N° 832 03/087/2023 Le 26 juillet dernier, des militaires ont renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum. La garde présidentielle, une unité particulièrement formée, soudée et dotée en armement a participé activement à l’opération. Son chef, le général Tiani, est désormais à la tête d’une junte militaire qui a pris le pouvoir.
Les enjeux économiques du Niger au regard de l’exploitation capitaliste
Le Niger est l’un des pays les plus pauvre d’Afrique et du monde, bien que son sol soit extrêmement riche. Mais les entreprises qui exploitent son sol sont des multinationales, françaises le plus souvent et, plus récemment états-uniennes et canadiennes. Par ailleurs, la puissance néocoloniale française a veillé depuis longtemps à ce que les gouvernants du pays soient des fidèles, le Niger est un modèle de pays comportant une Bourgeoisie compradore peu nombreuse mais bénéficiant des largesses des capitalistes de France et du soutien de son État.
L’enjeu essentiel est l’uranium, mais ce n’est pas le seul. Longtemps, le Niger a été le principal fournisseur d’uranium pour les centrales nucléaires françaises. Depuis 2005 il n’est plus que le troisième, derrière le Kazakhstan et l’Australie et aujourd’hui, il est seulement le cinquième, fournissant 10 à 15 % de l’uranium des centrales françaises, l’Ouzbékistan et le Canada l’ayant dépassé. Néanmoins, il reste le deuxième fournisseur de l’UE, devant le Canada et derrière le Kazakhstan.
La célèbre multinationale AREVA, possédée à plus de 90 % par l’État français qui a longtemps décidé de la production et de la vente d’uranium au Niger, et probablement, en partie, des destinées du pays, a été démantelée durant les années 2010. L’une de ses héritières est la multinationale ORANO, également possédée à 90 % par l’État français, qui n’a gardé que les activités d’extraction de l’uranium et de recyclage des déchets : AREVA avait 76.000 salariés en 2010, ORANO, depuis sa création en 2019, n’en a plus que 19.000. La multinationale a tellement exploité le sol nigérien que la ressource s’est en parti tarie. ORANO n’exploite plus qu’une mine au Niger, quand elle en avait trois ; une firme US en exploite aussi une, mais de moindre envergure.
Le sol du Niger suscite l’appétit des multinationales et des États impérialistes à leur service pour d’autres raisons, une multinationale chinoise y raffine le pétrole, et la SOPAMIN, société anonyme minière contrôlée à 98 % par l’État nigérien y exploite de l’or, du lithium, de l’étain, du cuivre, du titane, du nickel, du plomb, du manganèse, etc. Tout cela et notamment les hydrocarbures attirent les grands capitalistes.
Le peuple nigérien ne profite en rien de la richesse du sol de son pays. La SOPAMIN est contrôlée par l’État nigérien, lequel, depuis l’indépendance, est contrôlé par l’État néocolonial français. L’intérêt de nos multinationales et de leur fondé de pouvoir, Macron, pour le Niger va bien au-delà de l’uranium, il s’agit de maintenir une tutelle et d’empêcher les idées de nationalisation de se traduire concrètement. Or la junte militaire a mis l’accent sur la réappropriation des ressources naturelles et sur le rôle oppressif de la puissance impérialiste française.
La volonté des peuples d’Afrique occidentale de secouer le joug néocolonial
Depuis plusieurs années, notamment après l’intervention française au Mali, les populations des pays de l’ouest de l’Afrique souhaitent de plus en plus se débarrasser de la tutelle néocoloniale française : de la présence de son armée et de la tutelle de ses multinationales et de son État. Une part non négligeable des militaires, qu’ils soient progressistes comme au
Mali ou simplement lassés de n’être que des supplétifs d’une armée française dont l’attitude avec les milices fascistes islamistes est loin d’être claire, car certaines de ces milices roule pour la France impérialiste, ont décidé de se débarrasser des dirigeants corrompus et soumis à la France : au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et désormais au Niger. Par ailleurs, certains dirigeants africains, comme le Sénégalais Macky Sall, se détachent peu à peu de l’emprise économique de la France. Dans cette Afrique occidentale, le recours à la Russie, souvent plus symbolique qu’autre chose ne doit pas masquer ce qu’est réellement la volonté des peuples : s’émanciper du colonialisme "soft" que la France a mis en place après l’indépendance des pays africains, ses anciennes colonies.
Les réactions très rapides, au ton se voulant très ferme, de certaines puissances impérialistes ne peuvent que révéler l’inquiétude des dirigeants de l’UE, des USA et surtout de la France à l’idée de perdre la domination sur le pays qui abrite le plus de troupes françaises sur le continent (plus de 1500 soldats) et dont le pillage permet de si juteux profits aux multinationales.
