N° 850 07/12/2023 Ce dimanche 3 décembre, le gouvernement vénézuélien, dirigé par Nicolas Maduro organise un referendum demandant aux citoyens du pays de se prononcer sur l’annexion de l’Essequibo, une région faisant partie de l’État voisin de la Guyana.
Pour essayer de comprendre de quoi il s’agit, il faut d’abord revenir sur l’histoire du Venezuela, ensuite sur la découverte assez récente de pétrole dans la région, enfin sur la situation politique au Venezuela.
Une région historiquement vénézuélienne, annexée par la Grande Bretagne
Posons quelques jalons afin de comprendre.
Indépendance et création de la Grande-Colombie
Le 17 décembre 1819 est proclamée la République de Colombie, que l’on appelle couramment Grande Colombie pour la distinguer de l’actuelle Colombie. Elle née de l'indépendance d'une partie de l'Amérique du Sud vis-à-vis de l'Espagne. Simon Bolivar en est élu président. Outre l'actuelle Colombie, le pays regroupait les actuels Équateur, Venezuela, Panama, une petite partie du Nicaragua, une partie du nord du Pérou, du nord-ouest du Brésil et de l’ouest du Guyana. Il est partagé en trois district, ceux de Nouvelle-Grenade, du Venezuela, correspondant aux anciennes capitaineries-générales du même nom, sous domination espagnole et le district du Sud qui correspond au territoire sous domination espagnole de l’Audience Royale de Quito.
L’éclatement de la Grande-Colombie
Assez vite, des tendances centrifuges se font jour dans ce grand pays, de même que des divergences entre partisans d’un État fédéral et ceux de Bolivar, partisan affirmé d’un État centralisé. Après la démission de Bolivar, malade, le 8 mai 1830, la division est rapidement effective. Le 13 mai 1830, le district du Sud proclame son indépendance et devient l’État de l’Équateur. Le 22 septembre 1830, c’est au tour du district du Venezuela de prononcer son indépendance, il devient l’État du même nom. Le nouveau pays y est défini comme celui que couvrait en 1810 (avant toutes modifications) la Capitainerie générale du Venezuela.
Ce qui reste de la Grande-Colombie, correspondant au District de Nouvelle-grenade (regroupant les actuels pays de Colombie, du Panama ainsi que la côte des Mosquitos dans l'actuel Nicaragua) devient le 20 octobre 1831 la République de Nouvelle-Grenade. La Nouvelle Grenade, également en bute à des tendances centrifuges deviendra la Confédération Grenadine en 1858, puis les États-Unis de Colombie en 1863, enfin la République de Colombie, de nouveau centralisée en 1883. Enfin, en 1903, le Panama prit son indépendance de l'actuelle Colombie avec le soutien des États-Unis, qui avaient décidé de reprendre en main la construction du canal de Panama.
L’intervention des Britanniques
Revenons au Venezuela. La pointe nord-ouest du nouvel État est la province de Guyana Esequiba, qui jouxte à l’est les colonies sud-américaines des Provinces Unies (futurs Pays Bas). Dès 1796, les Britanniques débarquent sur le territoire et conquièrent quatre des colonies des Provinces Unies : Essequibo, Démérara, Pomeroon et Berbice. Ces quatre colonies sont officiellement cédées au Royaume-Uni en 1814 qui les consolide en une unique colonie en 1831.
En 1840, profitant des difficultés du jeune État vénézuélien à contrôler ses frontières, le Royaume-Uni s’approprie la région et l'annexe à sa colonie guyanaise. Une annexion jamais reconnue par le Venezuela.
En 1899, soi-disant pour régler le litige, une commission dite d'arbitrage fut formée à Paris, opposant deux États-Uniens, censés représenter les intérêts vénézuéliens et deux britanniques sous la direction d'un juge russe. Ladite commission décida que les territoires à l'Ouest de l'Essequibo (le fleuve qui a donné son nom à la région), c’est-à-dire l’ensemble de l’ancienne Guyana Esequiba, reviendraient au Royaume-Uni.
Indépendance de la République de Guyana et suite du différent
La colonie de Guyane Britannique devint, à partir de 1966 indépendante sous le nom de République de Guyana, puis en 1969, de République Coopérative de Guyana.
