N° 915 07/03/2025 Cisjordanie, massacre et annexion en perspective
Capter des terres à Massafer Yatta
Fin février, l’armée d’occupation a délivré un ordre militaire annonçant son intention de saisir 8.438 mètres carrés de terres appartenant à des habitants de Masafer Yatta, près de la colonie illégale de Carmel.
Le chef du conseil du village de Masafer Yatta, Nidhal Yunis, a déclaré que l’occupation israélienne a l’intention de s’approprier la terre située à l’entrée principale de toutes les zones, villages et communautés de Masafer Yatta et de ses pâturages. Les résidents locaux craignent que le contrôle de l’occupation sur cette zone ne renforce le siège de leurs villages, ne restreigne leurs déplacements et n’augmente leurs souffrances quotidiennes.
Masafer Yatta est une zone située dans les collines méridionales de la province d’Hébron, abritant 12 villages palestiniens totalisant environ 2.800 habitants. La zone s’étend sur une superficie estimée à environ 35.000 dunums (35 kilomètres carrés) de terres, où des communautés agricoles palestiniennes vivent depuis des générations. L’armée d’occupation a déclaré la zone de tir 918 au début des années 1980 afin de déposséder les Palestiniens de leur maison et de renforcer les colonies juives dans la région. Depuis cette déclaration, les habitants vivent sous la menace quotidienne de démolitions, d’expulsions et de dépossessions. Les familles de Masafer Yatta se voient refuser l’accès à leurs terres, aux routes, aux sources d’eau, aux écoles, aux services médicaux et aux hôpitaux. À cela s’ajoute la violence quasi quotidienne des colons dans la région. Mais, et c’est ce qu’illustre le film « No other land », la résistance des habitants est opiniâtre et admirable, ils reconstruisent souvent la nuit les maisons détruites par les bulldozers le jour.
Destructions et épuration ethnique
Les bulldozers israéliens ont démoli le 25 février de vastes zones du camp de réfugiés de Jénine, aujourd’hui pratiquement vide, et semblent creuser de larges routes à travers ses ruelles, reprenant les tactiques déjà employées à Gaza, alors que les troupes se préparent à un séjour de longue durée.
Au moins 40.000 Palestiniens ont quitté leur maison à Jénine et dans la ville voisine de Tulkarem, dans le nord de la Cisjordanie, depuis qu’Israël a commencé son opération, un jour seulement après avoir conclu une trêve à Gaza. Ce qui se passe à jénine ressemble trait pour trait à ce qui s’est fait à Jabalya. Au moins 12 bulldozers sont à l’œuvre pour démolir les habitations et les infrastructures du camp, commune surpeuplée abritant les descendants des Palestiniens subissant un nettoyage ethnique lors de la guerre de 1948, la « Nakba » qui a marqué la création de l’État d’Israël.
L’opération menée pendant un mois dans le nord de la Cisjordanie, l’une des plus importantes depuis le soulèvement de la deuxième Intifada par les Palestiniens depuis plus de 20 ans. Elle implique plusieurs brigades de soldats israéliens soutenus par des drones, des hélicoptères et, pour la première fois depuis des décennies, par des chars de combat lourds.
Michael Milshtein, ancien responsable du renseignement militaire dirigeant le Forum d’études palestiniennes au Centre Moshe Dayan pour les études sur le Moyen-Orient et l’Afrique a déclaré à ce propos : « Je ne sais pas quelle est la stratégie générale, mais il ne fait aucun doute qu’une telle démarche n’a jamais été entreprise dans le passé. ». Il est pourtant évident que l’intention de l’entité sioniste est de déplacer la population palestinienne de façon permanente et à grande échelle en détruisant les maisons et en rendant leur séjour impossible.
« Israël veut effacer les camps et la mémoire des camps, moralement et financièrement, il veut effacer le nom des réfugiés de la mémoire du peuple », a déclaré Hassan al-Katib, 85 ans, ayant vécu dans le camp de Jénine avec 20 enfants et petits-enfants avant d’abandonner sa maison et tous ses biens au cours de l’opération israélienne. Les sionistes ont, en outre ordonné à l’UNRWA de cesser ses activités à Jénine.
Un peloton de chars a également été déployé par Israël, pénétrant dimanche 23 dans la ville par l’entrée ouest du camp de Jénine, , des équipes d’ingénieurs de l’armée ont pu être vues en train de préparer un séjour de longue durée, en apportant des réservoirs d’eau et des générateurs dans une zone spéciale de près d’un hectare.
