abstraction faite de cette
absurdité que la classe ouvrière est dans l'impossibilité de prendre la
résolution de ne pas faire d'enfants, sa situation fait au contraire du désir
sexuel son plaisir principal et le développe exclusivement.
Après avoir réduit l'existence de
l'ouvrier à un minimum, la bourgeoisie veut encore réduire également son
chiffre de reproduction à un minimum.
e) Mais ce qu'il y a et peut y
avoir de peu sérieux dans ces phrases et ces conseils de la bourgeoisie ressort
de ce qui suit :
Premièrement : En substituant aux
adultes des enfants, l'industrie moderne
a institué une prime à la mise au
monde des enfants.
Deuxièmement : La grande industrie
a constamment besoin d'une armée de réserve d'ouvriers non occupés pour les
moments de surproduction. Le but principal de la bourgeoisie envers l'ouvrier
n'est-il pas, en général, d'avoir la marchandise-travail aussi bon marché que
possible, ce qui n'est possible que si l'offre de cette marchandise est la plus
grande possible par rapport à la demande de celle-ci, c'est-à-dire s'il existe
le plus de surpopulation possible ?
La surpopulation est donc dans
l'intérêt de la bourgeoisie, et celle-ci donne un bon conseil aux ouvriers, parce
qu'elle sait qu'il est impossible à suivre.
f) Comme le capital ne s'accroît
que s'il occupe des ouvriers, l'augmentation du capital inclut une augmentation
du prolétariat, et comme nous l'avons vu, conformément à la nature des rapports
entre le capital et le travail, l'augmentation du prolétariat doit se produire
relativement plus vite encore.
g) Cependant, la théorie citée
plus haut, appelée volontiers une loi naturelle, à savoir que la population
s'accroît plus vite que les moyens de subsistance, a été accueillie par le
bourgeois avec d'autant plus de faveur qu'elle tranquillise sa conscience,
qu'elle fait de sa dureté de cœur un devoir moral, transforme des conséquences
sociales en conséquences naturelles, et qu'elle lui fournit enfin l'occasion de
regarder sans remuer le petit doigt la disparition du prolétariat par la famine
avec la même tranquillité que d'autres événements naturels, et, d'autre part,
de considérer et de punir la misère du prolétariat comme étant de sa faute à
lui. Le prolétariat n'a qu'à mettre un frein, n'est-ce pas, par sa raison, à
l'instinct de la nature et empêcher par son contrôle moral la loi naturelle de
prendre un développement pernicieux.
h) On peut considérer la
législation de l'assistance publique comme une application de cette théorie.
Destruction des rats, arsenic, asiles de travail, paupérisme en général.
Galères à nouveau en pleine civilisation. La barbarie réapparaît, mais
engendrée au sein même de la civilisation et comme partie intégrante de
celle-ci; de là, barbarie lépreuse, barbarie en tant que lèpre de la
civilisation. Les asiles de travail, les bastilles des ouvriers. Séparation de
la femme et de l'homme.
IV. Nous en venons maintenant à parler
brièvement de ceux qui veulent améliorer la situation des ouvriers par une
autre détermination du salaire.
Proudhon.
V. Enfin, parmi les remarques
faites sur le salaire par des économistes philanthropes, il faut encore citer
une opinion.
a) Entre autres économistes, Rossi
a notamment expliqué ce qui suit : Le fabricant n'escompte à l'ouvrier sa part
de produit que parce que celui-ci ne peut en attendre la vente. Si l'ouvrier
pouvait se subvenir jusqu'à la vente du produit, il pourrait ensuite faire
valoir sa part en tant qu'associé, tout comme entre le capitaliste à proprement
parler et le capitaliste industriel. Le fait que la part de l'ouvrier ait donc
justement la forme du salaire est un hasard, c'est le résultat d'une
spéculation, d'un acte spécial qui joue à côté du processus de production et
qui ne forme pas nécessairement un élément constitutif de celui-ci. Le salaire
n'est qu'une forme accidentelle de notre état social. Il n'appartient pas
nécessairement au capital. Il n'est pas un fait indispensable à la production.
