Gantry 5

 

N°836 30/08/2023 Après l’interview de Macron au "Point", où nous avons appris que l’éducation était un des « domaines réservés » du président de la République, le ministre, ou plutôt le vice-ministre, Attal a tenu sa conférence de presse de rentrée.
Si comme son prédécesseur, Attal ne connaît rien à l’éducation, contrairement au sinistre Blanquer, la politique reste la même :
― des idées de mesures soit inapplicables et totalement hors sol, soit annoncées comme nouvelles alors qu’elles existent déjà ;
― les mêmes recettes éculées que l’on serine depuis vingt ans, dénotant une conception très réactionnaire de l’École ;
― le flou et les mensonges concernant le manque d’enseignants et leur rémunération ;
― la casse accélérée du service public ;
― la stigmatisation des élèves en difficulté, autant dire des enfants de prolétaires.
 
Les organisations syndicales d’enseignants parlent d’une vaste entreprise de diversion, d’un contre-feu pour masquer les pénuries et l’état catastrophique de l’École publique. Ce n’est pas faux, mais nous sommes loin du compte, il s’agit de la démolition accélérée du service public et de l’entreprise d’en finir avec ce qui peut rester d’émancipateur dans l’Ecole.
Car le service public de l’éducation nationale est dans un sale état. C’est sur ce constat que Macron s’appuie pour faire encore pire, en utilisant un raisonnement faussé et cachant que toutes les mesures prises depuis vingt ans, allant toutes dans le même sens, qu’elles soient pédagogiques (la destruction programmée et mise en place pièce après pièce de l’apprentissage de la lecture), financières (la baisse continue du niveau de vie des enseignants et des autres personnels) ou structurelles (la disparition de la formation) sont responsables de cet état et les gouvernements successifs qui les ont décidées le sont aussi.
 
Il n’y a pas que de la diversion, sur beaucoup de points, Macron et les siens n’avancent pas masqués. Ils assument totalement de bâtir une Ecole publique destinée à pourvoir les métiers pénibles et mal payés dont les patrons ont besoin, sans aucune orientation choisie pour les enfants des couches populaires, et pas seulement avec le lycée professionnel. Ils assument de faire du service public d’éducation une vaste garderie pour les enfants de prolétaires et des basses couches moyennes, tandis que les autres classes sociales s’en détournent pour aller vers le privé.
Ainsi, un rapport de la Cour des comptes publié en juin 2023 révèle ainsi que la part des catégories sociales de la grande ou la petite Bourgeoisie (cadres, chefs d’entreprise, enseignants…) dans l’enseignement privé sous contrat est passée de 26 % en 2000 à 40 % en 2021, contre 20 % dans l’enseignement public.
C’est dans l’enseignement supérieur que la privatisation atteint des sommets, largement aidée par le processus d’élimination des enfants de milieux populaires que constitue Parcoursup. La part des formations privées dans l’enseignement supérieur en France est longtemps restée très faible. Elle n’était que de 7 % jusqu’à la fin des années 1990. Elle est maintenant de 22 %.
Les champs qu’elles couvrent se sont nettement élargis. Auparavant, les formations privées étaient surtout des classes préparatoires ou des BTS dans les écoles catholiques, voire des établissements avec un statut mixte dépendant des chambres de commerce. Ce paysage a évolué. Et on a vu, à la fin des années 1990, l’émergence de nouvelles écoles privées post-baccalauréat appartenant à des grands groupes capitalistes investissant dans l’école.
Elles proposent une offre rare dans l’enseignement public, dans les domaines de l’art, du paramédical et d’autres domaines très attractifs pour les jeunes, en particulier le numérique. Ce sont des formations purement privées au niveau de leur financement, dont le fonctionnement dépend des frais de scolarité, souvent très élevés, payés par leurs étudiants.
Évidemment, les critiques syndicales ou universitaires de gauche utilisent à tire-larigot le vocable « ultralibéralisme ». Ainsi, l’historienne Laurence De Cock évoque : « de longs développements sur l’obsession disruptive d’une école relookée par sa fusion avec le projet néolibéral. » Cela réduit Macron et les siens à n’être que de dangereux dogmatiques et nous éloigne de la réelle compréhension de ce qui se passe. Macron met en place la feuille de route du Grand Capital, ce n’est pas d’abord idéologique, mais cela correspond aux besoins des capitalistes. Déjà, au moment de la loi d’orientation de 2005, l’OCDE avait produit un texte disant que « La France a un besoin massif d’emplois peu ou pas qualifiés. »
 
