N° 830 19/07/2023 Dans un appel sous forme de tribune, paru dans le Monde du 13 juillet 2023, 100 chefs d’entreprise, inquiets de la montée des tensions sociales, n’appellent à rien de moins que de construire « une économie de la paix ». Voilà une forte résolution qui mérite examen.
Le constat est accablant : les tensions actuelles sont à mettre au compte des inégalités (qui vont continuer à se creuser), « l’économie contemporaine » (sic) est en échec patent de par son incapacité à créer des emplois, de prendre en compte les « diversités » (sic), de d’engager dans la sobriété (développement durable).
Grande nouvelle : aujourd’hui, « l’action des entreprises est fondamentalement politique » et nos patrons visionnaires proposent 4 principes clef d’action : la coopération face à l’hyper-compétition, le partage équitable de la valeur, du pouvoir et des ressources, la régénération du vivant et une nouvelle approche du travail, inclusive et adaptée aux différents temps de vie.
Puisqu’il s’agit de politique, parlons donc politique. En premier lieu dans cette martiale tribune, vous chercherez en vain un mot : « travailleur ». Et le « capitalisme » se cache sous le doux sobriquet d’« économie contemporaine ». Est-ce vraiment nouveau que la fameuse « économie » (contemporaine ou du passé) sous nos latitudes ne remplit pas son rôle – nous dit-on – de développement, d’inclusion et de partage des ressources ? Pas vraiment et même pendant « les trente glorieuses » (terme superlatif qui ne rend vraiment pas compte de la réalité), les travailleurs ont lutté durement pour élargir les droits ouverts durant la courte parenthèse de la Libération et obtenir la plus grande part possible des gains de productivité.
Le capitalisme – il faudra signaler à ces audacieux patrons qu’il ne s’agit pas d’un gros mot – n’a d’autre fin que de se reproduire lui-même : accumuler des profits aujourd’hui pour laisser ouverte la perspective d’en accumuler encore plus demain, en usant (dans tous les sens du terme) du travail salarié et des ressources naturelles de plus en plus rares, comme le notent justement nos lucides patrons.
Et donc, qu’est-ce donc cet appel à la coopération contre l’hyper-compétition ? Une critique voilée de l’impérialisme ? Une condamnation des directives européennes d’ouverture des marchés ? Généralement, les capitalistes sont plutôt très coopératifs surtout lorsqu’il s’agit de faire front (éventuellement national) contre les travailleurs. Quant à l’appel au partage équitable de la valeur, du pouvoir et des ressources, il nous paraît bien ambigu : s’agit-il vraiment d’augmenter le salaire et le salaire socialisé (cotisations pour la Sécu), s’agit-il de donner davantage de pouvoir aux travailleurs dans l’entreprise, s’agit-il de valoriser davantage de ressources dans les pays-mêmes qui les produisent et souvent en panne de développement ?
Nous n’en savons rien car tout est dans le terme « équitable » qui n’indique rien de précis et c’est toute son utilité. Nous avons quand même quelque doute sur les vertus apaisantes de ce programme de « capitalisme à visage humain » qui propose « un horizon économique désirable pour tous ».
L’effort de lucidité de nos patrons de la paix sociale tombe à plat tant ils nient les réalités du monde capitalisme. Ils prennent (ou feignent de prendre) comme de déplorables dérapages, le fonctionnement même du capitalisme et sa logique interne de développement.
En fin de compte, leur préoccupation n’est autre que la restauration de la paix sociale, de fait d’entrée, sont dénoncées des fractures « qui mettent à mal notre économie », c’est-à-dire en clair la capacité du capital à faire du profit. Un peu frondeurs, les patrons de la paix taclent au passage la conduite de la politique du gouvernement : « la première place de la France dans les investissements privés en Europe ne suffisent pas à créer une France prospère et apaisée ».
Ces patrons appellent à une grande réunion le 30 août pour des universités d’été de l’économie de demain. Bizarrement, hors participation patronale, nous pressentons qui s’y rendra : les reliquats de la social-démocratie française, le ban et l’arrière-ban des représentants de l’économie sociale et solidaire, quelques organisations syndicales férues de dialogues constructifs et beaucoup d’ONG!