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N° 338 12/09/2023  Cinquante ans après le putsch qui mit fin dans le sang à l’Unité Populaire
Il y a cinquante ans, le 11 septembre 1973, l’armée chilienne mettait brutalement fin à l’expérience de l’Unité Populaire au Chili. Loin d’être un coup de tonnerre dans un ciel serein, le coup d’État fasciste du sinistre Pinochet, était la conclusion de nombreuses actions combinées depuis la Maison Blanche ou le siège de la CIA qui avaient commencé avant même l’élection officielle de Salvador Allende.
Le meilleur exemple est la fameuse grève des camionneurs à l’appel de la fédération patronale, déclenchée en juillet 1973 : chaque patron reçoit des États-Unis entre 40 et 160 dollars par camion et par jour d'immobilisation. Plus généralement les États-Unis et la Grande Bourgeoisie chilienne organisent le chaos économique ; la CIA a reçu pour instruction de Richard Nixon, alors président des USA de « faire crier l’économie chilienne ». Il s’agit de détacher au moins en partie les couches moyennes des classes populaires, et d’en arriver à une situation si chaotique qu’une majorité de Chiliens puisse approuver le putsch ou, tout du moins, être neutre.
L’expérience de l’Unité Populaire ne peut qu’être regardée avec une extrême bienveillance et un grand intérêt par les militants révolutionnaires d’aujourd’hui. Les principales mesures adoptées par le gouvernement chilien entre 1970 et 1973 sont :
― l’augmentation des salaires de 40 à 60 % ;
― la nationalisation à grande échelle de certaines industries (notamment le cuivre, principale exportation du Chili).
― la réforme du système de santé pour mettre en place la gratuité des soins ;
― le blocage des prix ;
― la réforme du système d'éducation ;
― des mesures diverses telles qu'un programme de lait gratuit pour des enfants (à raison d'un demi-litre de lait par jour et par bébé) ;
― la réforme agraire, qui abattit provisoirement le système latifundiaire ;
― un nouvel « impôt sur les bénéfices » ;
― un moratoire sur les remboursements de la dette extérieure et la cessation du paiement des dettes auprès des créanciers internationaux et les gouvernements étrangers.
D’ailleurs, Pinochet, la CIA et les grands capitalistes chiliens ne s’y trompèrent pas : dès le coup d’État réalisé, les premières mesures prises furent de « rendre les compagnies à leurs légitimes propriétaires » selon la formule du général putschiste, l’arrêt de la réforme agraire et le retour aux latifundias, ces grandes propriétés agricoles et le blocage des salaires.
Pour autant, nous devons nous interroger sur les circonstances qui ont provoqué la fin de cette expérience. La grande erreur d’Allende a été de faire confiance aux militaires, se basant sur le fait que l’armée chilienne avait une tradition de non-intervention, contrairement à celles du Brésil, de l’Uruguay, de la Bolivie, l’Argentine, etc. Il n’a pas été convaincu de la nécessité d’armer le peuple, pourtant portée par une partie de l’Unité populaire. Il l’a payé de sa vie. La répression sauvage qui a suivi la prise de pouvoir des fascistes indique clairement la peur qu’avaient eue les capitalistes chiliens, les militaires ultra réactionnaires, les dirigeants états-uniens et même la petite bourgeoisie chilienne à l’idée que l’expérience pouvait réussir.
La question que l’on se pose après, et qui se posait déjà est celle-ci : cette peur était-elle fondée ? D’un côté, on peut penser que non : le rêve d’Allende d’atteindre le socialisme par les élections dans une démocratie bourgeoise était illusoire. Mais il est clair, que les mesures adoptées, qui ne faisaient pas du Chili un pays socialiste, pas plus que le programme du Conseil National de la Résistance pour la France, ces mesures suffisaient à légitimer cette peur des possédants et de leurs instruments.
