703-09/02/2021 La pénurie de vaccin en France et en Europe est un révélateur des défaillances non seulement du système de production des médicaments mais aussi des liens entre la recherche fondamentale et l’activité industrielle et pharmaceutique.

Les progrès issus des efforts et de la coopération internationale des scientifiques amènent à concevoir des vaccins en moins d’un an, leur généralisation rapide offre la possibilité d’endiguer si ce n’est d’enrayer la pandémie. Pourtant, la France, là où la protection sociale était une des plus développée est plongée dans des difficultés tragiques pour soigner l’ensemble des patients et est incapable de produire et de vacciner l’ensemble de la population. Comment est-ce possible dans un pays où le PIB par habitant est un des plus élevés de la planète? Comment ne pas être révolté par cette situation?
L’institut Pasteur est un centre de référence mondial de la recherche sur les maladies infectieuses, il a été présent dans le groupe d’experts mis en place par l’OMS dès le début de la pandémie. Dès le 29 janvier, ses équipes ont établi le séquençage complet du virus SARS-CoV-2 et a déposé deux séquences complètes sur une plate-forme mondiale GISAID (Dans le domaine du séquençage la France est classée 31ème dans le monde, et a donc pris un retard considérable dans l'analyse des variants).
Et pourtant les laboratoires français viennent d’essuyer des échecs majeurs : le vaccin développé par Sanofi avec le britannique GlaxoSmithKline (GSK) ne devrait finalement arriver qu’en 2022, le séquençage des variants du virus tarde à s’organiser et pénalise toute anticipation de l’évolution de l’épidémie sur le territoire national, l’Institut Pasteur vient d’annoncer l’arrêt de la collaboration avec l’américain Merck Sharp & Dohme (MSD) sur son vaccin anti-Covid.
C’est à Livingston, en Écosse, que le premier vaccin français contre le Covid-19 développé par la société Valneva sera produit. Le gouvernement britannique s’est, lui, intéressé aux travaux de Valneva et a financé tous les essais cliniques, ainsi qu’une première unité de production en Écosse. Les citoyens britanniques bénéficieront, en toute logique, des 60 millions de doses bientôt produites. La France et l’Europe attendront… 2022.
Pourquoi une des premières sociétés mondiales de conception et de production de vaccins et un des centres référence mondiaux en maladies infectieuses sont déficients dans la course aux vaccins ? Qu’est-il advenu de l’industrie et de la recherche française dans le combat contre la pandémie ?
Un processus d’innovation en France en panne ?
La conception de nouveaux médicaments connait depuis ces dernières années un envol grâce au développement complémentaire des connaissances en biologie et en génomique et des biotechnologies avec notamment des anticorps thérapeutiques, les vaccins, la thérapie génique. 4 nouveaux médicaments sur 10 sont de cette nouvelle génération.
La recherche qu’elle soit fondamentale ou finalisée ne fonctionne pas hors sol. Fondamentales ou finalisées, elles entretiennent des interactions fortes avec la recherche technologique et les filières industrielles, elles dépendent donc des rapports sociaux-économiques des sociétés dans laquelle elles se développent. Ceci est d’autant plus vrai pour les innovations en santé qui doivent permettre d’apporter de nouvelles solutions pour mieux soigner, améliorer la prévention et faciliter l’accès aux soins de l’ensemble de la population tous en garantissant la maîtrise des coûts pour la puissance publique.
Or le développement de ces biomédicaments s’appuie sur des techniques de plus en plus sophistiquées et sur des essais cliniques de plus en plus robustes et complexes pour en assurer l’efficacité et la sécurité. Les coûts de développement nécessitent un capital initial élevé pour une durée longue de développement (10 à 15 ans) avec des chances de succès non garanties à priori. Ainsi le coût moyen du développement d’un médicament commercialisé était estimé à 602 millions de dollars (M$) en 2003, il est monté à 2558 M$ en 2016.
Le marché pharmaceutique, qui se développe en grande partie aux Etats-Unis, mais aussi en Asie, et dans une moindre mesure en Europe, a généré plus de 920 milliards d’euros (Md€) de chiffre d’affaires en 2019. Les dix premières entreprises embauchent à elles seules 800 000 personnes. Le français Sanofi est en huitième position du classement mondial, avec 43 Md€ de chiffre d’affaires en 2019 (les laboratoires Servier 4,6 Md€ et Ipsen avec 2,5Md€). Davantage que l’industrie pharmaceutique, c’est le secteur des vaccins qui est très concentré, en raison de la spécificité de sa production : cinq laboratoires dont Sanofi se partagent 80 % du marché. Ce marché représentait 27 Md€ en 2019 de chiffres d’affaires, soit 3 % du marché du médicament.
