N° 832/03/2023 Présentation du sommet
Après une première édition à Sotchi en 2019, la Russie organisait à Saint-Pétersbourg un Sommet Russie-Afrique les 27 et 28 juillet 2023. Les délégations de 49 pays africains, dont 17 chefs d’États, étaient réunies à Saint-Pétersbourg.
Les dirigeants russes, en particulier le président Vladimir Poutine avancent dans leur volonté politique de regrouper au maximum tous les Etats qui se méfient ou sont hostiles aux puissances impérialistes occidentales. Poutine joue énormément sur l’anticolonialisme, une idée qui prend une force importante aujourd’hui en Afrique et utilise le passé soviétique comme si c’était le sien ; force est de constater que cela fonctionne.
49 États africains étaient représentés à Saint-Pétersbourg, dont 17 par leurs chefs d’Etat (contre 54 à Sotchi en 2019). Tous les dirigeants présents n’ont pas les mêmes positions, y compris sur les rapports avec la puissance coloniale toujours présente, la France et avec l’impérialisme dominant US. C’est notamment le cas sur les questions de "démocratie" à la sauce française. Ainsi, les présidents comorien (Azali Assoumani, président de l’Union Africaine), congolais (Félix Tshisekedi) et de la Guinée Bissau (Umaro Sissoco Embalo) n’ont pas posé pour la photo finale pour ne pas se trouver à côté des "putschistes" malien, guinéen et burkinabe. En revanche, des poids lourds de l’Union Africaine, comme le sénégalais Macy Sall ou le Camerounais Paul Biya sont bien sur la photo officielle. En réunissant des gens assez divers dont le degré d’inféodation aux puissances coloniales anciennes est différent, mais qui regardent vers la Russie, Poutine met à mal la théorie de son isolement sur la scène internationale, qui nous est amplement rabachée par nos media
Déclaration finale et guerre en Ukraine
À l’issue de cette rencontre, une déclaration commune a été adoptée. Elle prévoit une coopération accrue dans les domaines de l’approvisionnement alimentaire, de l’énergie et de l’aide au développement. Elle appelle à “créer un ordre mondial multipolaire plus juste, équilibré et durable, s’opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain”. La reprise du concept de « monde multipolaire », si cher aux dirigeants chinois et russes, pour mieux masquer qu’ils ne veulent pas toucher au système capitaliste est une victoire pour les dirigeants russes. Elle marque aussi la faiblesse politique des dirigeants africains qui souhaitent fermement l’émancipation, notamment vis-à-vis de la tutelle française.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine fait partie des points importants évoqués lors de ce sommet. Vladimir Poutine a affirmé examiner “attentivement” les propositions africaines pour trouver une solution à ce conflit. "Cela signifie beaucoup, car avant, les missions de médiation étaient monopolisées par des pays ayant soi-disant une démocratie avancée. Maintenant, l'Afrique est prête à aider à résoudre des problèmes semblant hors des zones d'intérêt prioritaire", explique le président russe. “Nous considérons avec respect vos initiatives et les étudions attentivement”, poursuit-il.
Mi-juin, une délégation africaine s'était rendue en Ukraine, puis en Russie, pour proposer sa médiation dans le conflit en Ukraine, sans toutefois parvenir à des résultats immédiats, car l'Ukraine avait rejeté l'offre africaine.
Par ailleurs, dans son discours d’ouverture du sommet, Vladimir Poutine a annoncé que son pays pourra “dans les mois qui viennent” livrer gratuitement jusqu’à 50 000 tonnes de céréales au Zimbabwe, à la Somalie, à l’Erythrée, au Mali, à la Centrafrique et au Burkina Faso.
La décolonisation à toutes les sauces
Deux discours ont clôturé le sommet, ceux de Vladimir Poutine et du président de l’Union Africaine, le Comorien Azali Assoumani.
Poutine a déclaré, entre autres : « Nous avons noté également notre volonté de lutter contre le néocolonialisme, les sanctions illégitimes ainsi que les tentatives de saper les valeurs traditionnelles ». Clairement, les dirigeants russes utilisent la volonté de nombreux peuples africains de se débarrasser du néocolonialisme, que certains dirigeants africains approuvent et dont d’autres doivent tenir compte. Ainsi, la déclaration adoptée à l'issue de ce sommet prévoit notamment que Moscou aidera les pays africains à « obtenir réparation pour les dégâts économiques et humanitaires causés par les politiques coloniales » occidentales, y compris «la restitution des biens culturels » pillés.