La suite pour la gauche chilienne, on la connaît, c’est la "conversion au marché", à commencer par le PS chilien, le propre parti d’Allende, qui, tenant congrès à Belgrade en 1976, abandonne la référence au marxisme et à la lutte des classes, pour devenir un bon parti social-démocrate, et les présidences d’Ingrid Bachelet ou, actuellement de Gabriel Boric, qui ne font pas vraiment peur aux grands capitalistes. Ce chemin vers la droite, on peut le constater, a également été emprunté dans beaucoup de pays d’Amérique du Sud, d’une manière ou d’une autre.
 
Rapide tour d’horizon de la gauche en Amérique du Sud
Dans les années 2000 ou plus récemment, dans beaucoup de pays d’Amérique du Sud, des partis ou des individus se réclamant d’une gauche radicale, sans pour autant vouloir forcément une société socialiste, sont parvenus au pouvoir. Force est de constater que, dans la plupart des cas, les résultats sont loin d’être probants. L’évolution droitière ou les renversements ont prévalu.
 
L’Argentine péroniste
En Argentine, ce fut l’expérience des Péronistes de gauche (Parti Justicialiste), partisans d’un État qui contrôle plus ou moins les capitalistes, de la Sécurité sociale et d’une certaine limitation de l’exploitation, autant dire la quadrature du cercle. Nestor Kirchner, élu en 2003 et sa femme Cristina Fernandez, qui lui succède en 2007 et est réélu en 2011 sont les représentants du Parti Justicialiste. Leur politique comporte des aspects intéressants, surtout sous Cristina Kirchner, des conventions collectives des nationalisations, des blocages de prix et hausses de salaires et la nationalisation des fonds de pension des retraites. La crise de 2008 et, la même année, la lutte des patrons de l’agriculture contre le gouvernement sont des épreuves difficiles. En 2015, le bilan des "années Kirchner" est mitigé : mesures sociales réelles et recul de la pauvreté mais inflation et corruption en hausse. En outre, le nouveau candidat du PJ, Daniel Scioli se revendique comme un "modéré", ce qui veut dire, plus enclin à pactiser avec le Grand Capital. C’est donc un homme de droite, Mauricio Macri, qui est élu et s’emploie à détricoter les réalisations de ses prédécesseurs. Si les Justicialistes reviennent au pouvoir en 2019, c’est au prix d’une alliance "large" sur leur droite qu’incarne le président Fernandez. Son programme annonce « une renégociation de la dette, une implication plus forte de l’État dans la régulation et l’investissement économiques, une consolidation du marché intérieur argentin passant par une redistribution plus accrue des revenus et le développement de la production nationale ».
C’est un programme d’inspiration keynésienne se voulant opposé au "néolibéral" Mauricio Macri. Pour autant, ce n’est pas un programme révolutionnaire et Alberto Fernandez ne souhaite ne pas se mettre à dos le patronat et les organisations financières mondiales comme le FMI. L’augmentation considérable de l’inflation, du chômage et de la pauvreté sous son mandat met en perspective la victoire possible d’un ultra libre-échangiste décomplexé, une sorte d’émule de Bolsonaro, Javier Milei, lors des futures élections générales en octobre prochain.
 
Le Brésil du Parti des Travailleurs
Au Brésil, c’est à peu près le même scénario qui s’est déroulé, nous en sommes probablement à l’étape suivante. Le 27 octobre 2002, l'ancien syndicaliste Luiz Iñacio Lula da Silva remporte l'élection présidentielle. Il est réélu le 28 octobre 2006. Il est le premier président du Brésil issu du Parti des Travailleurs. L’ancien syndicaliste et son parti, autrefois marxiste, ont mis de l’eau dans leur vin. Quels sont les résultats des deux mandats de Lula ? Le pays sort du marasme économique, accède au statut de puissant pays émergent, grâce au développement accordé à la classe moyenne qui soutient massivement les réformes démocratiques du président, et la création d'un grand marché intérieur qui attire les capitaux étrangers et les industries d'exportation à la suite du retour de la confiance des banques et la stabilisation de la monnaie du pays. En réussissant en septembre 2010 la plus grande augmentation de capital de l'histoire, le géant pétrolier Petrobras devient le symbole de cette forte croissance. La gauche a clairement fait du Brésil une puissance capitaliste[1].
