N° 907 09/01/2025 Les récents événements politiques qui vont des élections européennes à la constitution du gouvernement Bayrou en passant par la dissolution de l'Assemblée Nationale, les élections législatives anticipées et le gouvernement Barnier constituent des éléments d'une crise politique dans le contexte d'une situation économique et sociale nationale et internationale difficile et conflictuelle.
Lors de notre IXéme congrès,[1] nous avons analysé l'évolution de la situation nationale et internationale, rappelé cette analyse lors de la rencontre récente à Bruxelles de partis Communistes et Ouvriers d'Europe[2] à l'initiative du Parti Communiste de Grèce. Nous avons montré que les affrontements au sein même de l'impérialisme s'exacerbent conduisant à des guerres de haute intensité comme c'est le cas en Ukraine[3], des guerres régionales hybrides ou non, des guerres commerciales, sans compter le génocide colonial organisé contre le peuple palestinien par l'entité sioniste[4] : " En France comme dans le monde : un capitalisme de plus en plus dur, autoritaire, répressif et belliciste. Partout, le capital veut accroître son terrain de chasse. En concurrence féroce dans la guerre de repartage des marchés et des ressources naturelles les pays capitalistes se font une concurrence sans merci pour capter les "sources" de profits, pour plus d’exploitation des travailleurs, plus d’oppression des peuples, plus de domination des Etats et des territoires, plus de guerres, de pillages. Les concurrences qui s’exacerbent entre les puissances capitalistes et les conflits au sein de l'impérialisme rendent la situation internationale particulièrement dangereuse. Les effets se font ressentir sur tous les peuples et enclenchent un dangereux processus de réarmement. 2022 et 2023 sont marquées par des luttes et des révoltes ouvrières, paysannes et populaires importantes, des grèves et des manifestations dans le monde contestant le système capitaliste. Le capital doit aller plus loin et plus vite dans la course au profit. Macron est au pouvoir pour accélérer cette mise en œuvre de la politique du capital ".
C'est dans ce contexte qu'en France, les affrontements de classe se sont développés tout particulièrement contre la réforme des retraites, et plus généralement, contre la politique de liquidation des conquêtes sociales menée par la classe capitaliste et ses fondés de pouvoir au sommet de l'État. Toutes ces luttes, des gilets jaunes à celles des salariés pour les salaires, l'emploi et les retraites, en passant par une partie de la paysannerie ont conduit à ce que le mécontentement profond des classes populaires se traduise par la crise politique issue des récentes élections européennes et législatives. Si ce mécontentement se cristallise aujourd'hui dans un vote de rejet absorbé par le Rassemblement National, il n'empêche que, comme le constate amèrement l'éditorial du journal Les Echos des 3-4 janvier, sous le titre : Un consensus minimal à trouver : " Chez nous, il [le débat] est plus large et plus profond. Il porte aussi sur le fonctionnement de l'économie. Une partie des Français reste tout bonnement opposée aux règles les plus simples de l'économie de marché, du capitalisme et de l'Europe." Il s'agit là clairement du constat lucide que la situation actuelle a bien pour racine la réalité économique et sociale et l'état de la lutte des classes.
La crise politique que nous vivons est donc bien le reflet d'une crise plus profonde qui touche les choix stratégiques du capitalisme en France, en Europe et dans le monde. Ce constat nous amène à revenir et à examiner avec attention la question de l'État à ce stade du développement du capitalisme dans sa forme impérialiste, au risque d'en rester à l'écume des choses : celles des débats politiciens sur les capacités ou non des forces politiques parlementaires, de trouver des compromis et/ou de penser que l'issue à la crise pourrait se trouver dans la démission du Président de la République, ouvrant ainsi un nouveau cycle d'élections et d'équilibres politiques...mais pourquoi faire s'il s'agit de rester dans le système capitaliste et dans la logique de son appareil politique ?
Revenir à la question de l'État, c'est d'abord rappeler le point de vue de Marx, Engels[5] et Lénine et de leurs critiques des courants opportunistes sur cette question décisive[6]. S'appuyant sur les travaux de Marx et Engels, Lénine dans son ouvrage " l'État et la révolution " cite longuement F. Engels dans : " L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État ". L'État, dit Engels en tirant les conclusions de son analyse historique : " n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société ; il n'est pas davantage "la réalité de l'idée morale", "l'image et la réalité de la raison", comme le prétend Hegel. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'"ordre"; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État".
