Gantry 5

 

N° 915 04/03/2025  Le rapport de la secrétaire générale de la CGT à la Commission Exécutive Confédérale du 4 février, intitulé : "Quelle stratégie syndicale face à Trump" interpelle de nombreux responsables et militants de la CGT dans la mesure ou l'élection de Trump et ses premiers actes politiques comme Président s'ils ne remettent pas en cause fondamentalement la nature des États-Unis marquent une étape nouvelle dans son développement de puissance impérialiste. Dans le texte qui suit, nous donnons notre point de vue sur les questions de fond que soulève ce rapport du 4 février.
Dès le premier chapitre, consacré aux "conséquences de l'élection de Trump", il est manifeste, que ce texte ne développe aucune analyse de classe de la situation aux États-Unis. Il se contente de soulever trois points ; ceux :
  • de la généralisation des conflits d'intérêts et tout particulièrement celui de la mission d'Elon Musk de tailler dans les agences fédérales et la fonction publique.
  • du caractère oligarchique du gouvernement
  • du cadre dans lequel s'effectuent ces transformations, celui du basculement vers l'extrême-droite de la Russie, de l'Argentine, de l'Italie, de la Hongrie, de l'Autriche d'Israël de l'Inde...
Si la description de la nature du pouvoir états-unien est bien celle du grand capital monopoliste, sans en utiliser le terme, il ne s'agit pas là d'une révélation. La nature de classe de ce pouvoir au service des fractions les plus puissantes du capitalisme états-unien est aussi vieille que son existence et les liens des hommes politiques avec l'oligarchie le sont tout autant. Tous les dirigeants états-unien ont servi les intérêts du capital financier et monopoliste et ils n'ont eu de cesse, Démocrates et ou Républicains, d'alimenter des guerres contre l'indépendance des peuples, faisant des millions de morts et des ravages économiques et écologiques d'ampleur inégalés en Corée, au Vietnam, en Irak, en Libye, en Afghanistan...sans compter tous les coups d'états réussis ou avortés qui ont été organisés par la CIA en Amérique latine au Moyen-Orient en Asie...sans compter le blocus illégal de Cuba ! L'addition est lourde et mérite, pour le moins, que l'on analyse ces événements comme des manifestations du caractère d'une puissance dominante dans le système impérialiste. Or de tout cela il n'est pas le moins du monde question dans le rapport. Parler d'alliance entre les milliardaires et l'extrême-droite, c'est mettre sur le même plan la classe qui dirige et décide et ses fondés de pouvoir. Caractériser la politique de Trump comme celle de la loi du plus fort, en lieu et place du multilatéralisme c'est passer un coup d'éponge magique sur les crimes de l'impérialisme états-unien et ceux des pays capitalistes dominants y compris la France. Ce que dit le rapport à propos du multilatéralisme qui aurait jusqu'à ce jour commandé aux rapports internationaux ne correspond en rien à la réalité du caractère hégémonique des États-Unis au sein de l'impérialisme : " Les États-Unis sont donc en train de remettre en cause méthodiquement le multilatéralisme (relatif, car encadré par les grandes puissances) construit après la 2e guerre mondiale pour garantir la paix et déjà très affaibli par la montée des régimes autoritaires et d’extrême droite." !
