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N° 930 19/06/2025  Diversion et élargissement du conflit
La tentative d’élargissement du conflit ou, au minimum, de diversion de la part de l’entité sioniste, ne fonctionne que pour celles et ceux qui l’attendaient depuis longtemps. A tel point qu’ils se sentaient obligés, étant donnée la réprobation mondiale des peuples dont fait désormais l’objet l’État colonial sioniste, de condamner, ne serait-ce que du bout des lèvres, le génocide, ou plutôt « Netanyahu d’extrême-droite ». L’attaque unilatérale contre l’Iran n’a pas soulevé le moindre enthousiasme parmi les peuples du monde, au contraire, une forte réprobation, alors que la riposte a fait danser dans les rues nombre de citoyens du monde arabe et d’ailleurs. Mais elle a permis à tout un tas de « consciences de gauche », en France, de passer à autre chose et à Macron de reporter pour des raisons « logistique et sécuritaires » la conférence à l’ONU sur la reconnaissance d’un Etat palestinien ce qui avait été fortement condamné par Nétanyahu. On redouble de diatribes contre « le régime des mollahs », le prétexte fallacieux de la bombe est désormais abandonné, la vérité crue apparaît, il s’agit d’une tentative, avec probablement la complicité d’une partie de la Bourgeoisie iranienne, de changer le régime à Téhéran.
Le Parti Révolutionnaire Communistes n’est pas un afficionado du régime iranien, pas plus ni moins que de tout autre régime capitaliste. Nous avons écrit dans notre communiqué concernant l’agression sioniste contre l’Iran : « Le Parti Révolutionnaire Communistes n’a pas de sympathie particulière pour l’État iranien, un pays capitaliste au sein du système impérialiste. Nous avons dit, à plusieurs reprises que nous ne croyions pas à un prétendu Axe de la Résistance. Nous apportons notre soutien aux organisations armées de la Résistance palestinienne, libanaise ou yéménite. Mais nous savons que, quelle que soit la volonté réelle de certains dirigeants iraniens de défendre les Palestiniens, il y a derrière cela des velléités de puissance impérialiste régionale. ». Mais, comme disait Lénine : « Seule la vérité est révolutionnaire ». Et la vérité, c’est que les sionistes ont agressé un État non belligérant, que leur volonté est de permettre l’élimination des fers de lance de la politique anti USA de l’Iran, notamment les Gardiens de la Révolution, et que tout cela a pour but de remodeler le Moyen-Orient au profit de l'impérialisme États-uniens, de son fondé de pouvoir, l'entité sioniste et aussi de faire oublier le génocide à Gaza.
Force est de constater que, si le monde médiatique a repris l’offensive, défendant unanimement l’État colonial sioniste, la gauche, nous rejoue le bal des bien-pensants. De LFI au PS, tout un monde se fend d’une condamnation du régime iranien, ce sont les mêmes qui avaient condamné, non pas la Résistance palestinienne plurielle, mais le Hamas, comme s’il était seul, affublé de l’adjectif toujours utilisé par les colonialistes pour désigner une résistance armée : terroriste.
 
Détournement de la lutte pour la libération de Georges Abdallah
Ce retour aux sources n’est finalement pas étonnant, quand on observe ce qui se joue autour de la solidarité avec la Palestine en France. Si le nombre de manifestants n’est toujours pas à la hauteur de de ce qu’il devrait. Les initiativesen France prennent de plus en plus une tournure antisioniste, comme celles de Belgique, des Pays Bas ou du Royaume Uni, et ça ne plaît pas à tout le monde.
L’exemple de la manifestation du 14 juin dernier, à Paris, est éloquent. La manifestation, à l’initiative de la Campagne Unitaire pour la Libération de Georges Ibrahim Abdallah(CUPLGIA) est déposée depuis le mois de février, elle a lieu sciemment à quelques jours du nouveau procès devant statuer sur la libération de Georges, le 19 juin. Or, depuis le début de la semaine du 9 juin, un certain nombre d’organisations dont cinq syndicats au réveil plus que tardif et des organisations politique de gauche tardives ou déjà engagée depuis longtemps dans la bataille, comme LFI, appellent à manifester, à la même heure, dans le même lieu (la place de la République) sans mentionner la libération de Georges Abdallah, il s’agit d’une véritable tentative de kidnapping de la manifestation, de détournement de son objet.
