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N° 02/10/2024  Chine : du plenum du Comité Central du PCC de juillet
aux mesures économiques de relance de septembre
Le Comité central du Parti Communiste Chinois a adopté le 18 juillet, lors de son XXéme plenum, un document[1] intitulé : " Décision du Comité Central du Parti Communiste Chinois relative à l'approfondissement plus poussé de la réforme sur tous les plans en vue de promouvoir la modernisation chinoise." Les décisions prises lors de ce plenum ont pour objectif : "de poursuivre la mise en œuvre des dispositions stratégiques définies par le XXéme Congrès du Parti[2]."
Le document du Comité Central note tout d'abord l'importance et la nécessité d’approfondir de manière plus poussée la réforme sur tous les plans. Il s'appuie sur la politique de réforme et d’ouverture qui a permis au Parti et au peuple chinois de rattraper leur époque à pas de géant, en faisant référence au 3éme plenum du XIéme Comité central du Parti[3] et au 3éme plenum du XVIIIéme Comité central.
Rappelons que lors de ce 3éme plenum du XIéme Comité central du Parti, fut adopté sous l'impulsion de Deng Xioping une orientation ouvrant la voie au capitalisme en Chine  : " La 3e session plénière du XIe Congrès du Parti communiste chinois eut lieu, du 18 au 22 décembre 1978, à Beijing. Au cours de cette session, une série de décisions importantes furent prises. Le groupe dirigeant du Comité central du Parti, avec pour noyau Deng Xiaoping, fut formé. Les tâches qui lui ont été assignées furent d'orienter le pays vers la démocratie et la légalité. La session prit de nouvelles décisions concernant la réforme et l'ouverture, et, appela à axer le travail sur l'édification économique plutôt que sur la « lutte des classes ». L'ouverture marqua ainsi un véritable tournant historique." Quant au 3éme plenum du XVIIIéme Comité central en 2013 déjà sous la direction de Xi Jinping, il s'agit selon Wikipedia : " Le troisième plénum XVIIIe congrès se déroule début et fixe pour les dix ans à venir une feuille de route politique. Alors que les marchés étaient jusque-là appelés à jouer un rôle « de base », celui-ci devra à l'avenir être « décisif ». Le président Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang estiment par ailleurs que la Chine doit trouver de nouveaux relais de croissance alors que le pays est « très endetté, moins compétitif et en surcapacité industrielle » : cela devrait se traduire par l'ouverture à la concurrence de secteurs jusque-là contrôlés par des groupes publics, comme la finance, l'énergie, les télécommunications, les chemins de fer et les transports aériens."
Ces références étant posées et qui marquent la continuité avec les orientations fondamentales du dernier congrès PCC, qu'apporte de nouveau cette déclaration du Comité central ?
 
L’économie de marché socialiste
Le concept mis en avant par les décisions sonne comme un étrange oxymore : il s’agirait d’instaurer une économie de marché socialiste de haut niveau. Le rôle du marché serait de permettre l’allocation des ressources pour une efficacité optimale et un rendement maximal. Rien ici qui ne permet de comprendre la spécificité de cet objectif par rapport à un fonctionnement de marché capitaliste, qui théoriquement, est également censé parvenir à une allocation optimale des ressources, guidée par le signal prix (en un mot, la loi de l’offre et la demande). De fait, comme il n’est pas expliqué comment est évalué l’efficacité optimale, ni comment est jaugé le rendement maximal, il est loisible de penser que l’économie de marché est bien synonyme d’organisation capitaliste de l’économie.
D’autant que les dirigeants se disent prêts à donner les « rênes des projets nationaux visant à réaliser des percées dans le domaine des technologies clés, tout en leur ouvrant davantage l’accès aux grandes infrastructures nationales de recherche scientifique » aux entreprises privées dont les critères de gestion sont bien à caractère capitaliste. Les autorités publiques se disent désireuses de mettre en place un système de financements plus favorables et de revoir la fiscalité. Il est également question de « mettre à l’honneur l’esprit entrepreneurial ». La Chine engagerait donc une politique économique de l’offre, qui ne détonnerait pas dans le contexte capitaliste occidental.
D’autant que le document du Comité central du PC précise la nécessité « d’approfondir la réforme sur les actifs de l’Etat et les entreprises publiques ». Il s’agirait de concentrer les efforts dans certains secteurs, notamment les services publics et les industries émergentes. Il est prévu de séparer les monopoles naturels et « soumettre aux règles de marché les maillons concurrentiels ». Pour éclairer le propos, il s’agirait par exemple de séparer le transport d’électricité de la production d’électricité ou le gestionnaire des voies ferrées des transporteurs de voyageurs et marchandises. Situation qui ressemble étrangement aux directives de l’Union européenne !
Un autre axe de la politique économique concerne le décloisonnement du marché intérieur chinois, manifestement segmenté. Il conviendrait, en particulier, d’interdire des initiatives locales (subventions, prix bloqués) afin de parachever « le mécanisme de fixation des prix des facteurs de production selon la loi de l’offre et de la demande. » Pour mémoire, le travail est considéré comme un facteur de production.
Un chapitre est consacré au système de propriété (y compris propriété intellectuelle) nécessaire au renforcement de l’économie de marché. Il est également prévu de baisser les droits d’entrée sur le marché selon la plus orthodoxe des règles libérales (dans le but d’accroître la concurrence).
En première conclusion, nous dirons que l’économie de marché chinoise ne présente pas de particularités par rapport tout autre économie de marché, si ce n’est le volontarisme affiché de la faire advenir.
 