Nabil Abu Rudeineh, porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas, a déclaré que l’opération menée dans le nord de la Cisjordanie semblait répéter les tactiques utilisées à Gaza, où les troupes israéliennes déplaçaient systématiquement des milliers de Palestiniens lorsqu’ils circulaient dans l’enclave. « Nous demandons à l’administration américaine de contraindre l’État d’occupation à mettre immédiatement fin à l’agression qu’il mène contre les villes de Cisjordanie », a-t-il déclaré. Pourtant, nous le savons, les forces spéciales de la même autorité palestinienne ont débuté l’assaut contre Jénine, avant l’intervention de l’armée d’occupation. Par ailleurs, si la Résistance en Cisjordanie est moins armée qu’à Gaza, car la même Autorité Palestinienne empêche les livraisons. Les larmes de crocodiles des porte-parole ne changeront rien au fait que les dirigeants de Ramallah sont des serviteurs de l’entité sioniste.
Quarante jours d’agression militaire à Tulkarem
Voilà désormais plus de quarante jours que l’armée israélienne agresse les villes, localités, villages et camps de réfugiés du gouvernorat de Tulkarem dans le cadre de son opération Mur de Fer. 42 jours de meurtres, de destructions massives et systématiques avec comme cibles principales, les deux camps de réfugiés de la ville : Tulkarem et Nour Shams.
Les troupes israéliennes ont vidé ces camps d’une grande partie de leurs habitants. Les chiffres évoqués sont de l’ordre de 5.000 à Nour Shams et 12.000 dans celui de Tulkarm. Les soldats ont procédé à l’expulsion des habitants par plusieurs méthodes. En premier lieu, les attaques quotidiennes, les bombardements et la destruction systématique des infrastructures de survie des camps (réseaux d’eau, d’électricité et routes) ont rendu extrêmement difficiles les conditions de vie dans les camps de réfugiés de la ville. Et pour celles et ceux qui auraient choisi de rester, les soldats ont vidé les maisons une par une, expulsé les habitants et saccagé leur maison. L’armée israélienne a notamment installé des quartiers généraux dans la rue de Naplouse, reliant les camps de réfugiés de Tulkarem et Nour Shams. Elle a pris possession de nombreux bâtiments dans les camps et dans la ville. Certains servent de casernes et d’autres sont des postes de tir pour les snipers israéliens. Des escouades militaires défilent dans les camps quotidiennement.
Malgré des conditions de vie extrêmement difficiles, 14 Palestiniens tués, des destructions immenses et des dizaines de blessés, certains ont tenté de retourner dans leur maison afin de récupérer des effets personnels et des souvenirs dans les décombres. D’autres se sont réinstallés dans leur maison détruite.
Un seul but annexer la Cisjordanie et se débarrasser des Palestiniens
Les sionistes ont redéployé certaines de leurs troupes depuis la trêve et tentent de mettre en œuvre l’annexion de la Cisjordanie. N’ayant pas connu l’isolement de Gaza, ayant vécu et vivant les contrôles permanents, les brimades, les assassinats de l’armée d’occupation, les Résistants palestiniens de Cisjordanie sont moins armés et probablement moins organisés que ceux de Gaza. Ils sont néanmoins présents et résistent, notamment dans le camp de Jénine. Le rôle de l’Autorité Palestinienne facilite objectivement la tâche des occupants. Après le génocide de Gaza, ils n’auront aucun scrupule à en organiser un en Cisjordanie.
En France, répression et grandes manœuvres idéologiques
Le sens de l’interdiction du collectif « Palestine vaincra »
Par un décret en Conseil des Ministres du 9 mars 2022, le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérald Darmanin, avait prononcé la dissolution du Collectif Palestine Vaincra (CPV). Parmi les motifs invoqués, figuraient par exemple les prises de position de CPV contre l’idéologie sioniste, ou sa dénonciation du régime d’apartheid imposé par l’État d’Israël contre le peuple palestinien dans son ensemble.
Le Collectif Palestine Vaincra s’était pourvu en référé afin de demander la suspension de ce décret de dissolution. Le Conseil d’État s’était prononcé pour la suspension du décret de dissolution mais devait encore se prononcer sur le fond. Le Conseil d’État vient de rendre son arrêt, en rejetant la demande d’annulation du décret de dissolution formulée par le CPV. La dissolution est ainsi confirmée. Celle-ci est une nouvelle attaque contre le mouvement de solidarité avec la Palestine.
