N° 822 22/05/2023 "On n’est arrivé nulle part tant qu’on n’y est pas arrivé". Sagesse populaire
Valses étourdissantes : des milliards sont dégagés pour l’industrie dite verte, les titres financiers aussi se verdissent avec les obligations vertes,
il faudrait changer tous nos modèles de pensée car il en va de la sauvegarde de l’humanité, de la civilisation et ... de l’ours blanc. Les dirigeants du capitalisme mondial nous assènent que les scientifiques n’ont aucun doute sur les responsabilités humaines dans les changements climatiques observés et sont tous d’accord. Ce serait une première dans l’histoire des sciences donc forcément même les cartésiens les plus fervents se garderont de cultiver le doute méthodique.
Dans son ouvrage "La Stratégie du choc"[1], d’un grand intérêt documentaire, Naomi Klein mettait en lumière l’usage des catastrophes pour imposer des choix néfastes aux populations, que ce soit à la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina ou au Sri Lanka après un tsunami. D’évidence, le réchauffement climatique, la méga catastrophe en cours, permet de déployer une stratégie d'une plus grande ampleur et d’un grand cynisme dans lequel excellent les pompiers-pyromanes.
Pour en discerner les principaux éléments, il paraît utile de rappeler quelques notions de base : Le capitalisme est un système économique et social dont la finalité est sa propre reproduction à l’infini, l'extraction de la plus-value par l'exploitation du travail salarié et l'accumulation du capital. Un penseur de la gauche américaine ironise même sur le sujet en indiquant que la fin de l’humanité est plus probable aujourd’hui que la fin du capitalisme.
Le capitalisme cherche à étendre ses zones d’activités et donc de profits et par suite pousse à une marchandisation de tout l’espace social et tout particulièrement de tout ce qui constitue la protection sociale.
Les progrès des technologies informatiques et le développement de produits financiers de plus en plus complexes ont permis une rotation planétaire accélérée du capital sous forme financière c'est un des éléments importants du processus de globalisation.
Le capitalisme est concurrentiel, ce qui n’empêche pas des alliances circonstancielles. Les acteurs monopolistes se disputent les marchés finaux, les voies d’accès matérielles et immatérielles, les forces de travail les moins onéreuses, les matières premières, la matière grise, bref tout ce qui concourt à assurer une rentabilité maximale du capital[2].
Les États ont délégué des fonctions de régulation à des instances " professionnelles" inter- et/ou supra-étatiques en particulier en matière comptables, financières et même juridiques qui amenuisent leurs prérogatives. Ils sont soucieux de défendre les intérêts capitalistes à base nationale y compris hors de leurs frontières dans le cadre d’un affrontement au sein du système impérialiste. Actuellement l’affrontement majeur a lieu entre les États-Unis et la Chine[3].
Voilà donc ce système capitaliste qui provoque les souffrances des peuples, censé sortir l’humanité de la nasse climatique. De fait, la transition dite verte s’effectue, pour ses promoteurs et d’après notre compréhension à système économique inchangé.
Prenons le point 1 : Une petite musique autour de l’intelligence artificielle conduit à former des scénarios de dystopies[4] auprès desquels "Soleil vert" passerait pour une aimable pastorale et "Matrix 1", une gentille bluette. Le système capitaliste s'arrogerait le droit à une existence perpétuelle par la dictature contre la volonté populaire.
Point 2 : aujourd’hui, il existe un marché carbone autrement dit un marché de droits à polluer. Des économistes en cour nous expliquent la plus grande efficacité de ce marché plutôt que des réelles taxations des pollueurs. Les traders sur ces marchés sont évidemment d’accord avec le marché carbone qui ouvre des voies royales à la spéculation financière. Dans le même ordre d’idées, est-il nécessaire de rappeler la captation du vivant par les grandes firmes de l’agrochimie comme, par exemple la possibilité de breveter le génome humain. Dans le cadre de la transition verte, il est aisé d’imaginer la justification de la marchandisation complète d’activités publiques comme la santé, l'école... pour les limiter et/ou les privatiser car marquées du sceau de l’infamant label climaticide.
Point 3 : les dérèglements financiers, à l’instar des dérèglements climatiques, mettent en péril bien des populations. L’instabilité financière reste le garant de profits maximaux pour les uns, les capitalistes et de déboires pour les autres, les salariés qui sont les acteurs de l’économie dite réelle et qui produisent les biens et les services. La transition verte s’entend comme une stratégie de long terme appuyée par des investissements lourds. Est-ce possible avec l’épée de Damoclès d’une crise financière internationale ou par exemple, les capitaux fuient brutalement un pays ?
