N° 805 24/01/2023 La conjoncture n’est pas bonne…. Alors que les gouvernements occidentaux suggèrent que les épreuves sont derrière nous, la patronne du FMI, Mme Kristalina Georgieva a tempéré cet optimisme lors d’un interview sur la chaîne CBS le 1er janvier.

Pour 2023, elle prévoit des ratés dans le moteur du capitalisme mondial, avec la forte baisse de la croissance chinoise qui serait pour la première fois depuis 20 ans inférieure à la croissance mondiale. Elle diagnostique également un essoufflement européen et au mieux une résistance meilleure de l’économie des États-Unis, sans doute pour ne pas blesser ses hôtes.
Les facteurs, qui expliquent cette atonie économique sont bien connus : les effets de la crise sanitaire et les désorganisations des chaînes d’approvisionnement, cruciales dans un contexte de division internationale très poussée de la production mondiale (qui rend assez dérisoire les appels aux indépendances nationales industrielles), la montée inexorable des prix des matières premières aussi bien énergétiques qu’agricoles (en partie sous l’effet des changements climatiques pour ces dernières), la plus faible progression des gains de productivité et enfin, N° 805N (le dernier mais pas des moindres), la guerre en Ukraine, pour certains la Troisième Guerre mondiale.
Contrairement à la doxa économique dominante qui estime que tout est monétaire, l’inflation n’est rien d’autre que le symptôme des déséquilibres du système capitaliste. Les Banques centrales auront beau jeu de jouer sur les taux d’intérêt directeur, elles ne feront qu’ajouter aux désordres. Si elles haussent leur taux pour « refroidir » l’inflation alors les conditions de crédit seront moins favorables et par suite l’investissement industriel et immobilier seront ralentis. Conséquences: des gains de productivité encore moindres, dans un contexte antérieur d’investissement productif faible malgré des conditions financières très favorables et des risques de bulle immobilière alimentée par des années de politique monétaire accommodante (des taux directeurs proche de 0). Si les Banques centrales relâchent la pression (baisse de taux), hypothèse assez héroïque tant l’inflatiophobie est constitutive des Banques centrales, alors… il ne se passera rien de bon toute chose égale par ailleurs. En effet, le maintien d’une inflation soutenue dégrade les salaires réels , le pouvoir d’achat, et freine la consommation qui est un moteur de la croissance. Au cours des quatre dernières décennies, les salaires réels ont connu une baisse conséquente. Ainsi au Royaume Uni et en France, les salaires réels du privé ont reculé de 3% sur un an au troisième trimestre. Aux États-Unis le salaire moyen privé est revenu au niveau de 2019.
En clair, le Capital dispose de deux méthodes pour assurer l’accumulation : soit il comprime ses coûts directs (déflation salariale directe, encore et toujours d’actualité), soit il augmente ses marges, en augmentant les prix, pour compenser les coûts non maîtrisables (matières premières, essentiellement). Actuellement, nous sommes dans les deux configurations avec en particulier l’inflation consécutive et rien n’indique que les prix des matières premières (y compris agricoles) seront en baisse dans les prochaines années. Mais au bout du compte, les salariés paient la facture.
… comment le capitalisme espère rebondir ?
Le capitalisme a traversé bien des crises systémiques sur les 30 derniers années : crise de l’endettement des pays en développement, explosions de bulles variées (internet, immobilières), crise sanitaire. L’optimisme est pourtant toujours de mise pour les défenseurs de ce système car il ferait preuve de ressources insoupçonnées.
Pourtant, aujourd’hui, la situation est particulière : nous sommes dans une phase aiguë d’affrontement entre monopoles capitalistes, autrement dit dans un contexte de choc, non pas entre civilisations, mais entre puissances au sein du système impérialiste. C’est dans cette perspective qu’il faut analyser la guerre en Ukraine. Les objectifs du gouvernement russe sont sans doute plus larges que l’annexion d’une partie du territoire de l’Ukraine. Il aurait intérêt à faire durer ce conflit qui aiguise la crise en Europe et indiffère une large portion de l’humanité à la plus grande peine des « occidentalo-centristes ».
Du coté des forces dominantes il est urgent de mettre à jour une nouvelle dynamique d’accumulation. Il est difficile de comprimer encore les salaires, y compris socialisés – quoique le gouvernement français s’y attelle actuellement en voulant imposer une réforme des retraites qu'il avait mis sous le boisseau du fait des luttes de 2019. Ce « retard » a été fustigé par la Commission européenne! Les nouvelles technologies perdent de leur lustre comme l’attestent les reculs de leurs cours boursiers extravagants et surtout les licenciements massifs dans le secteur. Il n’y a plus grand-chose à privatiser hormis des restes de protection sociale en Europe. Reste une solution inaugurée lors de la « crise » pandémique puis énergétique, les budgets de l’État. En effet, sans vraiment beaucoup de contreparties, les États ont pratiqué le "quoi qu'il en coûte" et ont dépensé un « pognon de dingue » pour soutenir les entreprises et surtout leur « profitabilité », dont les représentants ne tarderont pas à s’inquiéter des déficits budgétaires publics. Le nombre de fonctionnaires et la Protection sociale seront encore aux bancs des accusés.
Dans cette recherche éperdue de domaine fiable et de long terme d’accumulation, le seul secteur vraiment prometteur reste celui de la fameuse « transition énergétique ». Mais, aujourd’hui, cette transition s’appuie encore sur des programmes de subventions d’2tat faramineux. Par conséquent, les limites seront vite atteintes.
Au fond, quel est le drame du Capital ? Ne s’agit-il pas tout simplement de la baisse tendancielle du taux de profit analysée par K Marx dont la figure 1 montre la décroissance sur la période 1960-2020.. Ce résultat a été tourné en dérision, car selon les beaux esprits de l’économie, la croissance du PIB mondial depuis des décennies le déjouerait. Même si la croissance de la valeur ajoutée n’est pas tout à fait un indice d’une bonne tenue des profits, il faut bien admettre que le Capital a mis en place des remèdes temporaires à cette baisse, ce que K. Marx appelait les contre-tendances à la baisse tendancielle, à commencer par les guerres (coloniales, deux guerres mondiales puis des guerres permanentes régionales et maintenant la guerre en Ukraine qui voit s'envoler les profits des entreprises d'armements et de l'énergie), la prolétarisation d’une grande masse de travailleurs du monde dit en développement, l’artefact de la financiarisation, la pression sur les salaires et sur les salariés par des modes d’organisation de plus en plus « scientifique » du travail, etc. Pour autant, rien n'y fait et de nouveaux remèdes durables à cette baisse ne semblent pas émerger.

