N° 865 21/03/2024 Le 11 mars, le journal « Le Monde », un des media de l’idéologie dominante, publiait une tribune intitulée « Plutôt une taxe sur la spéculation que 10 milliards de coupes dans les dépenses publiques », signée, entre autres, par la secrétaire-générale de la CGT, Sophie Binet.
Quels signataires ?
Commençons par le « entre autres », car on est un peu étonné de voir certains signataires. Outre quatre premiers ou premières dirigeantes de confédérations syndicales (en dehors-de la CGT, on trouve la CFDT, la CFE-CGC et l’UNSA), parmi les signataires on compte le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, lequel est moins prolixe sur la grève des salariés d’Emmaüs à Lille, Najet Vallaud-Belkacem, en tant que directrice pour la France de l’ONG One, qui s’occupe de la pauvreté et des maladies « évitables » (son fondateur, le chanteur Bono, fervent soutien d’Israël, n’a pas pensé à éviter des maladies à Gaza), ATTAC, et l’habituelle kyrielle d’organisations, toutes moins connues les unes que les autres (7 en tout, pour donner un air de « Plus jamais ça », mais sans Greenpeace), sans écologistes ; sans oublier la FAGE, le syndicat étudiant réactionnaire ni une mystérieuse Union des Associations de Lutte Contre les Inondations (UNALCI), dont on peine à voir l’action dans le Pas-de-Calais.
La cerise sur le gâteau, c’est la présence de Mélanie Tisserand-Berger, présidente du Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise (CJD). Cette organisation est issue du Centre des Jeunes Patrons (CJP), rebaptisé en 1968 pour intégrer les cadres dirigeants. Elle regroupe près de 6.000 dirigeants d’entreprises, essentiellement de TPE et PME. Bref, c’est une organisation patronale. On sait bien que, depuis trente ans, pour la direction de la CGT, les patrons ne sont plus des adversaires de classe mais des partenaires sociaux, mais, tout de même, ça fait encore tiquer les militants de lutte des classes. Bref la CGT signe tout de même avec des patrons ! Nous disons la CGT, car nous supposons que, contrairement à son prédécesseur, Sophie Binet n’a pas signé de tribune sans consulter les instances de la Confédération.
Quel contenu ?
Dénonciations et revendications
Le texte commence par tenter de porter le ras-le-bol des travailleurs de ce pays contre les mesures de casse sociale des fondés de pouvoir actuels des capitalistes : « des citoyens de plus en plus nombreux disent leur ras-le-bol quand nos gouvernements veulent augmenter une taxe sur l’électricité ou une taxe sur le gazole. » ou encore « 124 millions de personnes supplémentaires vivent dans l’extrême pauvreté depuis 2020, c’est-à-dire avec moins de 2,10 dollars par jour, notamment en Afrique. ».
C’est l’occasion de dénoncer l’austérité : « au lieu de vouloir dégager de nouveaux moyens, Bruno Le Maire vient d’annoncer 10 milliards d’euros de coupes (1 milliard de coupes dans la rénovation énergétique des logements, 800 millions dans la solidarité internationale, 400 millions dans le fonds d’adaptation au changement climatique à destination des collectivités territoriales etc…) qui, si elles se concrétisaient, auraient des conséquences dramatiques. ». Notons que ni les coupes budgétaires dans l’éducation et la recherche, ni le fait que ces coupes se font aux dépens de la fonction publique ne sont évoquées.
Le texte répertorie ensuite les besoins de financement : « Nous sommes à un moment de l’histoire où les défis économiques, sociaux et climatiques sont immenses et les investissements nécessaires pour y faire face sont colossaux.
- Il faut trouver de l’argent pour lutter contre le dérèglement climatique […] ;
- Il faut aussi débloquer des fonds supplémentaires pour la solidarité internationale, pour la lutte contre la pauvreté et les inégalités […] ;
- Nous assistons à un appauvrissement grave des services publics qui sont pourtant fondamentaux pour notre vie quotidienne et pour notre avenir […] ;
- Il faut enfin trouver de l’argent pour aider notre industrie verte à rester en Europe. ».
Tout cela ne mange pas de pain. Il faut noter tout de même la prépondérance des enjeux « environnementaux » sur les enjeux « sociaux ».
Remarquons également l’utilisation de tout l’arsenal des concepts de l’idéologie dominante.
Ainsi la « lutte contre les inégalités » ne constitue pas un concept anticapitaliste ; il ne s’agit pas, pour le Parti Révolutionnaire Communistes de lutter contre mais de les éradiquer, et cela passe par l’expropriation des capitalistes et la socialisation des moyens de production. Seule la société socialiste peut les faire cesser. Or, manifestement, tel n’est pas le but des signataires, il s’agit pour eux seulement de corriger, d’aménager le capitalisme.