Il ne s’agit pas seulement, pour la CGT, la CFDT, Solidaires, l’UNSA et la FSU d’apparaître dans un combat où on les attend depuis belle lurette. Il ne s’agit pas seulement, pour LFI de tirer des avantages politiciens de leur engagement au côté des Palestiniens. En bref, tout cela n’est pas motivé que par la récupération. Les mots d’ordres des syndicats et partis de gauche sont ceux du Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI). Le nom même de ce collectif est tout un programme, celui de la mise sur le même plan des Palestiniens colonisés et des « Israéliens » colons. Bien entendu, on y retrouve la critique de « Netanyahu d’extrême droite », déclinée à toutes les sauces et non du sionisme, ce mouvement porteur de la colonisation de substitution, et la sempiternelle « solution à deux États ». On y évoque le droit au retour des réfugiés, mais sans dire comment ceux qui sont partis, en 1948, de Haïfa, d’Acre ou de Jaffa (aujourd’hui quartier de Tel Aviv) pourront retourner chez eux dans l’État colonial sioniste maintenu.
 
L’antisionisme au cœur du clivage
Les divergences sont fondamentalement politiques : soit on s’en tient à un message humanitaire, de solidarité avec les Palestiniens de Gaza qui souffrent l’intolérable, qui sont victimes d’un génocide, soit on pointe la cause du mal, le colonialisme dans sa version sioniste de substitution ou de peuplement. Dans un cas, on peut demander une paix illusoire qui n’arrêtera pas le massacre des palestiniens, dans un autre on ne peut que conclure que la disparition de l’entité sioniste colonisatrice est le préalable à toute paix « juste et durable », qui ne soit donc pas une « paix coloniale », comme celle des Accords d’Oslo.
Or, la manifestation du 14 juin a eu une teneur fortement antisioniste, et pas seulement dans le cortège de la Campagne Unitaire. Cette part de plus en plus importante prise par les militants révolutionnaires dans la lutte de solidarité avec la Palestine s’exprime au plus haut dans le mot d’ordre de libération de Georges Abdallah, un militant communiste, qui ne renie rien de ses engagements et qui soutient la Résistance Palestinienne armée, ce que ne font pas les partis de gauche en France, encore moins les syndicats.
Les positions générales de la gauche et des syndicats, y compris de ceux qui ont les positions les plus avancées, LFI, se résument à leur condamnation de la Résistance Palestinienne et de la journée de résistance que fut le « Déluge d’Al-Aqsa » et à leur refus de condamner l’État sioniste comme source du problème, et par voie de conséquence, une condamnation de la colonisation qui ne dépasse pas les mots. Clairement, ces positions pèsent, en ce sens qu’elles ne permettent pas d’élargir la mobilisation, faute de compréhension des enjeux réels. S’il est certain que LFI a contribué de manière non négligeable au renforcement de la mobilisation au moment de la flottille de la liberté et le kidnapping de son équipage par les sionistes, ce renforcement reste limité, pour les raisons que nous avons données plus haut.
 
La question coloniale est intimement liée à la question nationale
Il y a globalement beaucoup de brouillages qui empêchent la compréhension claire de l’enjeu, ils viennent aussi de certains militants dits « d’extrême-gauche » qui parlent de « fraternisation entre prolétariat israélien et prolétariat palestinien » et se refusent à condamner le sionisme. Tout cela parce qu’ils ne conçoivent pas le concept de nation qui, pour eux n’est qu’une « coquille vide » (Rosa Luxembourg et les « Communistes de Gauche » tancés par Lénine dans « La maladie infantile ») ou systématiquement réactionnaire, d’où, par exemple un refus critiquer l’Union Européenne (Lutte Ouvrière). S’il existe bien un prolétariat dans l’entité sioniste, il est composé pour l’essentiel de Palestiniens, citoyens ou non de l’État colonial, de travailleurs venus de divers pays asiatiques (Inde, Thaïlande, Philippines, etc.) et de Juifs éthiopiens. Si tant est que des descendants d’émigrants européens en soient partie prenante, ils ne sont pas prolétaires, ils sont colons. Le prolétariat, disait Marx, n’a que ses chaines à perdre. Or les colons d’origine européenne n’ont pas que leurs chaînes à perdre, mais leur statut de colon.
La question palestinienne est l'expression de ce qu'on a appelé depuis le XIXe siècle la question nationale, une question primordiale que les marxistes ont profondément transformée en parvenant à élaborer une théorie matérialiste et historique de la nation. En réalité, la question coloniale relève sans conteste de la question nationale, on ne peut séparer l'une de l'autre dans ce grand mouvement historique d'émancipation des peuples. De même qu'on ne peut séparer l'attitude du mouvement ouvrier envers les colonies et les nations opprimées des intérêts présents et futurs qu'il défend dans son long combat pour transformer les sociétés occidentales.