Il peut disparaître dans une autre organisation de la société.
b) Toute cette plaisanterie
aboutit à ceci : Si les ouvriers possédaient assez de travail accumulé
(c'est-à-dire assez de capital) pour ne pas être obligés de vivre directement
de la vente de leur travail, la forme du salaire disparaîtrait. C'est-à-dire si
tous les ouvriers étaient en même temps des capitalistes, ce qui revient donc à
présupposer et maintenir le capital sans son antinomie le travail salarié sans
lequel il ne peut exister.
c) Cependant, cela est un aveu et
nous devons le retenir. Le salaire n'est pas une forme accidentelle de la
production bourgeoise, mais toute la production bourgeoise est une forme
historique temporaire de la production. Tous les rapports, capital aussi bien
que salaire, rente foncière, etc., sont temporaires et peuvent être supprimés à
un certain point de l'évolution.
VII. Les
associations ouvrières
Un des thèmes de la théorie de la
population était de vouloir diminuer la concurrence parmi les ouvriers. Les
associations ont pour but de la supprimer et de la remplacer par l'union entre
les ouvriers.
Ce que font remarquer les
économistes contre les associations est juste :
1. Les frais qu'elles causent aux
ouvriers sont, le plus souvent, plus grands que l'augmentation du gain qu'elles
veulent obtenir. A la longue, elles ne peuvent résister aux lois de la
concurrence. Ces coalitions entraînent de nouvelles machines, une nouvelle
division du travail, le transfert d'un lieu de production dans un autre. En
conséquence de tout cela, diminution du salaire.
2. Si les coalitions réussissaient
à maintenir dans un pays le prix du travail de façon que le profit baisse
considérablement par rapport au profit moyen dans d'autres pays, ou que le
capital fût arrêté dans sa croissance, la stagnation et le recul de l'industrie
en seraient la conséquence et les ouvriers seraient ruinés ainsi que leurs
maîtres, car telle est, comme nous l'avons vu, la situation de l'ouvrier. Sa
situation s'aggrave par bonds lorsque le capital productif s'accroît, et il est
ruiné à l'avance lorsque le capital diminue ou reste stationnaire.
3. Toutes ces objections des
économistes bourgeois sont, comme nous l'avons dit, justes, mais justes
seulement de leur point de vue. S'il ne s'agissait vraiment dans les
associations que de ce dont il s'agit en apparence, notamment de la
détermination du salaire, si les rapports entre le capital et le travail
étaient éternels, ces coalitions échoueraient impuissantes devant la nécessité
des choses. Mais elles servent à l'unification de la classe ouvrière, à la
préparation du renversement de toute l'ancienne société avec ses antagonismes
de classes. Et de ce point de vue, les ouvriers se moquent avec raison des
malins pédants bourgeois qui leur font le compte du coût de cette guerre civile
en morts, blessés et sacrifices d'argent. Celui qui veut battre son adversaire
ne va pas discuter avec lui les frais de la guerre. Et ce qui prouve aux
économistes mêmes combien les ouvriers ont le cœur généreux, c'est que ce sont
les ouvriers de fabriques les mieux payés qui forment le plus de coalitions et
que les ouvriers emploient tout ce qu'ils peuvent économiser, en se privant, de
leur salaire pour créer des associations politiques et industrielles et couvrir
les frais de ce mouvement. Et si messieurs les bourgeois et leurs économistes
les prestidigitateurs philanthropes sont assez bons pour consentir à ajouter au
minimum de salaire, c'est-à-dire au minimum vital un peu de thé ou de rhum, de
sucre et de viande, il doit, par contre, leur sembler aussi honteux
qu'incompréhensible de voir les ouvriers comprendre dans ce minimum un peu des
frais de la guerre contre la bourgeoisie, et trouver dans leur activité révolutionnaire
même le maximum des jouissances de leur vie.
VIII. Côté
positif du salariat
Avant de conclure, il faut encore
attirer l'attention sur le côté positif du salariat.
a) Lorsqu'on dit : côté positif du
salariat, on dit : côté positif du capital, de la grande industrie, de la libre
concurrence, du marché mondial et je n'ai pas besoin de vous expliquer que sans
ces rapports de production, ni les moyens de production, ni les ressources
matérielles pour la libération du prolétariat et la création d'une nouvelle
société n'auraient été créés, ni le prolétariat n'aurait entrepris lui-même son
union et son développement qui le rendront vraiment capable de révolutionner
l'ancienne société ainsi que lui-même. Egalisation du salaire.
b) Prenons nous-mêmes le salaire
dans ce qu'il a de plus condamnable, à savoir que mon activité devient une
marchandise, que je suis entièrement à vendre.
Premièrement : Tout ce qu'il y
avait de patriarcal se trouve supprimé du fait que le trafic sordide, l'achat
et la vente restent les seules relations, les rapports d'argent les seuls
rapports entre employeur et ouvrier.