De même « l’industrie verte » est un cache-sexe pour ne pas dire le « capitalisme vert ». La finalité que porte le texte est ici de remplacer le capitalisme noir (celui du charbon et surtout du pétrole) par le capitalisme vert et, au passage, des points dans la guerre économique internationale qui sévit, au stade impérialiste, notamment contre la Russie et les pays du Moyen Orient et du Golfe.
Enfin, que dire d’une expression emblématique du discours dominant, le « dérèglement climatique » ? Peut-être qu’elle sous-entend qu’avant, le climat était « réglé », puisqu’il est désormais déréglé. On aimerait bien savoir quelles étaient ces règles du climat aujourd’hui bouleversées. Cette seule expression dit combien nous sommes loin de la science, pourtant utilisée comme argument massue par les militants auto-proclamés du climat. Le climat, depuis que la Terre existe, n’a jamais eu de règle, il a évolué en permanence et continue de le faire. Aucun scientifique sérieux ne dira le contraire.
Et s’il fallait encore une preuve que le texte se situe dans le cadre du stade impérialiste et de la concurrence sévère qu’il organise et perpétue, voici ce passage : « Face aux 360 milliards de dollars de subvention mis sur la table par Joe Biden pour les 10 prochaines années pour attirer les investissements verts aux États-Unis, l’Europe doit réagir vite et fort pour éviter les délocalisations, les pertes d’emplois et un retard dramatique dans l’action climatique. ». Là encore, nous restons dans le cadre de la société capitaliste, puisqu’il n’est nullement question de nationaliser ou socialiser les entreprises qui délocalisent, encore moins d’exproprier les capitalistes.
Au bilan, ce texte participe d'une autre orientation que celle de la lutte de classe et de masse pour la défense des intérêts des salariés, mais bien d'une alliance sans autre contenu de classe que celle d'une démarche dite sociétale sur le terrain de la collaboration de classe.
La grande question : comment dégager des ressources nouvelles et quels arguments ?
Nous arrivons au cœur du texte ; voici comment est formulée la problématique : « Mais comment dégager des ressources nouvelles sans taxer les travailleurs et l’ensemble des citoyens ? En créant enfin une Taxe sur les Transactions Financières. ».
Le Parti Révolutionnaire Communistes n’est pas opposé à une telle taxe, mais nous disons qu’elle ne règlera pas les problèmes que nous vivons, parce qu’ils viennent de la nature du système, le capitalisme et que cette mesure ne s’y attaque pas, au contraire elle est compatible avec le système capitaliste et les auteurs du texte ne cherchent surtout pas à le renverser. La meilleure preuve est celle des arguments qu’ils utilisent pour étayer leur thèse. En voici, pêle-mêle, quelques-uns :
« Selon les calculs de la Commission Européenne, elle rapporterait 57 milliards d’euros par an au niveau européen. L’argent est là : alors que les entreprises du CAC40 ont distribué 100 milliards de dividendes en 2023, alors que les marchés financiers battent régulièrement de nouveaux records, est-il normal qu’ils ne payent aucune TVA ? C’était déjà l’argument mis en avant en septembre 2011 par la Commission européenne, qui proposait la création d’une Taxe sur les Transactions financières (TTF). ». Le texte s’appuie donc sur l’Union Européenne, grande pourfendeuse du Capital devant l’Eternel, comme chacun sait. Et il ne nous dit pas pourquoi, malgré son argument massue, la Commission n’a pas décidé de mettre en place cette taxe en 2011.
« Il est temps de créer cette Taxe pour partager équitablement l’effort collectif pour faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain. L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et le Portugal y sont favorables. À 2 reprises en 2023, le Parlement européen a demandé la création immédiate de cette petite taxe. ». Le concept d’effort collectif est intéressant, en ce qu’il est toujours utilisé par les partis favorables au système, de droite comme de gauche, même si certains n’incluent pas le Capital dans ceux qui doivent faire des efforts. On voit bien qu’il sert de socle à un autre concept, celui de « meilleure répartition des richesses » dont nous n’avons eu de cesse de dénoncer en quoi il était un leurre et une impasse. Quand la CGT signe un texte qui se réclame des gouvernants d’Allemagne, Autriche, etc., ou du Parlement européen, cette machine contre les peuples, ce n’est ni plus ni moins que de la collaboration de classe.
On peut aussi remarquer que la croisade personnelle que mène Sophie Binet contre ce qu’elle appelle « l’extrême-droite » semble s’arrêter au sommet des Alpes, puisque l’Italie est citée en tant qu’alliée ; il y a donc peut-être du bon dans Meloni !