Dans une conférence donnée au Centre Universitaire d’Etudes Marxistes, sur les rapports entre le marxisme et la Palestine, Patrick Bobulesco rappelle les fondamentaux : « Les communistes du premier État socialiste ont donc été les premiers à mettre en lumière la liaison du problème national avec celui de l'émancipation des peuples des colonies, à mettre en avant le mot d'ordre du droit des colonies à se séparer des métropoles, à former des États indépendants. Et ce véritable internationalisme, celui du mouvement communiste, ne pouvait rester formel et purement verbal : l'Internationale communiste, la IIIe Internationale dicta ainsi à ses sections des métropoles impérialistes, dans sa 8e condition adoptée à son IIe congrès en 1920, l'obligation de mener et de diriger la lutte anticoloniale, puisque la victoire du prolétariat dans ces métropoles ne pouvait être solide sans la destruction du rapport colonial, sans l'affranchissement des colonies et des nations opprimées qui ne devait pas être vu comme un horizon lointain. La direction soviétique et le Komintern argumentaient que même si telle ou telle lutte nationale n'avait pas encore eu le temps de se libérer des influences nationalistes bourgeoises, ne s'était pas encore dégagée des conceptions de l'ancien mouvement bourgeois d'émancipation nationale, l'important était qu'il s'agissait dorénavant et stratégiquement d'une lutte contre le système de l'impérialisme, mettant parfois en action des forces insoupçonnées, et que ce mouvement historique devrait immanquablement aboutir à son terme logique. ».
 
Le sens profond de la question palestinienne et sa perception en France
C’est tout cela que beaucoup de militants de « gauche » ou qui se disent révolutionnaires n’arrivent pas à concevoir. C’est bien leur rapport au concept de nation qui est biaisé. Mais aussi leur rapport au réel de la Palestine.
De manière générale, la vision du peuple palestinien qui s'impose au fur et à mesure qu'un courant de solidarité grandit en France est en fait celle, réductrice, d'un peuple victime d'une domination injuste et non celle d'un peuple luttant pour sa libération. Ce statut de victime tragique joue sur l'émotion mais contribue peu à comprendre l'essence de la « question palestinienne ». La résistance en Palestine est d'ailleurs louée tant qu'elle en reste à des formes pacifiques, la « gauche française » ayant cette fâcheuse prétention de vouloir décider à la place des peuples et de leurs avant-gardes des formes de lutte à employer pour se défaire du colonialisme, du moment à saisir pour déclencher l'offensive et des alliances qu'il convient de passer pour vaincre.
Incomprise également, la nature profonde de la « cause palestinienne ». Le soutien à la Palestine n'est pas seulement le soutien à une cause juste ou une question de prise de parti sur une lutte qui nous serait extérieure. Pourtant, tout échec, tout affaiblissement même de l'oppresseur sioniste constitue un recul de la domination impérialiste au niveau mondial, toute avancée de la cause palestinienne constitue un point d'appui à la lutte anti-impérialiste au niveau mondial. Cela peut se résumer à cet extrait du Manuel stratégique de la Palestine et du Moyen Orient, de Saïd Bouamama : « le Moyen-Orient est par cette situation géostratégique un condensé des contradictions mondiales. […] C'est ce qui fait, hier comme aujourd'hui, le drame du peuple palestinien, mais aussi la grandeur de sa résistance. C'est aussi ce qui confère une centralité anti-impérialiste mondiale à la lutte du peuple palestinien. ».
Pour terminer, voici la remarquable conclusion de la conférence de Patrick Bobulesco : « Fortement handicapé par la faiblesse historique à gauche de l'anticolonialisme et de l'anti-impérialisme en France, si un large courant de solidarité avec le peuple palestinien a pu tout de même se développer, ce soutien est resté très dépendant d'une rhétorique surtout humanitaire, d'une unique dimension morale, d'une sympathie pour un peuple martyr et d'une compassion qui fait siennes les souffrances du peuple palestinien mais peine à comprendre les racines politiques profondes de l'entreprise sioniste de conquête de la Palestine. La véritable solidarité avec le peuple palestinien exige d'abandonner cette vision passive et victimaire pour le reconnaître comme un peuple acteur de sa propre histoire, en lutte contre le sionisme, l'impérialisme et la réaction, pour sa libération nationale, un long combat dont nous devons reconnaître la centralité et le caractère stratégique pour notre propre émancipation. ».