N° 812 16/03/2023 Débutée par un grand discours censé rompre une énième fois avec les pratiques méprisantes et donneuses de leçon de l’ancienne puissance coloniale, la semaine africaine d’Emmanuel Macron est un échec complet, tant l’accueil des populations ne peut laisser aucun doute sur les résultats possibles et tant est flou le nouveau projet africain de la France présenté à l’Élysée.

« La nécessaire humilité » mise en avant par le Président français n’a guère débouché sur une vision nouvelle des dossiers franco-africains.
Le voyage a commencé au Gabon, dirigé par Ali Bongo, fils et successeur de son père Omar Bongo, qui fut un des plus fidèles serviteur des multinationales française, s’est poursuivi en Angola, puis dans la République du Congo, où siège un « président à vie » très soucieux des intérêts de l’ancienne puissance coloniale et s’est terminé à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, où tout un peuple l’a attendu sur le pied de guerre…

Macron prend les Gabonais pour des imbéciles
C’était mal engagé. A six mois de l’élection présidentielle, les Gabonais méfiants n’ont guère cru à un déplacement motivé par la grande conférence « One forest summit », laquelle conférence a été décidée en marge de la COP23, par Macron et Bongo. Le soutien à Ali Bongo est à peine déguisé.
La population de Libreville a salué l’arrivée du président français par des concerts de casseroles et une journée ville morte, tandis qu’à Port Gentil, les habitants ont sorti les drapeaux russes.

En RDC, le ressentiment
Mais c’est à Kinshasa, que le voyage aura été le plus périlleux. Depuis le début de son quinquennat, Macron n’a eu de cesse de resserrer les liens entre la France et le Rwanda, un pays qui via le mouvement rebelle M23 attaque l’Est de la RDC depuis plus de dix ans. Les Congolais sont à cran, à bout, la détestation de Paul Kagamé a atteint des sommets. Ils sont ulcérés du manque de réaction internationale devant cette agression de leur intégrité territoriale. Lorsque les Congolais comparent leur situation au soutien occidental à l’Ukraine, ils évoquent « un deux poids deux mesures » dont ils sont les victimes .
Macron ne peut pas prendre le risque de fâcher son homologue rwandais, Kigali étant devenue une pièce de la stratégie française en Afrique. Les soldats rwandais sont, à la demande de Paris, envoyés en Centrafrique, au Mozambique et il est question qu’ils remplacent les forces françaises présentes au Bénin

« Macron et Kagamé criminels »
En fin de compte, la visite d’Emmanuel Macron à Kinshasa n’a pu que raviver la colère des citoyens de la RDC qui ont crié leur mécontentement. Les murs de l’ambassade de France ont été tagués : « Macron/Kagamé = criminels » « Macron = M23 ».
Macron n’a absolument pas réussi à atténuer la déception du peuple congolais dans le dossier de l’aide rwandaise au groupe M23.
Beaucoup de journalistes et même de dirigeants africains s’interrogent sur le but réel de cette visite ; peut-être un moyen de fuir la lame de fond de la contestation en France. Et probablement de cacher que, contrairement aux annonces fracassantes les dirigeants de la puissance impérialiste française n’ont pas l’intention de priver l’Afrique de ses militaires.

La réalité de la situation
L’armée française n’est pas sur le départ. Si elle a été obligée de plier bagage au Mali, puis au Burkina Faso, trois mille soldats français sont encore présents au Niger ou encore au Tchad, au Sénégal, en Côte-d’Ivoire. "Le Monde Diplomatique" caractérise ainsi cette situation qui perdure : « Paris reste en guerre au Sahel contre un ennemi aux contours flous, commodément qualifié de "terroriste", une guerre à durée indéterminée, qui se poursuit dans un cadre légal imprécis (et jamais discuté par les parlementaires), avec des méthodes opaques que la France compte même étendre aux pays côtiers du golfe de Guinée. ».
Car si l’essentiel des troupes (1200 hommes) est désormais concentré à Niamey, capitale du Niger, on peut noter la présence (nouvelle) de soldats français au nord du Bénin. Les deux pays de la région les plus engagés dans l’accueil et l’utilisation des soldats français, le Niger et la Côte d’Ivoire possèdent des dirigeants qui sont d’éminents serviteurs des compradores, mais ils marchent sur des œufs, les peuples de ces pays en ont assez de la tutelle de « l’ancienne » puissance coloniale et notamment du poids de ses militaires.
Le Mali, le Burkina où c’est l’armée française qui a permis à l’ex président Compaoré, l’assassin de Sankara, de fuir, servent aujourd’hui d’exemple pour la population d’autres pays. Le ressentiment contre la domination néocoloniale française monte en puissance, en Guinée mais aussi au Niger, justement, au cœur du dispositif guerrier. Beaucoup d’Africains se demandent quel est le jeu de Paris avec les groupes armés fascistes islamistes. Personne n’a oublié que quand Hollande a envoyé ses troupes à Bamako, c’était d’abord pour renverser le gouvernement du capitaine Sanogo et mettre à sa place des dirigeants dociles mais aussi aider certaines milices touaregs dans le nord du pays et en combattre d’autres, peut-être plus sous influence US. Où en est ce jeu ? On ne le sait pas bien, mais il y a matière à s’interroger.
On peut légitimement penser que l’Etat français a besoin d’une guerre qui dure pour légitimer sa présence militaire, qui lui permette donc de s’installer durablement, de veiller à ce que les militaires locaux ne veuillent pas, comme au Mali et au Burkina Faso, récupérer la souveraineté de leur pays et de continuer à avoir la main sur les ressources naturelles.
La sociologue antimondialiste et féministe malienne, Aminata Traoré, figure de l’Afrique progressiste, va plus loin. Dans une interview à l’hebdomadaire "Le Journal du Mali", elle se réjouit de la souveraineté retrouvée du Mali et rappelle que : « La guerre dite "anti-djihadiste" est en réalité sous nos cieux une nouvelle étape de l’impérialisme et de la recolonisation par l’intervention militaire. »