Enfin, tout est dit dans l’expression « petite taxe », on sent que les auteurs du texte sont des suppliants demandant aux fondés de pouvoir des multinationales d’être gentils, parce que cela ne leur coûtera pas beaucoup.
« La France est le seul pays qui bloque la négociation comme le démontre la lettre de Gernot Blümel, ministre des Finances autrichien, dans laquelle il dénonce la position de notre gouvernement qui défend une taxe qui exonérerait 99% des volumes échangés chaque jour sur les marchés financiers. » Nous voilà nanti d’un nouveau héros, le sieur Blümel, éminent membre de l’ÖVP, le Parti Populaire Autrichien, conservateur. Ancien ministre des finances, il a dû démissionner en 2021 et fait depuis l’objet d ’une enquête au sujet de de malversations liées au financement de l’ÖVP par le géant mondial des jeux d’argent Novomatic. On a les héros qu’on mérite !
Souvenons-nous enfin que le fondateur de ce concept de taxe, James Tobin, était un économiste états-unien, disciple de Keynes, partisan du libre-échange, anobli par Churchill et un des initiateurs des accords de Bretton-Woods, à l’origine de la création de la Banque Mondiale, du FMI et, plus tard, de l’Organisation Mondiale du Commerce, toutes institutions dont on sait les souffrances qu’elles ont causées aux travailleurs.
Les signataires ne sont pas à court d’idées de financements
Manifestement, cette « petite taxe », portée par autant de prestigieux dirigeants de pays capitalistes, ne suffit pas à » vendre » la tribune et les idées qui vont avec. Les signataires avancent donc d’autres propositions, là encore validées par d’éminents anticapitalistes.
Voici les propositions énoncées dans le texte en plus de la taxation des transactions financières : « La TTF n’est évidemment pas la seule solution. Il faut aller vers un paquet de mesures plus larges pour instaurer une taxation européenne juste : il faut aussi créer une taxe sur les rachats d’action comme les Etats-Unis l’ont fait en août 2022, une taxe de 1% qui va rapporter 7 milliards par an, et Joe Biden veut la porter à 4%. Il faut aussi une taxe sur les superprofits des banques et des entreprises pétrolières, comme l’a fait Pedro Sanchez en Espagne. Il faut aussi négocier la mise en place d’une taxe sur les milliardaires comme le propose Thomas Piketty. ».
Nous découvrons trois nouveaux héros : le réactionnaire génocidaire Biden et les sociaux-démocrates Sanchez et Piketty. Mais là encore, rien qui s’en prenne à la domination du Capital, bien au contraire. L’utilisation du terme « superprofits » est significatif, comme la taxe sur les milliardaires du message à faire passer aux grands capitalistes : on ne s’en prendra, vraiment qu’aux plus riches ! Comment définir un superprofit ? En quoi est-ce différent d’un profit ? Où est la frontière ? Et pourquoi ne pas réclamer le retour de l’ISF ?
L‘essentiel, c’est la Taxe sur les Transactions Financières
En fin de texte, les signataires reviennent à ce qui est le cœur de leur message : « La TTF n’est pas la seule solution mais c’est le dossier le plus mûr au niveau européen. Une étude d’impact de 1.223 pages montre qu’il n’y a aucun risque de fuite des capitaux si l’on instaure ce petit prélèvement. ». Nous retrouvons des choses que nous avons déjà remarquées, la supplication auprès des grands capitaliste se poursuit avec la réutilisation du mot « petit » et surtout l’assurance qu’il n’y aura pas de fuite des capitaux, le « marché » peut être rassuré ! Au fil de la lecture, on s’aperçoit donc que les vrais destinataires de cette tribune ne sont pas les travailleurs, mais les grands capitalistes et dans une moindre mesure leurs fondés de pouvoir.
D’ailleurs, on poursuit en s’adressant à Macron ; ça manquait depuis le début du texte : « Bonne nouvelle, tout est prêt : si la France renonce à son blocage, la taxe peut être crée lors du prochain conseil des Ministres de finances. Il y en a un tous les mois. Si la France accepte enfin la Taxe sur les Transactions Financières, on verra que l’Europe peut rapporter gros. Il est urgent que le gouvernement français prenne la mesure de la colère qui monte de toute part, une colère qui nourrit le vote d’extrême droite, et accepte enfin d’avancer sur cette question. ». On comprend bien que les signataires sont attachés à l’UE, cet outil du grand capital destiné à massacrer les acquis sociaux.
Ensuite, cet acharnement des organisations syndicales et particulièrement de la CGT de vouloir demander solennellement à Macron de décider le contraire de sa politique alors qu’il avance à marche forcée dans sa réalisation est de plus en plus incompréhensible.