L’unique raison invoquée pour le rejet du recours du CPV est une modération insuffisante des commentaires postés par des internautes à la suite des publications de CPV sur les réseaux sociaux. Le recours à la dissolution pour une insuffisance de modération de propos tenus par des tiers apparaît comme une sanction particulièrement disproportionnée et profondément injuste. C’est une des conséquences de la loi « confortant les principes de la République » du 24 août 2021. Il est important de noter que le Conseil d’État n’a retenu aucun autre motif de dissolution avancé par le ministre de l’Intérieur, ni aucun des motifs que tentaient de faire valoir les parties civiles.
Le Conseil d’État estime les prises de position du CPV en faveur de partis politiques palestiniens classés comme « terroristes » par l’Union européenne « ne peuvent, en l’espèce, être regardées comme des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme ». Le Conseil d’État relève aussi que « l’antisionisme militant du groupement ne le conduit pas à tenir lui-même des propos à caractère antisémite », posant ainsi une très claire distinction entre l’antisionisme, même virulent, et l’antisémitisme.
Les défenseurs de la Palestine sont la cible des forces spéciales de répression de l’État bourgeois en France, à savoir la police et la justice. Parmi eux, ce sont les militants ou les organisations qui argumentent sur le combat colonial et l’impossibilité du maintien de l’État d’Israël pour quiconque veut la paix sont les principales victimes de la répression, du montpelliérain Abdel à la niçoise Amira Zaiter, en passant par Jean-Paul Delescaut et « Palestine Vaincra ». Les tenants des « torts partagés » sont critiqués souvent, néanmoins pas condamnés ni interdits. Sont réprimés celles et ceux éclairant sur la réalité de la situation (le génocide), mais surtout sur la réalité de la nature de l'explosion antisémite que traverse notre pays depuis le 7 octobre 2023 (1.570 actes avec dépôt de plainte l'an passé, soit plus de quatre par jour) . Cette nature coloniale rend évidemment caduque la « solution à deux État ».
Branle-bas de combat des idéologues sionistes de « gauche »
Un groupe d’intellectuels s’intitulant « Français juifs […] aux sensibilités politiques diverses, mais tous issus de la large famille de la gauche » a commis une tribune dans le journal « Le Monde », laquelle est une véritable opération d’inversion de la situation. Alors que, comme nous avons pu l’illustrer plus haut, ce sont bien les partisans de la lutte anticoloniale des Palestiniens qui sont réprimés dans ce pays, voilà que nos bonnes âmes déclarent : « Nous sommes affolés de voir nos amis et nos familles avoir peur pour leurs enfants quand ceux-ci sont insultés ou menacés à l'école. Sidérés de voir que beaucoup n'osent plus s'exprimer lors d'échanges avec leurs collègues, ou en arrivent même à cacher leur judéité sur leur lieu de travail. Devant les croix gammées, les graffitis antisémites tagués sur nos vitrines ou boîtes aux lettres, nous n'avons rencontré que le silence, le déni ou l'indifférence de la gauche extrême. ». Parmi les signataires on trouve les habituelles cautions pseudo intellectuelles des sociaux-démocrates, Christine Angot, Daniel Cohn-Bendit, Michel Hazanavicius, Ariane Mnouchkine, Pierre Nora, Annette Wieviorka ou Elsa Zylberstein. Mais c’est avec une grande tristesse que nous y trouvons aussi Luc Boltanski, auteur de l’essai « Les Cadres », très apprécié des marxistes, Laurent Heynemann, le réalisateur de « La question, film adapté de l’œuvre d’Henri Alleg, ou encore Agnès Jaoui, qui défendit âprement les intermittents du spectacle. Tristesse, parce que ce texte est d’une profonde malhonnêteté intellectuelle. On y accorde crédit aux discours de Darmanin puis Retailleau en évoquant « l'explosion antisémite que traverse notre pays depuis le 7 octobre 2023 (1 570 actes avec dépôt de plainte l'an passé, soit plus de quatre par jour) » en occultant l’élément qui fait l’acte antisémite est la sanction judiciaire et pas le dépôt de plainte, en occultant aussi qu’une bonne partie de ces plaintes vise des actes ou des paroles non pas antisémites, mais critiques vis à vis de l’entité sioniste, en occultant donc la terreur intellectuelle et judiciaire qui s’abat sur les militants anticolonialistes.
