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N° 948 23/10/2025  Trump est-il versatile, tergiverse-t-il ? Ce questionnement, souvent tranché par l'affirmative dans les media, ne donne aucunement une analyse juste de l'orientation et de l'action des États-Unis qui sont, rappelons-le, encore la première puissance, économique et militaire dans le système capitaliste mondialisé constitutif de l'impérialiste. Ainsi, pour le journal Le Monde du 18 octobre 2025, à propos de l'Ukraine, on peut lire : "Donald Trump tergiverse de nouveau et affiche sa confiance en Vladimir Poutine", tandis qu'il titre son éditorial : "Guerre en Ukraine : la désespérante inconstance de Donald Trump". Dans cette veine, en mettant en doute ses capacités intellectuelles et cognitives, le 20 octobre, l'éditorial de la République des Pyrénées va plus loin en affirmant : "Où va Trump? Le sait-il lui même, tant il est versatile." Toutes ces affirmations masquent au fond l'essentiel : celui des choix stratégiques des États-Unis dans une situation mondiale où le choc principal des plaques tectoniques entre les puissances impérialistes se trouve aujourd'hui en Asie1. C'est si vrai que l'adversaire systémique désignée par les États-Unis est explicitement la Chine dont le développement capitaliste et la place qu'elle prend dans le monde constituent une mise en cause de la supériorité états-unienne. De ce point de vue, la confrontation USA-Chine pèse lourdement sur l'ordre mondial ancien, celui issu de la deuxième guerre mondiale et qui a vu la domination sans partage des États-Unis au sein du monde capitaliste en même temps que la présence d'un camp socialiste qui fut son rival systémique dans une guerre dont l'impérialisme est sorti vainqueur et qui a vu la Russie devenir une puissance capitaliste concurrente dans le système impérialiste.
La rivalité entre les États-Unis et la Chine façonne profondément le paysage géopolitique mondial du XXIe siècle. C'est ce que rappelle la revue Exopolitique2 : "Cette compétition multidimensionnelle englobe des aspects économiques, technologiques, militaires et idéologiques, redéfinissant l’équilibre des pouvoirs à l’échelle internationale. Les enjeux de cette confrontation sont considérables, allant de la domination des industries de pointe à l’influence au sein des institutions internationales. Comprendre les dynamiques complexes de cette relation bilatérale est crucial pour anticiper les évolutions futures de l’ordre mondial et leurs implications pour les autres nations".
Dans cette compétition, les États européens et l'Union Européenne sont davantage en situation de spectateurs que d'acteurs, ayant fait le choix stratégique de se mettre à la remorque des États-Unis, économiquement et militairement au travers de l'Otan. Les États-Unis leur imposent un lourd fardeau militaire, qu'ils acceptent, et le soin, en première ligne de leurs intérêts et non ceux des États-Unis, de régler la crise ukrainienne, crise que nous avons qualifiée avec des dizaines d'autres partis communistes comme une guerre entre impérialistes sur le territoire de l'Ukraine3, à la condition que les intérêts états-uniens soient préservés. Pour autant, il serait faux de considérer que les États-Unis n'agissent pas en Ukraine. Sans leur service de renseignements, l'Ukraine n'aurait pas la possibilité de régler ses frappes en profondeur sur le territoire russe. De plus l'interopérabilité introduite dans le matériel militaire ukrainien permet un réarmement et l'uitilisation de munitions en provenance des pays de l'OTAN dont les États-Unis. Sans être membre de l'OTAN l'Ukraine en est donc incontestablement la pointe avancée vers l'Est. Les États-unis, s'ils entendent sous-traiter la gestion de la guerre en Ukraine et son fardeau financier aux pays de l'Union Européenne, n'en sont pas moins partie prenante du conflit.
Il existe une constante dans leur ligne politique, celle d'avoir les mains libres à la fois pour combattre le développement d'un bloc euro-asiatique en voie de constitution autour de la Chine et de la Russie, tout en privilégiant leurs relations d'affaires avec les puissances montantes de ce bloc dont les BRICS+ sont un élément constitutif. Tel que note justement un article du quotidien Ouest-France du 24 septembre, révélant ainsi dans la déclaration de Trump affirmant : " [qu'] avec du temps, de la patience, et le soutien financier de l’Europe et, en particulier, de l’Otan, l’Ukraine pourrait retrouver ses frontières d’origine, voire davantage", Trump : "n’a rien dit du rôle que les États-Unis pourraient jouer dans la suite du conflit, qu’il s’agisse de sanctionner la Russie, de soutenir intensivement Kiev ou de faire office de médiateur en vue d’une cessation des combats. Il a toutefois précisé que son pays poursuivra ses fournitures d’armes à l’Otan, à charge pour l’Alliance atlantique et les Européens de les payer et éventuellement de les fournir aux militaires ukrainiens."
Afin de comprendre la stratégie états-unienne en Europe, il convient donc de ne pas s'éloigner des intérêts majeurs des grands monopoles et de la compétition exacerbée qui se développe au sein du système impérialiste pour le contrôle des matières premières et de leur exploitation, celui des communications et de la force de travail. Cela renvoie à une question cardinale sur ce qu’est l’impérialisme. Notre parti a consacré de nombreux travaux4 à ce sujet en nous référant aux critères établis par Lénine5, sur la base desquels il a conclu qu'il s'agit du capitalisme à son stade suprême, le stade monopolistique. C'est sur cette base que nous avons qualifié l'orientation stratégique des États-Unis6 : "Leurs intérêts de puissance impérialiste ne sont pas dans la continuation de leur intervention directe dans cette guerre [en Ukraine]. Nous sommes donc bien loin de l'analyse sommaire de tous ceux qui décrivent les affrontements contemporains comme ceux de l'occidental global contre le sud global. Il n'y a en effet, ni occidental global ni sud global, il y a une réalité mondiale dominée par le capitalisme à son stade impérialiste avancé où se meuvent des puissances dominantes, semi-dominantes et dominées et ce sont au regard des uns et des autres, les rapports de forces qui déterminent leurs comportements politiques."
Combattre l'impérialisme, commence donc par une analyse correcte de sa réalité. Cette lutte ne peut se limiter à en dénoncer seulement une partie : l'impérialisme occidental en exonérant, les autres puissances capitalistes de vertus qu'elles n'ont pas. Les forces révolutionnaires n'ont rien à gagner à se placer de ce point de vue que de devenir des forces légitimant l'action de leurs propres exploiteurs et de fait, de se placer sur le terrain de la collaboration de classe.
Notre parti dans sa lutte anti-impérialiste et en particulier contre notre propre impérialisme, en exigeant la sortie de la France de l’OTAN et sa dissolution, ne met pas pour autant de côté la dimension globale de la lutte contre l'impérialisme et souligne la centralité anti-impérialiste de la lutte de libération nationale du peuple palestinien. C'est sur la base de cette orientation que nous avons participé à la Campagne Unitaire pour la libération de G. Abdallah, comme aux initiatives anti-impérialistes du 17 octobre dernier.
3 https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/monde/2248-ukraine-declaratiohttps://www.sitecommunistes.org/archives/bn130216rap.htmln-commune-des-partis-communistes-et-ouvriers-apres-un-an-de-guerre-imperialiste-en-ukraine
5 V. I. Lenine, l'impérialisme stade suprême du capitalisme, Éditions Sociales, 1975.