Gantry 5

 

N° 798 06/12/2022 Dans le contexte de la hausse des prix des énergies, les Français sont appelés à la sobriété à la fois pour réduire leurs factures (et réduire les aides publiques à proportion) et éviter une grande panne électrique.

La sobriété énergétique, contrainte par une conjoncture particulière, fait florès dans diverses littératures économiques, politiques voire syndicales car il s’agirait d’une méthode clé pour sauver le climat et par suite l’Humanité. Et cette sobriété ne devrait pas s’arrêter qu’à l’énergie. Que se cache-t-il derrière ces appels austéritaires ?
Il est certain que les quelque 8 milliards d’humains ne peuvent se permettre le niveau de vie moyen des citoyens des Etats-Unis car il faudrait une planète 10 fois plus grande. On peut dire les choses ainsi mais il serait plus pertinent de noter, avec Marx, que le capitalisme est un moloch qui engloutit les hommes et les ressources naturelles sans frein. L’image a la vertu de pointer précisément le problème.
Ce qui n’est pas le cas des appels à la décroissance qui ont le défaut de laisser penser qu’à modèle social inchangé, l’humanité trouverait une solution à la limite des ressources et aux dégâts de l’ère industrielle. La croissance et son contraire n’est pas une mesure de la richesse créée (ou détruite) car la richesse d’une nation réside dans le travail disponible et ses ressources naturelles mais est une mesure de la valeur d’échange des productions de biens et services. Par suite, la croissance peut être forte avec de larges couches de la population contraintes à la sobriété. Et pareillement et encore plus sûrement, une décroissance est synonyme de sobriété pour beaucoup mais dans les deux cas, il est tout à fait évident qu’une faible partie de la population s’enrichit.
Même si Serge Latouche(1) affirme que le terme de "décroissance" a une vertu provocatrice, il éloigne du sujet central, qu’il a par ailleurs parfaitement identifié, à savoir que le capitalisme se pose comme sa propre finalité, celle du profit et de l'accumulation du capital. Il est en revanche plus prolixe au sujet de la technoscience et de la société de consommation que sur celui de la lutte des classes tant et si bien qu’à la fin, on se dit "le scientifique et le publicitaire, voilà l’ennemi".
Si nous pouvons dire, la sobriété est un luxe pour les uns (à forte connotation moraliste), pour les autres, ceux qui ont du mal à boucler les fins de mois, c’est un mode de vie duquel ils aspirent à échapper. Par ailleurs, la geste de la sobriété est présentée par les media des forces sociales dirigeantes comme celle des petits gestes quotidiens dont l’efficacité globale est sujette à caution. Pendant ce temps, en effet, les compagnies pétrolières et énergétiques continuent d’extraire des milliards de gigatonnes de combustibles fossiles sources de dioxyde de carbone qui finiront dans l’atmosphère… Et nous gageons que la sobriété va devenir un bien de consommation courante (comprendre générateur de profit) ce qui est déjà le cas avec l'ouverture d'un marché du CO2, ou les certificats d’économie d’énergie.
La sobriété, synonyme d’actions climatiques actives, a du mal à trouver grâce auprès des pays dit en développement. Les difficiles échanges lors de la dernière COP égyptienne(2) a révélé la lassitude, c’est un euphémisme, de ces derniers face aux tergiversations et discours moralisateurs des puissances occidentales. Les pays d’élection du capitalisme ravageur et impérialiste se font les héraults du sauvetage de l’Humanité et se veulent exemplaires dans la conduite de leur fameuse et fumeuse transition écologiste. En un mot, les pompiers-pyromanes sont en pleine action sous le regard médusé de Nations en régime de sobriété forcée depuis des décennies, qui ont vu (et voient encore) leurs ressources naturelles pillées avec la complicité d’une bourgeoisie locale compradores pour reprendre les termes de Samir Amin(3) .
La sobriété avec ou sans adjectif (énergétique, heureuse, citoyenne, juste, etc.) est vraiment une bien grosse ficelle qui joue sur les anxiétés suscitées par les alarmes climatiques. Elle permet d’éluder la question sociale et celle non moins cruciale du devenir du capitalisme. De fait, les tenants du système d'exploitation capitaliste veulent rendre plus crédible l’hypothèse de la fin de l’Humanité que celle de la fin du capitalisme, surtout si les travailleurs se laissent embarquer dans des considérations sur la sobriété et autres fadaises de la même farine.
En finir avec la loi du profit est plus que jamais indispensable. Pour autant, il reste à construire un horizon. Certains en appellent à une mise en pratique de conduites économiques et sociales démocratiques dans des espaces aménagés à la périphérie du système capitalisme à défaut de possibilités de le renverser, mais cela laisse entière la question de la survie de ce système prédateur par nature en ce qu'il épuise les forces productives matérielles et humaines. Il faut pourtant continuer à lutter en son sein avec les travailleurs qui savent, notamment, comment produire avec moins d’effets sur l’environnement si le profit n’est plus un enjeu. La lutte pour renverser le système capitaliste est donc bien intimement liée à celle pour une société de coopération des producteurs et des peuples assurant la satisfaction des besoins essentiels de l'Humanité en préservant pour eux et les générations futures les conditions même de leur existence dans un monde où les rapports sociaux prendront en compte des rapports coopératifs entre l'Homme et la nature qui ne soit pas de destruction mais de mutuels intérêts. C'est ce que nous appelons la société socialiste.

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(1)Serge Latouche, La décroissance, Collection : Que sais-je ? 2019
https://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/LATOUCHE/10651
(2) https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/monde/2071-cop27-tout-ca-pour-ca
(3) Samir Amin est né le 3 septembre 1931 et mort le 12 août 2018 est un économiste marxiste et militant anti-impérialiste
http://www.cuem.info/?page_id=195

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