N° 876 05/06/2024 Le journal l’Humanité, qui défendit autrefois la cause palestinienne, a publié un appel signé par 500 « personnalités » appelant Macron à reconnaître un État palestinien La thèse de l’appel est celle que nous dénonçons depuis le début de la guerre à Gaza, celle des torts partagés. C’est, grosso modo, la thèse de la direction du PCF, le Hamas terroriste contre le Netanyahu d’extrême droite.
On comprend bien le ralliement de la gauche prosioniste (PS et Ecolos) qui n’a à la bouche que « le droit d’Israël à se défendre », mais qui, avec la force montante du mouvement solidaire du peuple colonisé de Palestine, en particulier depuis la frappe aérienne du 26 mai sur Rafah, qui a provoqué un incendie dans un camp du sud de la bande de Gaza, entraînant la mort d’au moins 45 personnes et près de 250 blessés, se doit de faire semblant, élections obligent.
Mais, il faut noter aussi le recentrage de LFI. Considérée par beaucoup comme défendant les droits des Palestiniens, l’organisation de Mélenchon vient de jeter le masque. Nous les avions toujours caractérisés ainsi jusqu’à présent : ils sont au milieu du gué. Ils se dégagent de la position des torts partagés, invoquent la responsabilité d’Israël, y compris dans l’attaque du 7 octobre, sur la base d’un conflit datant de 1948, mais ils ne parlent pas de l’Etat colonial et ne critiquent pas la responsabilité intrinsèque du sionisme. Mais, désormais, du milieu du gué, ils sont revenus sur la mauvaise rive.
Que dit cet appel, finalement ?
L’appel s’adresse, nous l’avons dit, à Macron et précise que « La reconnaissance officielle de l’État de Palestine par Paris […] constituerait un symbole diplomatique fort qui honorerait la République et, à travers elle, le peuple français. ». Se montrant critiques de notre président, qui dit attendre le moment utile, les signataires indiquent que « le moment est venu » et que cette reconnaissance serait « Un jalon indispensable pour une solution politique ».
On peut d’ores et déjà noter l’acceptation totale par les signataires du concept mythique de « République » qui désigne simplement l’État impérialiste de France, au nom duquel se sont réalisées toutes les colonisations et répressions des mouvements de libération, sans parler de la guerre impérialiste de 1914-1918.
Par ailleurs, dans leur essai de réponse à Macron, ils critiquent sa volonté d’attendre et sa déclaration à propos de l’Autorité palestinienne : « Le 29 mai, le chef de l’État réservait sa décision à la condition que l’Autorité palestinienne se "réforme" pour "exercer des responsabilités, y compris à Gaza" ». Or le contenu scandaleux de la déclaration de Macron n’est pas évoqué. Rien sur le ton méprisant et néocolonial d’un président de la France qui se permet de dire aux dirigeants de l’Autorité palestinienne ce qu’ils ont à faire. Quelle légitimité a-t-il à le faire ? Comme d’habitude, c’est au nom des Lumières, de la démocratie, de la République dont nous parlions plus haut : les habituels arguments que l’impérialisme occidental déroule pour affirmer sa solidarité. Pire, quel mandat a Macron pour décider que c’est la très discréditée Autorité palestinienne qui doit exercer des responsabilités à Gaza ? Aucun ! C’est aux Palestiniens et à eux seul de décider, pas à une officine installée par l’impérialisme US lors du leurre des Accords d’Oslo.
Par la suite, si le corps de la pétition souligne l’épreuve révoltante subie par le peuple palestinien, plus particulièrement à Gaza, c’est pour conclure le paragraphe par « la réaction d’Israël aux odieuses attaques terroristes perpétrées sur son sol par le Hamas ». Cette phrase, c’est l’illustration même de la ligne des torts partagés. C'est la reprise intégrale du discours de la propagande israélienne. Israël mène une riposte ; donc on enterre le fait que les dirigeants sionistes, de quelque bord qu’ils soient, veulent mener jusqu’au bout la colonisation de substitution et de s’emparer de la Bande de Gaza et réaliser le Grand Israël, que, comme le dit Elias Sambar : « Netanyahu veut finir la besogne laissée inachevée par Ben Gourion en 1948 ». Ensuite, la phrase valide l’État colonial en parlant de « son » sol. Enfin, si l’on s’intéresse aux épithètes utilisées, on s’aperçoit que l’attaque dite du Hamas est ignoble, alors que la soi-disant riposte d’Israël n’est que dévastatrice. Un seul jugement moral est porté, sur l’attaque de la Résistance palestinienne.