À la veille de l'indépendance du Guyana, en 1966, le Royaume-Uni et le Venezuela signèrent, le 7 février, l'accord de Genève par lequel ils se mirent d'accord pour la création d'une commission mixte chargée de trouver en quatre ans une solution au litige. Mais celle-ci n'arriva à aucun résultat concluant.
Il fut donc décidé de signer, en 1970, à Trinité-et-Tobago, le protocole de Port d'Espagne afin de geler les revendications et de prolonger les discussions sur douze ans.
En 1982, à la fin de cette période, le Venezuela décida de ne pas renouveler le protocole et porta l'affaire devant les Nations unies et en 2006 elle a été soumise au secrétariat général des Nations unies. La même année, Hugo Chavez a fait ajouter une huitième étoile au drapeau vénézuélien, correspondant à la région de l’Essequibo.
Le pétrole précipite le conflit
Le Guyana est un État compradore, soumis notamment aux multinationales US du pétrole et en particulier à Exxon-Mobil. En 2015 La multinationale US a découvert du pétrole dans l’Essequibo, et, en novembre dernier un nouveau gisement, qui ajoute aux réserves du pays au moins 10 milliards de barils, les rendant supérieures à celles du Koweït. L'action directe d’Exxon-Mobil dans le conflit territorial coïncide avec la nomination de son PDG, Rex Tillerson, au poste de secrétaire d'État américain en 2017.
Dans un communiqué consacré à l’affaire, le Parti Communiste du Venezuela précise : « Les sociétés pétrolières multinationales qui en profitent, fortes des concessions illégalement accordées par le gouvernement de Guyana, jouent un rôle décisif dans les actions visant à radicaliser le conflit binational en quête d'une décision rapide qui respecte leurs intérêts, tout en ouvrant la voie à la possibilité d'un affrontement entre peuples voisins, avec des conséquences imprévisibles. »
Il est certain que, depuis 2015 et la découverte du pétrole, la revendication territoriale du gouvernement vénézuélien, que Maduro dirige depuis 2013 (la mort d’Hugo Chavez) s’est faite plus pressante. Et depuis novembre 2023, rien n’a l’air plus urgent aux yeux de l’État capitaliste vénézuélien que de se préoccuper de cette question.
C’est dans cette situation que le gouvernement de Maduro a décidé d’organiser ce 3 décembre un référendum visant à annexer le territoire l'Essequibo revendiquant « les droits inaliénables du Venezuela et de son peuple sur le territoire d'Essequibo ». De son côté, le gouvernement compradore du Guyana s’est plaint auprès de la Cour Internationale de Justice de La Haye, afin d’empêcher ce vote.
La situation interne au Venezuela explique aussi l’âpreté nouvelle du conflit
Le gouvernement de Maduro a opéré, nous l’avons déjà écrit, depuis 2019 un tournant conséquent dans son orientation politique, s’éloignant considérablement de celle menée par Hugo Chavez.
Ce gouvernement restreint et viole les droits sociaux et politiques de la classe ouvrière vénézuélienne ; il poursuit et interdit les partis, comme il l'a fait récemment contre le Parti communiste du Venezuela ; il applique une politique de confiscation des droits constitutionnels des travailleurs et de restriction des libertés démocratiques, avec le gel des salaires et des pensions, le démantèlement des conventions collectives, les restrictions à la liberté syndicale, l'emprisonnement et la poursuite des travailleurs qui luttent ou qui dénoncent la corruption, la détérioration de l'éducation et de la santé publiques, ou l'extrême précarité des services publics essentiels comme l'électricité, l'eau et le gaz domestique.
Gêné par la grogne sociale, Maduro tente donc de jouer la carte de l’union nationale, car l’ensemble des organisations politiques du Venezuela et la grande majorité du peuple estiment que l’Essequibo fait partie du Venezuela.
Indéniablement, le gouvernement vénézuélien a recouru à la vieille stratégie de la Bourgeoisie sur la question de l'Essequibo : tenter d'entraîner une bonne partie de la population vers des sentiments ultra-patriotiques et chauvins ; une manipulation destinée à faire croire au peuple vénézuélien qu'il n'y a pas de problème plus important à résoudre dans notre pays ; une opération qui n'a que des objectifs électoraux, opportunistes et réactionnaires.
