N° 847 15/11/2023 Ces derniers jours ont été l’occasion d’une montée en puissance de la solidarité des peuples avec la Palestine : 300.000 manifestants à Londres, 60.000 à Bruxelles, de nombreuses manifestations aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique du Nord, et dans le monde arabe et même en France, malgré la chape de plomb et les interdictions.
Plusieurs organisations syndicales et politiques, en Europe et ailleurs dans le monde, ont fait part de leur solidarité active, comme le Sinn Fein, en Irlande, accueillant l’ambassadrice de Palestine aux cris de « Nous sommes tous des Palestiniens ! ».
De plus en plus, d’autres moyens de lutte que les seules manifestations sont mis en place.
L’entrée en scène des travailleurs et de leurs organisations dans le monde
Des syndicats et des collectifs citoyens ont organisé des actions sur des lieux stratégiques du commerce d’armes depuis le début des bombardements sur Gaza. Des blocages et des manifestations ont eu lieu sur les ports de Tacoma aux États-Unis, ou encore à Melbourne, en Australie ou à Toronto au Canada. A Barcelone, le syndicat majoritaire des dockers a décidé de refuser de charger ou de décharger tout matériel militaire en lien avec les bombardements à Gaza. Faisons un petit tour d’horizon pour savoir où nous en sommes désormais.
Un mot d’ordre commun a émergé et grandit : « Ceux qui font la guerre au peuple palestinien ne doivent pas être laissés tranquilles. »
En Italie
Le vendredi 10 novembre marque sans équivoque un « saut qualitatif » dans la solidarité avec la résistance palestinienne en ce qui concerne l’Italie. À Gênes, dès six heures du matin, l’une des principales entrées du port a été bloquée par un rassemblement à un carrefour stratégique du trafic des camions, détournés non sans difficulté vers une autre entrée, ce qui a perturbé le flux normal des camions.
Quelques centaines de manifestants sont ensuite partis en milieu de matinée et ont atteint le siège de ZIM (une compagnie maritime israélienne). ZIM est un géant de la mer battant pavillon israélien avec plusieurs bureaux en Italie, un acteur majeur du système maritime-portuaire méditerranéen, dont l’activité (comme celle d’autres sociétés similaires) se déroule dans une relative « opacité » grâce à la complicité des différentes autorités nationales qui contrôlent le trafic maritime.
Le cortège, après s’être arrêté devant le siège de la ZIM – protégé par des forces de police en tenue anti-émeute devant l’entrée – est reparti en direction du rassemblement, rejoignant ceux qui avaient maintenu le blocus actif, marquant ainsi leur présence jusqu’à midi.
Un gigantesque drapeau palestinien a été peint sur l’asphalte près du barrage, avec les mots « Stop War » (halte à la guerre) et « Free Palestine » (Palestine libre) en anglais et en arabe, tandis que devant le siège de l’entreprise israélienne, on a écrit à la peinture rouge sur le revêtement de la route « Arrêter le trafic d’armes. Israël assassine ».
Parmi les animateurs de la journée, on trouve les nouveaux syndicats de base, qui existent depuis quelques années en Italie, dénonçant l’immobilisme et la collaboration de classe des grandes confédérations. A l’’USB (Union des Syndicats de Base), à Gênes et ailleurs, émerge la nécessité d’un moment de lutte dans la ville qui donne aux travailleurs l’occasion d’exprimer leur opposition au massacre des Palestiniens par la grève. Plus largement, les syndicalistes de l’USB réfléchissent à un moment de confrontation nationale des catégories de travailleurs sur la manière d’agir, en tant que travailleurs et travailleuses, sur l’ensemble du complexe militaro-industriel, de la fabrication à la logistique, et pas seulement dans les zones portuaires.
En Angleterre
Ce même vendredi 10 novembre, près de 400 syndicalistes ont bloqué l’usine d’armes de l’entreprise BAE, à Rochester en Angleterre. L’usine d’arme fabrique notamment des « systèmes d’interception actifs » pour les jets F35, « utilisés actuellement par Israël pour bombarder Gaza », écrivent les syndicats organisateurs de cette mobilisation. Art, culture, éducation, santé, sept organisations syndicales se sont retrouvées sous le mot d’ordre « Travailleurs pour une Palestine libre », répondant également à l’appel des syndicats palestiniens du 16 octobre.