Ensuite, ça se gâte. Dilma Roussef, candidate appuyée par Lula en 2010, fait alliance avec une partie de la droite qu’incarne son vice-président Michel Temer. Elle est élue avec ce "ticket" en 2010 et réélue en 2014. Mais, rattrapée par une vaste enquête anti-corruption et accusée d’avoir dissimulé l’importance réelle du déficit public, elle subit une procédure d’empêchement et est destituée par le Sénat en 2016. C’est donc Temer qui achève son mandat comme président et adopte une politique dite "libérale", très impopulaire : "la concurrence libre et non faussée", comme l’UE.,
Comme en plus, il est lui aussi poursuivi pour corruption, que Lula est emprisonné pour la même raison, c’est le fameux Bolsonaro, un évangéliste ultra-réactionnaire, fascisant, qui est élu en 2018. Et, libéré, Lula peut revenir au pouvoir en 2022 au nom du : tout sauf Bolsonaro. Mais il ne dispose d’une majorité qu’avec les députés de la droite classique et n’a manifestement pas décidé de se lancer dans la construction du socialisme.
 
L’Uruguay du "Frente Amplio"
Scénario à peine différent en Uruguay, mais, là, nous en sommes à l’étape précédente. Dans ce pays où, très longtemps, la politique se limitait à l’alternance entre les partis Colorado (du genre RPR) et Blanco (du genre UDF), les Communistes ont été en 1971 à l’origine de la création du "Frente Amplio" (le Front Large), avec l’ensemble de la gauche, et le soutien critique de ceux qui avaient choisi la lutte armée, les "Tupamaros". Puis il y a eu le coup d’État du président Bordaberry et de l’armée en 1973. Le Front est interdit, comme tous les partis politiques, ses dirigeants pourchassés et nombre de militants arrêtés, torturés, voire assassinés. Les militaires se maintiennent au pouvoir, à travers Bordaberry, puis trois autres présidents de la République, jusqu’en 1985. Le FA se reconstitue. Les anciens "Tupamaros" ont abandonné la lutte armée et créé le Mouvement de Participation Populaire (MPP) qui s’intègre au Front. Le Front Large, au fur et à mesure des élections (1989, 1994), progresse électoralement et, en 1999 son candidat est en tête au premier tour des élections présidentielles, mais battu au second par le candidat du Parti Colorado, soutenu par celui du Parti Blanco.
C’est alors le Parti Socialiste de Tabaré Vasquez qui domine dans le FA. Candidat battu, il engage une opération de recentrage, afin d’en tirer un gain électoral.
Un texte, le « Compromis pour le changement pour le nouveau siècle », fut l'aboutissement de ce processus de refondation, ratifié par le IVe Congrès du Front large entre le 20 et le 23 septembre 2001 et accepté par l'ensemble des partis du Front, à l'exception du Courant de gauche (autre organisation issue des "Tupamaros"), dont la motion n'obtint que 5 % des voix lors du Congrès. Le Compromis formulait notamment l'acceptation du rôle du marché tout en constatant l'« épuisement du néolibéralisme », et donnant au gouvernement celui de « réguler ce marché », de « jouer un rôle central dans la construction d'un pays solidaire », et de « garantir l'accès à la population aux services publics basiques, en évitant qu'ils tombent aux mains de monopoles ou d'oligopoles privés ». Bref, avec ce bagage social-démocrate, le FA, qui, dans une autre résolution de ce congrès, s’affirme comme « une force anti-impérialiste » va enfin pouvoir accéder au pouvoir, car il ne fera plus peur aux couches moyennes élevées.
