N° 782 16/08/2022 Les manœuvres militaires chinoises autour de l’île de Taïwan viennent de se terminer. Ces manœuvres de très grande ampleur sont une réponse à la visite de la présidente démocrate de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi sur l’île de Taïwan.

Elles viennent de reprendre du fait d'une visite de parlementaires Démocrates et Républicains du Sénat et de la Chambre des représentants. La visite de N. Pelosi n'est pas un fait banal compte-tenu des enjeux que représente l'île au regard des questions de souveraineté pour la République Populaire de Chine RPC et des intérêts économiques et géopolitiques de la région.
Cette visite marque la volonté d’affronter ouvertement Pékin. Elle a fortement mécontenté Tokyo et Séoul qui n’ont pas manqué de le faire savoir à N. Pelosi. Ces deux capitales ne veulent pas faire les frais d’un conflit entre la Chine et les USA. Elles sont partagées entre la pression des USA pour augmenter leur budget militaire et d’éviter de mécontenter Pékin. Car cette visite qui est une provocation donne prétexte à la Chine de militariser sa politique extérieure dans ce qu’elle considère être sa zone d’intérêt. L’armée chinoise a annoncé que les patrouilles navales et aériennes seront maintenues.

Pour comprendre l’enjeu de Taïwan il convient de faire un bref retour sur son histoire.
Avant d’être chinoise l’île était peuplée de populations austronésiennes organisées en tribus rivales. Les chinois qui ont cherché à s’implanter sur la côte ouest dès le 13e siècle ont été confrontés à l’hostilité de ces populations. L’île fut jusqu’au 16e siècle une zone de commerce entre l’empire de Chine et celui du Japon. A la fin du 16e siècle la compagnie des Indes orientales des Pays Bas prend pied à Taïwan. Elle recourt à la main d’œuvre chinoise du continent pour développer la culture du riz et de la canne à sucre. C’est le début de l’implantation chinoise. Les chinois mirent fin à la présence hollandaise au 17e siècle. Mais l’île dont l’intérêt était alors marginal fut intégrée à l’empire uniquement en 1885. Jusque-là l’empire ne contrôlait qu’une frange limitée du territoire, le reste étant sous la domination des tribus aborigènes. A l’issue de la première guerre sino-japonaise (1894-1895) Taïwan fut rétrocédé au Japon vainqueur par le traité de Shimonoseki. L’occupation qui a duré jusqu’en 1945 a profondément marqué l’île. Alors que la Chine ne rentre pas dans le monde moderne, le Japon entame sa transformation vers la société industrielle capitaliste. La politique du Japon était d’assimiler la population de l’île pour l’intégrer à l’Empire. L’électrification fut développée ainsi que le chemin de fer, le réseau routier. Tous les villages furent desservis par la poste et le télégraphe. Des centres de santé furent mis en place dans les villes et les villages. Les mariages mixtes furent autorisés entre japonais et chinois. L’apprentissage du japonais fut ouvert à tout le monde. L’investissement du Japon dans l’enseignement primaire et supérieur élevèrent le niveau d’éducation. Plusieurs milliers d’étudiants taïwanais firent leurs études dans les universités japonaises. Le colonisateur japonais a exercé une politique discriminatoire à l’égard des populations autochtones. Le développement des infrastructures l’accaparement des terres par des société privées entraînèrent des révoltes qui furent réprimées avec cruauté. 200.000 Taïwanais furent enrôlés dans l’armée impériale nippone dont 30.000 ont été tués. La conférence du Caire du 1e décembre 1943 auquel la Chine participa confirmée par la déclaration de Potsdam du 26 juillet 1945 prévoyait que Taïwan soit rétrocédé à la République de Chine. La défaite du Japon entraîna la rétrocession de l’île à la République de Chine le 25 octobre 1945.

Le retour de Taïwan à la République de Chine
Les dirigeants de la Chine continentale contrôlée par le Kuomintang (KMT) de Tchang Kaï-Chek considéraient les Taïwanais comme des traîtres ayant combattu au côté du Japon. Ce d’autant que les élites Taïwanaises parlaient le japonais et maîtrisaient mal le mandarin. L’administration de l’île fut assurée par des chinois continentaux qui importèrent avec eux la corruption. Le mécontentement qui couvait explosa en février 1947, la journée connue sous le nom « d’incident 228 » fut marquée par une répression féroce qui marqua le début de la terreur blanche qui fit selon les estimations entre 10.000 et 30.000 morts. Toutes les demandes des Taïwanais de participer aux institutions locales furent rejetées. L’île était en insurrection, la loi martiale fut proclamée, elle dura 38 ans jusqu’en 1987. L’armée du continent fut appelée en renfort. La violence avec laquelle le gouvernement chinois écrasa la révolte fut un élément fondateur de l’identité Taïwanaise et du ressentiment à l’égard du continent. Elle donna corps au sentiment indépendantiste, car la violence opposa les Taïwanais à l’armée mais aussi aux chinois nouvellement arrivés. En 1995 le président de la République de Chine (Taïwan) présenta des excuses publiques aux familles des victimes dans le parc du Mémorial de la Paix 228. Il introduisit dans le calendrier national un nouveau jour férié : Le jour de la Paix.

