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N° 949 30/10/2025  Que devient la CGT ? A quoi sert-elle ? Ces questions, de plus en plus de travailleurs se les posent. De plus en plus de militants, voire de structures de la CGT sentent que ça ne va pas.
Cela fait un bon moment que le Parti Révolutionnaire Communistes analyse l'évolutionde la ligne confédérale de la CGT. Cette analyse se situe, aujourd’hui, au cœur d’une contradiction qui se développe : d’un côté, la classe ouvrière enchaîne défaite sur défaite, de l’autre la lutte des classes revient dans l’actualité. Le récent épisode des journées de grève de septembre, que l’intersyndicale a réussi à faire cesser, illustre ce paradoxe.
Un défaut d’analyse de la société capitaliste
Dans la CGT, le communiqué intersyndical présentant notamment la pseudo suspension de la réforme des retraites comme une victoire due aux luttes ne passe absolument pas. La direction confédérale, qui l’a manifestement compris, essaie de procéder à des contrefeux, pour corriger un tant soit peu l’impression donnée, tout en évitant d’évoquer l’échec patent, du point de vue des travailleurs, de la stratégie intersyndicale.
Les réponses apportent encore plus la conviction que la ligne de la direction de la CGT est définitivement en train de virer. Ce que dit aujourd’hui la direction ne relève même pas du réformisme, mais d’un mauvais bouillon social-démocrate, au sens de Bad-Godesberg, plus aucune référence au marxisme, autant dire à la lutte des classes.
Deux expressions récentes de la direction confédérale de la CGT viennent étayer ce propos : un communiqué du 23 octobre et une interview à L’Humanité de Sophie Binet le 29 octobre.
On y trouve la rhétorique habituelle, en matière d’analyse de la politique gouvernementale, exprimée en-dehors d’une quelconque analyse de la société capitaliste, des concepts de classe dominante ou d’État, ni des fondés de pouvoir. Nous l’avions exprimé ainsi : la direction de la CGT n’arrive pas à concevoir Macron comme un ennemi de classe.
Le communiqué, censé tirer à boulets rouges sur le budget de Lecornu, nous épargne les sempiternels appels à « entendre la colère » ; néanmoins, il fait état de propositions de ressources financières (tout en validant le « blocage ») sans aborder le fait que le gouvernement au service du Capital n’est pas là pour prendre ces mesures : « Pour financer le blocage (100 millions d'euros en 2026 et 4 milliards d'euros en 2030) puis l’abrogation (3,5 milliards d’euros en 2026 et 15 milliards d’euros en 2030), une multitude de dispositions peuvent être prises. ».
Enfin, en termes d’analyse, nous avons ce paragraphe : « En résumé : pour préserver les ultra-riches et les grandes entreprises, le gouvernement fait peser la quasi-totalité de l’effort budgétaire sur la population dont les plus vulnérables, alors même que l’Insee alerte sur le niveau de pauvreté record en France ! ». Comme si les tenants du Grand Capital se préoccupaient de la pauvreté ou de l’INSEE.
D’un rapport de force introuvable à l’absence de référence réelle à la lutte
On y trouve des éléments nouveaux. Il y aurait un rapport de force favorable aux travailleurs. Dans son adresse aux syndiqués du 21 octobre, Sophie Binet écrivait ceci : « Depuis plusieurs mois, notre pays traverse une crise politique inédite. Pourquoi ? Parce que nous avons fait payer au prix fort à Emmanuel Macron et au patronat leur passage en force sur la réforme des retraites : le président de la République a été sanctionné par les urnes et a dû changer 5 fois de premier ministre pour tenter de maintenir sa politique. ». On se demande quel prix fort est payé par celui qui continue d’avoir une majorité objective au Parlement en élargissant un coup vers le RN, un autre vers le PS.
