738-12/10/2021 Le 30 novembre 2020, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité l’élargissement de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZLCD) passant de 10 à 60 nouvelles implantations.

Cette loi portée, à l’origine, par ATD Quart-Monde et diverses associations luttant contre la pauvreté et l’exclusion sociale (Emmaüs France, Le Secours catholique, Le Pacte civique, La Fédération des acteurs de la solidarité…), fait consensus parmi les groupes politiques au parlement.
La Confédération Générale du Travail (CGT) est la seule organisation à avoir émis des réserves dès novembre 2015, avant même que la première loi soit votée au Parlement. Plus récemment, CFDT et CGT se sont engagées ensemble à la : " construction d'un socle de garanties sociale pour les salariés concernés" ce qui, compte-tenu du soutien clair de L. Berger (CFDT) au dispositif laisse rêveur sur un tel objectif ! Le Comité national des Travailleurs privés d’emploi et précaires (CNTPEP) CGT dans une note revendicative fait le bilan de 3 ans d’expérimentation et insiste sur la remise en question globale des droits collectifs des travailleurs.
De janvier 2010 à janvier 2021, le nombre de privés d’emploi inscrits depuis plus de trois ans à Pôle emploi a plus que triplé, passant de 341 440 à 1 153 460 ! En 2021, la part des privés d’emploi inscrits depuis plus d’un an représente 46,8 % du nombre total d’inscrits. Le fonds TZLCD finance 862 emplois subventionnés par l’État et les collectivités locales. Au regard de ces chiffres et de ses principes fondateurs on ne peut que constater que TZLCD sous couvert de lutte contre le chômage de longue durée constitue tout d'abord une attaque contre les droits sociaux et les garanties collectives des travailleurs.
Ce qu’il est en est des contrats de travail TZLCD :
– à la place des CDI promis, ce sont des CDD de 5 ans soit la durée de la loi d’expérimentation qui ont été proposés à l’embauche;
– une exploitation renforcée des salariés qui s’exerce sans conventions collectives ni fiches de poste. Ce qui conduit à une absence de grille salariale et donc de la reconnaissance des qualifications des travailleurs. Les directions jouent sur la fragilité de ces travailleurs privés d’emploi depuis longtemps, pour leur imposer l’absence de droits et les éloigner de l’action syndicale.
– 80% des travaux effectués relèvent des compétences des agents territoriaux ou du tissu économique déjà présents localement. Ils forment une attaque directe contre les agents territoriaux de ces communes et accentue la concurrence entre les salariés en représentant la manne de travailleurs 100% gratuit pour les employeurs.
– l’absence de fiches de postes entraîne une flexibilité et une polyvalence imposées qui conduit systématiquement à des entretiens disciplinaires voire des licenciements lorsque celles-ci sont contestées par les salariés.
Financement : un vol des cotisations illégal mais rendu possible par la loi d’expérimentation
TZCLD vise à créer et à financer les Entreprises à but d’emploi (EBE) qui en contrepartie du travail effectué, versent aux chômeurs une rétribution dont de l’argent est puisé dans le budget de l’État et de la Sécurité sociale.
En effet, l’opération consiste à une réaffectation des coûts induits par le chômage : dépenses sociales (APL, RSA, AAH...); dépenses liées à l’emploi (ASS, Pôle emploi, Formation professionnelle). Revenus issus des caisses de la Sécurité sociale qui sont ainsi récupérés par l’Etat pour être versées au Fonds national de l’expérimentation qui verse à l’EBE le montant de 100 % du salaire (SMIC). Cette somme doit normalement être modulée en prenant en compte le chiffre d’affaires réalisé par les travaux solvables, or la plupart des EBE sont actuellement déficitaires. C’est donc pour permettre ce transfert des ressources de la Sécurité sociale aux entreprises, auparavant illégal car ne relevant pas du budget de l’Etat, qu’une loi d’expérimentation a été nécessaire.
Une régression sociale : pour s’attaquer au chômage de longue durée, il faut que les salariés se payent eux-mêmes leur salaire et en particulier par la « part indirecte, socialisée ».
Dans une économie fondée sur le profit et l’accumulation du capital, l’activité productive humaine n’a pas vocation première à répondre aux besoins sociaux de la population. Ainsi des lits d’hôpitaux, répondant à de réels besoins de la population, continuent à être supprimés et de nombreuses activités productrices de biens ou de services sont abandonnées car jugées insuffisamment rentables. Mais dans les EBE, le prix de la valeur de la force de travail est nul pour l’employeur puisque l’association d’une part d’aides de l’Etat et d’autre part des cotisations sociales revient à transformer du salaire indirect socialisé en salaire direct. C’est-à-dire transformer des droits inaliénables du salarié en un revenu conditionné par une obligation de travail. Il y a donc un changement radical dans la notion de salaire puisque ici, il ne correspond plus à l'achat de la force de travail par un patron mais à une rémunération contre une obligation de travail. Cela rappelle les pratiques de plusieurs conseils départementaux qui exigent du travail gratuit en échange du RSA. Dès lors de nombreuses activités comme l’élagage, le débroussaillage, l’entretien et le nettoiement des tombes, la collecte des déchets, l’aide à domicile, etc. peuvent être assurées par les EBE, emplois qui devraient relever de la Fonction publique. Les luttes d’après-guerre ont permis de gagner un ensemble d’emplois répondant aux besoins sociaux tout en assurant aux personnels la pérennité de leurs missions par l’octroi d’un statut de fonctionnaire. Depuis les attaques incessantes menées contre les services publics ont nettement fait reculer l’emploi public.
