Gantry 5

 

N° 834 16/08/2023 Ce que d'aucuns appellent l'affaire du Journal du Dimanche (JDD) a valu de nombreux commentaires, médiatiques et politiques, à propos d'une longue grève de ses journalistes qui refusaient la nomination par le nouveau propriétaire Bolloré[1] de ce titre appartenant jusque-là au groupe Lagardère[2], d'un rédacteur en chef : Geoffroy Lejeune[3], venant du journal Valeurs Actuelles où il était directeur de la rédaction. Ce journaliste d'extrême droite qui a soutenu la candidature d'Éric Zemmour à la présidentielle s'il apparaît comme infréquentable aujourd'hui dans les milieux dit libéraux de gauche ou de droite, a pourtant partagé les allées du pouvoir macronien dès les années 2010. C'est ce qu'affirme sa biographie sur Wikipédia :" C'est au cours de la même année 2012 qu'il devient un ami proche du journaliste Bruno Roger-Petit, qui est alors éditorialiste sur itélé et deviendra en 2016 conseiller média du Président Emmanuel Macron. Geoffroy Lejeune est alors reçu chaque vendredi dans l'émission de débats de Bruno Roger-Petit. Proche du conseiller élyséen, il le devient aussi du couple Macron ."
L'essentiel de la campagne médiatique et politique est centré sur l'idée qu'une rédaction de journal doit bénéficier d'une certaine indépendance vis-à-vis du propriétaire du titre. C'est ce point de vue qu'ont défendu les journalistes qui ont mené une grève de quatre semaines. Que les journalistes du JDD inquiets de la ligne éditoriale qu’ils ne partagent pas et que veut leur imposer la nouvelle direction par l'entremise du nouveau rédacteur en chef qu'elle a nommé, est tout-à-fait compréhensible et explique largement leur grève.
Néanmoins, les réactions à cet événement, les cris d’orfraie poussés par beaucoup n’intéressent pas vraiment les classes populaires, qui ont souvent eu à vivre des événements similaires, sans la moindre considération de la part des journalistes, fussent-ils du JDD de Lagardère. Vincent Bolloré est un grand capitaliste. Il a acheté un media, et il entend en faire ce qu’il veut.
Alors, en rester à cet aspect des choses, de la liberté des rédactions vis-à-vis des propriétaires, pourrait laisser penser que dans le système capitaliste de la propriété privée des moyens de productions et d'échanges, l'information, sa communication et sa circulation seraient au dessus des lois de développement du capitaliste dont les fondements sont la réalisation du taux de profit maximum par l'exploitation du travail salarié et l'accumulation du capital dans un processus continu de concentration et de mondialisation. De plus, la classe dirigeante des capitalistes doit s'assurer de son hégémonie au plan idéologique, c'est à dire créer les conditions pour faire accepter, par les travailleurs salariés, le système d'exploitation de l'Homme par l'Homme.
Pour cela l'État joue un rôle essentiel. Comme l'ont souligné Marx et Engels, l’État est la forme par laquelle les individus d’une classe dominante font valoir leurs intérêts communs[4],[5]. Plus tard V. I. Lénine approfondira la question de l'État[6] qu'il analyse comme un instrument d'oppression visant à assurer la domination d'une classe sociale sur une autre, dans un mode de production donné, concrètement le capitalisme. La classe capitaliste dispose de l'appareil d'État, mais, tout aussi essentiel, elle doit contrôler étroitement l'information dans toute sa dimension, de sa production à sa diffusion et elle s'y emploie.
Ainsi, les grands moyens d'informations sont-ils détenus très largement par un nombre restreint de groupes capitalistes puissants. Aujourd'hui, 9 grands capitalistes possèdent plus de 80% des media en France, avec le soutien de l’État qui leur verse des aides publiques. B. Arnault, par exemple a reçu 22,5 millions € en 2020, 16 millions € en 2021. L’association Acrimed et Le Monde Diplomatique ont réalisé une infographie[7] montrant qui possède quels media en France. Ces 9 grands capitalistes sont : 
Bernard Arnault : Les Echos, L’Opinion, Le Parisien, une partie du Groupe Perdriel (Challenges, Sciences et Avenir)
Patrick Drahi : BFMTV, RMC, L’Express, Libération i24 
Xavier Niel : Le Monde SA (Le Monde, Télérama, Courrier International, L’OBS, Le Monde Diplomatique, Huffpost), NJJ (Paris Turf, Nice Matin, Var Matin, Monaco Matin)
Daniel Kretinsky : Le Monde SA (Le Monde, Télérama, Courrier International, L’OBS, Huffpost), Elle, Marianne, Télé 7 Jours
La famille Dassault : Le Figaro, Le Figaro Magazine
François Pinault : Le Point 