De cette analyse et des expériences historiques des processus révolutionnaires et tout particulièrement ceux de la commune de Paris et de la Révolution socialiste d'Octobre, Lénine, comme Marx et Engels développe la thèse que le changement révolutionnaire de la société passe par la destruction de l'État de la domination de la classe capitaliste et la constitution dans une phase transitoire vers le communisme d'un État de la dictature du prolétariat constitué en classe : " Le prolétariat a besoin de l'État — tous les opportunistes, les social-chauvins et les kautskistes le répètent en assurant que telle est la doctrine de Marx, mais ils "oublient" d'ajouter, premièrement, que d'après Marx, il ne faut au prolétariat qu'un État en voie d'extinction, c'est-à-dire constitué de telle sorte qu'il commence immédiatement à s'éteindre et ne puisse pas ne point s'éteindre. Deuxièmement, que les travailleurs ont besoin d'un "État" qui soit le "prolétariat organisé en classe dominante". L'État est l'organisation spéciale d'un pouvoir ; c'est l'organisation de la violence destinée à mater une certaine classe. Quelle est donc la classe que le prolétariat doit mater ? Évidemment la seule classe des exploiteurs, c'est-à-dire la bourgeoisie. Les travailleurs n'ont besoin de l'État que pour réprimer la résistance des exploiteurs : or, diriger cette répression, la réaliser pratiquement, il n'y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu'au bout, seule classe capable d'unir tous les travailleurs et tous les exploités dans la lutte contre la bourgeoisie, en vue de la chasser totalement du pouvoir. Les classes exploiteuses ont besoin de la domination politique pour maintenir l'exploitation, c'est-à-dire pour défendre les intérêts égoïstes d'une infime minorité, contre l'immense majorité du peuple. Les classes exploitées ont besoin de la domination politique pour supprimer complètement toute exploitation, c'est-à-dire pour défendre les intérêts de l'immense majorité du peuple contre l'infime minorité des esclavagistes modernes, c'est-à-dire les propriétaires fonciers et les capitalistes."
Lénine considère que l'État du capital est l'organisation spéciale d'un pouvoir ; l'organisation de la violence destinée à mater le prolétariat, il ne le considère pas comme invariable et figé, au contraire, il estime que ses formes varient en fonction du développement du capitalisme mais que fondamentalement il est un État de domination de la classe capitaliste dominante. Ainsi, dans une conférence donnée à l'Université Sverdlov[7] en 1919, il affirme : " La forme que revêt la domination de l'État peut différer : le capital manifeste sa puissance d'une certaine façon là où existe une certaine forme, d'une autre façon là où la forme est autre ; mais, somme toute, le pouvoir reste aux mains du capital, que le régime soit censitaire ou non, même si la république est démocratique ; mieux encore : cette domination du capitalisme est d'autant plus brutale, d'autant plus cynique que la république est plus démocratique. Les États-Unis d'Amérique sont une des républiques les plus démocratiques au monde, mais dans ce pays (quiconque y a séjourné après 1905 l'a certainement constaté), le pouvoir du capital, le pouvoir d'une poignée de milliardaires sur l'ensemble de la société se manifeste plus brutalement, par une corruption plus flagrante que partout ailleurs. Du moment qu'il existe, le capital règne sur toute la société, et aucune république démocratique, aucune loi électorale n'y change rien." Ainsi, si comme l'écrit F. Engels dans : " Socialisme utopique et socialisme scientifique[8] " :" L’État moderne est l’organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures du mode de production capitaliste contre les empiètements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés.", les conditions des changements de forme et de structures de l'État bourgeois sont-elles dépendantes des rapports de classe au plan national et des rapports de force au sein du système impérialiste au plan international. Il en va de la pérennité et de la reproduction de la société capitaliste.
Par exemple en France, sans rentrer dans de longs développements, rappelons que le passage de la IVéme à la Véme République en France a tout à voir avec la montée en puissance du capitalisme monopoliste, à l'accélération de la mondialisation et à la nécessité pour les grandes entreprises capitalistes françaises, avec l'intervention de l'État d'organiser leurs capacités à s'inscrire dans ces processus.
Pas plus qu'il n'est figé dans sa forme, l'État du capital sait mettre en œuvre toutes ses ressources juridiques, politiques et de force pour annihiler la volonté populaire même lorsqu'elle s'exprime dans le cadre défini par la constitution de l'État.
Prenons un exemple, celui de la construction de l'ensemble impérialiste qu'est l'Union Européenne. En 2005, le traité constitutionnel européen qui est un élément clé de l'organisation politique de cette union capitaliste est soumis à référendum. Bien que la plupart des forces politiques parlementaires approuvent ce traité et à contre-courant d'une propagande de masse menée par les media publics et privés, la majorité des électeurs le rejette. Le non l'emporte avec 54,67% des voix. La volonté populaire clairement exprimée est un obstacle à la signature du traité. Bafouant cette volonté, le pouvoir le fait adopter en 2008 par un vote conjoint du Sénat et de l'Assemblée Nationale réunis en congrès à Versailles.
