Des dizaines de milliers de manifestants se sont retrouvés ce 19 juin à la place de l’Indépendance à Bamako pour exiger la destitution d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Ce dernier, président de la République depuis 2013 a derrière lui une longue carrière politique. Il a été premier ministre de 1994 à 2000 et Président de l’Assemblée Nationale de 2002 à 2007.
Selon Nouhoum Keita, Secrétaire administratif du parti Sadi membre du mouvement démocratique et populaire M5 RPF (front national et patriotique du Peuple Malien auquel participe le parti Sadi où militent les communistes maliens), l’exigence majeure des manifestants est le départ de IBK. Il a transformé le pays en une dictature largement corrompue au service de l’impérialisme français. De plus, il entend légitimer une transmission héréditaire du pouvoir à son fils. Si la question démocratique et nationale, nous y reviendrons, constitue une colonne vertébrale de la contestation, l’aggravation de la situation économique et sociale n’est pas pour rien dans le mécontentement populaire.
Le Mali qui a accédé à l’indépendance en 1960, a hérité des frontières de la colonisation, c’est à dire de deux zones très différentes en termes climatique et de population. Un nord appartenant à la zone sahélienne et désertique pauvre et en partie peuplée de nomades et un sud plus riche et fertile. Les colonisateurs, partout dans le monde que ce soit en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie se sont beaucoup servi des différences ethniques, culturelles et économiques pour diviser les populations et affaiblir leur résistance à la colonisation. Il existait d’ailleurs en 1957, à l’époque coloniale un projet français de groupement des zones sahariennes apte à permettre un contrôle militaire global sur les richesses minérales de cette zone. Le projet n’a jamais vu le jour du fait de l’indépendance des États concernés mais montre bien à quel point la puissance coloniale avait des objectifs économiques de pillage de la région.(1)
La position stratégique du nord Mali comme voie de communication trans-sahélienne a de tout temps suscité des affrontements pour son contrôle. L’impérialisme français a encouragé, voire armé, des mouvements indépendantistes. De 1963 à 2012 il y a eu pas moins de quatre rebellions pour l’indépendance de l’Azawad. Négligé par le pouvoir à Bamako, les populations de cette zone sont délaissées par le pouvoir central et il y règne une situation de non-droit facilement exploitée par des groupes qui y opèrent en quasi impunité. On y trouve essentiellement AQMI, ANSAR DINE et MUJAO. La guerre en Libye menée par l’OTAN et où la France a joué un rôle particulièrement important, l’assassinat de Khadafi et la dislocation de l’État libyen ont entraîné le reflux de groupes armés vers le sud et tout particulièrement vers le Sahel. Déjà en 2013, l’opération Serval commanditée par F. Hollande avait pour but de sécuriser toute la zone sahélienne afin de protéger les intérêts économiques français et tout particulièrement miniers au Mali, au Niger et en Mauritanie avec l’uranium, la bauxite , l’or, le pétrole et le gaz… De ce point de vue le contrôle du nord Mali y était de première importance. L’opération Bahkane lancée en 2014, renforcée sous E. Macron, a succédé aux opérations Serval et Épervier avec les mêmes objectifs.
Les opérations militaires ne sont qu’un aspect des choses. Le fond de l’affaire, c’est la volonté des forces impérialistes et tout particulièrement de la France, d’aller vers une « régionalisation » du Mali ce qui permettrait un contrôle accru et une protection des zones utiles pour l’exploitation des ressources minières. La mise en œuvre de cette « régionalisation » est au cœur des accords d’Alger de 2015. Elle peut conduire à un éclatement du Mali dans le cadre d’une fédéralisation du territoire. C’est ce que redoutent les forces patriotiques : « La perspective est donc l’atomisation du vaste État unitaire du Mali en plusieurs micro-États taillés dans des espaces cohérents sur le plan géographique et socioculturels, dans la chair des communautés multiethniques et vivant jusqu’ici en harmonie avec les autres composantes de la société globale nationale. » C’est parce que le pouvoir en place veut aller de conserve avec les puissances impérialistes vers ce découpage du Mali que les forces patriotiques estiment vital le départ de IBK : « Une Transition politique doit être mise en place avec comme taches essentielles d’engager des reformes au plan politique et institutionnelle qui préservent notre souveraineté, bloquent le projet funeste de partition programmée de notre pays à travers la révision constitutionnelle et l’application intégrale de l’Accord d’Alger. Mais la transition doit, avant tout répondre à la demande sociale urgente (satisfaction des revendications des syndicats des travailleurs, fourniture aux populations des services de base en eau, électricité, santé, denrées alimentaires de première nécessité). Cela sera possible et facile en menant une lutte énergique parallèle contre la corruption et la délinquance financière qui permettra de récupérer des sommes d’argent colossales dues à l’État. »
Ce fédéralisme qui renforce les inégalités géographiques et sociales et qui favorise la dimension ethnique, est encouragé et façonné par l’intervention impérialiste au Mali. Elle a un objectif précis : Il s’agit de détruire l’État nation malien pour lui substituer des structures faibles facilement corrompues et qui ne sauraient être très exigeantes face aux multinationales. Cette tendance de destruction des États nations n’est pas propre au Mali, elle concerne tous les États que l’impérialisme se partage et se dispute dans des conflits violents menés souvent par procuration. L’Afrique est un champ particulièrement actif de ces affrontements. Aux anciens colonisateurs qui y voient une chasse gardée et cherchent à maintenir leur influence par tous les moyens y compris militaires, s’ajoutent toutes les puissances impérialistes anciennes et montantes qui entendent prendre leur part du gâteau.
Notre solidarité avec les forces démocratiques et progressistes d’Afrique si elle est nécessaire ne saurait suffire, c’est à la constitution d’un vaste mouvement anti-impérialiste qu’il nous faut oeuvrer. Un mouvement qui rassemble les forces révolutionnaires dans les pays impérialistes et celles des pays dominés par l’impérialisme. C’est ce à quoi travaille notre Parti Révolutionnaire COMMUNISTES et qui se concrétisera prochainement à Paris par une initiative contre l’impérialisme français en Afrique.
(1) Pour une information complète sur la question, il est possible d’écouter la conférence du Cercle Universitaire d’Études Marxistes animée par A. Bourgeot : « L’espace saharo-sahélien, ses enjeux politiques dans un contexte de crise systémique du capitalisme mondialisé » : http://www.cuem.info/?page_id=964