Enfin, si Macron accélère le processus de privatisation et de désintégration du service public, il n’innove en rien, contrairement à ce que disent certains critiques de gauche, il met ses pieds dans les chaussures de ses prédécesseurs. Le sempiternel « lire, écrire, compter » n’a rien de nouveau. Même l’ajout d’un quatrième : « se comporter » n’est pas neuf, depuis quinze ans, les ministres successifs parlent des « savoir être ».
L’objectif de formatage des esprits avec le concept très réactionnaire de « recivilisation » n’a rien de nouveau non plus. Depuis Jules Ferry, l’un des buts de l’Ecole de l’État est de créer des travailleurs qui ne contestent pas l’ordre capitalistes et qui vont « mourir pour les industriels » en bon ordre et en grande masse entre 1914 et 1918. L’Ecole de l’État capitaliste est une gigantesque entreprise idéologique visant à nier la lutte des classes. Les critiques de l’idée avancée par Macron de chronologie en histoire sont beaucoup moins diserts quand il s’agit d’évoquer le contenu des programmes d’histoire et géographie au lycée : la révision de l’histoire de la seconde guerre mondiale, les torts partagés de la guerre de libération nationale en Algérie ou encore le soi-disant développement durable.
Et quand il s’agit, justement, de s’en prendre au passé fantasmé, à l’école des savoir fondamentaux, de l’instruction civique, du roman national, de critiquer l’utilisation du vocable « pédagogisme », c’est au nom de la même référence que ceux qui applaudissent : encore et toujours les fondateurs de « l’École de la République », Jules Ferry, Ferdinand Buisson et consorts. A propos de l’enseignement de la lecture, voici ce que disait Jules Ferry : « « Ceux qui sont les plus forts sur le mécanisme ne comprennent rien à ce qu’ils lisent, tandis que les nôtres comprennent. Voilà l’esprit de nos réformes. »¹ Le mécanisme, c’est le déchiffrage et les nôtres désigne les enfants de la Bourgeoisie (petite, moyenne ou grande).
 
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, l’enjeu est de taille. L’Ecole publique a besoin de moyens, d’un investissement massif, dans les locaux, dans les salaires de tous les personnels, dans l’embauche accrue de fonctionnaires.
Il faut recréer la formation des enseignants et repenser leur recrutement. Il est facile de mesurer aujourd’hui les dégâts d’une formation improvisée sous couvert d’une mastérisation aux contenus divers et variés qui, en réalité avait permis que les budgets des IUFM soient absorbés par les universités à la recherche de financements. Les gouvernants d’alors ont abandonné l’idée d’un vrai centre de formation des enseignants et les suivants n’ont rien fait pour y revenir. Le recrutement à Bac plus cinq a changé la nature sociologique (et idéologique) du corps enseignant, introduit un état d’esprit massivement individualiste et peu sensible au concept de service public. Et il a privé les enfants des couches populaires de l’accès à ces métiers, il est temps de revenir sur tout cela et d’établir une vraie formation, diverse et contradictoire, en deux ans, après un recrutement à Bac plus trois.
Mais tout cela ne suffit pas. L’École a besoin d’être pensée autrement que ce qu’elle l’est depuis Jules Ferry. Elle doit être un moyen d’émancipation pour les élèves, au travers de la construction des savoir, de l’apprentissage des savoir-faire, permettre l’acquisition d’une bonne culture générale, sans diviser les cultures manuelle et intellectuelle. Et elle doit délaisser l’idée d’une promotion individuelle dont le résultat est de changer de classe sociale, au profit d’une promotion collective.
Le chantier est énorme. Pour le débuter, il est important de s’opposer franchement aux dernières mesures de Macron et de détruire l’œuvre bâtie par Blanquer. C’est la lutte des personnels seule qui permettra d’envisager enfin, comme en 1945 avec le plan Langevin-Wallon, une Ecole de la promotion collective. Le Parti Révolutionnaire Communistes sera partie prenante de ce combat.
1 : Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs le 19 avril 1881
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