Point 4 : le changement climatique est planétaire et demande donc pour le contrer de la coopération internationale. Est-ce besoin de rappeler les tensions internationales actuelles ? Les besoins en matières premières utiles à la transition dite verte (cobalt, lithium, aluminium, terres rares etc.) sont immenses au regard des ambitions affichées. Pour mémoire, 60% des réserves mondiales de coltan[5] se trouvent en République Démocratique du Congo qui dispose aussi d’autres ressources. Un pays qui souffre depuis 30 ans sans discontinuer des affres des conflits alimentés par l'impérialisme. Cela peut-il laisser présager d’une pacifique transition verte !?
Point 5 : qui va définir la transition verte ? Par exemple, brûler une forêt pour développer des champs de palmier à l’huile, huile qui sera transformée en bio carburant très recherché en particulier par les compagnies d'aviation pour abaisser leur impact carbone et donc échapper à des achats de droit à polluer sur le marché carbone, est-ce à inclure dans la transition verte ?
En ce qui concerne la taxonomie européenne[6], les lobbies se sont affrontés pour défendre leur couleur (pas tout à fait verte). Ainsi le gaz naturel (du méthane), dont la combustion produit du gaz carbonique CO2 a obtenu un traitement favorable. L’Allemagne a obtenu ce traitement car cela représente pour elle un enjeu énergétique colossal pour son industrie et, dans le même temps, ne s’est pas gênée pour remettre en cause la fin des moteurs thermiques à l’horizon 2035 sous prétexte de la production d’un carburant vert. Le vaste plan de l’administration Biden (Inflation Reduction Act[7]), qui privilégie les produits verts made in USA, fait trembler l’Union européenne qui tente une riposte sans en appeler à l’Organisation Mondiale du Commerce dominée par les États-Unis. L’Union sacrée contre le dérèglement climatique est décidément un rude combat !
Malgré les quelques doutes quant à la capacité de mener une transition verte assez indéfinie dans le fond à système économique inchangé, les populations sont sermonnées au sujet des responsabilités partagées en termes de changements climatiques. Il ne nous semble pas que la jeune femme bengali, qui travaille pour une misère dans un sweatshop local (atelier clandestin, mais bien connu des grandes marques), ait une part de responsabilité dans les milliers de kilomètres effectués par son travail avant d’être acheté par un client occidental dont le salaire est justement en adéquation avec le prix proposé, produit dont les capitalistes tirent un profit considérable du fait de la surexploitation de cette jeune femme...et des millions d'autres dans des conditions semblables!
En guise de consolation, nous pourrions affirmer que si tout le monde est responsable, plus personne ne l’est plus vraiment. La dilution des responsabilités fait partie de la telling story (la mise en récit) de la transition verte qui n’hésite pas à s’appesantir sur des thématiques anxiogènes avec des effets documentés en particulier dans la jeune population. La société du spectacle déploie une faste austérité pour remporter l’adhésion des populations à la transition dite verte. Le plus extraordinaire : la mise en vedette de la sobriété, nouvel impératif catégorique. Il est pourtant clair que la sobriété est un luxe que tous ne peuvent pas se permettre puisque pour une partie des populations, la sobriété forcée est déjà précisément leur mode de vie.
La transition capitaliste dite verte est en fait un puissant levier pour la recomposition du capital avec des aides massives des États pour ouvrir de nouveaux marchés captifs, comme la voiture et le tout électrique. Dans tout cela l’urgence sociale réelle est le cadet des soucis des patrons et de leur État. Ce qu'ils nomment l’urgence climatique n'est qu'un prétexte pour mieux exploiter les salariés. Dans le système actuel, les dégradations des conditions de vie du monde du travail sont à prévoir du fait d'une transition verte qui sert de cache-sexe à une volonté de perpétuer le régime d'exploitation capitaliste. A cette aune, la transition verte est bel et bien une vaste fumisterie et une opération anti-sociale de grande ampleur.
[1] Naomi Klein, La stratégie du choc : La montée d'un capitalisme du désastre, 2013, Actes Sud Éditeur.
2 Voir Lénine : L'impérialisme stade suprême du capitalisme. Pour un guide de lecture cliquez ici
3 https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/monde/1460-le-centre-des-affrontements-au-sein-de-l-imperialisme-se-deplace-vers-la-zone-asie-pacifique
4 Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre.
5 Le coltan est un minerai de couleur noire ou brun-rouge dont on extrait le niobium et le tantale.
6 La taxonomie européenne désigne une classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l'environnement