Deuxièmement : L'auréole disparaît
en général de tous les rapports de l'ancienne société, puisqu'ils sont réduits
à de simples rapports d'argent. De même, tout ce qu'on appelle les travaux
supérieurs, intellectuels, artistiques, etc. ont été transformés en articles de
commerce et ont par conséquent perdu leur ancien prestige. Quel grand progrès
ce fut que tout le régiment de curés, de médecins, de juristes, etc.,
c'est-à-dire la religion, la jurisprudence, etc. n'ont plus été estimés que
suivant leur valeur commerciale ! [Ici Marx a ajouté : Lutte de classes
nationale, rapports des biens — Note de la rédaction.]
Troisièmement : Le travail étant
devenu une marchandise et étant soumis à la libre concurrence, on cherchait à
le produire le moins cher possible, c'est-à-dire avec des frais de production
aussi bas que possible. De ce fait, tout travail physique est devenu infiniment
facile et simple pour une organisation à venir de la société — à généraliser).
Troisièmement : Du fait que tout
est vendable, les ouvriers ont constaté que tout pouvait être séparé, détaché
d'eux, ils se sont libérés de leur subordination à un rapport déterminé.
Avantage que l'ouvrier peut utiliser son argent comme il veut, aussi bien
contre les livraisons en nature que contre les manières de vivre uniquement
prescrites par la classe (féodale).
RENVOIS
1 Engels a écrit
l'introduction en question pour l'édition séparée de l'ouvrage de K. Marx
Travail salarié et capital, qui sortit sous sa direction à Berlin en 1891. Au
début de son introduction, Engels reproduit intégralement la note
d'introduction qu'il avait écrite pour l'édition précédente de l'ouvrage, qui
parut en 1884. La brochure contenant l'introduction d'Engels avait été publiée
à un très gros tirage pour diffuser l'enseignement économique de Marx parmi les
ouvriers. L'introduction connut une large diffusion dans la presse ouvrière et
socialiste, et était imprimée sous forme d'article indépendant. Avant la
publication de la brochure, elle parut dans le supplément du journal Vorwärts,
n° 109, en date du 13 mai 1891 sous le titre «Travail salarié et capital». Elle
fut insérée sous une forme un peu abrégée dans l'hebdomadaire Freiheit, n° 22,
en date du 30 mai 1891, dans la revue italienne Critica sociale, n° 10, du 10
Juillet 1891, dans le journal Le Socialiste, n° 44, du 22 juillet 1891, et, en
1892, dans l'almanach de la revue socialiste française Question sociale, ainsi
que dans d'autres organes. L'introduction fut insérée dans toutes les éditions
suivantes de l'ouvrage de Marx, paraissant en de nombreuses langues, la
traduction étant établie d'après l'édition de 1891.
2 L'Association des
ouvriers allemands fut fondée à Bruxelles par Marx et Engels à la fin d'août
1847 pour faire l'instruction politique des ouvriers allemands résidant en
Belgique et pour diffuser parmi eux les idées du communisme scientifique. Sous
la direction de Marx et d'Engels et de leurs compagnons d'armes, l'Association
devint le centre légal de ralliement des prolétaires révolutionnaires allemands
de Belgique et elle entretenait des liens directs avec les clubs ouvriers
flamands et wallons. Les meilleurs éléments de l'Association faisaient partie
de la section bruxelloise de la Ligue des communistes. L'activité de
l'Association prit fin peu après la révolution bourgeoise de février 1848 en
France, en raison de l'arrestation et de l'expulsion de ses membres par la
police belge.
3 Il s'agit de
l'intervention en Hongrie des troupes du tsar en 1849 ayant pour but
l'écrasement de la révolution bourgeoise de Hongrie et la restauration du pouvoir
des Habsbourg d'Autriche, ainsi que des soulèvements en faveur de la défense de
la Constitution impériale, — adoptée par l'Assemblée nationale de Francfort le
28 mars 1849, — soulèvements qui constituaient l'étape finale de la révolution
démocratique bourgeoise de 1848-1849 en Allemagne. La Constitution fut
repoussée par la majorité des Etats allemands.
4 Voir K. Marx : «Chapitre
premier : La marchandise» dans «Contribution à la critique de l'économie politique»,
Œuvres complètes de K. Marx et F. Engels, tome 13 et K. Marx : «Chapitre
premier : La marchandise» dans «Le Capital», Œuvres complètes de K. Marx et F.