C’est le cas en 2004. Tabaré Vasquez est élu président de la République et le FA obtient la majorité dans les deux chambres. Aux élections législatives, c’est le MPP des ex "Tupamaros" qui se taille la part du lion. Rebelote en 2009 où, c’est l’ancien guérilléro José Mujica, du MPP, qui est élu président. Puis, Vasquez reprend le flambeau en 2014. Lorsqu’arrivent les élections générales de 2019, le bilan du "Frente Amplio" est loin d’être négligeable : depuis son arrivée au pouvoir en 2004, le taux de pauvreté a chuté de 40 % à 8 %, le salaire moyen a augmenté de 55 %, le PIB a progressé de 4 % par an en moyenne et le nombre de personnes bénéficiant d'une couverture médicale est passé de 700 000 à 2,5 millions. Néanmoins, les partis traditionnels font campagne sur l’insécurité et le gouvernement entre en conflit avec la hiérarchie militaire à propos des agissements impunis de certains militaires durant la dictature militaire. Révoqué par Vasquez, l’ancien chef d’Etat-Major Guido Manini Rios fonde son parti, se présente à l’élection présidentielle sur le thème de l’insécurité et obtient 11 % des voix au premier tour, ainsi que 11 députés sur 99 et 3 sénateurs sur 30. Le candidat du FA est battu au second tour par celui du Parti Blanco, qui a reçu le soutien de Manini Rios et du Parti Colorado, Luis Alberto Lacalle Pou. Le Front Large perd la majorité absolue au Sénat comme à la Chambre des députés.
L’éviction de Fernando Lugo au Paraguay
Dans tous les pays d’Amérique du Sud sauf la Bolivie, la gauche a pu se retrouver avec un président élu, qui gouverne, mais ne dispose pas d’une majorité législative. Et cela peut servir, s’il fait un peu trop peur aux possédants, à s’en débarrasser. Nous avons vu le cas de Dilma Roussef, remplacé par son colistier plus à droite qu’elle ; cela a été la même chose récemment au Pérou, où le président de la République Pedro Castillo a été destitué par l’Assemblée, majoritairement à droite, et emprisonné (nous avons évoqué cette situation) et où l’ancienne vice-présidente devenue présidente gouverne désormais avec l’accord de cette même assemblée et organise en continu la répression contre les travailleurs qui protestent.
Le cas le plus exemplaire est celui de Fernando Lugo, élu président de la République du Paraguay en 2008. Dans ce pays, c’est le Parti Colorado qui exerce sans partage le pouvoir depuis la première moitié du XXème siècle, avec notamment la période de la dictature du général Alfredo Stroessner qui dura 35 ans, de 1954 à 1989. Mais, en 2008, le règne de 60 ans du Parti Colorado s’arrête. A la tête d’une coalition d’organisations paysannes et amérindiennes, Lugo, ancien évêque, négocie un accord avec deux partis d’opposition, le Parti Libéral et le Parti Démocrate-Chrétien. Formant un ticket avec le dirigeant libéral Federico Franco, il est élu président de la République. Le Paraguay est alors un pays extrêmement inégalitaire : les 10 % des Paraguayens les plus riches accaparent 60 % de la richesse nationale et leur fortune collective a augmenté de 20 % en dix ans, pendant que celle des 10 % les plus pauvres est estimée à 1 % de la richesse du pays. La pauvreté touche plus de 40 % de la population, le chômage réel avoisine les 40 %, et seuls 30 % des salariés perçoivent un salaire minimum lui-même trop faible pour couvrir les besoins de base. Dans les campagnes, près de 80 % des terres sont possédées par moins de 2 % des propriétaires. Plus d'un million de personnes ont émigré depuis 1992.
Lugo est une sorte de "catholique social", tenant de la "théologie de la Libération", plus progressiste que beaucoup de militants de la gauche sud-américaine. La lutte contre la corruption et la réforme agraire constituent ses axes prioritaires. Toutefois, il perd dès le printemps 2009 le soutien du Parti Libéral (PLRA) et de la majorité du Parlement, et ne peut mener cette dernière réforme à terme. Le PLRA, traditionnel défenseur des propriétaires terriens, a défendu le « respect de la propriété privée » et les media ont lancé une violente campagne contre les « invasions de terres » par les paysans. Un certain nombre d'initiatives ont été introduites pour améliorer la vie des pauvres du Paraguay, telles que des investissements dans les logements sociaux, l'introduction de traitements gratuits dans les hôpitaux publics, et des aides sociales pour les citoyens les plus démunis. Il a refusé l’installation d'une base militaire américaine. Durant son mandat, le taux de pauvreté baisse de 9 points, passant de 38 à 27 %. Le PIB connait une hausse de 24,6 à 33,3 milliards. Le Paraguay est fortement affecté par la crise économique mondiale de 2008/2009, le pays entrant en récession, avec une reprise de 15 % de croissance dès 2010, puis moindre mais positive jusqu'à la destitution en 2012.