L’inévitable « libération de tous les otages détenus par le Hamas » (et non par l’ensemble de la Résistance palestinienne, ce qui est la réalité) est présente, mais pas celle des otages palestiniens, les prisonniers des geôles de la « démocratie » sioniste détenus sans jugement ou avec des jugements décidés à l’avance. Pas de dénonciation non plus de la pratique récurrente de la torture par les geôliers et les militaires de l’État sioniste.
Ce qui caractérise finalement le plus ce texte c’est ce qui n’y figure pas. Quels sont les mots absents ? Tous ceux qui expliquent réellement la situation. Concernant la guerre actuelle, pas de génocide, aucune proposition de sanction diplomatique ni économique contre l’État d’apartheid, à part la suspension (et non la fin) de l’accord Israël-UE. Pour ce qui est du fond du problème, pas de colonisation, pas d’État colonial, pas de lutte de libération nationale, pas de Résistance, pas de droits nationaux du peuple palestinien.
Reste la revendication d’un Etat imaginaire, sans demander l’avis des concernés, c’est-à-dire reconnaître l’État sioniste comme l’unique acteur de la « solution ». Même si ce n’est pas dit, on sent bien une énième tentative de sortir un placard la chimérique « solution à deux États », dont personne ne veut et que les Palestiniens ont déjà testée depuis 1994 où elle n’a été que ce qu’en voulaient les protagonistes du camp impérialiste, notamment Clinton, un État et un bantoustan colonisé.
La pétition est à vomir !
S’adresser à Macron, mais pourquoi ?
Le texte, comme beaucoup de la gauche ou des syndicats, s’adresse à Macron comme les Suppliantes de la tragédie grecque. En quelque sorte, cette démarche vise à le légitimiser comme la République. A aucun moment n’est évoqué le virage à 180 degrés de la position de la diplomatie française sur le Proche Orient depuis Sarkozy. A aucun moment n’est prise en compte ni dénoncée la complicité de Macron avec le génocide et l’État colonial assassin.
Avant le 7 octobre, Macron était satisfait et appuyait la manœuvre des USA qui, à travers les « accords d’Abraham », cherchait à obtenir une reconnaissance par les pays arabes de l’Etat d’Israël, isolant ainsi le peuple palestinien et niant « la question d’un État Palestinien ».
Après le 7 octobre, Macron a cherché à prendre la tête d’une croisade contre le « terrorisme », entrainant avec lui les dirigeants des pays de la région. La question unique pour lui était la défaite de la lutte du peuple palestinien, condition nécessaire pour entamer des discussions dont tout le monde sait que rien ne peut en sortir comme c’est le cas depuis 1948.
Comme sur nombre d’autres sujet, Macron est considéré par le spectre politique des signataires comme un partenaire, notamment dans la lutte contre « l’extrême-droite », un concept qui n’est jamais défini, mais permet de ne pas s’en prendre au système, au Grand Capital en France ni au sionisme en Palestine. Et ce, à la grande satisfaction de la gauche française qui, moins que jamais, ne veut de l’abolition du système capitaliste.
Qui fait partie des 500 « premiers » signataires et pourquoi ?
Certainement, beaucoup des signataires de cette pétition ne peuvent plus accepter les destructions systématiques de la vie à Gaza, le blocus imposé, et le génocide du peuple palestinien. Ils réagissent principalement sur un plan émotionnel, ce qui, d’ailleurs, a probablement été visé par les auteurs à l’origine de la pétition.
D’autres, reprennent les positions habituelles et les dénonciations que nous avons connues par le passé contre les massacres et les répressions des impérialismes français, étatsunien… et qui ont répété, sans prendre explicitement parti et en renvoyant dos à dos les deux parties, « Paix en Indochine », puis « Paix au Vietnam, et « Paix en Algérie » alors que les peuples vietnamien et algérien remportaient les victoires dans les luttes engagées.
D’autres, enfin, sont réduits à proposer cette reconnaissance, nécessité qu’ils découvrent, afin de sauver la population d’Israël d’une issue sans perspective, fatale, et qui pourrait conduire à une situation négative pour les intérêts occidentaux dans la région. Les peuples de la région ne peuvent plus assister impuissants à ce génocide alors que leurs dirigeants parlementent et négocient avec Israël et les USA. Les conditions d’une révolte de ces peuples sont en train de mûrir. Alors, il faut sauver les meubles.