L’autre nouveauté consiste à faire passer la pseudo suspension de la réforme des retraites comme une victoire des luttes ou même une bonne chose. La palme est à donner au communiqué du 23 octobre qui distingue entre vraie et fausse suspension : « Cette proposition est inacceptable. La seule vraie suspension, c’est le blocage immédiat de la réforme à 62 ans, 9 mois et 170 trimestres pour l’ensemble des générations, avant son abrogation pure et simple. ». On ajoute des étapes, pour mieux tenter de faire croire à des acquis, c’est vraiment prendre les travailleurs pour des perdreaux de l’année.
Certes, tant l’adresse du 21 que le communiqué du 23 critiquent fortement le budget Lecornu. Mais, les manœuvres du PS, qui cherche à sauver ses députés, semblent avoir changé la donne pour Sophie Binet, comme on peut le voir dans son interview du 29. Elle se gargarise du rapport de force qui n’existe que dans ses paroles : « L'exécutif a été forcé de renoncer à l'usage de l'article 49.3. », comme si Lecornu et les siens n’avaient pas d’autre cartes dans leur jeu, comme légiférer par ordonnances. Mais surtout, questionnée sur la problématique actuelle des media, taxe Zucman ou taxe Zucman « light », elle a ces mots lunaires : « La CGT n'est pas fétichiste sur une mesure en particulier. Seul le rendement compte. Plus de 30 milliards d'euros d'austérité sont sur la table, au détriment des droits sociaux et des services publics. Il faut donc 30 milliards de recettes nouvelles. Si, à l'arrivée, une taxe Zucman light ne rapporte que 7 milliards, de nouvelles marges de manœuvre seront à débloquer, par la taxation des dividendes, le rachat d'actions, le re tour de la flat tax et la lutte contre l'optimisation fiscale, par exemple. ». En gros, si la taxe Zucman, qui n’est déjà pas grand-chose, est vidée de son contenu, on trouvera autre chose. Tout va très bien, madame la marquise. A part exonérer le PS, on voit mal à quoi sert ce genre de propos.
Les mobilisations sont à l’ordre du jour, mentionnent d’une façon ou d’une autre les documents que nous citons. Pour autant, ils ne comportent pas un mot sur la stratégie des luttes, encore moins sur ce qui devrait être la tâche unique de la CGT : organiser les convergences de lutte et la grève durable et généralisée. C’est parce qu’il existe une autre solution, sans la mobilisation des travailleurs : « Le rapport de force social déterminera le budget. S'il est mauvais, il faudra le censurer. ». On comprend que le « rapport de force social » ce serait la censure des députés. Abandonnant toute idée de construire la lutte, la CGT s’en remet donc aux députés, à qui elle donne ses consignes : « Censurez ! ». En conclusion de ce passage sur le renoncement total de la direction de la CGT à organiser concrètement les luttes, voici la réponse de la secrétaire-générale à la question du journaliste : « La gauche et les syndicats imposent le débat public autour de la justice fiscale. Comment engranger les victoires ? » : « La justice fiscale doit maintenant se traduire dans les faits, avec l'amplification du rapport de force. Nous démontrons que des alternatives sont possibles et que l'argent est à chercher du côté des rentiers, pas des travailleurs et des privés d'emploi. Il faut aussi s'attaquer aux 211milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises. Ce débat budgétaire doit être l'occasion de bâtir un calendrier pour réviser et conditionner ces aides. J'interpelle les parlementaires : le rapport sénatorial sur les 211 milliards doit se refléter dans le débat, au travers des amendements. ». Comme le journaliste insiste en redisant : « Comment ? », la réponse est du même acabit : un détail de mesures possibles, sans un mot d’évocation des moyens de gagner. Le rapport de force semble se résumer à celui qui existe dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, où aucun député ne veut combattre le capitalisme et à peine un quart est favorable à l’adoption de mesures fiscales ou sociales favorables aux travailleurs. On voit mal comment l’utilisation de ce rapport de force parlementaire pourrait permettre quelque avancée que ce soit pour les travailleurs.