Dans l'actualité immédiate, c'est aussi le problème posé à la classe capitaliste dominante pour mener une politique de super-austérité. Cette dernière doit à la fois accélérer la destruction de toutes les conquêtes sociales, condition sine qua non pour faire baisser le prix de la force de travail pour réaliser leurs profits et accumuler le capital en se plaçant dans la concurrence acharnée que se livrent les monopoles à l'échelle mondiale. Face aux résistances et aux luttes, la question posée est celle de quelle configuration politique permettant de faire accepter ces reculs sociaux en utilisant toutes les ressources de la constitution qui ne manquent pas comme en témoignent le rôle et les prérogatives du Président de la république ainsi que l'utilisation massive récente de l'article 49-3 pour faire passer la réforme des retraites pourtant largement rejetée dans les luttes ce qui a largement déterminé les résultats électoraux récents. Si l'équation politique issue de ces élections apparaît comme complexe, la bourgeoisie a plusieurs fers au feu entre l'option social-démocrate incarnée par une alliance du Parti Socialiste, des Écologistes et d'une partie des forces centristes et de droite et celle d'une option populiste patiemment construite et adoubée par l'idéologie dominante depuis des décennies autour du rassemblement National, sans compter sur une nouvelle version de l'Union de la gauche que tente d'incarner le Nouveau Front Populaire, option qui ne semble pas mûre comme elle le fut au début des années 1980 et qui a permis, dans le cadre constitutionnel de la Véme république, d'accélérer la marche en avant de l'intégration du capitalisme français dans la globalisation capitaliste et l'ancrage dans le dispositif militaire Atlantique de l'OTAN dominé par les États-Unis. Alors, les agitations du théâtre politicien sont dérisoires, comme celles de la France Insoumise de nous vendre comme solution à la crise une VIéme République[9]. S'y pencher c'est mesurer la vacuité de cette VIéme République qui s'inscrivant dans le maintien du système d'exploitation capitaliste et où la suprême audace consiste à définir quelques biens communs (l'eau, l'air, la forêt, l'alimentation, le vivant, la santé et l'énergie) voués à se retrouver dans des pôles publics...exit les nationalisations ! Les capitalistes n'ont aucune raison de s'inquiéter et peuvent continuer à disserter comme le fait le PDG du groupe Les Echos sur : "Les Echos, l'économie de marché et la démocratie[10] " en rappelant qu'économie de marché se traduit par capitalisme et démocratie par pouvoir de la classe capitaliste dominante.
Si nous estimons et c'est le cas pour ce qui concerne le Parti Révolutionnaire Communistes que seule une révolution est capable de mettre fin au système capitaliste prédateur, par essence de l'homme et de la Nature, alors les enseignements de l'histoire montrent comme l'ont analysé Marx Engels dans le Manifeste du parti Communiste que : " La première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie [soit la prise du pouvoir d’État, enjeu décisif de la révolution]".
Cette tâche requiert l'existence et l'action d'un parti révolutionnaire analysant les réalités et le mouvement de la société capitaliste et des rapports de classe en son sein tels qu'ils sont aujourd'hui aussi bien au plan national et international. Ne nous masquons pas les choses, nous sommes aujourd'hui loin du compte mais pour autant, nous ne devons pas être à la traîne de l'histoire, c'est pourquoi, notre Parti Révolutionnaire Communistes entend agir tout de suite dans la reconstruction d'un courant révolutionnaire Marxiste-Léniniste, contribue à rassembler toutes les forces qui agissent déjà aujourd'hui dans ce sens. C'est le sens de la déclaration[11] de son bureau national du 12 novembre 2024 : " cela pose la question du rassemblement des communistes acquis à la nécessité d'un changement révolutionnaire de la société. Si ce dernier est une nécessité, sa construction, de notre point de vue passe par la recherche de pratiques communes dans la lutte de classe au quotidien, par la construction théorique s'appuyant sur une analyse des rapports sociaux et du capitalisme qui les engendre tels qu'ils sont aujourd'hui au plan national et international. C'est à ce travail que s'attache le Parti Révolutionnaire Communistes."
[1] https://www.sitecommunistes.org/index.php/le-parti/congres/2334-parti-revolutionnaire-communistes-9eme-congres-16-et-17-juin-2023-rapport-d-ouverture
[2] https://www.youtube.com/@sitecommunistes/videos https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/europe/3117-lue-des-guerres-imperialistes-de-lexploitation-capitaliste-de-lanticommunisme-et-loeuvre-actuelle-de-lenine-des-etats-unis-deurope
[3] https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/europe/1784-ukraine-la-logique-d-escalade-militaire-en-cours-c-est-celle-des-affrontements-au-sein-de-l-imperialisme
[4] https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/proche-et-moyen-orient/2471-il-faut-en-finir-avec-lapartheid-sioniste
[5] Rémy Herrera : https://www.redalyc.org/pdf/4755/475547533006.pdf
[6] https://reader.z-lib.gs/read/16e1a3b3f94f0218fa6d21006e148a22aae066f60196c5dd3ea6e291aabcaeb3/784668/9d62a9/adresse-du-comit%C3%A9-central-a-la-ligue-des-communistes.html&user_flush=1 ; https://classiques.uqam.ca/classiques/Engels_friedrich/Origine_famille/Origine_famille_Etat.pdf
L'État et la révolution, V. I. Lenine, Éditions Sociales, 1969
[7] Publié pour la première fois le 18 janvier 1929 dans la Pravda N°15
[8] F. Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Édité par les Éditions sociales avec le soutien de la Fondation Gabriel Péri, 2021
[10] Les Echos 02 décembre 2025