La famille Bouygues : Groupe TF1 (TF1, LCI, TMC, TFX)
Arnaud Lagardère : Paris Match, Hachette Livre, le JDD, Europe 1 
Vincent Bolloré : Groupe Canal + (Canal +, C8, CNews), Prisma Media (Capital, Femme Actuelle, Télé Loisirs, GEO, Voici, Gala), une partie de Lagardère (Paris Match, Hachette Livre, le JDD, Europe 1), France Catholique 
Chacun de ces groupes est la partie media et communication de puissantes multinationales de l'industrie, du luxe, du bâtiment, du commerce et de la finance qui exploitent de par le monde des millions de travailleurs. À la lecture de leurs palmarès, il n'est pas difficile d'imaginer que les informations et les idées dominantes que vont développer leurs media ne vont pas dans le sens des intérêts des travailleurs. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler leurs positions dans la longue bataille populaire contre la réforme des retraites. S’ils n’ont pas pu la masquer, tous leurs arguments sont allés dans le sens de la nécessité économique d'allonger la durée de cotisations (que l'on doit au septennat de F. Hollande) et de reculer l’âge de départ à 64 ans. Même s'ils ajoutaient que le gouvernement agissait de manière trop brutale, ils ont conforté l'idée que ces mesures étaient indispensables dans l'intérêt commun. Sans oublier l'usage des provocations pour accréditer l'idée que la violence ne peut être que du côté de ceux qui contestent la politique du capital. L'État est aussi très présent dans la bataille idéologique livrée contre les travailleurs. Possédant les media dit de service public, il s'emploie à les mettre au service des intérêts capitalistes.
De ce point de vue ce que Serge Halimi[8], reprenant le titre de l'ouvrage du philosophe Paul Nizan[9], a appelé : "Les nouveaux chiens de garde", est édifiant sur le degré atteint dans la falsification et la manipulation de l'information que ce soit au plan de la politique intérieure mais aussi internationale[10].
Certains nous disent aujourd'hui : tout cela est vrai mais nous avons acquis une grande liberté avec les réseaux sociaux et internet qui permettraient une liberté totale d'expression. À y regarder de plus près, il y a là une grande illusion. En effet tous ces réseaux de communications sont concentrés dans un nombre très restreint de puissants groupes capitalistes[11]. Sur les 6 premiers qui comptent plus de 6 milliards d'utilisateurs : Facebook, Instagram, Tiktok, Linkedin, Weibo et Twitter, quatre sont dirigés par des groupes capitalistes états-uniens et deux par des groupes chinois. Une étude du CNRS[12] met en évidence les possibilités de manipulation ouvertes par l'utilisation de ces réseaux par des groupes puissants privés ou étatiques. Sans compter le fait que les relais media de ces moyens de communications, détenus par de non moins puissants groupes capitalistes jouent un rôle en orientant les informations et en structurant le paysage dans la bataille d'idée au profit évidemment des détenteurs du capital. Télé, Radio, Presse, réseaux sociaux sont des armes idéologiques dans les mains du capital et en n’hésitant pas à censurer celles et ceux qui contredisent ou simplement s’éloignent de la doxa.
Les Multinationales et leurs supports médiatiques sont aux commandes du monde capitaliste, elles possèdent les grands moyens de production et d’échange, elles détiennent le pouvoir économique et financier, donc le pouvoir politique. C’est cela que la classe travailleuse doit arracher au capital en prenant le pouvoir économique et politique. Il n'y a donc aucune illusion à entretenir : Dans le système capitaliste, il ne peut y avoir de moyens de communications au service des travailleurs que ceux qu'ils se donnent eux-mêmes en construisant leurs organisations de classe. En développant une société sans exploitation de l'Homme par l'Homme, une société de coopération des producteurs de richesses, ce que nous nommons communisme alors seulement la question de la liberté d'expression et des media prendra tout son sens au service des producteurs de richesses.
8 Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Raisons d'agir éditions, 2022
9 Paul Nizan, Les chiens de garde, Ed Agone, 2012
[4] Marx, L’Idéologie allemande, Éditions Gallimard, Pléiade, Œuvres, t. III, p. 1109.
[5] Friedrich Engels; L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État; Editeur : Les Balustres
[6] Lénine, L'État et la Révolution, La Fabrique éditions, Paris, 2012, 238 p.

 

 

 

 

 

 

Notre brochure
brochure
 
Bulletin d'adhésion
bulletin d'adhésion
 
Affiche
affiche