Gantry 5

 

N°913 18/02/2025  La rencontre du mardi 18 février à Ryad en Arabie Saoudite entre une délégation des États-Unis menée par le secrétaire d'État Marco Rubio et celle de la Fédération de Russie dirigée par SergueÏ Lavrov marque incontestablement un tournant dans la guerre en Ukraine. Cette guerre si elle a des origines plus lointaines a été déclenchée par l'opération spéciale menée par la Russie depuis le 24 février 2022 sur le territoire de l'Ukraine.
Nous avons, dès le début, analysé ce conflit comme une guerre impérialiste1 et nous  montrions qu'il s'agissait de la face apparente d'un conflit plus profond au sein même du système capitaliste mondialisé2. Sur la base de cette analyse de fond et tenant compte des évolutions du conflit, nous avons mis en évidence  l'affrontement dépassant le cadre d'un conflit local entre la Fédération de Russie et l'Ukraine. Ainsi, le 7 juillet 2022, nous écrivions3 : " nous constatons un engagement de plus en plus profond des USA et de l'Union Européenne et de leur alliance militaire l'OTAN dans cette guerre, engagement direct avec l'assistance dans la formation des troupes, le renseignement, le financement et l'armement de l'Ukraine, les sanctions...avec le but de plus en plus clairement affiché d'affaiblir durablement la Fédération de Russie avec en ligne de mire celui de son alliance avec la Chine plus que jamais considérée par les USA comme leur ennemi systémique."
Depuis le déclenchement de la guerre, les milliards de dollars ont coulé à flot4 comme le sang des travailleurs russes et ukrainiens, chair à canon d'une guerre qu'ils n'ont pas voulu, enrichissant les oligarques, leurs dirigeants corrompus et les complexes militaro-industriels. Prenant prétexte de la guerre, les pays européens se sont lancés dans des politiques de réarmement couteuses pour leurs peuples et la fuite en avant s'accélère, tandis que l'alliance militaire qu'est l'OTAN - dominée et dirigée par les États-Unis - s'est renforcée. Si l'économie russe a été secouée par les sanctions, mais pas abattue, celle des pays européens a subi de plein fouet les hausses du prix de l'énergie au bénéfice des monopoles énergétiques États-Uniens, contribuant à l'approfondissement de la crise économique de la zone euro.
Dans ces conditions, depuis l'élection de D. Trump aux États-Unis et plus particulièrement dans la dernière semaine, une accélération s'est produite du fait des initiatives états-uniennes dans le dossier ukrainien. Ces initiatives ont fait l'objet d'un flot de commentaires, plus ou moins amers, parmi les dirigeants européens au point d'en oubliait que toute la campagne de D. Trump s'est construite sur le slogan MAGA5. Slogan explicitant bien l'enjeu  puissant de cet État capitaliste pour dominer à nouveau le système impérialiste. Pour cela, il ne suffit pas de phrases, il y faut des moyens ; ceux d'une puissante industrie capable de fournir les outils de la domination économique, militaire et idéologique. Concernant les dirigeants américains, l'obstacle majeur à cette ambition, c'est la concurrence de la Chine et de l'Asie en général, l'outil c'est celui de la guerre des droits de douanes pour protéger l'économie états-unienne. Cela y suffira-t-il ? Pas si sûr. En attendant, l'Ukraine ne représente qu'un fardeau dont l'administration états-unienne souhaite se décharger et depuis longtemps en confiant le bébé à ses plus proches voisins en Europe, également concurrents dans la course à la domination des monopoles capitalistes états-uniens. De ce point de vue, quelque chose est pathétique dans les réactions de nombre de dirigeants européens qui se raccrochent aux sempiternelles ritournelles sur l'éthique et les droits de l'Homme quand ils n'essayent pas de faire miroiter leurs atours pour aguicher l'Oncle Sam. Des dirigeants estoniens qui vantent leurs richesses minérales en phosphates, source possible de terres rares, mais ici en faible quantité ou de Zelensky présentant le menu de ses possibilités en métaux rares, alors qu'à l'évidence les possibilités ouvertes sont mineures à l'échelle des besoins actuels6.
Les dirigeants des pays de l'Union Européenne ne sont pas, quoi qu'en disent les media, snobés ou abandonnés, ils sont sommés d'exécuter les ordres de leur mentor. C'est tout le sens des questions sur leur engagement futur en Ukraine que leur a adressé la direction américaine avant la rencontre de Ryad. En Arabie Saoudite,il est une évidence: États-Unis et Russie seront les maîtres d'œuvre et les vassaux seront conviés plus tard.
En attendant, de ce qui a filtré de la rencontre de Ryad, clairement que rien ne sera facile tant les enjeux sont importants. C'est ce qu'a rappelé M. Peskov le porte-parole du Kremlin : " un règlement à long terme, un règlement viable est impossible sans un examen global des questions de sécurité sur le continent". Si la question de la sécurité du continent européen est majeure, nul doute que les arrière-pensées des uns et des autres, leurs objectifs proches et lointains pèseront aussi dans la balance. Ainsi, affaiblir la Chine pour qui toutes les parties concernées doivent participer à la négociation de paix, c'est aussi du point de vue des États-Unis un possible relâchement de ses liens avec la Russie.
Si, au moment où les nouveaux dirigeants états-uniens souhaitent la pause avec la Russie, certains dans l’UE et en Grande-Bretagne s’acharnent à vouloir la guerre , c’est parce qu’elle est, pour les capitalistes qu’ils représentent, le dernier espoir de s’accaparer des richesses en Ukraine, où ce sont les multinationales des USA qui possèdent la part du lion.
La paix impérialiste ne peut donc être qu'un moment où les puissances décident d'appuyer sur le bouton pause en prenant acte des rapports de force et en se donnant le temps d'une respiration pour préparer de nouveaux affrontements. Poussant à la militarisation de la société ouvrant la voie à une escalade dans les armements, la porte est déjà ouverte dans ce sens. Notre responsabilité politique, c'est donc  dénoncer et  combattre le système qui génère ces réalités : le système capitaliste jusqu'à l'abattre pour entreprendre la construction d'une société de coopération, de solidarité et de paix entre les producteurs et les peuples : la société socialiste.
4 "environ 267 milliards d'euros d'aide ont été alloués à l'Ukraine", selon le Kiel Institute for the World Economy : https://www.ifw-kiel.de/publications/news/ukraine-support-after-3-years-of-war-aid-flows-remain-low-but-steady-shift-towards-weapons-procurement/
5 MAGA : Make America Great Again ( redonner sa grandeur à l'Amérique)
6 Les Echos 18 février 2025 : " Terres rares : les fausses promesses du sous-sol ukrainien