741-02/11/2021 La Cour des comptes a démarré la publication d'une douzaine de notes qui sont destinées « à présenter les principaux défis auxquels seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années et les leviers qui pourraient permettre de le relever".

Une façon pour la Cour de peser sur la campagne des élections présidentielles de 2022 sans en avoir l'air.
La note publiée en octobre 2021 fait le constat que les réformes menées dans l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) depuis les années 2000 ont été une succession de révisions et d’innovations qui menées au rythme effréné d’une tous les deux ans en moyenne ont bouleversé par leurs empilements le paysage de l’ESR. Paysage qui n’est toujours pas stabilisé. Citons la réforme Licence Master Doctorat (LMD) en 2002, puis en 2006 les créations de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et de l’Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AÉRES) devenue depuis le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) au statut d'autorité administrative indépendante, les Pôles de Recherche et d’Enseignement supérieur (PRES), la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) en 2007, le plan Campus en 2008, les programmes d’investissements d’avenir (PIA) à partir de 2010 à l’origine des Initiatives d’Excellence (Idex et Isite), la LRU2 de 2013 qui a créé les COMUE supprimées en 2019, l’ordonnance de 2018 créant les établissements publics expérimentaux (EPE), constitués par la fusion d’établissements d’enseignements supérieurs publics et privés, et enfin la loi de programmation de la recherche (LPR) de 2020. Toutes ces réformes qui vont dans le même sens : assujettir l’ESR à la compétitivité des entreprises nous ont été présentées comme simplifiant le système afin de le rendre plus lisible à l’international! Ce n’est pas pour rien que le « I » de Innovation a été rajouté au titre du ministère.
La logique de ce maelström est de passer d’un système national de l’ESR à un système territorialisé dans lequel les établissements fusionnés sont en concurrence pour s’attirer les diverses sources de financements contractualisés et les étudiants qu'ils soient français ou étrangers. Ces réformes ont abouti à créer deux types d’universités aux intérêts divergents : celles de niveau international titulaires d’un label Idex ou Isite et celles de niveau régional de plus petite taille. La concurrence qui est dans la nature des entreprises privées, serait, pour nos divers gouvernants successifs, la clef de l’efficacité.
L’autonomie, condition première de la concurrence, est le maître mot de la nouvelle organisation de l’ESR. Mais pour qu’il y ait autonomie financière et de gestion, il faut en finir avec tout cadre national réglementaire. Or, pour la Cour des Comptes, le compte n’y est pas. La LPR ne va pas assez loin ! Les universités sont encore beaucoup trop dépendantes du ministère, trop dépendantes de l’administration centralisée du ministère. Il faut aller beaucoup plus loin dans la logique des réformes. C’est d’ailleurs ce que ne cesse de demander la Conférence des Présidents d’université. Pour la cour, le cadre serait donné par les régions, consacrées chefs de file pour l'ESR par la loi Notre. Une démarche de contractualisation entre les régions et les universités permettrait un meilleur ancrage territorial de ces dernières. Ce qui a pour but de resserrer leurs liens avec l'économie de la région, notamment grâce à des contrats de recherche qui abonderaient les budgets des établissements en ressources propres.
L'objectif : faire financer les dépenses R&D privée par la Recherche publique pour ensuite transférer directement l' « Innovation » via les start-ups issus de ses laboratoires vers les entreprises. Quelle économie de coûts pour le capital! Seule la recherche fondamentale "utile" pour l'économie, les défis sociétaux (et non pas sociaux), en un mot pour renforcer la compétitivité des entreprises (les profits) devient une priorité pour l’État. Et ce soutien peut se prolonger jusqu'à la mise sur le marché via les start-ups et les multiples aides à l'innovation. Quelques exemples : Le premier volet du PIA pour l'innovation incluait 35 Md€ de fonds publics en 2010, complétés par 12 Md€ en 2014 puis10 Md€ en 2017 et enfin 20 Md€ décidés en 2020, incluant 11 Md€ du plan France relance. Les créances du crédit impôt recherche vont dépasser les 7 Mds€ en 2021.
Concernant les moyens financiers, la Cour suggère que les établissements passent avec l’État un contrat d’objectifs et de moyens, et la dotation de l’État serait conditionnée par la capacité à atteindre les objectifs. L’évaluation par l’HCERES devrait contribuer à atteindre les objectifs du contrat notamment en matière d’économie des coûts !
