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N° 820 11/05/2023 Les récentes annonces du trio Macron-N’Diaye-Grandjean ne sont pas des nouveautés, contrairement à ce qu’ils racontent. C'est d’abord la suite de ce qui a été lancé par Blanquer en 2018 et ensuite, ces mesures nous ramènent tout droit à la situation d’avant 1944,

lorsqu’il a été décidé de créer un enseignement professionnel public, sous statut scolaire avec la création des centres d’apprentissage, remplacés par les CET en 1959, qui deviennent des LEP en 1975 puis des LP en 1985.
Décryptons quelques-unes des mesures phares.
L’allongement du temps de stage et la modification de l’organisation de classe des terminales
Il s’agit en réalité d’une modulation des PFMP (Périodes de Formation en Milieu Professionnel) pour les élèves de terminale Bac Pro en leur ajoutant 4 à 6 semaines de stage, s’ils choisissent de s’insérer dans la vie professionnelle plutôt que de poursuivre leurs études.
Il faut rappeler ici que, dans la vie réelle, un nombre non négligeable d’élèves ne trouve pas de stage, et surtout que ces stages servent souvent à faire le café ou balayer l’atelier, ou encore à exercer une fonction dans l’entreprise et non à suivre un tuteur. Le seul intérêt de ces stages est, le plus souvent, la découverte de l’exploitation des travailleurs.
Plus globalement, l’organisation de la classe de terminale sera bouleversée, avec un examen en mars et l’épreuve finale en mai, sur le modèle de ce qui se passe pour le bac général. Quand on observe les effets de l'avancée en mars des épreuves écrites dans les autres voies du lycée, on peut aisément anticiper un taux d'absentéisme record en LP à la fin de la terminale.
Ensuite, après l’examen final, on explose le groupe classe en laissant prétendument le choix aux élèves : ceux qui veulent poursuivre leurs études auront droit en juin à des "cours intensifs" et ceux qui veulent s’insérer dans la vie active auront donc droit à ces périodes supplémentaires de stage qui peuvent déborder sur les vacances scolaires.
Concernant les "cours intensifs", d’un point de vue pédagogique, il est ridicule de penser que quelques semaines de cours, aussi intensives soient-elles, pallient les lacunes et les pertes horaires engendrées par toutes les réformes précédentes. Surtout, l’analyse globale du projet de réforme révèle que la finalité de cette réforme est presque d’empêcher les titulaires du Bac Pro de poursuivre pour élever leur niveau de qualification. L’idée centrale est de mettre les jeunes tôt en entreprise coûte que coûte.
L’intervention massive de personnalités extérieures
France Travail, le nouveau nom de Pôle Emploi, et ses partenaires pourront accompagner chaque élève de LP en classe de terminale pour son insertion professionnelle à venir. Rappelons ici que les PLP (Professeurs de Lycée Professionnel) sont des enseignants et non des "accompagnants" au service des entreprises. La classe de terminale devrait poursuivre un objectif premier et prioritaire : faire réussir les élèves aux épreuves certificatives. Or, au lieu de renforcer les disciplines dans leurs horaires, dans les contenus et dans les moyens dédiés, le gouvernement veut amputer ces emplois du temps d’heures destinées à échanger avec France Travail ou ses partenaires. Tout cela ne peut avoir pour résultat que d'accroître l’échec au bac pro et au CAP et d’entraver la poursuite d'études !
De même nous aurons de multiples intervenants issus du monde patronal, les "mentors d’entreprise", sortes de tuteurs au rôle très flou, les "professeurs associés", qui viendraient une demi-journée par semaine prendre la place des enseignants, sans aucune qualification pour ce métier qui, comme les autres s’apprend.
Enfin, Macron et ses acolytes créent un "bureau des entreprises" dans chaque LP, il y en aura 2100 dès la rentrée 2023. Les personnels seront recrutés par le chef d’établissement et auront comme missions de créer un réseau et un partenariat avec les entreprises du bassin économique, d’organiser les temps et la recherche de stages, de faire participer les professionnels aux activités du lycée et de participer aux fermetures et ouvertures de filières.