Les grandes entreprises de l’industrie pharmaceutique, les Big Pharma, qui ont le capital pour investir font le choix de préserver leurs profits en mobilisant le moins de capital possible sur la Recherche et Développement (R&D). Comme l'a démontré la course au vaccin contre la Covid-19, il suffit pour les Big pharma de conserver en interne suffisamment de compétences pour détecter, évaluer, et coordonner les projets les plus prometteurs sur le marché mondial. En acquérant la propriété intellectuelle des découvertes, elles en maîtrisent la production, la distribution et leurs profits. De fait, les besoins en effectifs et en centres R&D deviennent moindres. Ainsi BioNtech s'est associée au géant américain Pfizer pour industrialiser et commercialiser son vaccin à ARN anti Covid19, et l'université d'Oxford a fait de même avec l'anglo-suédois Astra-Zenecca.
Nous assistons donc à une réorganisation de l’innovation en santé qui repose essentiellement sur la recherche publique, les startups ainsi que des sociétés de biotechnologies (Biotechs exemples: Valvena, Moderna, BioNtech) créées à proximité des centres de recherche fondamentale. Sans le support scientifique des laboratoires publics et les aides financières de l’Etat, les startups de recherche biomédicale ne pourraient voir le jour.
La pérennité des entreprises innovantes dépend de leur capacité à lancer leurs premiers produits pour rembourser leurs dettes mais également pour lancer de nouveaux projets. Bien qu'à l'origine de la majorité des innovations pharmaceutiques récentes, de nombreuses startups et biotechs se voient contraintes de céder leur licence ou de signer des partenariats de co-développement avec une « big pharma » pas obligatoirement française.
Pour la France, il y a donc là un enjeu industriel considérable en termes de maîtrise scientifique, technologique et clinique, mais aussi de création d'emplois et de souveraineté nationale.
Car rien n’y fait depuis une dizaine d’année, la France connait un déclin dans la production de médicaments et les dépenses de R&D de l’industrie pharmaceutique sont en berne. Ce qui n’empêche pas l’incroyable inflation des prix des médicaments. Depuis plusieurs années payeurs, médecins et patients s’affolent de l’envolée des prix des traitements, avec un ticket d’entrée à plus de 100 000 dollars pour les nouvelles « immunothérapies ».
Or la recherche fondamentale est en difficulté : le manque de financements des laboratoires, la faible attractivité des carrières des personnels de la recherche publique sont pointées du doigt. Les thématiques de recherche des laboratoires sont entièrement encadrées par le financement sur projets. Réforme après réforme, la recherche publique perd de son autonomie, ses thématiques de recherche et sa gestion doivent s’aligner sur celles de la R&D privée. Est-ce que la recherche publique doit être un service public devant répondre à toute sollicitation extérieure?
Des thématiques en génie génétique n’ont pas pu se développer en France : deux exemples d’actualité : l’utilisation d’acides nucléiques (ARN et ADN) pour la production d’anticorps thérapeutiques ou encore le nouvel outil de modification génétique (CRISPR) découvert en 2013 qui déferle maintenant sur les paillasses des laboratoires du monde entier. Dans les deux cas, des travaux pionniers ont été lancés au sein de laboratoires français par des chercheurs qui sont finalement partis mettre en application leurs découvertes ailleurs faute de moyens pour les développer. Pourquoi la France ne serait-elle pas capable d’assurer le transfert de la connaissance vers l’application ? Quels en sont les freins ?
Depuis plus de 20 ans, la France a laissé se désagréger les filières industrielles qui se sont construites sur l’héritage de Pasteur. Les multiples restructurations ont conduit au démantèlement de laboratoires de R&D dans l’industrie chimique, pharmaceutique et agroalimentaire et à la disparition de nombreux savoir-faire. Sanofi, issu de ces restructurations, est devenu le premier groupe pharmaceutique français et un géant mondial. Sans stratégie industrielle, son PDG avait annoncé fin 2019 un objectif de 2Md€ d'économies d'ici à 2022, notamment en arrêtant la recherche dans le diabète et le cardiovasculaire, cœurs de métier de l’entreprise. En 2020, il a confirmé la suppression de 1 700 emplois en Europe, dont plusieurs centaines en R&D, 364 en France. Ce qui ne l’a pas empêché de distribuer près de 4 Md€ de dividendes à ses actionnaires en 2020.
