704-16/02/2021 Écrite par Karl Marx le 30 mai 1871 quelques jours après la semaine sanglante, il s’agit de l’une des adresses du Conseil Général de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) qu’il a rédigée.
Ces adresses sont des textes destinés aux sections et fédérations de l’AIT et également aux journaux de l’époque.
Marx précise d'emblée que la Commune a conduit la bataille même si elle ne savait pas si elle la gagnerait et -dit-il- c’est ainsi qu’il faut agir.
Dans une première partie, il résume les faits : proclamation de la République à Paris le 4 septembre 1870 après la défaite des armées françaises, capitulation de Paris et armistice, prise du pouvoir par le prolétariat le 18 mars 1871, proclamation de la COMMUNE le 22 mars 1871, élection du Conseil de la Commune le 26 mars et en parallèle préparation par Thiers de l’élection d’une assemblée nationale habilitée à signer la paix.
Dans la seconde partie il explique les différentes tentatives de la bourgeoisie et de son gouvernement (Thiers) pour désarmer le prolétariat parisien et chasser la Commune, leurs échecs et pour finir le « sauve qui peut » à Versailles. Il souligne que l’attitude de la Garde nationale constituée essentiellement d’ouvriers a été purement défensive.
Dans la troisième partie de son texte, celle sur laquelle nous insisterons, Marx décrit ce qu’a été la Commune, ses décisions jusqu’à sa défaite lors de la semaine sanglante du 21 au 27 mai 1871. Il précise que la Commune entend abolir la propriété capitaliste et foncière et qu’il s’agit de la première prise du pouvoir par le prolétariat.
Pour Marx la révolution bourgeoise de 1830 transfère le gouvernement des propriétaires terriens (les anciens féodaux) aux capitalistes proprement dit, capitalistes qui sont les adversaires les plus directs des ouvriers. L’antagonisme entre les classes des appropriateurs et celles des producteurs devient plus apparent. « Le pouvoir d’État prenait de plus en plus le caractère d’un pouvoir public organisé aux fins d’asservissement social »(2) . Le caractère répressif de l’appareil d’État est de plus en plus évident . Ainsi en février 1848, proclamation de la seconde République, la bourgeoisie, pour prendre le pouvoir (comme en 1789 et en 1830) a besoin des prolétaires. Mais lorsque ceux-ci veulent faire valoir leurs revendications, la répression contre eux est violente (juin 1848). Le second Empire poursuit cette politique de répression. « La Commune fut la forme positive de cette république : la République sociale, l’antithèse de l’Empire »(3) .
Autrement dit l’idéologie bourgeoise présente l’État comme au dessus de la société donc indépendant de cette société d’exploitation. Mais il est l’État de cette société, l’appareil de domination d’une classe, celle des exploiteurs, sur une autre classe, celle des exploités.
Pour lui le premier point essentiel est donc la prise du pouvoir par le prolétariat, ce que fit la Commune.
La Commune est dirigée par des prolétaires ou leurs représentants reconnus par eux. Dès sa création et au fur et à mesure des besoins de la population, elle prend des mesures de protection :
• suppression des loyers impayés d’octobre 1870 à avril 1871
• suspension des poursuites pour échéances non payées
• pensions versées aux blessés, veuves, orphelins des Gardes nationaux
• réquisition des logements vacants pour y loger les victimes des bombardements allemands et versaillais
• création de cantines municipales et distribution de repas
• etc...
Mais cela ne suffit pas. Marx explique longuement qu’il ne s’agit pas de la vieille lutte contre les excès de la centralisation mais d’une véritable rupture avec l’État bourgeois moderne en organisant le pouvoir de la classe ouvrière. Il précise que cette destruction du pouvoir d’État ne détruit pas l’unité de la Nation, contrairement à la propagande des Versaillais.
