N° 840 27/09/2023 Trois semaines après la rentrée, ce que beaucoup d’enseignants et nombre de gens lucides envisageaient se confirme. La rentrée 2023 est une vraie catastrophe. Et, non seulement l’École Publique est dans un état lamentable, mais le gouvernement au service du Grand Capital n’a pas l’intention de dévier d’un pouce de sa politique, qui est responsable, après celles des ministres précédents depuis au moins vingt ans du délabrement complet du service public de l’Éducation nationale.
Un constat de plus en plus triste
Tout-un-chacun connaît une école ou un EPLE (Etablissement Public Local d’Enseignement ; qui désigne l’ensemble des établissements du second degré, collèges et divers lycées) dans lequel il manque un ou plusieurs enseignants. À aucun moment, depuis la rentrée, il n’y a eu un enseignant devant chaque classe. Tout le monde savait que Macron et son sous-ministre Attal mentaient en annonçant cela. Le dernier nommé avait même évoqué l’idée de remplacer les absents par des AED (les surveillants actuels) et de mettre les élèves devant un ordinateur : même ce lapin tiré d’un chapeau n’a pas fonctionné.
Les effectifs chargés, les conditions de travail dégradées, l’autoritarisme accru des « petits chefs », les démissions qui se poursuivent sont le lot commun depuis quelques années et ont augmenté depuis cette rentrée. La profession est dévastée. En cause le refus du gouvernement de recruter, de mettre des moyens dans le service public ou de laisser libre cours au travail collectif des enseignants.
Une profession dévastée, donc, blasée, lassée, souvent en colère et en souffrance, mais qui a du mal à envisager que la lutte est l'élément déterminant qui peut faire bouger les choses. C’est que, depuis une à deux décennies, ce métier a changé. En cause la mise à mort de la formation initiale en 2008 par Sarkozy, sans retour, ni sous Hollande, ni sous Macron, et surtout le passage du recrutement à Bac plus cinq, toujours en 2008, ce qui a écarté des tas d’enfants des classes populaires du métier et a changé considérablement la sociologie et la mentalité des enseignants. L’individualisme a pris le pas sur les collectifs de travail, les recettes et l’obéissance aux chefs ont remplacé la réflexion pédagogique, le dos rond a remplacé la lutte. Les démissions massives révèlent des attitudes contradictoires : d’une part, un nombre désormais important de professeurs n’a pas choisi ce métier comme on le faisait avant, de s’engager dans la carrière, mais de passer là quelques temps pour aller ailleurs ; mais d’autre part, un nombre non négligeable de démissionnaires sont au contraire des gens qui ont voulu exercer ce métier et qui craquent à cause des conditions désormais insupportables de cet exercice. Deux comportements totalement opposés qui n’ont en commun que de révéler de la place énorme prise par la solution individuelle aux dépens du rapport de force collectif.
Et que dire de ce que révèle la divulgation des courriers adressés par le DRH du rectorat de Versailles, nommé par la rectrice avec sa délégation de signature aux parents d’élèves se plaignant du harcèlement que subit ou subissait leur enfant ? Une pratique managériale déshumanisée, une direction tenue par des gens qui ne connaissent rien à l’éducation nationale ni à la fonction publique, méprisent les salariés comme les parents et les élèves. Quand on applique les consignes des patrons du privé dans un domaine comme l’École, il n’y a pas à s’étonner des résultats. Charline Avenel a dirigé le rectorat et l’académie de Versailles comme on dirige une entreprise, exactement comme pas mal de chefs des ARS ou de directeurs d’hôpitaux. Elle vient de se reconvertir en quittant ses fonctions au rectorat de Versailles et s'est mise en disponibilité de la fonction publique pour rejoindre le groupe privé d'enseignement supérieur IONIS Éducation Group, revendiquant pour se justifier « une âme d’entrepreneuse »
Il n’y a rien attendre de Macron et des siens
La scène hallucinante des représentants des syndicats de l’Éducation nationale reçus en audition par une commission de l’Assemblée nationale, insultés par la présidente Renaissance de la commission, un de ses acolytes et un député du RN, qui leur reprochaient leur ton et leur exagération est significative de la coupure voulue entre les "Élus de la Nation" et le réel et de la volonté des dirigeants actuel de ne tenir aucun compte des récriminations des salariés tant qu’elles ne s’accompagnent pas de luttes massives.