Mais dans le même temps qu’elles restructurent leurs activités, les Big pharma françaises continuent leurs acquisitions opportunistes de portefeuilles de médicaments en achetant des biotechs. Servier supprime 287 postes en R&D, soit près de 20% des postes en R&D en France alors qu’il installe un institut de R&D sur le campus de l’université Paris-Saclay et qu’il a déboursé 1,8Md$ pour acheter la branche oncologie de l’américain Agios. Sanofi lui aura acheté, en pleine pandémie, la biotech américaine Principia pour 3,68 Md€. Quant à Ipsen, il supprime 33 postes de production et prévoit 3 Md€ pour accroitre son portefeuille de R&D d’ici 2024.
L’affaiblissement des forces de recherche dans l’industrie pharmaceutique en France pénalise l’innovation. En 2015, 56 % des chercheurs en entreprises étaient issus d’une école d’ingénieurs, 12% étaient docteurs dont 20 % avec un doctorat en Sciences médicales. Cette faible place des docteurs dans la R&D des entreprises est un indicateur qu’elles investissent peu dans les innovations de rupture. La culture de la recherche scientifique ne fait pas partie de la culture des grandes entreprises françaises qui est basée sur les grands corps d’ingénieurs et leurs réseaux. Cela complique aussi le dialogue entre scientifiques de la recherche académique et ceux de la recherche privée. Ceci explique aussi en partie les difficultés récurrentes de compétitivité sur le marché mondial, l’ignorance de ce qu’est réellement la recherche bloque le système de l’innovation: le capital-risque ne va pas vers les startups ni les biotechs et les grandes entreprises du CAC 40 ont des difficultés à repérer les startups prometteuses.
D’autres freins à l’innovation ont été mis en avant sans vouloir être exhaustifs : la complexité des procédures d’autorisation des médicaments et vaccins, les délais trop longs pour obtenir les autorisations d’essais cliniques, le grand nombre d’essais non randomisés ne répondant pas à de bonnes pratiques et pourtant financés par des acteurs publics, les modalités de la propriété intellectuelle et de la prise de brevets.
95% des startups innovantes sont mortes après 5 ans. Ce taux d’échec record est d’autant plus marquant que les pouvoirs publics font tout pour soutenir la montée en puissance des startups. La litanie de l’innovation et de l’entreprenariat n’en finit pas, ils sont les fils conducteurs des plans de relance, programmes d’investissement d’avenir (PIA) avec des milliards d’euros à la clé pour financer la restructuration de la filière pharmaceutique. Pour soutenir la filière technologique en santé, le gouvernement annonce le financement via le PIA4 (850 millions d’euros M€) des Plateformes technologiques publiques dédiées au développement de la production de bio médicaments au service d’industriels avec mise à disposition d’équipements, de la puissance de travail de laboratoires publics et de startups et biotechs. D’autre part, un campus biotech digital piloté par un consortium industriel (BioMerieux, Novasep, Sanofi et Servier) et incluant les écoles et les organismes de formation sera financé par un partenariat public-privé dont 11,75 M€ apportés par la Caisse des Dépôts pour un investissement total de plus 30 M€.
Le gouvernement poursuit sa politique en soutenant la restructuration des filières pharmaceutiques autour des big Pharma et l’externalisation de leur Recherche & Développement vers la recherche publique et la sous-traitance. Cette politique sous la loi du capitalisme, freine les progrès économiques et sociaux, elle freine aujourd’hui le fonctionnement, la capacité d’innover et d’anticiper de l’industrie pharmaceutique, comme de la place de la recherche publique et de l’Etat dans l’innovation.
Le Parti Révolutionnaire Communistes, qui aspire à un changement révolutionnaire de la société, pour construire une société nouvelle ou les peuples pourront disposer au mieux de leurs intérêts, des fruits de leur travail, de celui des scientifiques et des moyens de production pour les mettre en application, qui appelle à développer la lutte contre le capitalisme, vous invite à débattre ensemble de toutes ces questions .

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