taux profit 


Figure 1: Évolution du taux de profit mondial entre 1960 et 2020
Le monde du travail et ses représentants ne doivent pas s’en laisser compter sur un système dans lequel ils sont toujours les perdants pour une raison fondamentale, celle de la logique même du capitalisme qui par l'exploitation du travail salarié cherche à capter toujours plus de de la valeur produite pour les profits et l'accumulation du capital au détriment de valorisation de la force de travail. Face aux délocalisations vers des zones où le prix de la force de travail est plus basse et permet donc, au moins en partie et dans une durée déterminée, de contre-balancer la baisse tendancielle du taux de profit, la revendication de réindustrialisation fait sens dans la mesure où elle serait à même de développer le volume de travail. Pour autant, il serait illusoire de penser que dans le système capitaliste, les facteurs qui conduisent au choix actuels de délocalisation ne pèseraient pas. Il est tout aussi indispensable de continuer à revendiquer la socialisation des moyens de production des secteurs stratégiques et leur appropriation démocratiques par les salariés et le peuple et aussi de défendre le salaire et sa partie socialisée et un financement de la Protection Sociale par les seules cotisations pour déjouer la stratégie de son étatisation en cours qui revient à confisquer une part de leur salaire (transformé en impôt !) aux travailleurs. Assurément, des mesures qui tendent à écorner le taux de profit, mais pour autant, il est certain que la valorisation de la force de travail est un gage nécessaire (mais d’évidence pas suffisant) de sortie du cercle infernal du capitalisme.
Pour ce faire, il est impératif de mettre en cause la domination du capital sur l'ensemble de la société. La question centrale est donc bien celle de la propriété privée des grands moyens de production et d'échange, leur appropriation, comme celle du pouvoir d'État, par les travailleurs salariés en tant que classe.

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