Il est bon de rappeler que le contrat est spécifique de l’entreprise privée puisqu’il s’agit de se mettre au service d’un intérêt particulier et est étranger à la Fonction publique dont la mission est d’être au service de l’intérêt général. Ceci est cohérent avec la LPR dont la finalité est de mettre l’ESR au service de la compétitivité des entreprises. Et la Cour demande que les universités soient autorisées à créer tout type de filiales afin de s’autofinancer.
Pour la Cour, les universités devraient pouvoir recruter et gérer leurs personnels comme elles l’entendent en dehors du cadre réglementaire national. C’est, là encore, la logique de l’entreprise privée que promeut la Cour des comptes ! Le statut de la Fonction publique avec ses règles surannées, héritage d’un passé révolu, serait un frein à la nécessaire réactivité d’un monde « agile » en perpétuelle mutation.
Pour la Cour, le CNU devra être réformé afin que les procédures de qualification et de sélection des enseignants chercheurs soient revues.
Il faut aller plus loin dans les relations enseignement supérieur entreprises. Pour la Cour, la LPR ne va non plus assez loin dans la différenciation des universités de recherche et des universités de proximité qui devraient centrer leurs activités sur une formation plus professionnelle des étudiants en continuité avec les lycées. Aussi elle propose que chaque université crée en son sein un collège universitaire qui accueillerait l'ensemble des formations de niveau bac+2 ou +3, voire possiblement aussi les classes préparatoires aux grandes écoles et les sections de techniciens supérieurs. A terme les universités pourraient décider de restreindre leurs formations à celle du collège.
En ce qui concerne la recherche, la Cour des Comptes n’y va pas par quatre chemins ! Elle demande que
1) les UnitésMixtes de Recherche UMR soient gérées uniquement par les universités, exit les organismes nationaux de recherche,
2) les corps des chercheurs disparaissent intégrés dans ceux des enseignants chercheurs avec bien sûr obligation d’enseignement. Ceci notamment permettrait de pallier l’insuffisance d’encadrement des étudiants. (Il n’est pas question pour la Cour de recruter des enseignants chercheurs),
1) les organismes nationaux deviennent des agences de moyens spécialisés dans leurs domaines,
2) l’implantation régionale des organismes nationaux disparaisse afin d’amener une importante économie d’échelle,
3) ensuite soit envisagée la fusion de ces organismes avec l’ANR.
Les quinze années de réformes ont permis le pilotage via les financements d'appels à projets avec l'emploi précaire permettant d'adapter au mieux les besoins en personnels aux appels à projets. Les organismes de recherche constituent une réserve de force de travail de plus de 24 000 personnes dévouées à la recherche qui échappent par leurs statuts à la tutelle des nouveaux établissements mis en place par la LPR. De plus, avec plus de 5,5Mds€ de dépenses intérieures de R&D très proches de celles des universités (derniers chiffres MESRI de 2017) et des équipements scientifiques que gèrent les EPST, c'est une force de frappe très convoitée par les EPE et leurs commanditaires.
L'intégration des organismes de recherche nationaux dans des nouvelles structures territorialisées ou dans l'ANR s'annonce être la prochaine étape afin d'arriver à un pilotage systématique et intégré des laboratoires de recherche publique.
Compte tenu du statut de la Cour des comptes une telle note ne peut être prise à la légère. Il fait suite à une série d’attaques récurrentes de plus en plus rapprochées contre l’existence des organismes de recherche et le statut de chercheurs à plein temps. L'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) et l'institut de Montaigne se mettent au diapason de la Cour des comptes sur la nécessité de poursuivre les restructurations de l'ESR.
Les luttes importantes de 2019 avaient largement mobilisées les personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur contre la Loi de Programmation de la Recherche. Ces luttes soulignaient les dangers contenus dans cette loi qui se met en œuvre aujourd’hui, tandis que la pression continue pour aller plus loin dans les réformes. Il y a comme on le dit : « le feu dans la maison ». Seule la lutte unie des personnels sera en mesure de contrecarrer les prétentions du pouvoir. Notre Parti Révolutionnaire COMMUNISTES qui a mis au jour les restructurations, les réformes de la recherche par les gouvernements successifs depuis 30 ans, pour la mettre au service de la compétitivité des entreprises capitalistes, qui alerte sur le contenu des réformes mises en œuvre, est et sera au côté des personnels dans cette lutte.

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