Gantry 5

 

N° 896 29/10/2024  Le 16éme sommet des Brics+[1] s'est tenu à Kazan (capitale du Tatarstan, Fédération de Russie) du 22 au 24 octobre. Trente six pays et six organisations internationales étaient représentés à ce sommet. Les premiers dirigeants chinois : Xi Jinping, indien : Narendra Modi, russe : Vladimir Poutine, d'Afrique du Sud, : Cyril Ramaphosa, de Turquie : Tayyip Erdogan, d'Iran : Massoud Pezeshkian y ont participé ainsi que le secrétaire général de l'ONU Antonio Gutteriez. Lors de ce sommet, de nombreuses rencontres bilatérales ont eu lieu permettant parfois des avancées dans le réglement de conflits locaux comme c'est le cas  entre la Chine et l'inde sur les questions frontalières. On notera aussi une rencontre entre V. Poutine président de la fédération de Russie et A. Gutterriez Secrétaire général de l'ONU.
La première leçon que l'on peut retenir de cet événement, c’est celle d’un succès diplomatique majeur pour le président Poutine et son pays. Qu'après deux ans de guerre en Ukraine, plus de trente chefs d’État et de gouvernement et de responsables d’organisation internationales, que le Secrétaire général de l'ONU fassent le déplacement pour rencontrer un homme que les Occidentaux tentent de transformer en paria met en évidence ce qui est en train de bouger dans le monde et le fait que nombre de pays entendent ne plus être sous la contrainte de l'impérialisme dominant, celui des États-Unis. Incontestablement, le rapport de force entre le Tiers-Monde et l’Occident développé n’est plus celui qu’il était au XXe siècle. Cette réalité se mesure aussi au fait que les pays composants les BRICS+ représentent grosso-modo 45 % de la population mondiale et un tiers du PIB mondial, 43 % de la production de pétrole et la moitié de la production de minerai. Notons que pour sa part la Chine à elle seule pèse  pour 52% du PIB des BRICS+.
Pour autant, il serait un peu rapide de considérer que les BRICS+ si ils portent une alternative multilatérale créant une brèche dans l'hégémonisme euro-atlantique, dessinent un nouvel ordre mondial s'émancipant de la domination capitaliste dans la mesure ou les pays constitutifs des BRICS+ ne remettent nullement en cause cette domination et l'existence même d'un système impérialiste auquel ils participent. Dans le nouvel ordre mondial qui se dessine, il s'agit plus de revendiquer et de trouver une place pour ces forces capitalistes montantes en contestant celles qui dominent et tout particulièrement les États-Unis. Pour la Chine, les BRICS+ sont le moteur d'un changement de l'ordre mondial qui serve ses intérêts de puissance face à son concurrent majeur les États-Unis dont la prééminence est contestée mais encore loin d'être renversée. Si la dédollarisation de l'économie mondiale est un des enjeux  de cette remise en cause de la domination étasuniennes, il y a encore loin de la coupe au lèvres et si les BRICS+ tentent d'esquisser le monde monétaire de demain, la question d'une monnaie commune au BRICS+, les obstacles sont nombreux en termes politiques et économiques et il conviendrait de le mesurer, sans sous estimer les États-Unis qui ne sont pas encore rendus au statut de Tigre de papier ! L'Inde, de son côté qui joue d'un équilibre subtil entre l'impérialisme dominant et celui montant, entend se positionner à la fois comme une concurrente de la Chine comme usine du monde et dans le même temps s'ouvrir des espaces de développement dans l’expansion de ses échanges et de son influence dans le Sud global. Le cas de la Turquie, candidate à l'adhésion, est encore plus ambivalent. Flan sud de l'OTAN qui abrite une partie de l'arsenal nucléaire des États-Unis, rejeté de l'Union Européenne, elle compte sur sa participation pour développer son réseau de relations économiques à l'Est et en Asie centrale pour diversifier ses relations économiques. L'Iran, en bute à des sanctions économiques lourdes, trouve dans les BRICS+ un moyen de sortir d'unrelatif isolement et de se placer en proximité de deux puissances nucléaires majeures que sont la Russie et la Chine.
Toutes ces réalités se reflètent dans la déclaration de principe finale en douze points adoptée par les participants de la conférence de Kazan.
Cette déclaration insiste avec force sur la question multilatérale en posant la question d'un rééquilibrage dans la participation aux instances internationales. Ce rééquilibrage, s'il souligne la volonté légitime de nombreux pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine à être mieux reconnus comme acteurs de la vie internationale,  ne met nullement en cause la nature de ces institutions. Pour le reste, les points de la déclaration ressemble à une suite de vœux avec lesquels il est difficile d'être en désaccord comme le point 7 traitant de la : " résolution pacifique des conflits ". Sur la situation en Palestine, la déclaration se prononce contre la politique israélienne au Moyen-Orient, pour un cessez le feu immédiat la libération des otages et des prisonniers par les deux parties, le soutien à l'admission de l'État de Palestine à l'ONU et la solution à deux États.
Loin de l'emballement qui saisit quelques commentateurs sur un multilatéralisme sensé sauver la planète d'un affrontement militaire majeur, il convient selon nous d'analyser le succès relatif de la démarche des BRICS+ comme un miroir des affrontements intenses au sein du système impérialiste et de la volonté de nombre d'États de préserver leurs intérêts en se faufilant entre les coups économiques et militaires des puissances majeures dans leurs affrontements pour contrôler et dominer les richesses naturelles, les voies de communication et la force de travail. Pour notre parti, il n'y a ni bons capitalistes, ni bons impérialistes, il y a la lutte de classe pour en finir avec le système d'exploitation de l'Homme par l'Homme.
[1] Les BRICS+ sont composés des pays constitutifs des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud auxquels se sont joints en 2024 l'Égypte, les Émirats Arabes Unis, Éthiopie et l'Iran pour former les BRICS+). Une trentaine de demandes d'adhésions sont en cours. Il pourrait alors se former un cercle de pays associés en attente de leurs adhésions définitives.