Engels, tome 23.
5 Voir K. Marx : «Chapitre
XVII : La transformation de la valeur ou du prix de la force de travail en
salaire» dans «Le Capital», Œuvres complètes de K. Marx et F. Engels, tome 23.
6 Voir K. Marx : «Chapitre
IV, section 3 : L'achat et la vente de la force de travail» dans «Le Capital»,
Œuvres complètes de K. Marx et F. Engels, tome 23.
7 Engels fait allusion à la
célébration du 1er mai 1891. Dans certains pays (Angleterre, Allemagne), la
Fête du 1er Mai était célébrée le premier dimanche de mai, qui, en 1891,
tombait le 3 mai. Au cours de la célébration du i« mai en 1891, il y eut des
meetings et des manifestations d'ouvriers dans de nombreuses villes
d'Angleterre, d'Autriche, d'Allemagne, de France, d'Italie et d'autres pays. En
1891, la journée de la solidarité prolétarienne internationale fut pour la
première fois célébrée en Russie, malgré les répressions impitoyables dont les
participants des réunions du 1er Mai furent l'objet de la part des autorités tsaristes.
8 Travail salarié et
capital, ouvrage basé sur une série de conférences que Marx fit à l'Association
des ouvriers allemands de Bruxelles au cours de la deuxième moitié de décembre
1847. Un manuscrit intitulé Le Salaire, recopié par J. Weidemeyer, a été
conservé et correspond presque intégralement au texte publié dans la Neue
Rheinische Zeitung. Au début de 1848, Marx essaya de publier ce travail à
Bruxelles, mais dut renoncer à sa publication à la suite de l'expulsion de Marx
hors de Belgique. L'ouvrage fut publié pour la première fois sous forme
d'articles de fond dans les numéros de la Neue Rheinische Zeitung des j, 6, 7,
8 et 11 avril 1849 sous le titre «Travail salarié et capital». L'impression de
ces articles fut interrompue en raison du départ temporaire de Marx de Cologne,
et, en second lieu, en raison de l'aggravation de la situation politique en
Allemagne et de la cessation de la parution de la Neue Rheinische Zeitung.
Cette première publication du Travail salarié et capital apportait une
contribution à la propagation des idées du socialisme scientifique parmi les
ouvriers allemands. Ainsi, à la suite de la décision du Comité de l'Union
ouvrière de Cologne, ces articles de Marx furent recommandés en vue de leur
discussion dans les associations ouvrières de Cologne et des autres villes.
Après la fermeture de la Neue Rheinische Zeitung, Marx songeait à faire publier
Travail salarié et capital en brochure, malheureusement ce projet ne devait
jamais se réaliser. La première publication séparée de l'ouvrage eut lieu à
Breslau en 1880 sans la participation de Marx ; elle fut suivie d'une deuxième
édition en 1881 dans la même ville. L'édition de 1884 fut réalisée à
Hottingen-Zürich avec la participation de F. Engels, qui rédigea une courte
notice d'introduction retraçant l'historique de l'ouvrage. La première
traduction de Travail salarié et capital en langue russe, — à partir de
l'édition allemande de 1880, — parut à Genève en 1883. Le texte de Travail
salarié et capital ainsi publié reste inachevé. Le manuscrit Le Salaire, établi
par Marx en décembre 1847, le complète partiellement.
9 Le Salaire est un
manuscrit de K. Marx, en rapport direct avec son ouvrage resté inachevé Travail
salarié et capital ; c'est le complément de ce dernier. Ce manuscrit fut
conservé dans les archives de la social-démocratie allemande, il ne fut publié
pour la première fois qu'en 1924 en langue russe dans la revue L'Economie
socialiste et, en 1925, dans la langue de l'original dans la revue Unter dem
Banner des Marxismus [Sous le drapeau du marxisme]. L'inscription sur la
couverture du manuscrit retrouvé, «Bruxelles, décembre 1847», la petite note,
«déjà exposé», sur le manuscrit, la présentation de l'exposé et le contenu du
manuscrit donnent lieu de supposer que Le Salaire constitue une esquisse
préparatoire de Marx pour la dernière conférence ou pour la dernière série de
conférences qu'il faisait au cours de la deuxième quinzaine de décembre 1847 à
des réunions de l'Association des ouvriers allemands de Bruxelles. Cela est
confirmé aussi par le fait que Marx, pendant qu'il rédigeait ce manuscrit,
ainsi qu'en témoigne l'annotation dans le texte du manuscrit, préparait son
célèbre Discours sur le libre-échange, prononcé le 9 janvier 1848 au cours
d'une réunion publique de l'Association démocratique de Bruxelles. Dans le
manuscrit Le Salaire, de même que dans les articles publiés dans la Neue
Rheinische Zeitung, il est question de la vente par l'ouvrier de son travail au
capitaliste, et non de la vente de sa force de travail, comme ce sera le cas
dans les travaux d'économie ultérieurs de Marx.