L’industrie d’armement britannique, subventionnée par de l’argent public, est impliquée dans les massacres de Palestiniens. Les syndicats organisateurs veulent perturber la machine de guerre israélienne et prendre position contre la complicité de leur gouvernement. Ils ont exhorté les travailleurs de tout le Royaume-Uni à prendre des mesures similaires sur leurs lieux de travail.
Samedi 11 novembre, plus de 800.000 personnes ont manifesté en solidarité avec le peuple palestinien. Un mois après le début de l’offensive israélienne contre Gaza, c’est la plus grande manifestation de solidarité qui a eu lieu en Europe.
En Grèce
Le dimanche 29 octobre, une grande manifestation de soutien à la Palestine a eu lieu à Athènes, à l'appel du Front Militant de Tous les Travailleurs (PAME). Des milliers de manifestants se sont rassemblés devant l'ambassade des États-Unis et ont ensuite marché vers l'ambassade d'Israël. Des manifestations similaires ont également eu lieu dans de nombreuses autres villes de Grèce.
Ailleurs dans le monde
En Inde, l’ensemble des syndicats ont adressé un message clair au gouvernement afin qu’il refuse l’accord que lui propose le gouvernement fasciste israélien, à savoir, envoyer des milliers de travailleurs dans l’État sioniste pour remplacer les travailleurs palestiniens de Gaza que les autorités sionistes ont parqués dans des camps avant de les renvoyer dans la Bande de Gaza.
En Belgique l’appel de tous les syndicats, fin octobre, pour refuser d’embarquer ou de débarquer des armes dans les aéroports, armes qui sont transportées dans des avions cargos, a eu un réel effet. Parmi les deux compagnies aériennes qui effectuent ces livraisons, l’une d’elle les a arrêtées. L’autre, c’est une compagnie israélienne.
La situation particulière de la France
En France, nous n’en sommes pas encore là. On peut signaler que, si aucun syndicat n’a pour l’instant appelé à des actions sur les lieux de travail, la fédération CGT des Ports et docks pourrait bientôt rejoindre le mouvement international. La semaine prochaine, au port du Pirée à Athènes,12 organisations syndicales de dockers et portuaires européennes, membres de l’EDC (European Dockworkers Council) doivent se réunir pour une assemblée générale. La fédération CGT veut pousser pour obtenir une journée d’arrêt de travail dans tous les ports , européens pour manifester sa volonté d’un cessez-le-feu. La possibilité d’un boycott des syndicats sur le transport d’armes vers Israël sera aussi en débat, il pourrait déboucher sur une position commune entre ces syndicats, qui regroupent 20.000 dockers à travers l’Europe.
On peut évoquer aussi l’activité de boycott des entreprises commerçant avec Israël de l’association BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) et les manifestations et rassemblements qui ont lieu au moins chaque samedi, quand ils ne sont pas interdits.
Mais, force est de constater que les actions de solidarité ont du mal à sortir du cadre des manifestations et que, malgré une prise de conscience qui grandit chez les travailleurs, le mouvement ouvrier n’a pas encore pris sa part en tant que tel, avec ses pratiques de lutte, dans le combat.
Les blocages ne viennent pas des travailleurs, ni des simples syndicats. Ils sont le résultat du combat au couteau que mènent le gouvernement, les media, la plupart des partis politiques et les organisations sionistes, tous au service du Grand Capital, pour empêcher, par tous les moyens, l’expression de quelque voix que ce soit qui sorte du dogme qu’ils veulent imposer, auquel s’ajoute l’absence de prises d’initiatives d’ampleur par les directions syndicales et notamment par celle de la CGT, alors que cette organisation a un long passé de luttes anticolonialistes et anti-impérialistes.