TZLCD fabrique autant de chômeurs que n’importe quelle autre entreprise !
Les promoteurs de TZLCD et leurs dirigeants présentent les EBE comme une « solution » au chômage de longue durée en martelant que « personne n’est inemployable lorsque l’emploi est adapté aux capacités et aux compétences des personnes ». Définir les salariés par leur employabilité est devenu la référence des Directions des ressources humaines, l’expérimentation TZLCD prétend donc être une sorte d’« école de la deuxième chance » en proposant des emplois « adaptés ».
Cette conception cache les racines économiques profondes du chômage dans le système capitaliste. Elles sont liées à l’accumulation d’un capital concentré dans des mains en nombre toujours plus réduit. Elle cache les choix économiques et politiques de casse de nos industries et de nos services publics qui conduisent au chômage de masse que nous connaissons. Le chômage n’est pas un accident de parcours : c’est une réserve de main d’œuvre pour faire pression sur l’ensemble des travailleurs par le chantage à l’emploi. Alors que ce dispositif est censé être un tremplin pour un retour à l’emploi durable, force est de constater, une mise à l’écart du Service Public de l’Emploi, cantonné dans un rôle de « pourvoyeur » de liste de privés d’emploi éligibles au dispositif ; ces agents n’interviennent plus dans le suivi et l’accompagnement au service de ce public fragilisé.
A ce jour, 240 collectivités se sont portées candidates, qui voient certainement dans la généralisation de TZCLD une aubaine pour concurrencer d’actuels emplois d’agents territoriaux. La suppression de l’ensemble des emplois aidés renforce encore cet appel d’air pour profiter d’une manne de travailleurs gratuits pour les différentes collectivités ou entreprises privées. Avec le développement du travail gratuit -multiplication des stages non rémunérés et de services civiques, notamment dans les services publics chargés de l’action sociale comme à Pôle Emploi, à la Sécu etc.- ainsi que la mise en place de TZCLD s’installe l’idée cynique qu’il n’est pas possible de s’attaquer au fléau du chômage de masse, en particulier pour les chômeurs «de longue durée» sans que ceux-ci se paient eux-mêmes leur salaire et qu’aucun coût ni contreparties n’existent pour l’employeur.
Nous nous opposons à tout élargissement ou prolongation de cette expérimentation et revendiquons l’intégration des salariés des EBE dans les entreprises publiques ou privées dont elles concurrencent les emplois, il faut d'autres solutions pour un travail pour tous qui est un droit, et qui soit garant du progrès social.
La solution au problème du chômage de masse ne passe pas par des "solutions" qui détruisent l'emploi et las acquis sociaux des luttes des salariés pour augmenter les profits capitalistes. Elle passe par le développement de la production pour satisfaire les énormes besoins sociaux, elle passe par la reconquête et le développement des services publics et des entreprises publiques, elle passe par une formation de haut niveau pour tous, par le développement de la recherche et de la culture, elle passe par des meilleurs salaires avec un SMIC à 2.100 Euros et une réduction du temps de travail, elle passe par un droit du travail renforcé avec l'abrogation des réformes sur les retraites et l'augmentation immédiate des pensions, celle sur l'indemnisation du chômage...En clair, elle passe par la lutte des classes pour les revendications essentielles des salariés. Elle s'inscrit dans la lutte pour en finir avec un système capitaliste prédateur de l'homme et de la nature.

Les dirigeants de TZCLD: Louis Gallois, président du fonds TZCLD. Nommé entre 2012 et 2014, commissaire général à l'investissement, il est l’auteur du rapport « Compétitivité France », dont l’une des propositions est le transfert d’une partie significative des cotisations sociales jusqu’à 2,5 SMIC –30 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB – vers la fiscalité. Ce transfert concernerait pour deux tiers les cotisations patronales, et pour un tiers les cotisations salariales. Il est « Monsieur liquidateur des entreprises publiques » (EADS, SNCF, Safran Snecma…), Il est aussi président de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNASR comprenant Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France, Ordre de Malte France, etc.).Michel Davy de Virville, vice-président du Fonds d'expérimentation TZCLD : Ancien DRH du groupe Renault, ancien président de la commission du MEDEF « Relations du travail ». Il a rédigé un rapport pour le gouvernement Fillon en 2004 « Pour un droit du travail plus efficace » où il défend le contrat de projet et le remplacement du CDI par un contrat de travail unique.
Patrick Valentin, directeur du Fonds d’expérimentation : a été représentant de l’UIMM en Île de France chargé de la mise en place de la loi sur la formation continue. Il déclare : « le chômage n’est pas un problème économique mais éthique, la conséquence des égoïsmes. »