Au delà de la prise du pouvoir Marx développe cette question de l’État : il l’a déjà abordée dans le 18 brumaire mais la Commune de Paris va beaucoup enrichir sa réflexion. Il le notera lui-même dans la préface de 1872 qu’il cosigne avec Engels, à une réédition allemande du Manifeste, ils écrivent(4) « ce programme est aujourd’hui périmé sur certains points. La Commune notamment, a démontré que la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et de la faire fonctionner pour son propre compte ». Cette préface écrite au lendemain de la Commune montre bien que la pensée de ces deux militants évolue au fur et à mesure des faits politiques mais sans altérer les principes généraux qui fondent leur action.
Pour Marx et Engels, il ne s’agit donc pas seulement de prendre le pouvoir, il faut BRISER l’État bourgeois
« Tandis qu’il importait d’amputer les organes purement répressifs de l’ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait une prééminence au-dessus de la société elle-même(5) » .
Qu'a fait la Commune ? L'application de toutes ces mesures n'a pas toujours été approfondieétant donnée la courte vie de la Commune (2 mois)
Elle détruit l’appareil répressif de l’État bourgeois :
• elle abolit l’armée permanente et la remplace par le peuple en arme (Garde Nationale composée essentiellement d’ouvriers)
• la justice elle même devient indépendante du pouvoir
• elle dépouille la police qui perd ses accointances avec les « riches »
• Elle détruit le système représentatif ancien etédicte des mesures visant le développement de la démocratie directe et de la citoyenneté :
• les conseiller municipaux sont élus, responsables et révocables, le mandat devient impératif et sous le contrôle des citoyens. Cette mesure vise à développer la démocratie directe
• pour libérer les fonctionnaires de l'emprise des dirigeants, ils sont eux aussi élus et ne peuvent recevoir un salaire supérieur à celui des ouvriers
• Elle reprend la déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1793 avec droit à l’insurrection
Dans son adresse du Conseil Général à l'Association Internationale des Travailleurs (AIT), Marx écrit(6) : « son véritable secret, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ». On trouve la même idée dans sa lettre à Kugelmann du 12/04/1871 « la détruire [la machine bureaucratique et militaire] condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent(7) » .
Gouvernement de la classe ouvrière, la Commune va prendre des mesures pour protéger les ouvriers:
• travail de nuit interdit dans les boulangeries
• interdiction des amendes et prélèvements patronaux sur les salaires
• réquisition des ateliers abandonnés, transformés en coopératives ouvrières (sur cette question des coopératives Marx donnera essentiellement son opinion dans son texte sur le Congrès de Gotha(8) ) avec élection de conseil de direction élu pour 15 jours
Pour l'émancipation des femmes:
• reconnaissance de l'union libre (y compris pour percevoir une pension), du divorce par consentement mutuel
• début de l'égalité salariale
On perçoit aussi la volonté de la Commune d’agir sur l’idéologie en brisant l'oppression religieuse:
• elle décrète la sécularisation des biens du clergé et la suppression de leurs écoles
• elle décide l'enseignement laïque, gratuit et développe les écoles pour les filles
• elle adopte la séparation de l'Église et de l'État.
On ne peut pas dire grand chose de la Constitution proposée par la Commune (la Constitution Communale). N’ayant pas été mise sur pied, il est difficile d’en avoir une idée claire. Pour Marx il s’agit du gouvernement de la classe ouvrière, résultat de sa lutte.
Ainsi, pour Marx et Engels, la Commune de Paris fut un événement majeur en ce sens que pour la première fois dans le monde, était mise en cause la domination de la bourgeoisie par une révolution de type prolétarienne. Le caractère de cette révolution, malgré son échec, a marqué et marque encore profondément l'histoire du mouvement ouvrier au plan national et international en ce quelle porte des questions fondamentales sur la nature de l'État et de la conquête du pouvoir. C'est aussi dans ce sens que nous sommes les continuateurs de la Commune de Paris.
(1) Karl Marx, La guerre civile en France, 1871 Éditions Sociales, 1968
(2) ibid p.60
(3) ibid p.62
(4) p.75 de l’édition du Manifeste de 1976 aux éditions sociales
(5) ibid p. 65
(6) Karl Marx, La guerre civile en France, 1871 Éditions Sociales, 1968
(7) ibid p.60
(8) ibid p.62