N° 882 17/07/2024 La Cour des comptes a rendu public son rapport au sujet des comptes 2023 de l’État. A cette occasion, elle a rappelé le principe d’annualité budgétaire qui limite le recours à des reports de dépenses sur l’année suivante et demande des éclaircissements au sujet des écarts entre prévisions de recettes fiscales et celles finalement retenues dans la loi de finances rectificatives. Plaisant rappel à la règle des chantres de la rigueur de Bercy !
Par ailleurs, la Cour des comptes exprime son inquiétude au sujet du déficit élevé de 173 milliards d’euros (Md€) qui vient accroître les besoins de financement de l’Etat à 315 Md€, puisqu’il faut à la fois financer le budget déficitaire et rembourser les emprunts arrivés à échéance. Bref, la spirale de l’endettement de l’Etat se porte bien (dette de 2.460 Md€ à la fin 2023).
Du côté des dépenses (455 Md€), il faut noter le coût du bouclier tarifaire (15 Md€) mis en place pour protéger les consommateurs des affres du marché de l’énergie européen libéralisé. Une taxe sur les « superprofit » était supposée compenser une grande partie de cette dépense exceptionnelle avec des recettes estimées à 13 Md€. Finalement, l’Etat a récolté… 600 millions d’€ ! La Cour des comptes se dit déçue du manque d’économies pérennes et incite à une revue des dépenses. Elle note que les dépenses de personnel représentent 32,2% des dépenses (salaires + pensions) soit 1 point de plus que l’année précédente. Il faut dire que la Cour des comptes qualifie « d’augmentation importante des effectifs de l’Etat », 8.991 embauches à temps plein pour des effectifs totaux de 1,9 million de fonctionnaires.
Du côté des recettes (286 Md€), il faut noter que seulement 46% des recettes de la TVA finissent dans les caisses de l’Etat puisqu’il reverse ces recettes vers les collectivités locales. Et par suite, l’évolution des recettes de l’Etat sont moins corrélées directement à la croissance : ainsi, malgré une croissance du PIB de 6,4% en valeur, les recettes fiscales de l’Etat ont reculé de 2% en 2023.
Si la Cour des comptes émet un avis sur la nécessité de maîtriser les dépenses, en revanche, elle ne semble pas estimer nécessaire de donner quelques conseils avisés pour augmenter les recettes. Nous avons ici l’opportunité de rappeler que le taux d’imposition sur les sociétés (IS) est passé en quelques décennies de 50% à 25%. Ce taux est appliqué sur le résultat comptable net des amortissements et autres provisions diverses (qui réduisent donc le profit affiché), ce qui signifie qu’un IS à 50% n’a rien de confiscatoire. Cette politique fiscale favorable aux entreprises demeure la pierre angulaire de la politique dite de l’offre dont l’objectif affiché est de favoriser l’investissement. La diminution progressive de l’IS n’a en rien ralenti la désindustrialisation du pays, ni davantage attiré du capital étranger pour la simple raison que… tous les pays ont suivi la même politique favorable au capital !
La Cour des comptes admet quand même un manque de recettes : par exemple la suppression de la taxe d’habitation oblige l’Etat a reversé des recettes de TVA aux collectivités locales. Globalement, la suppression pérenne de recettes représente 6 Md€ en 2023. Entre 2018 et 2023, la Cour des comptes évalue le cumul du manque à gagner à 62 Md€ !
A la fin, en 2023, les recettes tirées de l’IS ne représentent que 18% des recettes fiscales de l’Etat contre 29% pour la TVA (27% pour l’impôts sur le revenu). Par ces quelques données, il est clair de conclure à la faible dégressivité globale du système fiscal français.
Mais l’attention du public n’est pas focalisée sur ces « à-côtés » du budget de l’Etat : l’heure est plutôt aux cris d’orfraies face à l’augmentation de la dette de l’Etat et aux possibles sanctions décidées par la Commission européenne pour mauvaise conduite de la gestion française. De fait, le gouvernement a donné quelques gages durant l’année en durcissant les conditions d’indemnisation du chômage (suspendues pour cause électorale), en annonçant 10 Md€ de dépenses en moins (à la vue des sommes en jeu, c’est roupie de sansonnet) et un effort de rigueur renouvelé. Pour le coup, la note de la dette publique française n’a pas été dégradée plus que cela par des agences de notation internationale.
Les prochains débats parlementaires autour du budget 2024 (loi de finance rectificative) et la préparation du budget 2025 se dérouleront donc dans un contexte de fortes pressions extérieures, ce qui aurait le grand avantage de mettre en lumière les limites de la souveraineté nationale. Et par suite, exposer au grand jour l’impensé du débat politique français : quelles latitudes conservent les représentants du peuple quand le capital s’est donné de tels moyens de contrôle supranationaux.
Bien que les débats budgétaires paraissent techniques et souvent présentés comme tel pour détourner d'une analyse critique sur le contenu, ils sont liés à des enjeux politiques majeurs. Nous reviendrons sur ces questions prochainement dans le cadre de la loi de finance rectificative et de la présentation du projet de budget 2025.