Le referendum de dimanche a vu une participation de 10,5 millions de votants, soient 50,72 % et 95 % des Exprimés ont choisi le oui. C’est à la fois une réussite et un échec pour Maduro. La participation, lors des nombreux referendums organisés par Chavez était largement supérieure, mais le succès du oui est triomphal. La manipulation n’a fonctionné qu’à moitié. Le Parti Communiste du Venezuela avait déclaré qu’en raison de sa politique, un tel gouvernement « n'a aucune autorité morale ou politique pour appeler à une fausse unité nationale pour la défense de la patrie. ». Il est probable que les conditions de vie des travailleurs et les revendications qu’ils formulent quotidiennement les ont dissuadés de prendre part à la manœuvre.Il est possible également que le gouvernement de Maduro ait peiné à se faire passer pour l’ennemi d’Exxon-Mobil, alors qu’il est prêt à remettre aux multinationales des fleurons de l’industrie vénézuélienne pour conserver le pouvoir. C’est ainsi qu’il met en place des zones économiques spéciales, dans lesquelles de grandes extensions du territoire national sont proposées aux entreprises étrangères. En particulier, les concessions de l'Arc minier de l'Orénoque sont lorgnées par les compagnies pétrolières Chevron, Repsol et ENI. Pour citer une nouvelle fois le communiqué du Parti Communiste du Venezuela : « ceux qui parlent aujourd'hui de la défense du pays contre l'avancée d'ExxonMobil dans la bande d'Essequibo sont les mêmes qui, il y a quelques jours, ont signé un accord secret avec le gouvernement américain pour permettre la remise de l’industrie pétrolière et gazière vénézuélienne aux mêmes sociétés américaines qui opèrent illégalement dans l’Essequibo »
En conclusion
Quelles perspectives après le referendum ?Pour le moment, il ne s’agit en réalité que d’une opération de politique intérieure et il n’est pas certain que Maduro veuille faire entrer l’armée vénézuélienne en Essequibo. Toutefois, le PCV envisage une autre possibilité : « il pourrait même y avoir un scénario dans lequel, en raison de l'escalade des tensions, le gouvernement du président Nicolas Maduro impose l'état d'urgence pour justifier la suspension des élections présidentielles prévues l'année prochaine. ».Mais, de son côté, le gouvernement du Guyana menace de faire venir des troupes US dans l’Essequibo, ce qui ne manquerait pas d’attiser les tensions. L’enjeu du pétrole, l’ambition du président du Guyana, Irfaan Ali, qui veut faire de son pays un des leaders de la production d’or noir font que tout peut-être envisagé, même le pire.Dans son communiqué, le PCV fait justement part de ses craintes : « Les conséquences d'une telle politique pourraient être une défaite stratégique des aspirations légitimes du Venezuela sur le territoire d'Essequibo et une avancée dans le positionnement du capital multinational et dans les intérêts des puissances impérialistes dans la région. »
Garantir la paix entre les travailleurs des deux paysLes travailleurs du Venezuela et du Guyana doivent rester vigilants et se méfier en permanence, des deux côtés de la frontière, des manœuvres qui ne font que favoriser le capital et les bourgeoisies locales. Il est également de leur intérêt de rejeter toute prétention d'installer des enclaves militaires des États-Unis ou de toute autre puissance étrangère dans la bande d'Essequibo, ce qui constituerait une menace pour la paix dans la région et une agression contre la souveraineté des deux nations.Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, ni les travailleurs et le peuple vénézuélien, ni les travailleurs et le peuple guyanais n’ont intérêt à ce conflit, encore moins à son aiguisement. Cela ne servirait que les multinationales US, l’État guyanais à leur service et l’État vénézuélien qui cherche à perdurer en opprimant les travailleurs et en négociant avec l’impérialisme US.Concluons avec la fin du communiqué du Parti Communiste Vénézuélien : « Le PCV fera tout ce qui est en son pouvoir pour unir la classe ouvrière et les autres secteurs exploités du Venezuela et de la Guyane, dans le but de parvenir à une stratégie commune au bénéfice des peuples et contre les désirs des monopoles et les aventures bellicistes de la Bourgeoisie, des gouvernements ici et là-bas; des objectifs qui seront pleinement atteints lorsque les classes ouvrières et les peuples du Venezuela et de la Guyane prendront le pouvoir et lanceront des processus pour construire des sociétés sans exploitation ni oppression sociale. »