Industrialisation, la course toujours en tête
La Chine n’est certes pas affrontée aux problématiques de désindustrialisation. Pour autant, il s’agit de ne pas s’endormir sur ses lauriers, selon l’expression consacrée. Les autorités chinoises ne veulent pas laisser passer la nouvelle révolution industrielle à base de numérisation des process. Il s’agit de développer les industries hautes technologies et stratégiques et d’assurer « un développement sain et ordonné des industries émergentes. » Malgré la logique capitaliste développée dans le document, il n’en reste pas moins une volonté dirigiste de l’économie mais finalement surtout dans les secteurs à enjeux. Alors que l’Union européenne s’inquiète de sa désindustrialisation, la Chine cherche à accélérer la nouvelle industrialisation avec la perspective de développer « des conglomérats de l’industrie manufacturière avancée. »
Il est précisé que cette ambition industrielle sera soutenue par un financement adéquat « afin que l’octroi des fonds corresponde à l’exigence stratégique du pays ». Plus généralement, l’industrie manufacturière doit maintenir sa place dans l’économie nationale et tout sera mis en place pour parvenir à cette fin (politique fiscale, réduction des charges, prêts bonifiés, etc.)
En ce qui concerne la délocalisation des industries, il s’agit en Chine de changer de région et il serait prévu dans ce cadre un mécanisme de partage des bénéfices entre les régions d’origine et celles d’accueil.
Enfin, les autorités se préoccupent également de la formation avec un souci de répartition « optimale » des ressources éducatives entre région. Un fonds spécial pour la R&D des entreprises est proposé ainsi qu’un mécanisme d’aides au développement de PME spécialisées en technologies (les start-up en un mot).
 
Politique économique, ouverture prudente et préoccupations rurales
L’État conserve le rôle de planificateur stratégique qui consiste plutôt à orienter l’activité économique que de lancer des directives précises aux systèmes productifs ou financiers. En ce qui concerne l’internationalisation de la monnaie chinoise, la démarche reste prudente : il s’agit de « progresser avec circonspection ». L’enjeu est de taille : d’un côté, participer à la dédollarisation des échanges internationaux, d’un autre s’exposer aux risques liés à la spéculation internationale sur les monnaies avec des conséquences d’autant plus forte pour la Chine, première exportatrice mondiale.
Il est prévu d’ouvrir aux investisseurs étrangers le champ de leurs placements dans l’industrie manufacturière et augmenter les niveaux d’ouverture des régions chinoises aujourd’hui un peu à l’écart de la mondialisation. Hong Kong et Macao continueront à jouer un rôle important dans l’ouverture du pays selon le système « un pays, deux systèmes » et il est attendu de Hong Kong, notamment, de renforcer sa position de place financière internationale, de centre de transport maritime et de commerce.
En ce qui concerne le commerce international, la Chine souscrit pleinement au projet de l’OMC, ce qui lui permet à l’occasion à donner des leçons de libre échange à l’Occident, soit dit en passant.
Un volet du plan économique est consacré à la réforme de l’exploitation agricole avec une volonté de promouvoir les grandes exploitations. Une préoccupation au sujet de la préservation des terres agricoles apparaît et il est prévu un mécanisme de compensation du type zéro artificialisation nette quand les terres arables sont transformées en terrains constructibles.
La volonté d’améliorer le niveau de vie dans les campagnes est affirmée : en encourageant des industries à s’implanter, en protégeant les paysans (subventions, assurances agricoles, garantie de revenus, etc.) contre les rechutes (sic) dans la pauvreté.
Ainsi, la politique économique de la Chine s’inscrit dans une perspective de développement de privatisation et de préparation d’une nouvelle révolution industrielle. Est affirmée la prééminence de l’Etat pour l’orientation stratégique générale dans un souci mesuré d’ouverture aux investisseurs étrangers. D’une certaine manière, la révision des droits de propriété et plus généralement du droit des affaires participe à cette politique d’ouverture. Il est également prévu un rééquilibrage des zones de développement, qui s’explique par la volonté d’une homogénéisation de l’espace économique intérieur. Ce cocktail de mesures dirigistes et libérales est assez déroutant, pour autant, il ne dément pas la place prééminente de la Chine dans le champ du capitalisme mondialisé dans lequel ses dirigeants entendent préserver sa position.
Si améliorer et approfondir sont les maîtres mots de ce document, il n'y a pas dans son économie générale de changement d'orientation significatif de la politique chinoise dans la mise en oeuvre des réformes amorcées. La question est plutôt comment répondre à une situation économique et sociale qui marque le pas dans un contexte international marqué par une politique de plus en plus agressive des États-Unis dans la défense de leurs propres intérêts capitalistes et qui se traduit par des restrictions au commerce avec la Chine et à la tentative de l'isoler du point de vue militaire qui au delà du partenariat avec l'Australie et le Royaume-Uni constitueraient une alliance asiatique dont ils seraient les pivots avec le Japon, l'Australie et l'Inde.
Les mesures économiques récentes prises par le gouvernement chinois s'inscrivent dans la stratégie développée dans le document que nous venons d'analyser. Nous y reviendrons dans un prochain article consacré à cette question.