10 Les données sur la durée
de la journée de travail et sur le nombre d'ouvriers tisserands sont tirées par
Marx du livre de Carlyle Le Chartisme, dans lequel il est dit : «Un
demi-million d'ouvriers tisserands travaillant 15 heures par jour sur des
métiers à main ne sont cependant pas en mesure, d'une façon permanente, de se
procurer en quantité suffisante de la nourriture même la plus simple» (Th.
Carlyle : Chartism, Londres, 1840, p. 31).
11 Le discours de Bowring est
rapporté dans le livre de W. Atkinson : Principles of Political Economy,
Londres, 1840, pp. 36-38.
12 L'extrait du discours de
Bowring à la Chambre des Communes a été utilisé par Marx dans son discours sur le
libre-échange prononcé le 9 janvier 1848 au cours d'une réunion publique de
l'Association démocratique de Bruxelles.
13 Marx fait allusion à la
déclaration de Carlyle concernant les lois anglaises d'assistance aux pauvres :
«Si l'on fait des mendiants des malheureux, ils périront par milliers
inévitablement. Voilà le secret connu de tous les chasseurs de rats : colmatez
les fentes dans les granges, suscitez des miaulements, des alertes
ininterrompus, faites agir les pièges à rats — et vos (les pauvres qui
constituent une charge pour la société) disparaîtront, seront éliminés. Un
procédé plus rapide est représenté par l'arsenic et il est, je crois, plus
humain...» (Th. Carlyle : Chartism, Londres, 1840, p. 17).
14 J. R. MacCulloch : The
Principles of Political Economy, Edimbourg, 182;, p. 319.
15 J. Wade : History of the
Middle and Working Classes, 3e édition, Londres, 1835, p. 125.
16 Marx fait allusion au
passage suivant de l'ouvrage de J. Wade : «La quantité de travail utilisée [the
quantity of employment] dans chaque branche de l'industrie n'est pas constante.
Elle peut se modifier sous l'influence du passage des saisons, du changement de
la mode ou des vicissitudes du commerce» (cf. J. Wade, op. cité, p. 252.)
17 Il est fait allusion ici
à la forme de salaire dit «à la pièce» (cf. J. Wade, op. cité, p. 267).
18 Truck-system, système de
paiement en marchandises. Babbage écrit à ce sujet : «Là où les ouvriers
reçoivent leur paiement en produits ou bien sont contraints d'acheter dans la
boutique du patron, alors beaucoup d'injustices sont commises à leur égard, et
il en résulte une grande misère.» «La tentation est trop forte pour le patron
d'abaisser, en période de dépression, le salaire effectivement payé (en élevant
le prix des marchandises dans son magasin) tout en ne diminuant pas le salaire
nominal, pour qu'il puisse y résister» (Ch. Babbage : On the Economy of
Machinery and Manufactures, 2e édition, Londres, 1832, p. 304).
19 A. Ure : Philosophie des manufactures
ou économie industrielle, tome I, Bruxelles, 1836, pp. 34, 35.
20 P. Rossi : Cours
d'économie politique, Bruxelles, 1843, pp. 369, 370.
21 A. Cherbuliez : Riche ou
pauvre, Paris-Genève, 1840, pp. 103-104, 105, 109.
22 J. F. Bray : Labour's
Wrongs and Labour's Remedy, Leeds, 1839, pp. 152, 153.
24 Citant le livre de
Carlyle : Le Chartisme, Marx utilise le passage suivant : «En Irlande, il
existe une population ouvrière de près de 7 millions de personnes, dont le
tiers, ainsi que le montrent les statistiques, ne disposent pas en quantité
suffisante pendant 30 semaines de l'année de pommes de terre de troisième qualité»
(Th. Carlyle : Chartism, Londres, 1840, p. 25).
25 Allusion à la guerre
menée par le peuple allemand contre l'hégémonie de Napoléon au cours des années
1813-1815.
Source : Travail salarié et capital (Editions en
langues étrangères, Pékin – 1976)
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