L’affaire de la marche de dimanche 12 soi-disant contre l’antisémitisme est extrêmement révélatrice de ce qui se passe. Comme il devient de plus en plus difficile de justifier l’interdiction des manifestations, comme le mouvement de solidarité grandit dans notre pays, les véhicules de l’idéologie dominante ont changé de tactique. On en remet une couche sur l’utilisation de l’antisémitisme, qui finit par vider le mot de son sens ; la définition le plus appropriée aujourd’hui serait : « Est antisémite quiconque est opposé à l’État d’Israël ». Nous l’avons écrit, il n’était pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que cette marche, à l’initiative Gérard Larcher (LR) et Yaël Braun-Pivet (Renaissance) « soutiens inconditionnels à Israël » n’était en réalité qu’une marche de soutien à l’État sioniste et à Netanyahu, donc au massacre de Gaza.
L’échec plus que relatif de cette marche est une bonne nouvelle. Notons au passage qu’à Marseille, le journal "La Provence" annonce 4.000 manifestants et la préfecture de police 7.500. Quand-à la question de la montée de l’antisémitisme, on n’a qu’une version, celle de Darmanin. Peut-on décemment faire confiance à un des idéologues au service de l’État Bourgeois ? Et on sent bien qu’il y a l’orchestration d’une campagne (cf. l’affaire des étoiles de David). Le dernier délire en date est constitué par les cris d’orfraie de deux députés macronistes dénonçant comme antisémite un tag où il est écrit sur trois lignes : « Fuck l’antisémitisme / Free Palestine / Fuck l’apartheid ».
Les partis dits de gauche ne se sont pas grandis dans cette affaire. La seule raison avancée pour exprimer sa réticence, mais participer (EELV, PS, PCF) ou ne pas participer (LFI) a été la présence du RN. Au rebours de quelques personnalités, dont Rony Braumann, pratiquement aucun politicien n’a dit que c’était une initiative de soutien à Israël. Les huées et les sifflets accompagnant le maigre cortège du trio de gauche indiquent que, plutôt que le RN, partisan de Netanyahu et de son œuvre destructrice, c’étaient eux qui n’étaient pas à leur place dans cette marche, parce que pas assez pro-sionistes, probablement.
Écologistes et PS ont une longue tradition pro-israélienne. Mais ni le PCF, au long passé anticolonial, ni la FI n’ont les arguments pour répliquer à ce climat de pressions multiples, de censure et de répression. Il faudrait pour cela qu’ils s’attaquent au capitalisme, dénoncent les impérialistes et l’État d’apartheid. Or, nous savons qu’ils veulent seulement changer à la marge le système capitaliste, absolument pas l’abolir. Pour sortir des faux-débats imposés par l’idéologie dominante, il faut une lecture de lutte des classes à l’échelle nationale et internationale. Ils n’ont pas cette culture.
L’horizon peut se dégager en France, comme ailleurs
Pour autant, la situation peut évoluer dans le bon sens. De nombreux militants de la CGT protestent de plus en plus ouvertement contre la ligne des torts partagés qui est celle de leur direction confédérale, qui objectivement, met sur un même plan le peuple colonisé et l’État colonisateur. De plus en plus de travailleurs sont dans les manifestations et se posent la question de quoi faire d’utile. Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, le mouvement ouvrier doit prendre à bras le corps la question fondamentale de la lutte anticolonialiste et anti-impérialiste. Il est temps donc que des actions d’une autre ampleur que les manifestations et les rassemblements voient le jour dans notre pays. Nous soutenons tout ce qui est fait et se fera pour aider le peuple martyr de Gaza et de Cisjordanie. Le mouvement grandit dans le pays, il faut obtenir un cessez-le-feu de manière plus qu’urgente. Nous avons obtenu la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la fin de l’apartheid en Palestine va dans le sens de l’Histoire.
Seule la mobilisation internationale encore plus fortes, les pressions sur les gouvernements amis de l’État sioniste, le boycott des multinationales qui commercent avec l’apartheid, le blocage des livraisons d’armes le permettront. Alors, il faudra exiger le retrait des troupes d’occupation, le démantèlement des colonies et le retour des réfugiés.