N° 848 23/11/2023 Tancrède Motta est secrétaire-général du syndicat des services centraux d’EDF, un syndicat de la Fédération Nationale des Mines et de l’Énergie de la CGT. Il a accepté de répondre à nos questions.
1. Depuis plusieurs années maintenant, la FNME met en avant l’idée de « reprendre en main son outil de travail ». Pouvez-vous nous éclairer sur le sens de ce concept ?
La reprise en main de l’outil de travail est préconisée lors des mouvements de grève. Il s’agit par exemple d’intervenir sur le réseau soit pour des coupures sélectives soit pour basculer les consommateurs sur un tarif plus avantageux (tarif nuit) soit encore de stopper la télé-relève. Il est légalement interdit de cesser la production d’électricité et si les camarades parviennent à baisser la charge (ou production des centrales) à partir d’un certain seuil, ils ne peuvent plus en faire davantage (EDF et le gestionnaire de réseau pendant ce temps compensent par des importations). Ce type d’action est également considéré comme une reprise en main de l’outil de travail.
En moins spectaculaire mais qui peut conduire à des sanctions, certains techniciens organisent également des défilés avec leur véhicule professionnel.
Le message lancé avec « la reprise en main du réseau » consiste en creux à rappeler l’importance vitale du travail fourni par les travailleurs des industries électriques et gazières.
2. Le conflit des retraites s’est terminé par la victoire du gouvernement et du Grand Capital et donc, pour les travailleurs, par un échec. Pouvez-vous nous dire quelles sont, de votre point de vue, les raisons de cette situation ?
Il y a eu « des retards à l’allumage » du côté d’une CGT en pleine préparation de son 53e congrès. Ainsi, devant la politique d’alliance de la Confédération, 7 fédérations se sont unies pour appeler à des actions fortes jusqu’à bloquer l’économie. Un happening a été organisé à Montreuil pour affirmer cette volonté et à la tribune… aucun représentant de la direction confédérale (de l’époque).
Il y avait donc des vues différentes au sein de l’organisation syndicale en mesure de faire la différence. Et finalement, la « rébellion » du leader de la CFDT a été plus commentée que la volonté CGT de faire reculer le gouvernement.
L’intervention des politiques opposés à cette réforme n’a pas été d’une grande lisibilité. La « bataille » des amendements n’est pas une bataille et tend à distraire l’attention des salariés de l’essentiel. Mais il s’agit du problème récurrent du monde du travail qui manque singulièrement de représentation politique dédiée digne de ce nom.
Enfin cadenassée dans une alliance intersyndicale et soucieuse de la maintenir, y compris après le 53° congrès, l’action nationale CGT a été focalisée sur des défilés à répétition dont l’efficacité symbolique est questionnable et l’effet de dissuasion nul. Le débat était de savoir le nombre de manifestants et non la question des retraites. De fait, l’union n’a pas fait la force, tout au contraire.
3. Les récentes élections professionnelles dans les entreprises qui relèvent de l’ancien EDF-GDF ont donné des résultats décevants pour la CGT. Comment l’expliquer ? En particulier, comment expliquer les disparités, les endroits où la CGT s’en sort bien et ceux où elle recule de manière très claire ? Y a-t-il corrélation avec les endroits où de grosses luttes ont été menées en fin 2022 et pendant l’épisode des retraites ?
Il est trop tôt pour tirer un bilan. Dans les grandes entités tertiaire (par exemple la Direction commerce d’EDF) où la mobilisation a été plus que modérée, la CGT recule et dans certains secteurs opérationnels des réseaux caractérisés par une forte mobilisation, la CGT progresse.
Le recul dans les secteurs tertiaire peut être aussi lié à des faiblesses internes d’organisation CGT mais qui expliquerait aussi la faible mobilisation durant les mouvements pour les salaires puis pour les retraites.
4. Beaucoup de camarades de la CGT pointent du doigt le rôle des élus dans les CSE qui sont bien trop accaparés par leur rôle et pas assez par la vie du syndicat et l’organisation des luttes. Ce phénomène existe-t-il dans la FNME ? Peut-on y voir aussi une explication de certains mauvais résultats électoraux ?
La difficulté pour certains camarades réside dans l’étendue des attributions des CSE qui couvrent des directions à la maille nationale. L’activité est alors c’est vrai énergivore. Certains de nos camarades ont décidé à dessein un service minimum en CSE (où finalement il ne se passe pas grand-chose) pour animer la vraie vie syndicale. Mais il n’y a pas que les CSE qui prennent sur le temps militant, il y a des kyrielles d’instances hors entreprise qui demandent du temps.
Dans notre fédération, pour compliquer encore plus les choses, il existe des syndicats territoriaux (sur un département généralement) dont les animateurs ont également beaucoup de difficultés à faire vivre le syndicat, se rendre sur le terrain, participer au collectif métier, etc. Pour notre fédération, il y a bien aussi une question de structure à revoir.
5. La CGT a connu un important congrès confédéral. Certains militants croyaient à un changement de ligne avec la nouvelle direction. Beaucoup font le constat qu’il n’en est rien. La direction confédérale est toujours dans le dialogue social et pas dans la lutte des classes. Qu’en pensez-vous ?
Eh bien, ces militants ont péché par naïveté. La ligne « battue » au Congrès est très bien représentée à la Commission exécutive confédérale qui avait repoussé la candidature de la camarade Buisson à 2 voix près. Il n’y avait que 7 fédérations prêtes à arrêter le pays donc on ne peut pas dire que le désir de radicalité soit la marque des dirigeants CGT actuellement.
Tant qu’il n’y aura pas de remise en perspective des effets de l’institutionnalisation du syndicalisme, la CGT restera encalminée dans le « dialogue » social.