On sent que ça chatouille les dirigeants macronistes d’intervenir au Niger, quitte à prendre prétextes des manifestations contre l’ambassade de France, qui sont légion depuis la prise du pouvoir par les militaires. Pour autant, les choses sont compliquées : une intervention directe de la France validerait toutes les thèses des opposants à la France impérialiste en Afrique de l’Ouest et pourrait déclencher des troubles dans les pays qui lui sont encore acquis.
Alors il y a la solution de passer par la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
L’utilisation par la France impérialiste des États valets
La CEDEAO comprend 15 Etats membres : 8 anciennes colonies françaises (Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal et Togo), 5 anciennes colonies britanniques (Gambie, Ghana, Libéria, Nigéria, Sierre-Leone) et deux anciennes colonies portugaises (Cap-Vert et Guinée-Bissau). Au départ c’est une simple union économique, qui milite pour une monnaie unique, avec la bénédiction de la France qui a mis de côté le Franc CFA en 2020 en attendant cette monnaie, baptisée Eco, mais dont la venue a dû être reportée. Mais, depuis la fin des années 2000, elle s’est muée en un organisme politique qui ne perd aucune occasion de défendre et de suivre le modèle "démocratique" des puissances néocoloniales qui la dirigent en réalité.
Cela s’est traduit notamment par :
- le soutien à la France et aux USA lors du renversement du président Gbagbo en Côte d’Ivoire
- une intervention de cinq pays en Gambie en 2012 pour chasser le président qui « refusait de se reconnaître battu par des élections démocratiques »
- un étranglement économique et une mobilisation militaire sous l’égide du président Compaoré, l’assassin de Sankara, en 2014 au Mali, en prélude à l’intervention française dont le véritable but était le renversement du pouvoir militaire du capitaine Sanogo, proche des marxistes, en 2014.
Depuis les prises du pouvoir par des militaires progressistes en mai 2021 au Mali, en septembre 2021 en Guinée et en janvier 2022 au Burkina Faso, ces trois pays sont suspendus de l’organisation. Il faut noter que de précédents coups d’État au Burkina n’avaient pas entraîné une telle suspension.
L’argument de la "démocratie"
Personne n’est dupe sur le fait que la CEDEAO est un organisme "compradore", de soumission aux puissances impérialistes française et états-unienne (qui a remplacé la Grande Bretagne). Mais son intervention pourrait également poser problème. Non seulement, le Mali et le Burkina Faso, conjointement, puis la Guinée ont fait paraître des communiqués disant qu’une intervention militaire représenterait une agression contre leurs pays, mais il y a fort à penser que les gens dirigeant un pays qui décideraient d’entre au Niger verraient leur peuple se révolter ou en montrer des velléités.
L’argument massue de toutes celles et tous ceux qui poussent des cris d’orfraie est la "démocratie", ce totem qui sert d’alibi à toutes les agressions des pays impérialistes occidentaux, dont ils sont d’ailleurs les seuls à décider de la définition. Un pays "démocratique" en Afrique, c’est un pays dont les dirigeants sont soumis aux puissances impérialistes, France, USA et, pour un petit reste, la Grande Bretagne.
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, les militaires qui dirigent désormais quatre pays d’Afrique de l’ouest ne sont pas moins légitimes que des dirigeants "élus" grâce à la bénédiction des puissances néocoloniales.
Et Bazoum, "le président élu le plus démocratiquement de l’Afrique", comme le claironnent Macron et les autorités de l’UE et des USA a sacrément du plomb dans l’aile. Le deuxième tour des élections qui l’a vu vainqueur en 2021 a suscité des commentaires du genre « violences et vol de voix : un hold-up électoral ? ». Des cas de fraudes et de violences plus graves ont été relevés avec notamment la mort de 8 membres de la Commission Électorales Nationale Indépendante (CENI). Dans certaines communes des régions d'Agadez et de Tahoua, les délégués de l'opposition ont été menacés et chassés, parfois avec violence et armes à feu. Dans ces mêmes régions, les communes affichent des taux de participation hors norme allant jusqu'à 103,07% dans la commune de Timia. Voilà ce qu’est la "démocratie".
En conclusion
Le Parti Révolutionnaire Communistes ne fait pas béatement confiance aux militaires qui dirigent désormais le Niger, pas plus qu’à ceux qui dirigent le Mali, le Burkina Faso et la Guinée. N’est pas Sankara qui veut. Néanmoins, il note que leur prise de pouvoir s’inscrit dans un vaste mouvement des peuples d’Afrique de l’Ouest qui veulent s’affranchir de la domination néocoloniale de la France et une volonté avérée, contrairement à la France coloniale, de combattre les fascistes islamistes.
Tout mouvement qui vise à chasser les armées françaises qui n’ont rien à faire ni en Afrique ni ailleurs que sur leur territoire, qui vise à la réappropriation nationale des richesses ne peut que susciter notre intérêt.