Ce que signifie la volonté de chasser l’impérialisme français
En France, la plupart des commentateurs, fussent-ils officiellement anticolonialistes n’aiment pas cette vision de peuples africains décidés à enfin chasser la puissance néocoloniale, ils préfèrent expliquer, comme Macron, que ce sont les Russes qui sont derrière tout cela. C’est tellement plus facile !
Que les Russes, comme les Chinois ou les Turcs aient pris pied en Afrique, qu’ils concurrencent lourdement les influences états-unienne ou française est une réalité. C’est le jeu entre les puissances impérialistes, l’une des expressions les plus claires du stade de l’impérialisme. Mais pour autant, ce n’est pas contrairement à ce qu’avait écrit le ministère français de la Défense à propos du Centrafrique en 2022 « une désinformation massive avec l’aide de la Russie » qui explique le ressentiment des populations notamment d’Afrique de l’ouest contre la France néocoloniale. Les populations confrontées à la "guerre anti-djihadiste" constatent que les organisations fascistes islamistes ont tendance à prospérer et les zones touchées par les combats à s’étendre, et que l’armée française (au Mali) ne laissait aucune autonomie à l’armée locale. Les prises de pouvoir par les militaires au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, sont des traductions de la colère de ces populations. Ces pays ont décidé de revoir leurs politiques sécuritaires et de changer leurs alliances et surtout de se débarrasser de la France néocoloniale non seulement parce qu’ils la jugent inefficace mais surtout parce qu’ils se méfient du jeu opaque qu’elle joue. D’ailleurs, les premiers ministres burkinabé et malien ont signé à Ouagadougou des accords de coopération militaire pour combattre les milices fascistes et économiques pour lutter contre les sanctions économiques décidées par la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest), qui est dans la main de la France et relancé un vieux projet de fédération entre leurs deux pays et la Guinée.

Conclusion
Les raisons de la volonté de chasser la France, sont donc bien plus profondes que la simple action souterraine de la Russie. C’est d’ailleurs prendre les Africains pour des imbéciles que de donner à penser que c’est simplement parce que les Russes le leur disent qu’ils rejettent la France. Cela rejoint d’ailleurs la prestation de Macron, notamment en RD du Congo. C’est toujours avec le même mépris qu’il traite le président congolais Félix Tshisekedi, qui n’est pas connu comme un anticolonialiste farouche ni un grand révolutionnaire.
Derrière la manière inchangée de prendre les dirigeants africains (sauf les copains) pour des mineurs, la vérité est que Macron ne compte pas changer d’un iota sa politique. Le slogan « La Françafrique, c’est fini ! » n’est jamais qu’un slogan, qui avait d’ailleurs déjà été prononcé par Sarkozy, puis par Hollande.
La puissance néocoloniale française va rester en Afrique, avec son armée, et tout le cirque de Macron cache mal que le but, est, selon les mots de Lampedusa dans "Le Guépard", « que tout change pour que rien ne change ».
Le Parti Révolutionnaire Communistes se tient aux côtés des travailleurs et des peuples africains qui souhaitent retrouver leur souveraineté en se débarrassant de la tutelle néocoloniale de la France impérialiste. Nous exigeons le départ d’Afrique de toutes les troupes qui n’ont rien à y faire, en particulier celles de la France.