Gantry 5

 

N° 799 14 décembre 2022  Une visite qui signe comme un glissement….Le Président Xi Jinping réalise sa première visite d’Etat à Ryad après le congrès du Parti Communiste Chinois, qui l’a consacré comme leader incontesté y compris en termes de pensée politique.

Et ce choix n’est pas anodin. A cette occasion, les deux parties ont lancé des messages. Du côté saoudien, il s’agit de montrer clairement l’indépendance stratégique du Royaume qui semble rompre le pacte du Quincy, scellé en février 1945 avec les Etats-Unis. Le fondateur du Royaume saoudien, Ibn Saoud, et le Président Roosevelt avaient alors signé sur le navire Quincy une alliance du type pétrole (Aramco, alors propriété de diverses compagnies pétrolières américaines, obtient des concessions sur les immenses gisements saoudiens) contre la protection militaire américaine.

Les observateurs ont noté la différence de ton entre la visite du Président Biden, invité à assister à un sommet régional et l’emphase mise pour célébrer « une nouvelle phase historique de relations avec la Chine ».
L’essentiel des discussions ont eu trait à l’énergie – l’Arabie Saoudite est le premier fournisseur de la Chine (mais les échanges ont eu également comme objet le développement de l’énergie nucléaire). En résumé, l’Arabie Saoudite marque sa volonté de se démarquer et signifie qu’elle n’est pas alignée sur les objectifs des Etats-Unis. Déjà, en octobre 2022, des tensions ont vu le jour quand l’Arabie Saoudite a refusé de retarder les décisions de baisse de production de pétrole malgré les demandes pressantes des Etats-Unis (en campagne électorale).
La Chine, tout à son projet de développement, ne peut être que favorable à cette émancipation stratégique. Et les dirigeants chinois appuient même sur un point hyper sensible en ouvrant les discussions au sujet de la monnaie de transaction. Pourquoi pas le yuan au lieu du dollar ?
Sujet sensible pour les Etats-Unis : la dollarisation du commerce international alimente un besoin permanent du « billet vert » et par conséquent, les Etats-Unis peuvent se permettre un endettement monstrueux selon les standards financiers communs.
Pour l’instant, la proposition chinoise a été reçue avec circonspection par les dirigeants saoudiens (le Royaume détient $120 milliards de dettes américaines et sa monnaie est indexée sur le dollar). Pour autant, l’intensification des échanges commerciaux entre les deux pays ouvre une voie : à terme, en effet, le pétrole pourrait être vendu en yuans, qui paieraient les achats chinois des Saoudiens.
Ces développements sont à replacer dans le cadre de l’affrontement au sein de l'impérialisme, entre les deux puissances dominantes chinoise et états-unienne, dans lequel les différents Etats, selon l’intérêt de leur classe dominante respective, orientent leurs politiques commerciales, financières voire militaires pour conserver des marges d’autonomie et/ou de manœuvre.
Constatons, que contrairement à ceux de l’Union européenne, les dirigeants de l’Arabie Saoudite n’alignent pas leur agenda stratégique sur celui des besoins de l’impérialisme états-unien. Nous avons donc avec cette rencontre l'illustration du caractère de plus en plus multipolaire d'un monde dominé par le système capitaliste.

Union Européenne : Les serviteurs zélés légifèrent au nom des intérêts du capital
L'affaire du Qatargate secoue depuis quelques jours le Parlement européen, tous les regards sont braqués sur la Grecque Eva Kaili vice-présidences du parlement européen soupçonnée d’avoir été chargés de soigner l'image de l’émirat gazier(1) . D'autres personnes soupçonnées de corruption et de blanchiment d'argent au sein de l'institution européenne ont été arrêtées. Parmi elles, Francesco Giorgi, assistant parlementaire, Luca Visentini, dirigeant syndical de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), Pier-Antonio Panzeri, ancien eurodéputé et directeur d'ONG, ou encore Niccolò Figà-Talamanca, secrétaire de l'ONG No Peace Without Justice. Ils sont soupçonnés par le parquet belge d'avoir reçu des pots-de-vin du gouvernement qatari et de versement d’importantes sommes d’argent ou d’offre de cadeaux significatifs « à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique permettant, au sein du Parlement européen, d’influencer les décisions» de cette institution.
L’affaire éclate en plein Mondial 2022 de football, alors que le pays organisateur doit déployer des efforts pour défendre sa réputation décriée en matière de respect des droits humains, notamment ceux des travailleurs immigrés. L’arrestation de Luca Visentini, secrétaire général de la CSI révèle un aspect du système politique de l’Union européenne: la corruption, pots-de-vin et transactions frauduleuses, dissimulation de crimes commis contre des milliers de travailleurs, dont beaucoup ont perdu la vie au Qatar(2) pour que des profits énormes d’entreprises capitalistes soient assurés par le travail d'une main d’œuvre immigrée exploitée de façon brutale, pour la construction des infrastructures de la Coupe du monde inexistantes il y a 10 ans.