Ce panel des 500 premières signatures, c’est un peu le retour de la "NUPES" : 77 signataires de LFI, 74 du PS, 70 du PCF, sans compter les universitaires pour qui l’appartenance à ce parti n’est pas spécifiée et 55 « écologistes ». Ce qui surprend un peu, c’est la signature de tous les députés de « la France Insoumise ». Or, ceux qui semblaient avoir une position singulière, mais si pas vraiment satisfaisante (dénonciation du rôle d’Israël, mais pas de la situation coloniale ni du sionisme) rétropédalent depuis quelques semaines en invoquant fortement l’illusoire droit international. Après la demande du procureur Karim Khan de mandats d’arrêt contre trois dirigeants de la Résistance palestiniennes et deux dirigeants israéliens, intervenant au nom de son groupe à l’Assemblée nationale, Nathalie Oziol, députée LFI de l’Hérault, a déclaré : « Je souligne ici qu’à la France Insoumise, nous n’avons précisément pas défendu autre chose que ce que les instances de droit international nous mettent aujourd’hui sous les yeux. Depuis le 7 octobre, nous demandons la condamnation de tous les criminels de guerre. Pour avoir tenu cette ligne du droit international, de la justice, du cessez-le-feu… ». Peu après son coup d’éclat dans cette même Assemblée avec un drapeau palestinien, le député Sébastien Delogu, qui semblait sincèrement ému par le massacre, a déclaré sur BFM TV : « Les juifs ne sont pas responsable du massacre de l’armée israélienne à Gaza, mais les musulmans ne sont pas responsables du massacre du Hamas le 7 octobre ». Avec la complainte sur le premier ministre d’extrême-droite qui a suivi, nous avons tous les ingrédients des torts partagés. On ne peut que constater un recentrage de la ligne de LFI et une gauche désormais au diapason.
A quoi sert cet appel ?
Les mots qui ne figurent pas dans le texte indiquent, en fin de compte, que les rédacteurs (et signataires) sont plus préoccupés par la défense de l’Etat « d’Israël » tel qu’il est, c’est-à-dire colonial, suprémaciste, terroriste, au service de l’ordre impérialiste.
Cette pétition renvoie dos à dos les deux parties en Palestine, peuple palestinien et état d’Israël, sans faire l’historique de ce conflit, sans prendre parti. C’est ne pas considérer que le peuple palestinien subit le plan de partage de la Palestine en 1948, cela fait plus de 75 ans, plan décidé par l’ONU qui n’avait aucun droit de décider de l’avenir de la Palestine ni de son peuple. Le sionisme, processus de colonisation de la Palestine, un colonialisme de remplacement dans les faits, a déclaré la guerre au peuple palestinien depuis 1948, depuis 1920 avec le mandat britannique, depuis le début du 20ème siècle car ce projet politique entrait dans les plans des impérialismes franco-britannique et étatsunien.
Cette pétition représente une trahison de la lutte du peuple palestinien depuis plus d’un siècle pour son indépendance et la liberté. Que signifie « la reconnaissance d’un État Palestinien », État dont on ne précise pas les frontières ni la population qui le compose ? Comment concevoir un État Palestinien sans une critique radicale du sionisme, condition indispensable pour la décolonisation.
Aujourd’hui, plus de sept mois après l’action militaire israélienne à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et en Israël même contre les Palestiniens y vivant, action militaire qui n’a pas réussi à obtenir les résultats visés, en particulier l’écrasement de la Résistance palestinienne, la situation en « Palestine de la mer au fleuve » a radicalement changé : le peuple palestinien résiste et le mouvement de solidarité des peuples de la région comme sur le plan international se développe. Macron, comme l’impérialisme occidental sous la baguette des USA doivent trouver une issue afin de diviser le peuple palestinien et remettre en selle une Autorité palestinienne complètement discréditée et désavouée.
Voilà la signification politique de cette pétition et du moment choisi pour la lancer.
En conclusion
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, ce texte est dangereux.
Nous dénonçons cette manœuvre pour limiter ou détourner le fort mouvement de protestation qui se construit dans notre pays et est passé à la vitesse supérieure depuis lundi 27 mai. L’issue ne viendra ni d’une pétition partageant les torts, ni par des invocations au droit impérialiste international où à la CPI dont le passé dit bien dans quel camp elle est. Elle ne viendra que d’une dénonciation claire du sionisme et d’une amplification du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien dans sa lutte pour l’indépendance et la liberté.
La question palestinienne, la lutte de libération nationale de son peuple doivent rester la préoccupation majeure des peuples, de la jeunesse et des travailleurs du monde. Dans ces conditions, s’il est urgent et fondamental de réclamer un cessez-le-feu immédiat et permanent, de même que l’accès libre aux humanitaires dans toute la Bande de Gaza, ou encore le retrait total des forces d’occupation de l’enclave, cela ne saurait suffire.
C'est pourquoi, le Parti Révolutionnaire Communistes entend, malgré les obstacles comme ce texte, continuer de rassembler tous ceux qui veulent un cessez le feu immédiat pour que cesse le massacre des Palestiniens et se prononcent pour la paix. Pour nous, cela passe par le soutien aux revendications fondamentales du mouvement de libération nationale palestinien : fin immédiate de l'agression militaire sioniste, droit au retour des réfugiés et formation d'un État palestinien sur le territoire de la Palestine mandataire.