Face à ce que le rapport nomme : " [la] Mise en place d’une internationale d’extrême droite " ce dernier, s'appuyant sur l'idée que cette situation profite à la Chine : " Cette politique va avoir pour conséquence de décrédibiliser les États-Unis, ce qui bénéficiera probablement à la Chine qui est déjà en position de force d’un point de vue commercial (64 pays ont pour premier partenaire commercial les États-Unis quand c’est la Chine pour 130 pays). Si la Chine n’est pas dirigée par l’extrême droite, il ne s’agit aujourd’hui pas d’un régime démocratique avec la remise en cause de nombreuses libertés et droits humains, à commencer par ceux des Ouighours." conclut que :" L'Europe est donc le seul acteur démocratique de poids à pouvoir s'affirmer sur la scène internationale." Cette affirmation, fait fi de la réalité de l'Union Européenne comme construction impérialiste cherchant à prendre sa place dans la concurrence capitaliste mondiale et dans le cadre militaire de l'OTAN ce qui, de fait, la met à la remorque des États-Unis. Selon le rapport, cette difficulté devrait être surmontée par un "désalignement" de l'Europe sur les États-Unis, ce qui impliquerait de lever le verrou allemand : " Pour gagner cette réorientation, il nous faut lever le verrou allemand et sortir l’Allemagne de sa triple dépendance (à la défense américaine, au gaz Russe et aux exportations chinoises) pour qu’elle joue clairement le jeu du renforcement de l’Europe." Compte-tenu des divergences d'intérêts entre les capitalistes en Europe, faire sauter le verrou allemand est au mieux un vœu pieu. Il alimente l'idée d'une Union Européenne fédérale décidant des orientations de politique générale, de la diplomatie et de la défense bien au-delà de la souveraineté des nations. C'est d'ailleurs ce que préconise le rapport comme objectif à atteindre. Ainsi, pour avancer vers cette Union Européenne le rapport note qu’il faut arriver à : " Une vraie politique étrangère commune, tournée vers le Sud global sans vision hégémonique et basée sur le multilatéralisme, le respect du droit international et le soutien à la démocratie et aux droits humains." et un peu plus loin : "la sortie de l’OTAN en commençant par la sortie du commandement intégré." Le caractère contradictoire de ces deux objectifs est patent. Comment en effet envisager une politique étrangère commune d'un conglomérat capitaliste sans qu'au sein de ce conglomérat ne se dessine une force dominante, par elle-même où par sa position privilégiée dans ses relations avec la puissance capitaliste dominante que sont les États-Unis et cela au sein de l'OTAN ? Poser la question, c'est y répondre ! En affirmant que : "L’Europe est...le seul acteur démocratique de poids à pouvoir s’affirmer sur la scène internationale", le rapport choisit la défense d'une alliance impérialisme contre d'autres, qui plus est de son propre impérialisme et passe aux profits et pertes son implication dans les guerres impérialistes récentes que ce soit dans la première guerre du golfe, en Afghanistan, en Yougoslavie, en Libye et aujourd'hui en Ukraine, ses opérations militaires en Afrique, son soutien sans faille à l'État colonial d'Israël contre la lutte de libération nationale du peuple palestinien, son appui au Maroc dans son annexion du Sahara Occidental et la répression qu'elle mène dans ses propres colonies aux Antilles, en Kanaky et dans les Comores. Le sujet est d'ailleurs si sensible pour l'impérialisme français qu'il réagit avec violence contre tous ceux qui contestent cet ordre.
Au fond, il reste de ce rapport le goût d'une bouillie social-démocrate qui s'aligne sur une vision encore plus poussée de l'intégration de l'Europe capitaliste et qui feint de nous vendre ce brouet comme celui d'une indépendance retrouvée. Rappelons qu'au début de la construction européenne, elle nous fut vendue comme celle d'une nouvelle force démocratique, d'une troisième voie entre le capitalisme débridé états-unien et la dictature communiste. À l'époque, cette histoire à l'eau de rose constitua le discours de la CGT-FO une créature de la CIA1 pour affaiblir le courant de classe en France et par la CFTC2 : mais où va la CGT ? Suffit-il, aujourd'hui, de s'en tenir au constat de l'accélération de la liquidation de son caractère de classe et accepter cela comme une fatalité ? Certainement pas ! Au moment où, le patronat avec l'intime complicité de ses fondés de pouvoir au gouvernement, jette par-dessus bord les conquêtes sociales de la classe laborieuse créant les conditions objectives d'un approfondissement de la lutte de classe, nous pensons qu'il est plus que jamais nécessaire d'affirmer le caractère de classe de la CGT, en le confortant partout dans les syndicats et dans l'action pour la défense des intérêts de la classe laborieuse.
1 Annie Lacroix-Riz, Scissions syndicales, réformisme et impérialismes dominants 1939-1949 , Ed. Le temps des cerises, 2016