La fondation de la république Populaire de Chine en décembre 1949 marqua la défaite de Tchang Kaï-Chek et du KMT. Ce dernier se réfugia à Taïwan avec plus de 2 millions de militaires, fonctionnaires et partisans du Kuomintang. Leur arrivée s’est traduite par une mainmise sur l’ensemble de l’appareil étatique et économique de l’Île. La loi martiale est maintenue, les syndicats et partis sont interdits (sauf le KMT). Pour le Kuomintang il s’agit d’assimiler une population qui n’a fait que brièvement parti de l’empire chinois et qui s’est construit une culture mixte avec l’identité japonaise et les populations autochtones. Toute expression opposée à la sinisation forcée est assimilée à de la propagande communiste. A la mort de Tchang Kaï-Chek son fils lui succède qui va progressivement desserrer l’étau mis en place par son père.
La République de Chine occupait le siège de la Chine à l'ONU jusqu'en 1971, date à laquelle c'est la République Populaire de Chine qui fut reconnue comme l'unique représentant légitime. Elle devint membre du conseil de sécurité. La République Populaire de Chine considère Taïwan comme une de ses provinces et refuse toute relation diplomatique avec les pays qui reconnaissent la république de Chine. Cette réalité est acceptée par l'immense majorité des États représentés à l'ONU, y compris les États-Unis, seuls une quinzaine d'États mineurs entretiennent des relations diplomatiques avec Taïwan(1) .
Pour les États-Unis, qui ont apporté leur soutien à la République de Chine, espérant en faire une base pour abattre la RPC, la réalité a fini par les convaincre qu'une autre approche était nécessaire et elle a accompagné le rapprochement des deux États. Ainsi, Le président américain Nixon a mentionné dans son discours inaugural en janvier 1969 que les deux pays entraient dans une ère de négociation après une ère de confrontation. Du point de vue des États-Unis, il s'agissait aussi d'isoler l'URSS.
Depuis cette date, les relations commerciales Chine-USA se sont amplifiées et le développement capitaliste de la Chine en a fait un adversaire potentiel puissant mettant en danger la domination des États-Unis au sein du système capitaliste mondial(2) . La Chine est même aujourd'hui officiellement qualifié "d'ennemi systémique des USA" et toute leur stratégie est tournée vers un affaiblissement économique et politique de la Chine avec une réorientation marquée de ses efforts militaires et de ses alliances dans la zone Asie-Pacifique(3) . Du coup, Taïwan et son détroit, particulièrement important dans les échanges commerciaux entre l'Asie et le reste du monde, prennent une importance stratégique dans la lutte que se mènent les deux plus grandes puissances capitalistes de la planète. La RPC s'appuyant sur sa reconnaissance internationale de seule représentante de la Chine, entend recouvrir sa souveraineté sur Taïwan. Un livre blanc expliquant pourquoi et comment elle compte reprendre ce territoire vient récemment d'être publié. S'il propose en priorité une réunification pacifique, elle n'hésite pas à brandir la menace militaire contre toute volonté indépendantiste. Les États-Unis, très présents militairement dans la région promettent de défendre à tout prix Taïwan contre ce qu'il qualifie d'une agression de la RPC, tout en restant officiellement cantonnés à leur doctrine d'une seule Chine.
Après l'Ukraine, un second front est-il en train de s'ouvrir en Asie autour de la question de Taïwan? C'est une question légitime quand on mesure la montée des affrontements au sein du système impérialiste. Il faut avoir conscience qu'une telle perspective si elle devenait réalité signifierait une guerre d'ampleur mondiale. La question posée est donc de l'action solidaire des peuples pour prévenir et empêcher une nouvelle guerre mondiale. De notre point de vue, en mesurant que c'est le développement du capitalisme qui génère les tensions en exacerbant les concurrences pour la réalisation du profit et l'accumulation du capital à l'échelle mondiale, nous disons que seule la lutte anticapitaliste résolue à l'échelle nationale et internationale est de nature à briser les logiques de guerre. Plus que jamais reprenons le slogan de K. Marx et F. Engels:" prolétaires de tous les pays unissez-vous"!

Imprimer cet article

(1) En 1971 l’assemblée générale des Nations unies reconnaît la République populaire de Chine comme seul représentant légitime de la Chine à l’ONU en adoptant la résolution N°2758
(2 )https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/monde/1460-le-centre-des-affrontements-au-sein-de-l-imperialisme-se-deplace-vers-la-zone-asie-pacifique
(3) https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/asie/1613-montee-des-tensions-en-mer-de-chine