« C’est vrai on a eu l’indépendance, mais l’indépendance politique », a pour sa part affirmé Azali Assoumani, ciblant le néocolonialisme occidental. Ainsi a-t-il jugé l'indépendance africaine « mi-figue, mi-raisin » avant de vanter la « relation séculaire » entre l’Afrique et la Russie, « un des pays phares qui étaient aux côtés de l’Afrique pour nous aider à lutter contre l’esclavage, le colonialisme et l’apartheid ». On y voit clairement une confusion entre l’URSS socialiste et la Russie capitaliste actuelle, une confusion savamment entretenue par les dirigeants russes quand il s’agit de l’Afrique
Et Poutine en a rajouté : « La lutte contre l’Apartheid, contre le colonialisme, n’est pas uniquement menée dans l’intérêt des pays africains » lors d’une session plénière le matin même, soulevant la parenté dans la lutte contre le nazisme, l'Apartheid et le colonialisme ayant uni l'URSS et aux pays africains.
Confusion URSS et Russie
Assoumani n’est pas le seul à confondre : « La Russie est une famille aussi pour l’Afrique », a de son côté affirmé Ibrahim Traoré, le président de la transition au Burkina Faso, rappelant notamment l’important sacrifice humain consenti par les Russes dans leur lutte contre le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale.
« Certains sont peut-être étonnés de l’intérêt que la Russie marque pour l’Afrique, mais cet intérêt est ancien », avait déclaré le président du Cameroun Paul Biya, rappelant que « dans les années 1960, pendant que l’Afrique luttait pour accéder à la souveraineté, la Russie a apporté à sa lutte un appui sincère et efficace ». « Nous voulons, une fois encore, remercier ce grand pays », a-t-il poursuivi. Paul Biya n’est pas un lapin de six semaines, il dirige le Cameroun depuis 1982, ce n’est donc pas par hasard qu’il joue sur la confusion Russie URSS, on peut penser que c’est à destination des populations camerounaises.
Le poids de l’Afrique
L’un des points importants du sommet est constitué par les prises de parole de dirigeants africains refusant l’assistanat et les bribes laissées par les colonialistes et néocolonialistes. S'en prenant à l'impérialisme et au néocolonialisme, Traoré a tenu à préciser : « Nous ne nous apitoyons pas sur notre sort, on ne demande pas que quelqu’un s’apitoie sur notre sort », a-t-il insisté. « Les chefs d’état ne sont pas venus pour mendier » a renchéri, lors de son intervention, le président sénégalais Macky Sall ; « L’Afrique a besoin d’infrastructures de développement […], de chemin de fer […] d’électricité, de barrages, elle a besoin de la sécurité collective », a-t-il ajouté.
Les dirigeants russes jouent aussi de cette corde, en insistant sur le rôle de l’Afrique à l’échelle planétaire. Moscou entend permettre aux dirigeants africains d’acquérir plus de poids sur la scène internationale, plaidant pour une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU en leur faveur et une intégration de l’Union africaine au sein du G20.
En conclusion
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, l’émancipation des peuples d’Afrique ne viendra pas de la Russie, mais des peuples eux-mêmes.
La Russie impérialiste joue sa partition et les dirigeants africains dont beaucoup ne veulent pas plus que Poutine renverser l’ordre capitaliste trouvent en elle un allié important quand le poids des pratiques néocoloniales de plus en plus contestées par les peuples finit par les gêner eux-mêmes. Le fait que tout ce monde évoque la décolonisation et le néocolonialisme, revendique un poids politique plus important pour le continent et fasse référence de manière biaisée à l’URSS qui a aidé tant de pays à sortir du marasme dans lequel la contre-révolution en Europe les a replongés donne à penser qu’un nombre important de peuples d’Afrique veulent l’émancipation coloniale et un développement par d’autres chemins que l’invisible "loi du marché". Leurs dirigeants comme ceux de Russie sont obligés d’en tenir compte.
C’est ce que ce sommet ne peut masquer et c’est porteur d’espoir pour les prolétaires d’Afrique et du monde.