Les mots « grève » ou « blocage de l’économie » sont totalement absents de cet entretien.
Comment expliquer cette situation ?
La CGT a perdu sa direction politique depuis la fin des pays socialistes d’Europe et la disparition du parti communiste. Elle est demeurée longtemps un lieu où des tenants de la lutte des classes pouvaient encore faire valoir leur point de vue et développer le vrai rapport de force. Pourtant dans le même temps, sa direction a gommé des statuts la socialisation des moyens de production (1995), a quitté la FSM et rejoint les officines des syndicats de collaboration de classe (CES, CSI) à la jonction des années 1990 et 2000, adopté le principe du syndicalisme rassemblé, pour lequel il n’existe qu’un seul syndicalisme et généralisé à partir de 2009 le principe des journées de grève saute-mouton.
Enfin, de plus en plus intégrée au système, comme les autres syndicats, la CGT s’est tournée vers le « dialogue social », forme de compromission qui consiste à négocier sans rapport de force. Sous couvert d’indépendance, la CGT, peu à peu, après la disparition du parti communiste, s’est transformé en un refuge pour tout un tas de militants en déshérence, une structure qui se suffirait, qui n’aurait pas besoin du parti révolutionnaire. C’est complètement en cohérence avec la Charte d’Amiens, même si, à l’époque, le syndicat était considéré comme l’outil pour faire la révolution et aujourd’hui, non plus un outil d’émancipation des travailleurs, mais une fin en soi.
Au stade où nous en sommes, dans la direction de la CGT, l’activisme a quasiment disparu, la machine tourne sur elle-même, un appareil énorme, mais vide se maintient tant bien que mal, offrant des sinécures à des professionnels du « syndicalisme » qui ne veulent pas retourner dans le monde du travail ou ne l’ont quasiment jamais connu. Cela correspond aux souhaits du patronat. Aujourd’hui, la Bourgeoisie qui a tous les leviers du pouvoir en main, comme du temps du fascisme, ne prône plus la disparition des syndicats. Au contraire, elle a besoin de syndicats totalement intégrés au système pour domestiquer le prolétariat. Les syndicats sont aujourd’hui financés en grande partie par l’État, instrument de la Bourgeoisie capitaliste. La dernière étape de ce long chemin, l’intégration totale de la CGT, est en cours et s’accélère depuis quelques années.
En conclusion
Même si beaucoup de ses dirigeants l’ont oublié, la CGT n’est pas là pour créer un cadre agréable pour l’exploitation capitaliste, au nom d’une illusoire redistribution des richesses, ce que certains nomment : « un autre partage des richesses », mais pour participer à l’émancipation du travail. La situation nécessite une lutte pour la révolution, donc de pousser la lutte des classes jusqu’au bout, dans un processus de rupture avec le syndicalisme de collusion et d’intégration tel qu’il existe aujourd’hui.
Pour le Parti Révolutionnaire Communiste, la situation dans la CGT aujourd’hui est préoccupante. La « lutte contre les idées d’extrême-droite » sert aujourd’hui à la fois de corpus idéologique unique et d’excuse pour ne pas combattre les fondés de pouvoir du Capital en place aujourd’hui, alors même que le Capital envisage désormais de faire d’une coalition LR-RN la prochaine équipe en charge de la gestion de l’État. Un degré a été franchi quand on suit pas à pas les manœuvres du PS pour savoir quel pseudo acquis pourrait en résulter. Moins que jamais, l’intégration au système n’est remise en cause.
Pourtant, il existe des forces, dans la CGT, qui combattent cette dérive, de façons diverses, par la contestation ou des pratiques de lutte conservées. A l’horizon 2026, le futur congrès confédéral pourrait bien inscrire dans le marbre ce qui ne l’était pas encore, en matière de social-démocratisation et de transformation définitive de la CGT en « corps intermédiaire ». Il est temps que les camarades qui se réclament de la véritable lutte des classes se rencontrent et échangent pour bâtir la riposte.
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