Le prétexte est de développer un réseau d’entreprises spécifique à l'établissement, pour aider les élèves à trouver des lieux de stage. Or, dans tous les LP de France et de Navarre, il y a déjà un personnel, le DDFPT (Directeur Délégué aux Formations Professionnelles et Technologiques, nom révisé de l’ancien chef des travaux), parfois accompagné d’Assistants, qui a en charge cette mission. Encore une fois, le réel vient en contradiction des propos et décisions des gouvernants. C’est donc qu’il y a un autre but.
La conception de la formation professionnelle de Macron est qu’elle doit être aux services des entreprises, c’est-à-dire des patrons. Il y a donc fort à parier que ce bureau sera en réalité le bras armé du développement de l’apprentissage dans les LP. En réalité, le gouvernement met en place une véritable structure dédiée pour faire entrer l'entreprise dans tous les domaines de la formation du jeune. Les missions très larges viendront directement bouleverser l’organisation générale du lycée sur son aspect administratif mais aussi pédagogique.
La rémunération des périodes de stage
Qu’un stage doive être rémunéré est une évidence pour le Parti Révolutionnaire Communistes, et pas des clopinettes comme ce que le gouvernement met en place. Mais ce n’est pas à l’État de mettre la main au portefeuille, ce sont les patrons qui doivent payer les stages. Ce serait une bonne chose que cesse leur permis d’exploiter gratuitement les jeunes sous statut scolaire.
Ou alors, on ne rémunère pas seulement le stage, mais on accorde une allocation d’étude, comme le proposait le Plan Langevin-Wallon pour les collégiens en 1944.
Le plan social des filières tertiaires
L’une des décisions phares est de fermer des filières "non insérantes" pour ouvrir des filières "insérantes". Les fermetures concernent toutes le secteur tertiaire (gestion et administration, fusion de secrétariat et comptabilité, commerce et vente notamment). Les ouvertures concernent le BTP et l’industrie essentiellement. 80 fermetures/ouvertures de sections sont déjà annoncées pour 2023. Or si on regarde les chiffres de l’apprentissage : le secteur des services est celui qui se porte le mieux. Il accumule à lui seul 71% des contrats d’apprentissage. Quant aux ouvertures envisagées, elles sont majoritairement dans les CFA et pas dans les lycées pros. On ferme donc brutalement les filières scolaires pour alimenter et développer l'apprentissage !
Les filières existantes dans les LP évolueront donc au prisme des besoins locaux et immédiats des patrons de proximité et vers les métiers qui peinent à recruter du fait des conditions salariales et de travail déplorables. Il s’agit de la recherche d’une adéquation entre l’offre de formation et le bassin d’emploi, soit une conception de la formation professionnelle qui fait que les jeunes ne sont plus pensés comme des travailleurs en formation mais comme une main d'œuvre exploitable et disponible immédiatement. Sans parler de l’orientation forcée et non choisie que cela implique : ce sont exactement les mêmes méthodes qu’avec les chômeurs, il faut prendre ce qui existe et pas ce que l’on souhaite. Notons enfin que cette option de se tourner vers le bassin d’emploi était celle choisie par les Centres de Formation Professionnelle et les Chantiers de Jeunesse sous Pétain.
La question fondamentale posée aussi par ces fermetures nombreuses est celle du devenir des enseignants qui assuraient l’enseignement dans ces filières. Passons sur le mépris et la bêtise de la réflexion du ministre N’Diaye pour qui ces professeurs pourront aller enseigner dans les écoles ou les collèges (mais pas les lycées) ou participer au bureau des entreprises, s’ils sont recrutés par leur chef d’établissement, bien sûr. La réalité est que tout cela s’apparente à un vaste plan social. Le taux de démission risque fort de bondir. Ce qui conviendra parfaitement au gouvernement dans sa logique de suppressions de postes dans les lycées professionnels et de développement de l’apprentissage.
Le pacte
Le fameux pacte, fausse hausse de la rémunération des enseignants, que nous avons évoqué il y a peu, a désormais un volet LP. Et c’est une vraie spécificité. Les missions du pacte sont liées à la réforme. Il y a bien le remplacement des collègues absents, comme dans les autres types d’établissement, mais cette mission n’est pas prioritaire. Ensuite, le pacte comprend cinq briques, non sécables, donc c’est tout ou rien, ce qui n’est pas le cas pour les collèges et lycées généraux et technologique où l’on peut choisir une, deux ou les trois briques, même si ce choix est imposé.