Corruption au sein même du mouvement syndical
L’arrestation de l’ancien secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) et récemment élu secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI) met également au grand jour la question de corruption au sein même du mouvement syndical et son soutien aux politiques capitalistes et anti-ouvrières de l’Union européenne, ses attaques continuelles contre les droits du travail et sociaux des salariés. La Fédération Syndicale Mondiale avait dénoncé et mené des campagnes pour condamner les crimes et l’impunité d’exploitation contre les travailleurs dans le processus de préparation de la Coupe du monde. Le Qatar a mis toutes ses forces pour se façonner une image de puissance régionale, dépensant sans compter pour arriver à ses fins.
La coupe du monde de football donne un coup de projecteur médiatique énorme c’est un outil important dans le jeu d’influence des États, aucun effort n’a été épargné: un demi-milliard de dollars étaient dépensés chaque semaine.
Si 220 milliards(3) de dollars ont été dépensés dans la construction des infrastructures nécessaires, une partie de cette somme a été utilisée à des fins de propagande, de corruption et de publicité, dans l’objectif de créer un discours en faveur du Qatar et de sa coupe du monde. Un lanceur d’alerte expliquait que les Qatariens ont « recruté des journalistes, des blogueurs et d’autres personnalités pour monter en épingle des histoires négatives, espionner des rivaux, produire des rapports de renseignement sur des personnes clés et susciter des protestations à la base. »
Ce ne sont pas les seules méthodes employées par le Qatar afin d’assurer sa sélection pour la coupe du monde 2022. De l’argent sale a coulé à flot entre le Qatar et les membres du comité exécutif de la FIFA, accusés d’avoir perçu des millions de dollars du Qatar pour qu’ils votent en faveur de ce dernier. Des entreprises de corruption au plus haut niveau, le Qatar aurait acheté le soutien de la France sous la présidence de Sarkozy en échange d’un contrat pour la vente de Rafales et le rachat du PSG.
La désignation d’ambassadeurs parmi les plus grandes stars planétaires est aussi un facteur important de diffusion d’un discours positif auprès du public, le Qatar s’est acheté les services de stars du football(4) et de personnalités. Les opérations de propagande sont également très présentes sur le web, le gouvernement qatarien finance des influenceurs en échange d’opérations de communication positive sur les réseaux sociaux. La principale force de frappe médiatique du Qatar c’est aussi la chaîne d’informations en continu "Al Jazeera", créée en 1996, en lançant en 2006 "Al Jazeera English" la chaîne c’est offerte à une audience mondiale.

L’indignation de façade des puissances impérialistes.
Des cris d’orfraie ont pu se faire entendre de la part des puissances impérialistes autour du traitement des travailleurs immigrés ou des personnes LGBT dans le pays, une indignation hypocrite et de façade, quand on sait que des pays comme les États-Unis ou la France sont des partenaires privilégiés du Qatar. Par l’intermédiaire de ses plus grandes entreprises de construction, la France a participé à la construction des infrastructures pour la coupe du monde, sans se soucier de la situation des travailleurs mourant sur leurs chantiers. Pas de remords à vendre des armes, dont des hélicoptères de combat et des Rafales a un pays qui bafoue les droits humains, au contraire Macron a félicité le Qatar pour l’organisation de la coupe du monde « pour la première fois organisée dans le monde arabe, témoigne de changements concrets qui sont à l’œuvre. Le Qatar s’est engagé dans cette voie et doit continuer. Il peut compter sur notre soutien ». Les États-Unis ont 10 000 militaires stationnés dans la base militaire d’Al-Udeid, ce type de partenariat ne se fait jamais sans contrepartie, lieu stratégique pour surveiller le Moyen-Orient. Les crimes du gouvernement qatarien sont rendus possibles par leur connivence.

Tout ce que le capitalisme touche est corrompu.
Le registre commun à la Commission et au Parlement compte à ce jour plus de 12.000 organisations déclarées comme représentantes d’intérêts auprès des décideurs et fonctionnaires de l’Union européenne (UE). 30.000 équivalents temps plein déclarés. L’Organisation non gouvernementale Transparency International estime quant à elle à environ 26 500 le nombre de lobbyistes présents de façon régulière à Bruxelles, et à environ 37.300 le nombre de personnes impliquées dans les activités de lobbying dans la capitale belge. Cette dernière concentre ainsi le deuxième plus gros bataillon de lobbyistes du monde après Washington.
Le secteur représente un business de plusieurs milliards d’euros par an au sein de l’UE. Les lobbyistes(5) les plus influents dépensent plusieurs millions d’euros par an. Les géants technologiques américains dominent non seulement le marché occidental avec leurs produits et services, mais ils sont aussi à l'origine d'une grande partie des dépenses en lobbying enregistrées en Europe. Près de 30 millions d'euros : c'est le montant annuel que les GAFAM(6) investissent pour influencer les politiques de l'Union européenne, selon les estimations publiées par LobbyFacts.