Car enfin, ces syndicalistes n’ont pas demandé la révolution, même pas le retour aux décisions collectives dans les écoles, comme il n’y a pas si longtemps, quand les directeurs n’étaient pas des décideurs uniques. Ils ont simplement rapporté l’état actuel de l’école et l’état d’esprit des enseignants faisant part du grand désarroi des collègues et probablement aussi du leur. Mais aucune réponse ne leur a été apportée, leur constat a été refusé et moqué. Et, pour la première fois depuis que ces audiences existent, l’ensemble des représentants syndicaux de l’Éducation nationale a quitté la salle en claquant la porte.
Au lieu se se précipiter l’année prochaine pour assister au même cinéma avec les mêmes députés qui sont là pour tout sauf pour les écouter, les dirigeants syndicaux, et pas seulement ceux de l’Éducation, devraient se dire qu’il n’y a rien à discuter avec des gens qui sont là pour appliquer coûte que coûte la feuille de route du Grand Capital.
Leur mandat, en l’occurrence, c’est la destruction du service public de l’Éducation nationale. Il n’y a rien à attendre, ni de la classe dominante capitaliste, ni de ses mandataires. Quand un pouvoir décide de mettre en place l’esclavage, faut-il négocier le poids des chaînes ?
Macron n’est pas seul, d’autres ont des idées
La territorialisation a toujours été une option pour les partisans de la destruction de l’Éducation nationale. Et ce depuis la loi de décentralisation de 1982 qui a accordé aux collectivités territoriales des compétences qui relevaient avant de l’État. Et là, c’est la présidente de la région Ile de France, Valérie Pécresse, qui vient de remettre cent balles dans la machine.
Dans un projet de délibération, la majorité LR du Conseil régional demande la création d’écoles primaires sous contrat totalement autonomes, la mise sous tutelle régionale des lycées professionnels, la redéfinition par la région des conseils d’administration des lycées, le droit de recruter des professeurs associés de lycée et la prise de contrôle de l’orientation et de la médecine scolaire. Un projet qui s’appuie à la fois sur les décisions et projets de Macron et sur une loi votée au Sénat par la majorité LR et Centristes.
Citons Valérie Pécresse pour mieux comprendre sa démarche : « Cette délibération pour un choc de décentralisation en Île-de-France est donc une main tendue au Gouvernement pour initier une véritable révolution girondine des libertés locales ». En vertu de cela, elle demande : « une véritable gouvernance partagée du système éducatif, comme en Allemagne, qui comprendrait la gestion totale des lycées professionnels ; le recrutement de professeurs issus de la société civile dans les lycées ; et le droit de créer des écoles primaires régionales sous contrat avec l’État dans les quartiers prioritaires de la ville, avec une liberté et une autonomie assumée dans le recrutement des enseignants et le projet pédagogique ».
Tout est dit, de l’évocation des Girondins, chantres du libre-échange à tout prix (y compris dans le trafic d’esclaves) au modèle allemand où ce sont les Länder (équivalent des régions) qui gèrent l’éducation. Sans oublier qu’elle dits son accord avec la réforme de Macron qui institue la casse du Lycée professionnel, mais trouve simplement que, pour vraiment la mettre en place, il faut en finir avec la double tutelle État/Région des lycées professionnels. Concrètement, cela voudrait dire que les personnels de l’éducation deviendraient personnels régionaux, que la carte des formations dépendrait de la seule région et que les lycées professionnels sortiraient du code de l’éducation. Valérie Pécresse revendique l’autonomie pour le recrutement des enseignants, celui-ci étant effectué par les chefs d’établissement.
En conclusion
Il y a donc du souci à se faire pour l’état de l’École, comme de tous les services publics, d’ailleurs. Le mandat de Macron, c’est de détruire les acquis du compromis de 1945, et pour ce qui concerne l’Éducation nationale, toutes les traces du Plan Langevin-Wallon. Et on peut compter sur les autres (pas seulement LR) pour l’y aider.
Il ne suffira pas de constater et de se lamenter. Si l’on veut faire reculer Macron, sauver ce qui peut l’être du service public de l’École, seule la lutte acharnée des personnels sera utile. Cette lutte, le Parti Révolutionnaire Communistes l’appelle de ses vœux et la soutient et la soutiendra partout où elle se déroulera. Déjà, dans plusieurs endroits de France, des enseignants sont en grève, des parents occupent des écoles, organisent des journées « écoles mortes », les AED (surveillants) et les AESH seront en grève le 3 octobre pour obtenir une reconnaissance professionnelle. C’est cette voie là qu’il faut suivre et amplifier.