Chacune des briques rapporte 1250 euros nets. Outre le remplacement, il y a : Enseignement et accompagnement dans les périodes post bac professionnel, ce qui signifie que les cours intensifs en juin ne seront encadrés que par des enseignants ayant signé le pacte, ce qui laisse préjuger qu’ils seront les seuls à enseigner en terminale ; Enseignement complémentaire en groupes à effectif réduit, un bon moyen d’attirer le chaland ; Intervention dans le cadre de la découverte des métiers au bénéfice des collégiens ; enfin une dernière brique groupe Accompagnement des élèves en difficulté et Accompagnement vers l’emploi, et il faut noter que cette dernière brique n’est pas quantifiée, on ne sait pas combien d’heures y seront consacrées, donc les PLP qui signeraient le pacte travailleraient à la tâche et de manière annualisée.
Outre l’arnaque à la rémunération, le pacte a donc un but précis dans les LP, faire fonctionner la réforme. En réalité, aucune mesure de la réforme n’est financée (sauf la gratification et le bureau des entreprises). Installer ces mesures passe donc quasi uniquement par le pacte. Les missions du pacte sont le bras armé de la réforme, leurs contenus étant entièrement orientés vers la mise en œuvre du projet. L’exercice de ces missions est annualisé, fragilisant les statuts pour à terme les détruire. Le ministère envisage un pacte non sécable pour contrer ce qu’il considère comme un risque : le manque de candidatures.
Le pacte en LP présente des dangers imminents, graves et concrets. Il est en réalité l’outil de destruction massive des lycées pros, de ses métiers, de ses filières et de l’avenir des jeunes.
Conclusion
Ces mesures constituent l’accentuation de la mainmise du patronat sur l’enseignement professionnel, via l’apprentissage, les décisions quand-à la carte des formations et l’entrée en masse d’acteurs patronaux dans l’orientation.
Elles constituent aussi la mise en place d’une orientation totalement forcée pour les élèves, avec une forte incitation à les voir quitter leur cursus scolaire après le Bac.
Si le Lycée professionnel n’attire pas, c’est déjà pour les mêmes raisons : orientation non choisie, carte des formations suivant les desiderata des patrons de la région, manque de moyens, fermetures de filières. Le phénomène va s’amplifier.
Elles montrent aussi que Macron veut "doubler" les enseignants par des gens en qui il a plus confiance, ce qui révèle à la fois son mépris profond et le but qu’il poursuit, éradiquer la fonction publique. On peut faire le parallèle avec le recours au cabinet Mac Kinsey plutôt que d’utiliser les hauts fonctionnaires dont c’est le métier dans la réalisation de différentes études, ce n’est pas seulement pour régaler les copains.
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, cette réforme est à combattre par tous les moyens. Nous l’avons écrit, les enseignants n’ont pas été très présents dans la lutte contre la Réforme des retraites. Une première lutte, à l’automne avait permis deux journées de grève contre les annonces de la future réforme. Mais, là, il va falloir s’y remettre. Les syndicats sont tous inquiets ou en colère, mais, pour le moment, ils ne proposent rien, pas une journée de grève, pas un boycott des épreuves finales du Bac, alors que l’échéance est imminente : septembre 2023. Le SNUEP-FSU, le troisième syndicat de la Voie Professionnelle appelle fermement les PLP à ne pas signer le Pacte, mais il n’y a rien d’autre à l’horizon. Pourtant, presque tous les syndicats font la même analyse : il s’agit de rien moins que la destruction de l’enseignement professionnel sous statut scolaire.
Macron l’a dit crûment lors d’une récente réunion avec un public trié sur le volet : « Nous refondons, et c’est plus difficile de refonder quand tout n’est pas détruit. » Sauf que ce qu’il qualifie de refondation, c’est le retour progressif au XIXème siècle. Il veut nous ramener à l’avant 36 pour ce qui est des conditions économiques et sociales et à Pétain pour ce qui est de l’enseignement professionnel. Le Parti Révolutionnaire Communistes est vent debout contre ces mesures de régression sociale et éducative, nous soutiendrons toutes les luttes qui ne manqueront pas de survenir pour empêcher la mise en place de cette catastrophe annoncée.

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