Mais la marche à la destitution s’organise.
L'USAID[2] amplifie sa présence au Paraguay après l'élection de Lugo. Ses aides financières, dirigées vers des ONG et organisations patronales, passent de 17,25 millions de dollars en 2007 à 36,2 millions en 2010. En décembre 2009, Lugo affirme avoir fait l'objet de plusieurs tentatives de putsch et être menacé par un coup d’État. Les media nationaux déclenchent une offensive afin de le faire destituer sous des prétextes divers, l'accusant par exemple de corruption. Son vice-président lui-même, Federico Franco (libéral), se dit prêt à assumer le pouvoir.
Le 15 juin 2012, 384 policiers armés tentent de déloger les 60 paysans présents dans un campement près de Curuguaty , pourtant déclaré « d'intérêt social » par décret en 2004. Une fusillade éclate, faisant onze morts du côté des paysans, six du côté des policiers. L'un des dirigeants paysans, Vidal Vega, peu après avoir déclaré qu'il allait témoigner sur ce qu'il savait de la présence d'infiltrés sur les lieux du massacre, est assassiné. En outre, le film réalisé par un hélicoptère de la police ayant survolé en permanence le lieu des événements a mystérieusement disparu. Enfin la présence de femmes et d'enfants au sein du campement des paysans désavoue la thèse d'une embuscade de ces derniers tendue aux forces de l'ordre. Une enquête indiquera ultérieurement que six des onze paysans tués pourraient avoir été exécutés. Cet événement est alors utilisé par l'opposition de droite, majoritaire au Parlement, pour engager la procédure de destitution du président Fernando Lugo, qu'elle accuse d'avoir attisé la violence contre les grands propriétaires terriens. Le 21 juin, 76 membres de la Chambre des députés votent pour la révocation du président. Le lendemain, le Sénat le destitue par 39 voix pour, 4 contre et 2 abstentions.  Le nouveau pouvoir prend le contrôle de la télévision publique pour faire cesser la diffusion des manifestations de soutien à Fernando Lugo. Voilà ce qui arrive lorsqu’un dirigeant sud-américain déplaît aux capitalistes de son pays et à l’impérialisme US !
Les réalisations impressionnantes du MAS en Bolivie
Nous nous sommes déjà beaucoup exprimés sur le glissement à droite du gouvernement vénézuélien qui, non content de tenter d’interdire le Parti Communiste du Venezuela, vient de décider de créer une vaste zone franche, pour attirer les multinationales, aussi nous ne nous étendrons pas sur le sujet.
Pour terminer, évoquons brièvement la Bolivie, où, la tentative des réactionnaires d’usurper le pouvoir, à la suite de fausses accusations de fraude alors qu’Evo Moralès venait d’être réélu, a fait long feu. Certes, Moralès a dû s’exiler au Mexique, des fanatiques réactionnaires ont occupé quelques temps le palais présidentiel en y apportant des exemplaires de la "Sainte Bible". Mais, quand ils ont été obligés d’organiser des élections, le MAS (Mouvement d’Action Socialiste), le parti de Moralès a remporté la majorité absolue à la Chambre des députés et au Sénat et son candidat, Luis Arce, a été élu au premier tout président de la République avec plus de 55 % des voix.