On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même
En France aussi, le capital a mis ses serviteurs à la barre du gouvernement pour tenir sa feuille de route. La moitié des 41 ministres possède plus d’1 million d’euros. La moyenne du patrimoine brut des ministres est de 1,9 million d’euros (1,5 million net, dettes déduites).
A comparer avec le patrimoine moyen des Français : 192.400 euros brut (147.200 net), à quelques exceptions près, tous les ministres se situent dans les 10 % les plus riches et/ou les 10 % ayant les revenus les plus élevés, avec une tendance manifeste à rejoindre le tout petit carré des 1 %
Le qatargate met en lumière comment et de quelles façons ils exploitent les travailleurs et les peuples du monde entier, comment ils pillent les richesses de la planète pour augmenter leurs profits…
Lutter contre nos ennemis de classe jusqu’à les anéantir, construire une société nouvelle, le socialisme, tel est le but du combat que nous menons en France jour après jour. C’est aussi celui de tous les partis révolutionnaires qui existent dans le monde.

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(1)Eva Kaili, ex-présentatrice télé de 44 ans, élue en janvier 2022 à l’une des vice-présidences du Parlement européen, s’était rendue début novembre au Qatar où elle avait salué en présence du ministre qatari du Travail les réformes de l’émirat dans ce secteur. L’ambassadeur de l’UE à Doha Cristian Tudor avait alors assuré sur Twitter la publicité de cette rencontre jugée positive. L’organisation du Mondial par le Qatar témoigne de la «transformation historique d’un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe», avait aussi affirmé Mme Kaili le 22 novembre à la tribune du Parlement européen.
(2)la construction de l'infrastructure mégalomane qui accueille la Coupe du monde a coûté la vie à des milliers de travailleurs qui ont dû subir des journées de travail interminables, des températures suffocantes, des salaires de misère et des conditions de santé et de sécurité inexistantes ; des travailleurs du continent africain et d'Asie du Sud-Est qui ont été contraints d'accepter des contrats d'esclavage, connus sous le nom de système de la kafala, où l'employeur conservait leur passeport, imposait ses conditions de travail lui permettant d'emprisonner ou d'expulser sans compensation quiconque ne s'y conformait pas.
(3)Au total, plus de 220 milliards de dollars auraient été dépensés pour l’organisation de la coupe du monde. Une somme faramineuse, onze fois supérieure au dernier record de 20 milliards de dollars dépensés par le Brésil pour la coupe du monde de 2014. Une grosse partie de cette somme a alimenté les entreprises de lobbying, les pots de vins et de communication de manière générale
(4)Cafu, Eto’o, David Beckham, l'ex-international anglais touchera pas moins de 178 millions d'euros, soit 11,8 millions d'euros par an pour 15 ans !
(5)Le Conseil européen de l’industrie chimique, par exemple, dépense 12 millions d’euros chaque année Parmi les plus gros lobbyistes, on retrouve également le cabinet FleishmanHillard, pour le compte de l’agrochimiste Monsanto. Le cabinet emploie 60 lobbyistes, dont presque tous ont accès au Parlement et dépense plus de 7 millions d’euros par an pour défendre les intérêts de ses clients auprès des décideurs européens. American Chamber of Commerce, ou « AmCham », n’est pas une chambre de commerce, mais une organisation qui représente les intérêts d’une soixantaine de grandes firmes américaines, comme Chevron, Mars, Pfizer ou la Walt Disney Company.
l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) très proche avec les industriels des secteurs qu’elle doit contrôler et les conflits d’intérêts au sein de ses panels d’experts, près de la moitié de ses experts sont liés à l’industrie. Le géant des VTC consacre autour de 800 000 euros par an pour défendre ses propres intérêts auprès des institutions européennes La SNCF consacre par exemple environ 650 000 euros par an pour son lobbying auprès de l'UE et les compagnies aériennes Lufthansa et Ryanair respectivement autour de 550 000 et 250 000 euros.
(6)Avec chacun plus de 6 millions d'euros investis en 2021, Apple, Meta et Google sont les représentants de la tech qui dépensent le plus en lobbying auprès de l'UE. Avec un budget compris entre 3 millions et 6 millions d'euros, on retrouve ensuite des entreprises comme Microsoft, Amazon, Qualcomm et le géant chinois des télécoms Huawei. Google est un des plus importants lobbyistes à Bruxelles, ceux-ci ont officiellement rencontré 220 fois des membres de la Commission européenne.