Mais ce n’est pas le pire. On y trouve des attaques insupportables contre les juifs antisionistes : « Le mot sioniste est devenu une insulte. Seuls les juifs antisionistes sont désormais pardonnés d'être juifs. Un peu comme dans l'Europe médiévale, où l'on demandait aux juifs d'abjurer leur foi pour être acceptés. ». Ainsi donc, les juifs antisionistes auraient abjuré leur foi, il ne serait pas possible d’être juif et antisioniste !
Surtout, le texte est une défense et illustration de l’État d’Israël et de la colonisation : « L'après-guerre a vu bien des frontières redessinées, en Asie, en Europe et au Moyen-Orient. Israël a fait partie de ce vaste mouvement et a vu le jour dans la légalité internationale, sur un territoire moins grand que la Bretagne. Ce lopin de terre était le seul refuge pour des rescapés de la Shoah et des réfugiés de pays arabes qui espéraient, en rejoignant les quelque 500.000 juifs qui y vivaient déjà, pouvoir enfin bâtir un avenir sans menace ni pogrom. Délégitimer Israël, c'est nier à ces réfugiés et à leurs descendants le droit de vivre. ». Pas un mot sur ceux qui vivaient et vivent toujours sur ce que ces gens appellent, de manière méprisante, un lopin de terre.
On y trouve évidemment l’habituelle assimilation « Juifs égal Israël » : « Mais on ne peut que se demander si faire d'Israël un État paria n'est pas le substitut contemporain de la familière et ancienne mise au ban des juifs en tant que peuple paria. » ou encore « Confondre Israël avec ses implantations illégales, c'est faire des juifs, de tous les juifs, encore une fois, les grands coupables de l'histoire. ».
Et tout est à l’avenant, la critique obligée du Hamas et de sa soi-disant férule à Gaza, ses intentions exterminatrices, mais pas celles du sionisme ainsi le texte évoque seulement les « menaces trumpistes de nettoyage ethnique », comme si le nettoyage n’avait pas déjà commencé et viré au génocide. Le mot « génocide » est d’ailleurs totalement absent de ce texte, même pour le critiquer. Les mots « Palestine » ou « Palestinien » n’y figurent pas non plus, ce qui est une volonté évidente de contribuer à leur effacement. Ce texte, derrière sa volonté de cacher que le problème dans le fait d'être un Juif sioniste ce n'est pas « Juif », mais « sioniste » est clairement un soutien au colonialisme de remplacement d'un peuple par un autre, à la dépossession des Palestiniens, au nettoyage ethnique et au génocide. Et il utilise l’habituel subterfuge des dirigeants sionistes : défendre l’occupant en le faisant passer pour victime.
Il est aussi le signe d’une inquiétude des intellectuels sionistes devant le discrédit mondial dont Israël est l’objet, qui ne cesse de grandir, devant la mobilisation des travailleurs et des peuples en soutien des Palestiniens et de leur résistance.
En conclusion
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, ce qui compte c’est la Résistance héroïque du peuple palestinien et la solidarité active des travailleurs du monde. Il faut donc continuer d’exiger le retrait total des forces d’occupation et de colonisation de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem. Mais, cela ne saurait suffire.
Une paix juste, c’est le démantèlement des colonies, le retour des réfugiés et un État palestinien indépendant. L’existence d’un État colonial empêche une telle paix. Les travailleurs d’Israël ne peuvent être libres s’ils ne rompent pas avec le sionisme et continuent de se trouver objectivement et activement dans le camp des colonisateurs. La solidarité avec la Palestine ne peut se contenter de phrases générales sur la paix. Cela nécessite un État où tous les habitants jouissent des mêmes droits et puissent vivre ensemble, quelle que soit leur origine, en l’occurrence, un État palestinien démocratique. De même, la lutte de libération nationale du peuple palestinien n’a pas besoin de compassion, mais d’un réel soutien politique et d’actions de solidarité internationaliste. Et pour la France, où les Révolutionnaires, comme ailleurs, doivent combattre leurs capitalistes, cela commence par la lutte politique contre le soutien de l’impérialisme français à l’entité coloniale sioniste.
Le Parti Révolutionnaire Communistes, après la trêve et la poursuite du massacre en Cisjordanie, soutient plus que jamais les revendications fondamentales du mouvement de libération nationale palestinien : fin intégrale de l'agression militaire sioniste, droit au retour des réfugiés et formation d'un État palestinien sur le territoire de la Palestine mandataire.