C’est probablement le bilan des années de présidence d’Evo Moralès qui explique ce dénouement heureux. Il est éloquent. Le 1er mai 2006, Evo Morales a annoncé par décret la nationalisation des hydrocarbures et la renégociation de tous les contrats des entreprises étrangères dans un délai de 180 jours. L'objectif était que 82 % des revenus des hydrocarbures soient réservés à l'État. La compagnie nationale Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos (YPFB) devient ainsi la seule instance autorisée à commercialiser les hydrocarbures. Cette initiative affecte au premier chef la société brésilienne Petrobras. Les revenus dégagés par ces nationalisations permettent de financer plusieurs mesures sociales : la Renta Dignidad (ou minimum vieillesse) pour les personnes âgées de plus de 60 ans ; le bon Juana Azurduy (du nom de la révolutionnaire Juana Azurduy de Padilla, 1780-1862), qui assure la prise en charge complète des frais médicaux aux femmes enceintes et à leur enfant afin de combattre la mortalité infantile ; le bon Juancito Pinto (du nom d’un enfant héros de la guerre du Pacifique, 1879-1884), une aide versée jusqu’à la fin du secondaire aux parents dont les enfants sont scolarisés afin de lutter contre la désertion scolaire, ou encore le Système unique de santé qui depuis 2018 offre à tous les Boliviens la gratuité des soins médicaux. Enfin, en 2010, le parlement bolivien a abaissé l'âge de départ à la retraite de 65 à 58 ans et a confié à un organisme public la gestion des retraites. En conséquence, les deux caisses privées existant au préalable, l'espagnole Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA) et la suisse Zurich, qui géraient les retraites de 1,3 million de Boliviens, sur une population de 10 millions, pour un montant de 4,4 milliards de dollars (3,3 milliards d'euros) de cotisations, ont fermé.
Pour les mères de plus de trois enfants, l'âge de la retraite est abaissé à 55 ans.
Les réformes adoptées ont fait du système économique bolivien le plus réussi et le plus stable de la région. Entre 2006 et 2019, le PIB est passé de 9 milliards à plus de 40 milliards de dollars, le salaire réel a augmenté, le PIB par habitant a triplé, l’inflation a été pour l'essentiel éliminée, et l’extrême pauvreté a chuté, passant de 38 % à 15 %, ce qui constitue une baisse de 23 points.
Nous pourrions évoquer aussi la Colombie et l’Équateur, mais nous avons déjà dit beaucoup de choses. Et, à part en Bolivie, le scénario est le même partout. Les partis de gauche, parfois les mouvements révolutionnaires s’assagissent, et deviennent compatibles avec le capitalisme. Certes, on le voit en Uruguay ou en Argentine du temps des Kirchner, ils contribuent parfois à soulager la misère, mais à quoi bon, si les autres reviennent au pouvoir ensuite ?
Le Brésil de Lula ne s’est jamais attaqué à l’ordre capitaliste, le successeur de Chavez se convertit à la cohabitation avec l’impérialisme US et avec ses propres capitalistes, organisant même la répression des ouvriers métallurgistes, comme le successeur de Correa a abandonné les quelques réalisations progressistes de son mandat, en Equateur. Le Péruvien Castillo n’a pas pu mettre en place une autre politique, le Chilien Boric a lancé le chantier d’une nouvelle constitution qui sera manifestement rédigée majoritairement par des nostalgiques de Pinochet.
Non seulement, c’est une erreur de penser, comme Allende, pouvoir arriver au socialisme grâce aux élections de la démocratie bourgeoise, mais il n’est même plus question de socialisme dans ces pays, seulement de gagner les élections, au prix de l’abandon des positions anticapitalistes (Uruguay, Venezuela) ou d’accords avec une partie des réactionnaires (Brésil, Argentine).
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, ce bilan appelle à tirer plusieurs conclusions.
― La gauche sud-américaine n’est majoritairement pas anticapitaliste, elle est souvent prête à nombre de concessions pour rester ou revenir au pouvoir.
― Quand le but est simplement d’être élu, sans exigence de classe, cela n’améliore pas, à terme, la situation des travailleurs. L’élection en régime capitaliste peut être un point d’appui pour les révolutionnaires, jamais un but.
― Là où on ne mène pas la lutte des classes sans répit, on ne sort pas du système et on ne l’entame même pas.
― L’amélioration de la condition des travailleurs passe par le combat pour la construction du socialisme et ce combat ne passe que par la lutte des classes. Le rôle d’un parti révolutionnaire est de mener et de conduire cette lutte.
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