Ce qui nous intéresse et nous inquiète dans ce texte, c’est la signature de la CGT, parce que c’est dans la CGT que se retrouve l’énorme majorité des syndicalistes de lutte des classes. En l’occurrence, la secrétaire générale de la CGT, en signant cette énième supplique à Macron contre Macron, agrémentée de cette énième allusion à l’extrême-droite, comme toujours, jamais définie fait preuve d’une forme de naïveté qui ne peut qu’être de mauvais augure. C‘est à croire qu’elle fait confiance à Macron quand il dit combattre le RN, alors que c’est le cadet de soucis et que cette organisation n’a jamais été aussi influente qu’après 7 ans de mandat de l’ancien banquier. C‘est à croire qu’il y a là une volonté politique de distinguer Macron et le RN, et de justifier les appels à voter catastrophiques de la CGT lors des dernières élections présidentielles. La direction de la CGT a appelé à voter pour celui qui organise la casse du code du travail, des retraites, des services publics et de la Sécurité Sociale !!! Enfin, on aimerait bien savoir en quoi Macron n’est pas d’extrême-droite.
En conclusion
Le texte se termine ainsi : « Le gouvernement doit sortir de son dogmatisme, renoncer aux coupes dans les dépenses publiques essentielles et accepter de taxer les marchés financiers. Faire face à nos défis communs implique une répartition juste des efforts, en particulier s’agissant du financement. Les marchés financiers, en tant qu’acteurs à part entière de notre société et de notre économie doivent aussi contribuer ! ».
Cet extrait contient quasiment tous les poncifs sociaux-démocrates en la matière, en tout cas ce qui les résume.
L’idée que la ligne politique de Macron obéirait à un dogme, probablement libéral, est totalement erronée. C’est faire fi de tout ce que Marx a démontré sur le fonctionnement du capitalisme et des capitalistes notamment dans le Capital. L’idéologie des hérauts du Grand Capital n’est pas première, elle ne sert qu’à habiller la pratique d’une théorie. Il n’existe pas de stade libéral dogmatique dans l’histoire du capitalisme ! Le seul stade que nous vivons est celui de l’impérialisme, défini par Lénine, qui date de la fin du XIXème siècle. Ce qui est premier n’est pas l’idéologie, mais l’économie. Macron ne déroule pas un manuel ni une thèse, il mène la politique dont ont besoin les grands capitalistes dont il est la marionnette. Confrontés à la baisse tendancielle du taux de profit, à un marché saturé, dans lequel seule la confrontation et même la guerre permettent de trouver de nouvelles ressources et de nouveaux exploités, les Grands capitalistes qui ont choisi Macron, comme ceux qui ont choisi d’autres fondés de pouvoir, n’ont pas le choix. La seule manière qu’ils ont de dégager des marges, de freiner la baisse tendancielle, c’est de taper dans le travail vivant (salaires, cotisations) et les retraites.
On retrouve également ce que nous n’avons cessé de remarquer dans cette analyse. Il ne s’agit pas de s’en prendre au système capitaliste mais de l’aménager, et encore légèrement. Au lieu de chercher à se débarrasser des marchés financiers, à éradiquer les possesseurs des grands moyens de production et d’échange, on veut les taxer. Si on les taxe, on les légitime, on les institutionnalise. On perpétue la société capitaliste !
Le Parti Révolutionnaire Communistes est totalement opposé à la philosophie de ce texte, de cette supplique aux grands capitalistes pour qu’il daigne accepter une « petite » entorse à leurs profits.
D’abord parce que c’est inefficace ! Depuis la fin de l’URSS, la « gauche » théorise l’idée de demander moins pour au moins obtenir quelque chose. Mais nous n’avons jamais rien obtenu, depuis 1991 avec des demandes a minima. Les grands capitalistes ne veulent même pas accorder ces miettes, ils ne peuvent pas, tenus qu’ils sont par leur combat perpétuel contre la baisse tendancielle du taux de profit et par la concurrence féroce qui est leur mode d’existence, en tant que capitalistes.
Ensuite, parce que, si l’on veut améliorer les choses, la seule perspective est l’abolition du capitalisme et la construction d’une société socialiste. Ce n’est pas et cela n’a jamais été la volonté des auteurs de ce texte. Les mots « capital », « capitalisme », « plus-value », « exploitation » en sont absents.
Nous regrettons que la CGT s’engage dans cette voie et s’écarte de celle de la lutte des classes. Elle n’en tirera aucun bénéfice, ni en termes de taxation des capitaux, ni en termes de regroupement des travailleurs pour impulser la lutte !